Il manque 1,5 milliard d'euros par an pour maintenir la performance du réseau, dit le PDG de SNCF Réseau
(En couverture : gare minimaliste et voie historique sur la ligne Béziers-Neussargues)
Le président de SNCF Réseau, Matthieu Chabanel, n’y est pas allé par quatre chemins : si on n’augmente pas significativement le budget d’entretien et de rénovation des voies en France, quatre mille kilomètres de lignes vont subir des ralentissements et autres « baisses de performance ». Quatre mille sur 27.000 km que compte le réseau ferré national, dont environ 3.000 km de lignes nouvelles. Ces 4.000 km sont donc à rapporter essentiellement aux 24.000 km du réseau classique subsistant (soit 16,66 %) après liquidation de plus de 50 % du linéaire originel depuis 1938, création de la SNCF.
Matthieu Chabanel était interrogé par le journaliste Cyril Petit pour le premier quotidien français par sa diffusion, Ouest France, alors qu’une conférence de financement des transports a été lancée début mai. Il a d’abord souligné le contraste existant entre les besoins et les menaces pesant sur le réseau : « Je me réjouis de l’engouement pour le ferroviaire dans notre pays, que ce soit pour les vacances ou pour les déplacements du quotidien : les TGV sont pleins et, dans beaucoup de régions, les TER connaissent des progressions à deux chiffres chaque année depuis la crise du Covid. Le fret, lui, rebondit après une année 2023 difficile. »
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Matthieu Chabanel, PDG de SNCF Réseau depuis octobre 2022. Selon lui, le maintien des performances du réseau actuel exige un surplus d'investissement de 1,5 milliard d'euros par an.
Le contraste est d’autant plus frappant que ce sont les services régionaux qui connaissent la plus forte croissance d’usage, bien plus que le réseau à grande vitesse, alors que ce sont précisément les lignes régionales qui sont les plus menacées tandis que les LGV absorbent un budget de maintenance considérable en raison de leurs performances.
2019-2023 : bond de 21 % de la fréquentation des seuls TER
Selon les statistiques pour 2023 publiés en fin d’année 2024 par l’Autorité de régulation des transports (ART) la hausse du nombre de voyageurs ferroviaires depuis la fin du Covid est continue, en croissance de + 6 % comparé à 2022. De 2019 à 2023, la hausse bondit de 21 % pour les TER alors qu’elle est de 6 % pour les TGV. Cette relativement modeste performance de la grande vitesse peut s’expliquer par une baisse de l’offre de près de 3 % en raison des grèves et du retrait du service d’une quarantaine de rames.
Mais le delta avec les services régionaux hors Ile-de-France est tel qu’il ne peut se réduire à ces explications fonctionnelles. Le besoin qui s’exprime est criant dans les régions et dans les « métropoles d’équilibre ». Ces dernières sont privées, au contraire de la plupart de leurs équivalentes en Europe occidentale, de services ferroviaires métropolitains à forte fréquence. Les régions de faible densité ont quant à elles vu de nombreuses de leurs lignes disparaître et ça continue : en août, Busseau-Felletin dans la Creuse tandis qu’Angoulême-Limoges n’en finit pas de reporter sa réouverture après travaux, etc…. Celles qui subsistent sont généralement exploitées a minima : par exemple aucun train les samedis et dimanches (alors que le dimanche soir est une période d'affluence) entre Montbrison et Boën, 18 km, malgré une réouverture en 2018, etc…
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Rame TER AGC garée à Boën côté Clermont-Ferrand. On remarque l'envahissement de la végétation sur les voies qui continuaient vers Thiers. Alors que le dimanche soir est une période chargée en voyageurs pour le réseau ferré, la région Auvergne-Rhône-Alpes ne finance aucun TER les samedis, dimanches et fêtes de et vers Boën depuis Saint-Etienne. Tout est sur la route moyennant net allongement de temps de parcours. (Cl. RDS)
Certes, se félicite Matthieu Chabanel dans Ouest France, actuellement « sur 100 trains (qui circulent, NDLR), 90 sont à l’heure. Sur les 10 en retard, quatre le sont pour des raisons liées au réseau. » Il faudrait néanmoins ajouter à cette statistique celle des trains supprimés pour raisons de travaux, de plus en plus nombreux : les travaux sont moins coûteux et plus rapides en fermant une section de ligne tout une longue fin de semaine plutôt que de travailler sur plusieurs nuits ou en voie unique. La fin de semaine de l’Ascension a vu ainsi les deux lignes Grenoble-Lyon et Grenoble-Valence neutralisées pendant trois journées et demie pour le remplacement d’un ouvrage, avec transfert sur une noria d’autocars.
Age moyen des voies : 30 ans en France, 17 ans en Allemagne
Le PDG de SNCF Réseau en convient, « le réseau (les voies et équipements, NDLR) est assez ancien : 30 ans en France contre 17 en Allemagne » bien qu’en termes de performance, on soit « dans la bonne moyenne européenne avec moins d’incidents qu’outre-Rhin ». Mais le réseau français hors Ile-de-France est un beaucoup moins dense et maillé en France qu’en Allemagne.
