Les arguments de la Cour des comptes contre l'illusion du transport public gratuit
« La gratuité a pour effet d’augmenter la fréquentation des transports collectifs urbains principalement dans les centres urbains pour les déplacements de courte distance, davantage au détriment de la marche et du vélo que de la voiture » : c’est le diagnostic posé par la Cour des comptes dans son tout récent rapport intitulé « La contribution des usagers au financement des transports collectifs urbains ». Ce travail sans concession prend principalement pour cible la seule métropole française qui ait instauré la gratuité de son réseau : Montpellier, et ce depuis 2023. Il est publié alors que la campagne des élections municipales va voir fleurir, comme il se doit, de nombreuses propositions démagogiques parmi lesquelles celle de la gratuité des transports publics.
« Un report modal très limité »
Les magistrats de la rue Cambon pointent à Montpellier « un report modal d’automobilistes très limité », alors que c’est l’un des arguments-clés du « gratuitisme » avec l’affirmation d’une politique « sociale ». Sur ce dernier point toutefois, comme Raildusud l’a relevé plusieurs fois, il est comique de voir que cette gratuité profite d’abord aux quartiers centraux, les mieux desservis, peuplés majoritairement de classes moyennes supérieures en raison de l’envolée des prix de l’immobilier.
Il est assez cocasse aussi de constater que ce rapport critique a été publié sous l’autorité du premier président de la Cour des comptes, le socialiste Pierre Moscovici, alors qu’il cible principalement une autorité organisatrice directe, Montpellier Méditerranée Métropole, présidée par un autre socialiste, Michaël Delafosse à la fois maire et président de l’autorité organisatrice des transports.
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Travaux, en mars 2025, sur la jonction des lignes 3 et future 5 à l'intersection du cours Gambetta et du boulevard Clemenceau à Montpellier. (Cl. RDS)
Le rapport souligne combien la gratuité coûte cher aux finances publiques. Il relève ainsi qu’elle coûte la bagatelle « de 40 millions d’euros par an » à la collectivité métropolitaine de Montpellier alors même qu’elle ne s’applique qu’à ses résidents. Les citoyens habitant hors de la métropole de Montpellier, souvent éloignés en raison des prix du logement et donc souvent moins aisés, sont priés de payer leur voyage au prix fort alors même qu’ils sont moins bien desservis.
Les exclus de la métropole paient le prix fort
C’est par exemple le cas de Mauguio, importante cité résidentielle située à une dizaine de kilomètres de la commune centre, dans l’intercommunalité voisine. Ses habitants doivent prendre et payer un autobus de l’intercommunalité « Etang de l’Or » puis, après avoir subi une correspondance soit à Place de France avec la ligne 1 du tramway de Montpellier, soit à Boirargues avec la ligne 3, payer une seconde fois.
Le rapport de la Cour des comptes souligne qu’en raison de la surfréquentation des rames de tramway induite par la gratuité, la métropole a interdit la montée à bord des vélos et des trottinettes non pliées. Ceci constitue une contrainte regrettable alors, par exemple, que la ligne 3 du tramway a son terminus le plus proche de la mer, Pérols Etang de l’Or, situé à 2 km des plages.
Rame de la ligne 2 du tramway de Montpellier à proximité de la station Rondelet. Le quartier a connu une hyper-urbanisation sur les anciennes emprises fret de la SNCF. Malgré une fréquentation en très forte hausse, cette ligne 2 reste desservie par une large majorité de rames courtes Citadis 302. (Cl. RDS)
Le rapport montre aussi que pour l’opinion générale, sondée par plusieurs études, 75 % des Français continuent d’utiliser leur automobile en raison d’une offre insatisfaisante de transport public, principalement dans les zones périphériques. Ils pointent l’insuffisance du maillage, de la fréquence, de l’amplitude horaire et de la vitesse commerciale. Parmi les résultats, 35 % dénoncent une qualité de service déficiente (ponctualité, sécurité, confort) alors que seulement 15 % à 20 % pointent des tarifs trop élevés pour justifier leur choix de la voiture individuelle.
A Lyon, le prix n’empêche pas la hausse de l’usage
Les détails du rapport vont dans le même sens. Il relève qu’à Lyon l’abonnement mensuel permettant l’usage de la totalité du réseau, tarifé 90 €, est plus coûteux que son équivalent parisien le Pass Navigo, tarifé à 88,80 €. Cela n’a pas empêché l’usage des transports publics dans le Grand Lyon de passer de 15 % à 18 % des résidents en vingt ans tandis que la part modale de la voiture a régressé de 50 % à 44 %.
C’est le développement de l’offre qui a permis ce bon résultat, bien que bien inférieur en proportion par rapport à l’agglomération parisienne. En une décennie, le métro de Lyon a connu une extension de deux stations (ligne B prolongé de Gare d’Oullins à Saint-Genis-Laval, soit deux interstations), tandis que le réseau de tramway était notablement développé dans la partie Est de l’agglomération.
