Toulon, transversale, Maurienne : bonnes nouvelles pour le fret ferroviaire, mais inquiétude pour l'AFA
L’embellie relative de l’activité du fret ferroviaire est marquée dans les régions du grand Sud-Est par quelques bonnes nouvelles. A Toulon, un trafic fret régulier s’installe enfin quatre ans après la rénovation de l’antenne qui dessert le bassin du Brégaillon. Sur l’axe transversal Rennes-Vénissieux, DB Cargo reprend à Naviland Cargo, et pérennise, un flux intermodal d’importance. Enfin, en pays savoisien, le trafic a repris sur la ligne historique internationale interrompue depuis dix-neuf mois par un éboulement massif avec toutefois une ombre au tableau : le possible non financement public de l’autoroute ferroviaire alpine.
Ces informations, relayées en particulier par l’excellent flux « fret ferroviaire » installé sur linkedin.com, confirment à leur manière la lente reprise du trafic fret dans une France où après 9 % ces dernières années il affiche une part de marché d’environ 10 %, contre le double en Allemagne, à environ 19 %, et près du quadruple en Suisse, à 38 % (le septuple pour le trafic transalpin via la Suisse, à 72 %). (1)
Le port de commerce de Toulon retrouve enfin un flux fret régulier
En Provence-Alpes-Côte-d’Azur, où le réseau autoroutier est omniprésent, il aura fallu six ans pour que les travaux de réhabilitation de l’antenne reliant le faisceau de La Seyne-sur-Mer au port de commerce toulonnais du Brégaillon se traduisent par un flux régulier. Il s’agit d’un flux d’automobiles transportées sur wagons depuis Mulhouse vers la Turquie.
La restauration de cette section d’environ 1.500 m amorcée à La Seyne de même que celle atteignant le port militaire, avait coûté 3,7 millions d’euros et deux ans de travaux. Elle était neutralisée depuis douze ans. Il avait fallu rétablir un franchissement routier et changer le tablier d’un pont rail métallique qui avait été endommagé par un camion. La circulation avait été formellement autorisée le 23 avril 2021. Le gestionnaire de cette Installation terminale embranchée (ITE) était le couple RDT13-Sféris.
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Rame de wagons porte-autos manoeuvrée sur le quai du port du Brégaillon. De quoi valoriser la rénovation de l'antenne réalisée voici six ans. (Document: Ports de la Rade de Toulon, CCI du Var)
Le vendredi 23 mai, a circulé sur cette section périurbaine à voie unique le premier trafic commercial fret régulier par train conventionnel. En six ans, seuls un train de test lors de la mise en service et une unique circulation de transport de tuyaux en provenance de PAM Pont-à-Mousson avaient utilisé ces 1,5 km rénovés. Le nouveau trafic régulier pour Peugeot Stellantis desservira le Brégaillon quatre fois par semaine depuis l’usine de Mulhouse avec des voitures destinées à l’export (Turquie notamment) par un train complet de wagons porte-automobiles assuré par Hexafret. Ce sont 1.900 camions qui seront retirés des routes chaque année.
L’installation du port du Brégaillon se compose de deux voies à quai de 150 m, une voie hangar de 200 m, une voie de garage et une dernière pour la manutention, longue de 250 m.
Si ce flux laisse augurer des développements vers d’autres chargeurs, certains trafics comme les remorques restent limités par les problèmes de gabarit de certains tunnels entre Marseille et Toulon, précise « Fret ferroviaire ».
La belle continuité de la transversale de combiné Rennes-Vénissieux avec DB Cargo France
Si le trafic automobiles Mulhouse-Toulon est pris à la route, il n’en va pas de même avec le trafic combiné transversal Rennes-Vénissieux, qui existe depuis longtemps. Mais ce dernier mérite d’être mentionné puisqu’il avait été réactivé par Naviland Cargo, filiale combiné de la SNCF, après la faillite de Combiwest en 2016.
Il s’agit d’une ligne historique de Lahaye Global Logistics, entreprise familiale historique de transport routier fondée en 1960, qui agit aussi en ferroviaire avec sa filiale de transport combiné Be Modal. Cet opérateur de transport combiné a repris la ligne Rennes-Vénissieux et en a confié la traction à DB Cargo France. La fréquence hebdomadaire reste fixée à cinq allers-retours.
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Chantier de manutention intermodale de DB Cargo. La transversale Rennes-Vénissieux montre un belle résistance malgré les changements de tractionnaires et donc l'intérêt d'un réseau de liaisons polycentrées. (Doc. DB Cargo France)
Avec cette reprise, Be Modal exploite à présent les deux lignes rail-route au départ de Rennes : Rennes-Vénissieux et Rennes-Dourges, relève « Fret ferroviaire », qui commente : « Ce changement concernant la ligne Rennes-Vénissieux met fin à presque neuf ans de partenariat entre Lahaye et Naviland Cargo sur cet axe, soit depuis sa réactivation après la mise en faillite de Combiwest en 2016 ».
Ce changement constitue un nouveau départ pour cette ligne avec non seulement un nouvel opérateur « mais aussi des nouveaux wagons doubles 90’ flambant neufs loués à Ermewa, très performants pour le transport Intermodal de caisses mobiles comme de conteneurs », précise le média. A Vénissieux, des travaux d’agrandissement et de rénovation de voies sur le terminal Novatrans ont été achevés l’an dernier. Au terminal de Rennes, le portique de manutention a été entièrement restauré et remis en service. « Fret ferroviaire » rapporte également l’ambition de DB Cargo France de lancer de nouvelles liaisons rail-route sur d’autres axes.