Matthieu Chabanel en vient alors au point dur de son propos : « Plusieurs études, indépendantes de SNCF Réseau, ont montré qu’il faudrait investir 4,5 milliards d’euros chaque année pour maintenir la qualité, soit un milliard et demi de plus que l’investissement actuel. C’étaient d’ailleurs les orientations données par le gouvernement en février 2023. Si on ne fait pas cet investissement annuel à l’horizon 2028, 4 000 km de lignes ont un risque avéré de baisse de performance. Puis une plus grande partie du réseau, quelque 10 000 km, serait touchée au cours des dix prochaines années. »
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Etat des voies à Lus-la Croix-Haute, sur la ligne Grenoble-Veynes dont la vocation interrégionale Grenoble-Sisteron-Aix-Marseille est actuellement passée par profits et pertes. Les limitations de vitesse n'ont été que partiellement levées malgré rénovation en aval côté Grenoble. (Cl. RDS)
« Pour maintenir la qualité » : cela exclut à l’évidence des perspectives de réouvertures et donc d’extension du réseau régional existant. On pense aux lignes en cours de reconstruction en Occitanie, dont les perspectives de réouverture sont pour certaines (Séverac-Rodez, Limoux-Quillan) reportées d’année en année et bien sûr dans l’une des régions les plus frappées par la déflation ferroviaire, Auvergne-Rhône-Alpes (et ses voisines) avec Volvic-Ussel, Oyonnax-Saint-Claude, Boën-Thiers, toujours à l’état de ruines.
Plus de 13 % de la totalité des trains seraient frappés
Mais concernant le réseau subsistant, l’absence de rénovation suffisante sur les 4.000 km menacés de ralentissements (voire de fermeture ?), poursuit le PDG, « pourrait concerner jusqu’à 2.000 trains par jour sur les 15.000 qui circulent. »
Ce ratio de plus de 13,3 % est considérable. Il frapperait à l’évidence les lignes purement régionales, celles qui desservent (déjà généralement mal) des territoires déjà marginalisés de ce qui se prétend encore une république « égalitaire », ceux que le géographe Christophe Guilluy et quelques autres dénomment « Périphéria ». Ces régions sont privées de vrais bureaux de poste (banque et courriers), leurs enfants sont astreints à d’incessants et longs parcours en autocars (financés par les autorités locales) pour rejoindre des collèges toujours plus centralisés, elles sont privées de médecins et on enjoint leurs habitants d’attendre les rares autocars en bord de routes sillonnées par les poids-lourds qui ont remplacés les wagons qui autrefois circulaient sur la ligne voisine abandonnée qui disparaît sous la végétation.
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TER Auvergne-Rhône-Alpes sortant de la gare de Chambéry Challes-les-Eaux côté Modane. L'étoile ferroviaire chambérienne est éligible au programme SERM. Mais dans quels délais et avec quels financements ? (Cl. RDS)
Comment financer au moins le maintien du réseau subsistant et où trouver le milliard et demi annuel supplémentaire qui serait indispensable ? « En France, explique Matthieu Chabanel, la participation des utilisateurs du train par rapport à celle du contribuable dans le financement du renouvellement du réseau est proportionnellement plus importante que chez beaucoup de nos voisins. Trouver le bon équilibre relève de la décision politique. » Donc d’un financement public, dont l’origine peut être située soit chez un Etat en quasi-faillite, soit chez des régions aux ressources parmi les plus faibles d’Europe.
Entre sous-utilisation et saturation, rançon de l'hypercentralisation
On terminera avec cette réflexion intéressante du PDG de SNCF Réseau au sujet du taux d’usage du réseau existant, entre sous-utilisation et saturation. A la question « combien un réseau modernisé pourra-t-il accueillir de trains en plus ? », il répond : « On pourrait faire rouler facilement 20 % de trains en plus en France. Mais de manière très variable selon les zones, parce qu’on a des lignes où on pourrait accueillir beaucoup de trains et d’autres proches de la saturation, autour des nœuds ferroviaires et des grandes métropoles. »
Parmi ces « grandes métropoles », on entend bien sûr principalement la région parisienne, dont le réseau fragilisé par sa saturation, impacte de nombreuses radiales nationales. On pense en particulier à la ligne classique Clermont-Ferrand – Paris, dont les trains sont régulièrement impactés (outre les problèmes de matériels) par la saturation au nord de Montargis et plus encore de Moret-Veneux-les-Sablons, les retards se cumulant alors. Drame de l’hypercentralisation française…
Train à grande vitesse et rame Corail régionale en gare de Lyon Part-Dieu. Les attentes de circulations retardées en amont des voies à quai sont légions. (Cl. RDS)
On soulignera bien sûr aussi le cas de Lyon, où les trains sont régulièrement retardés à l’entrée de la gare de la Part-Dieu, goulot d’étranglement d’un trafic singulièrement hétérogène (TER, TGV, Intercités, important fret de transit, mouvements de service, trains de travaux) malgré ses douze voies à quai. Le système ferroviaire lyonnais attend toujours son contournement est, son contournement sud et son RER rebaptisé SERM.