Renouvellement : les potentielles coupes concoctées par les Finances menaceraient l’existence même des réseaux régionaux
On savait que le ministère de l’Economie et des Finances est en France plus puissant que tout le reste du gouvernement central réuni. Aujourd’hui ses potentiels « arbitrages » en matière ferroviaire - en fait des coupes claires aux dépens des annonces gouvernementales – menacent de nouveaux pans entiers du réseau ferroviaire régional, ou du moins de ce qu’il en reste.
Depuis l’émoi suscité par la multiplication des ralentissements sur les lignes de « province », y compris structurantes comme Nantes- Bordeaux (notre article du 3 novembre 2019), par les accidents (Brétigny-sur-Orge), par les menaces de fermetures pures et simples, comme Grenoble-Veynes (notre article du 28 octobre 2019), et par les liquidations brutales (Boën-Thiers, Oyonnax-Saint-Claude…), l’Etat s'était engagé à augmenter dès 2020 de 500 millions d’euros la dotation de SNCF Réseau pour le renouvellement du réseau, la portant de 2,5 milliards à 3 milliards d’euros par an. Il s’agissait de financer un "contrat de performance". Notons que les régions, pour certaines d’entre elles, financent elles aussi des restaurations de lignes, bien que cela ne relève légalement pas de leur compétence. SNCF Réseau évalue à 700 millions d’euros par an durant dix ans le besoin de renouvellement des seules lignes de desserte fine du territoire.
Siège du ministère des Finances, quai de Bercy à Paris. Une architecture-forteresse venant plonger dans les eaux, perpendiculairement au cours de la Seine, image de sa puissance. L'amputation des dotations au réseau ferré auraient de conséquences massives dans les territoires.
Il paraît évident que les 500 millions d’euros en moins seraient retranchés de la dotation destinée aux lignes « régionales » (hors Ile-de-France, évidemment). Les Finances auraient alors fait d’une pierre deux coups : économiser sur le renouvellement, et imposer le transfert sur route de lignes considérées comme « non rentables », suivant une logique de pure comptabilité analytique qui n’intègre ni l’effet réseau, ni l’effet récessif sur l’économie locale, ni l’impact sur l’industrie ferroviaire toutes composantes confondues, ni l’impact environnemental. Ni, enfin, le poids financier éventuellement transféré aux régions qui voudront défendre le réseau qui les dessert mais qui ne disposent pas des ressources fiscales correspondantes.
On accélèrerait la liquidation du réseau régional et on pénaliserait aussi le réseau principal
Pire, explique le site bien informé transportrail.canalblog.com, non seulement les Finances tordent le nez, surtout après la reprise de 35 milliards d’euros de dette, mais manœuvrent pour aller encore plus bas : « Il serait bel et bien question non pas d'augmenter cette dotation 500 millions d’euros annuels - mais de la réduire d'un tel montant. » Bercy s’assoirait ainsi, explique le site spécialisé, sur les recommandations de l’audit de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne dans sa version actualisée en 2018, qui souligne l'urgence d'un effort continu sur l'ensemble du réseau. La France irait alors plus loin que l’accélération de la liquidation de ce qui lui reste de réseau régional: elle toucherait même au réseau principal.
Car cette censure budgétaire irait jusqu’à potentiellement torpiller certaines opérations sur le réseau structurant. L’installation de l’ERTMS sur la LGV Paris – Lyon serait menacée. L'ERTMS est un système de signalisation par cantons souples permettant d'optimiser l'espacement des trains et, de ce fait, d'accroître le debit. Or, explique encore transportrail, c’est « fondamentalement une opération de renouvellement, de surcroît largement autofinancée par les économies de maintenance et les recettes accrues, le solde étant couvert par un financement européen au titre de l'interopérabilité ». Pourtant, pour le ministère de Finances, ce serait du développement et une dépense dont on peut se passer.
Le financement de la construction de trains-usines de renouvellement voie-ballast serait mis en cause lui aussi. Une hérésie budgétaire puisque ces derniers permettent d’abaisser les coûts des travaux de grande ampleur en les rationalisant et en les accélérant. Or le kilométrage de lignes qui nécessiterait leur usage ne cesse de s’allonger, tant pour le réseau de « desserte fine » que pour le réseau « structurant ». Rappelons qu’on en est déjà à entreprendre la mise à voie unique d’une section de plus de 100km de la transversale Bordeaux-Nantes.