Rame à crémaillère du métro C des TCL lyonnais à la station Croix-Paquet, station originelle de l'ancienne crémaillère transformée en métro par extension jusqu'à Hôtel de Ville Louis Pradel au sud, Cuire au nord. Le mode ferroviaire offre une capacité, une régularité, une sûreté et une productivité incomparables mais exige un fort investissement initial. (Cl. RDS)
Le rapport estime ainsi que « l’augmentation de l’offre a permis, de fait, d’accroître la fréquentation dans une proportion plus grande, malgré une augmentation significative des tarifs ». Les populations à faible revenu, pour leur part, bénéficient de tarifs réduits.
A Grenoble, des tarifs Pastel pour faibles revenus de 2,50 € à 28,50 € par mois
A Grenoble, les tarifs Pastel, destinés aux usagers les plus démunis, s’échelonnent suivant les ressources. Le tarif mensuel d’un titre de libre circulation peut être de 2,50 €, 16,10 €, 21,40 € ou 28,50 € selon le quotient familial. Le réseau grenoblois, récemment étendu aux intercommunalités voisines du Grésivaudan et du Pays Voironnais, devenant ainsi le plus vaste réseau unifié hors Ile-de-France, module aussi ses tarifs sur un critère géographique. Les usagers de services internes à ces deux intercommunalités voisines, aux dessertes moins fréquentes en raison de leur plus faible population, disposent de tarifs réduits.
A l’inverse, sur la métropole de Montpellier, la surcharge fiscale destinée à financer le transport public « gratuit » est la même pour le résident d’une commune intérieure mais périphérique (Teyran, Villeneuve-lès-Maguelone, etc.) desservie par des services de bus à faibles fréquence et amplitude horaire, que pour le résident de l’hypercentre desservi par cinq lignes de tramway.
La Cour des comptes recommande donc une modulation des tarifs en fonction des ressources, ce qui permet de cibler les usagers ayant un réel besoin d’aide, plutôt qu’une gratuité aveugle aux revenus des usagers.
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Travaux de renouvellement de la ligne aérienne de contact cet été sur la section commune des lignes B et D du tramway de Grenoble à la sortie ouest du Domaine universitaire. La contribution des usagers est en moyenne d'un peu plus de 33% des budgets des réseaux de transports publics urbains. Une part décisive pour leur maintenance et leur développement vu l'état des finances publiques. (Cl. RDS)
Or la période n’est pas aux dépenses inconsidérées alors que le besoin de transport public explose. La Cour des comptes souligne ainsi que les employeurs, qui sont soumis au versement mobilité assis sur les salaires, et les collectivités (intercommunalités, syndicats intercommunaux voire départements et régions pour les dessertes périphériques…) ne peuvent plus se permettre de subir de nouvelles charges.
Le président du SMMAG, le syndicat des transports du Grand Grenoble, tempêtait en août dans Le Dauphiné Libéré en lançant : « Dire qu’on va mettre la gratuité, c’est dire que l’on va renonce au développement de nos lignes, au remplacement de nos bus, à un meilleur cadencement ».
Montpellier a réduit ses extensions de tramway et mise sur l’autobus
Comme pour illustrer son propos, la métropole de Montpellier a considérablement réduit ses projet de ligne 5 de tramway et d’extension de la ligne 1. Le premier, mis en service prochainement, s’est vu amputer de son antenne à voie unique jusqu’à Prades-le-Lez, de sa courte antenne montpelléraine des Bouisses et de plusieurs centaines de mètres aux deux extrémités de Lavérune et Clapier. Le second a vu l’extension d’Odysseum à la gare de Montpellier Sud-de-France, privé de sa station au droit du grand Lycée Mendès-France et raccourci de 200 m à proximité de la gare TGV, empêchant les rames d’atteindre le parvis de la gare-pont alors qu’il avait été prévu (et payé) pour cela. Les voyageurs des TGV devront gravir en plein soleil une longue rampe qui aurait dû l’être par les rames de tramway.
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Gare de Montpellier Sud-de-France. Non seulement cet établissement ne permet aucune correspondance TGV-TER, mais la longue montée arborée que l'on aperçoit au centre alors qu'elle vient d'être plantée (avril 2021) devait laisser place aux deux voies de l'extension de la ligne 1 du tramway. L'extension ayant été amputée de 200 m, les voyageurs empruntant les TGV devront gravir à pied cette longue montée. Mes plantations ne les protègeront certainement pas de l'assommant soleil estival... (Cl. RDS)
Réduire les budgets pourrait avoir des conséquences dramatiques. Il conviendrait même, selon les magistrats, d’augmenter la contribution des usagers, qui en moyenne ne couvre que 33,1 % des coûts du service. Le rapport écrit ainsi : « L’Union des Transports publics et ferroviaire (UTPF) estime qu’un ralentissement des efforts d’investissement tant en matière de transition énergétique que d’évolution de nouveaux services est à craindre. Le cas échéant, dans les territoires les plus touchés, l’offre pourrait même être réduite ».
On notera qu’à Montpellier le projet de SERM n’envisage guère que des bus à « haut niveau de service » et pour l’instant aucune extension de ligne de tramway, technique par définition plus rapide, plus capacitaire, plus régulière et plus productive, grâce au site propre et au mode chemin de fer, alors que la métropole ne dispose plus d’aucune étoile ferroviaire, fait quasiment unique en France. La gratuité a un prix. Il est à l’évidence élevé.