Remise en service de la ligne de la Maurienne…
Troisième bonne nouvelle, et pas seulement pour le fret ferroviaire, la remise en service de la ligne internationale électrifiée à double voie franco-italienne du tunnel du Fréjus, le 1er avril dernier soit dix-neuf mois après l’effondrement de la falaise de La Praz, à Saint-Michel de Maurienne, à l’ouest de Modane. Cette ligne, quoique historique, est la seule reliant la France et l’Italie qualifiée pour la transport combiné avec un gabarit B (ferroutage ou trafic combiné), moyennant toutefois des restrictions de flux dans le tunnel binational.
L’effondrement de la falaise était survenu le 23 août 2023, recouvrant une galerie ferroviaire de protection et endommageant les voies de part et d’autre. De lourds travaux de purge, de déblaiement et de sécurisation, menés de nuit comme de jour par SNCF Réseau, les services départementaux et l’Etat, ont induit une interruption de dix-neuf mois après plusieurs reports.
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Vue de l'effondrement d'un partie de la falaise de La Praz en haute Maurienne. On soulignera combien les ingénieurs du siècle dernier ont anticipé la catastrophe en construisant une galerie de protection qui globalement bien résisté à la masse qui s'est abattue sur elle.
L’impact a été très pénalisant pour le fret ferroviaire avec une partie des trafics brutalement stoppés et reportés sur route en urgence, d’autres détournés par de longs itinéraires (Vintimille ou la Suisse). Notons que l’autoroute parallèle à la ligne, mais plus éloignée de la falaise, n’a connu que quelques semaines de fermeture.
« Aujourd’hui, le retour de ces flux sur le ferroviaire est compromis car les nouvelles organisations logistiques adoptées après l’éboulement sont éprouvées depuis longtemps », déplore « Fret ferroviaire », relavant que certains trafics, notamment combiné rail-route, ne retrouvent pas le même niveau de remplissage qu’avant l’été 2023 « voire ne reprennent pas du tout ».
Il n’en va pas de même pour les trafics dits conventionnels, par wagons classiques, qui ont pu être détournés par Vintimille « pour une bonne partie ». « Fret ferroviaire » souligne que « Hexafret a notamment mis en place de nombreux détournements de trains via Miramas en déployant des moyens, permettant d’écouler la majeure partie des trafics conventionnels et d’éviter un report modal inversé ».
… mais crainte de blocage du financement de l’Autoroute ferroviaire alpine
Pour compliquer encore l’affaire, révèle le média en ligne, « les États français et italiens refuseraient de financer la dizaine de millions d’euros annuels nécessaire pour la remise en service de l’Autoroute Ferroviaire Alpine (AFA), seule ligne de ferroutage entre la France et l’Italie interrompue depuis l’éboulement ». Ce blocage, malgré l’effort des députés de Savoie et de Piémont, est qualifié « d’incompréhensible » alors que se poursuit le percement du tunnel de base de la future liaison Lyon-Turin. Or le maintien d’une liaison rail-route en amont de son ouverture permet d’anticiper un basculement du trafic existant sur la nouvelle infrastructure.
L’AFA reliait Aiton, en Savoie, à Orbassano, en province de Turin, et permettait de passer sur rails environ 250 camions, libérant d’autant l’étroite vallée de la Maurienne de leur pollution. L’AFA et ses deux terminaux restent à ce jour fermés. « Cette absence de volonté aujourd’hui en 2025 pour mettre sur la table un montant infime par rapport aux investissements massifs alloués au projet Lyon-Turin met un grand doute sur la réelle volonté à long terme des États de développer le fret ferroviaire une fois le nouveau tunnel achevé d’ici 2033 », s’inquiète « Fret ferroviaire ».
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Train de transport de remorques routières de citernes sur l'autoroute ferroviaire alpine, dans la vallée de la Maurienne, avant sa suspension. En 2013, le taux de remplissage des trains s'établissait à 86% et 31.616 semi-remorques avaient été transportés cette année-là sur les wagons surbaissés à châssis pivotant construits par l'industriel français Lohr. (Doc. Lohr)
Les États, et particulièrement la France, ainsi que l’UE, doivent ensuite attribuer les financements pour la seconde phase avec notamment la nouvelle ligne jusqu’à Lyon et le contournement de Lyon (CFAL), des projets fondamentaux pour développer le fret ferroviaire et libérer enfin les vallées alpines d’une part notable de leurs flux routiers, polluants tant en matière de gaz que de bruit et encombrant massivement les voiries disponibles.
Mais les tunnels à percer pour cette ligne d’approche côté français cumulent une longueur 74,2 km contre 57,5 km pour le tunnel de base international du mont d’Ambin. Et encore on ne compte pas la deuxième phase, celle qui consistera à percer un tunnel de liaison directe vers Chambéry sous le massif de l’Epine. On mesure le défi pour les finances publiques, principalement françaises, mais aussi italiennes (qui sont censées participer à la ligne d’accès française) et européennes.
Carte générale de la ligne nouvelle d'accès au tunnel de base du mont d'Ambin côté français. (Doc. La Transalpine)
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(1) Lien vers le flux d’information de « Fret ferroviaire » :
https://www.linkedin.com/in/fret-ferroviaire-5a5070193/