Montluçon-Evaux-les-Bains (27 km) : 7 millions d’euros (HT) pour mettre des vélos à la place des trains
Sept millions d’euros hors taxes pour 27 km, entretien d’ouvrages d’art non compris : tel est le devis de la transformation de la section Montluçon-Evaux-les-Bains de l’ancienne radiale Paris-Aurillac par Vierzon, Montluçon, Eygurande-Merlines, Bort et Miécaze. Cet axe fut interrompu dès mai 1950 entre Eygurande-Merlines et Bort en raison de la submersion partielle de cette section par le barrage de Bort-les-Orgues. Puis la section Montluçon-Eygurande-Merlines fut neutralisée en février 2008.
Cette somme de 7 M€ permet, entre autres, les coûteuses études préalables, puis le défrichage, la dépose des rails et ballast, la purge et le rétablissement des réseaux hydrauliques, la pose d’une sous-couche et d’un revêtement adapté aux vélos, l’installation de protections de sécurité, la pose de balises d’information et de direction, l’aménagement des accès secondaires au long de l’itinéraire… Voilà de quoi expliquer les 260.000 euros par kilomètre, hors taxes, annoncés pour cette opération.
Cette vue de l'ancienne gare de Budelière-Chambon, dont le bâtiment voyageurs a été rasé de longue date et remplacé par un abribus béton, montre l'importance de l'ancien faisceau marchandises. (Cl. RDS)
Les travaux de transformation de la voie ferrée, abandonnée depuis 17 ans, en piste cyclable ou "voie verte" devraient commencer en fin d’année 2025.
Deux ponts, deux viaducs moyens, et le célèbre viaduc de la Tardes
Cette section de 27 km est équipée de deux ponts de 60 m, de deux viaducs de 122 m et 124 m et surtout du célébrissime viaduc de la Tardes, en treillis métallique, long de 250,5 m, haut de 91,33 m. Il fut conçu, construit et posé par les ateliers Eiffel entre 1882 et 1885 pour mise en service de la section Montluçon-Eygurande-Merlines en 1887. Ce viaduc est inscrit aux Monuments historiques depuis 1975.
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Vue aérienne du viaduc de la Tardes, sur l'ancienne ligne Montluçon-Eygurande-Merlines, à proximité de Budelières-Chambon. Cet ouvrage des ateliers Eiffel, qui continuera d'être entretenu par SNCF Réseau et devra être équipé de garde-corps de haute sécurité, verra passer les vélos à la belle saison à la place des trains Paris-Ussel et des convois de fret de jadis.
Ainsi une ligne ferroviaire, patrimoine industriel de grande valeur au service d’une vaste région de moyenne montagne et de plateaux en grand besoin de liaisons physiques, se trouve-t-elle transformée, à grands frais, en curiosité de loisirs cyclistes. Il est certain que, vu la distance, les déclivités et les aléas climatiques, cette future « voie verte » constituera un « équipement » destiné presque exclusivement à une population sportive, jeune, saisonnière et de loisirs.
Les déplacements domicile-travail, domicile-études, les déplacements contraints par les achats, les visites familiales et par la santé resteront sur la route. On imagine mal les curistes de la station thermale d’Evaux-les-Bains, récemment modernisée à grands frais avec l’argent des collectivités locales, venir depuis Montluçon à vélo après avoir voyagé par train depuis une autre région.
Quant au fret, dans cette région d’agriculture, d’élevage et de petite industrie, il va de soi qu’il est sur la route, laissant de vastes emprises ferroviaires de chargement abandonnées tant à Budelière, qu’Evaux ou Auzances.
Montluçon-Evaux-Ussel : 1 h 53 mn en 1993 par autorail, 2 h 43 mn en 2025 par autocar
Le réseau de transport public routier, pour cet itinéraire à cheval entre les deux régions Auvergne-Rhône-Alpes (département de l’Allier) et Nouvelle-Aquitaine (département de la Creuse), ne porte pas à l’enthousiasme depuis la liquidation des trains au sud de Montluçon en mars 2008. Parmi eux, le célèbre train des curistes Paris-Ussel, apprécié de tous.
Seule la ligne 257 des autocars régionaux Nouvelle-Aquitaine Montluçon-Evaux-Auzances-Ussel offre un service à peu près régulier : 3 Montluçon-Ussel du lundi au samedi, 1 seul maintenu le dimanche, 1 ajouté le vendredi soir, pour un itinéraire de 112 km parcouru en 2 h 43 mn. Le même itinéraire était parcouru par autorail à l’horaire 1993 en 1 h 53 mn. La régression s’établit à 50 mn.
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Fiche horaire de l'une des trois lignes d'autocars desservant la section Montluçon-Evaux-les-Bains. Une fréquence et un mode d'accès dissuasifs. (Région Nouvelle-Aquitaine)
Les lignes 254 Montluçon-Evaux-Guéret et 256 Montluçon-Evaux-Aubusson-Felletin ne proposent que des services épisodiques non quotidiens, partiellement à la demande, dont l’attractivité, hors scolaires en internat, relève de la galéjade.
La section qui sera transformée en « voie verte » traverse sur 15 km quatre municipalités de l’intercommunalité Montluçon Communauté (Montluçon, Lignerolles, Lavault-Sainte-Anne, Teillet-Argenty) et, sur 12 km, deux municipalités de l’intercommunalité Creuse Confluence, Budelière et Evaux-les-Bains.
Natura 2000 et investigations écologiques : faune, flore…
Les études de faisabilité ont été effectuées en 2021 et 2022, suivies des études environnementales et de maîtrise d’œuvre, mi-2024. Le lancement des travaux était annoncé pour 2026.
Les études environnementales sont d’autant plus coûteuses que l’itinéraire ex-ferroviaire travers les zones Natura 2000 des gorges du Haut-Cher, des gorges de la Tardes et de la vallée du Cher. L’Etat, par l’Autorité environnementale a imposé une étude d’impact environnemental préalable, là où jusqu’en 2008 les trains passaient sans déranger la faune plus que de raison.
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Fiche horaire des services d'autocars de l'axe Montluçon-Evaux-Ussel, qui se sont complètement substitués aux trains à partir de 2008. Le temps de parcours de bout en bout s'établi à 2 h 43 mn. De Montluçon à Evaux-les-Bains, l'autorail abattait les 27 km en 26 minutes en 1993. Aujourd'hui l'autocar effectue le parcours en 40 mn. (Région Nouvelle-Aquitaine)
Cet étude d’impact a inclus la réalisation d’un inventaire faune et flore sur les quatre saisons (jusqu’au printemps dernier), avec « investigations sur la biodiversité sur l’ensemble du linéaire avec des passages réguliers sur site afin d’effectuer un relevé de la faune et de la flore (familles, genres, espères) à l’aide de ‘’pièges’’ (caméras nocturnes, plaques à reptiles, points d’écoutes, etc…).
Les financements sont partagés entre Montluçon Communauté, le conseil départemental de l’Allier (30 %), l’Etat (40 %) et Creuse Confluence soutenu par l’Etat à hauteur de 80 % de sa contribution.
Ouvrages d’art et ponts n’ont pu être pris en charge par les collectivités
La convention de transfert de gestions des voies (en fait de l’emprise débarrassée de sa voie ferrée) sera signée en septembre avec SNCF Réseau, le gestionnaire du réseau ferré national propriété de l’Etat.
Francis Nouhant, vice-président délégué aux mobilités de l’intercommunalité Montluçon Communauté explique dans un média local : « Une partie importante du travail, pour l’instant, a été le dialogue avec la SNCF pour racheter les 27 km de voie entre Montluçon et Évaux. Nous avons acquis l’empreinte mais les ouvrages d’art et les ponts ne peuvent pas être pris en charge par nos deux collectivités. Ils restent la propriété de la SNCF qui se charge de leur entretien ».
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Gare d'Evaux-les-Bains, saisie dix ans après la suppression de tout trafic ferroviaire en 2008. (Cl. RDS)
L’objectif des collectivités, principalement de Montluçon, consiste à se doter d’un nouvel outil touristique. « Cet aménagement pourra devenir un nouvel élément structurant de l’offre touristique du territoire, tout en permettant de renforcer d’usage du vélo pour les déplacements du quotidien et de loisir des habitants », explique le site de l’intercommunalité, qui ajoute : « Cette valorisation touristique pourra s’appuyer sur le cadre naturel préservé, renforcé par la présence d’éléments de patrimoine et d’histoire remarquables, notamment le viaduc de la Tardes construit par M. Eiffel ».
Nouvel outil touristique ou « greenwashing » du démantèlement ferroviaire ?
Les promoteurs de cette « voie verte » célèbrent sa « position stratégique à la jonction des grands itinéraires nationaux inscrits au Schéma national des voies vertes et véloroutes » puisqu’elle permettra d’assurer « la jonction de grands itinéraires nationaux » avec, « à terme, environ 600 kilomètres de linéaire de Tours à Montauban », une interconnexion qualifiée de « douce et attractive ».
Il restera à quantifier l’attractivité de cette « voie verte » qui s’ajoute à l’interminable liste des autres lignes ferroviaires désormais dédiées aux vélos, à travers toute la France. Si l’on s’en tient à l’Allier, la « voie verte » reliant déjà Montluçon à Néris-les-Bains, section de l’ancienne ligne Montluçon-Gouttières ne brille pas, selon nos constatations pourtant en période estivale, par l’abondance de son trafic…
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Vue de l'état actuel de l'entrée du viaduc de la Tardes. Une canalisation y a été installée. (Cl. St. P.)
« Le greenwashing du démantèlement du réseau ferroviaire prend là toute sa saveur », grince un cheminot de la région qui se souvient des rames Corail montant vers Evaux-les-Bains, Auzances et Ussel. Pendant que quelques cyclistes estivaux respireront l’air à pleins poumons, les utilisateurs du transport public tout au long de l’année attendront leurs rares autocars, aux horaires aussi détendus qu’illisibles, en bord de route, dans le vacarme et les effluves des poids-lourds.
Une "voie verte" existe déjà autour de Montluçon : établie jusqu'à Néris-les-Bains (7 km) sur l'ancienne ligne Montluçon-Gouttières qui connut l'une des plus courte existence du réseau français (1931-1939 pour le service voyageurs de bout en bout). Cette vue, prise en fin d'été, ne trahit pas une affluence particulière. (Cl. RDS)