Evolution des réseaux de tramway dans le Sud : 2 – Ces villes entre stagnation et refus
Dans notre précédent article, nous avons exposé les initiatives et projets de quatre villes de la moitié méridionale du pays en matière de tramway (Lyon, Marseille, Nice et Bordeaux), qu’il s’agisse d’extensions ou d’optimisation. Dans ce second article, nous récapitulons les situations de villes qui ont stoppé, amoindri ou reporté leurs projets de tramways urbains : Toulouse, Montpellier, Nîmes, Avignon, Toulon, Grenoble, Clermont-Ferrand. (En vignette, le tramway T2 à l'aéroport de Toulouse, avant sa suspension pour transformation en ligne Aéroport express - Cl. RDS). (1)
- Toulouse : restructuration marginale de l’existant - A l’exclusion d’une refonte du service au nord-ouest de l’agglomération, avec division en deux lignes de l’unique ligne de tramway de l’agglomération précédemment organisée en deux antennes, la métropole de Toulouse a abandonné tout projet de tramway urbain.
L’autorité organisatrice, le SMTC, se concentre sur le financement de la ligne 3 du métro de la métropole, conçu non plus comme un mini-métro à roulement exclusivement pneu, mais comme un métro automatique lourd à roulement exclusivement fer. Elle revient ainsi au simple bon sens, qui consiste à miser sur la capacité et la simplicité pour un équipement de transport public. Quitte à creuser un tunnel, autant qu’il soit le plus capacitaire possible. Le contraste entre les considérables stations, souterraines ou aériennes, des deux premières lignes du métro, et l’exiguïté étouffante de leurs petites rames a fait réfléchir.
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Plan de la troisième ligne de métro de Toulouse (en orangé). On note la création de la station Jean-Maga, commune à cette future ligne lourde et aux lignes de tramway T1 (en bleu) et de la future ligne Aéroport Express (en vert sombre), ex-section terminale de l'ex-ligne T2.
Quoi qu’il en soit, le coût de cette troisième ligne - 2,7 milliards d’euros - et sa longueur - 27 km et 21 stations de l’ouest (Colomiers) au sud-est (La Cadène) – engagent les finances à un point tel que seuls des lignes d’autobus express à haute fréquence sont réalisés ou annoncés : Lineo 10 (Fenouillet-La Vache), Lineo 11 (Basso-Cambo-Frouzins), une ligne express Basso-Cambo-Muret…
La ligne de tramway, jusqu’ici desservie par deux missions (T1 Palais de Justice-MEET et T2 Palais de Justice-Aéroport) en long tronc commun, sera restructurée en 2026 avec création d’une courte ligne Aéroport Express (LAE) reliant en sept minutes le terminal de Toulouse Blagnac à la future station Jean-Maga de la ligne 3 du métro. La ligne T1, dotée d’un terminus partiel à Odyssud, voit sa fréquence augmentée sur sa section la plus urbaine. Le terminus tramway de l’aéroport est modifié et le dépôt de Garossos porté de 26 à 38 rames de 32 mètres de longueur. Cette opération tramway est budgétée à hauteur de 39,55 millions d’euros.
Aucun autre projet de tramway n’est actuellement avancé dans cette vaste commune-centre de 118,30 km2, l’une des plus étendues de France devant Paris (105,40 km2). L’attention se porte par ailleurs sur le projet de RER métropolitain (SERM), qui bénéficiera des aménagements ferroviaires nord Toulouse, avec passage à quatre voies entre la gare Matabiau et Castelnau d’Estrétefons mais reste contraint par les potentiels cisaillements précédant la gare centrale en cas de création de lignes diamétrales cadencées.
- Montpellier : ligne 5 raccourcie, projets de tramways abandonnés.- Le dogme de la gratuité semble avoir porté un coup létal aux projets d’extension du réseau de tramway dans la métropole de Montpellier, une fois la ligne 5 mise en service cet automne. Avec un manque à gagner évalué à environ 40 millions d’euros par an, les initiatives envisagées tournent désormais aux lignes d’autobus à supposé « haut niveau de service ». On n'a trouvé d'éventuelles futures extensions tramway, en concurrence avec des BHNS, que dans un vague projet de SERM.
La ligne 5 de tramway a vu son projet initial considérablement amputé : suppression de l’antenne à voie unique jusqu’à Prades-le-Lez ; raccourcissement des deux extrémités, au nord-est à Clapiers, au sud-ouest à Lavérune, où les terminus sont désormais situés à la périphérie des bourgs ; suppression de la courte antenne vers Les Bouisses, au sud-ouest de la commune de Montpellier. Quant à l'extension de la ligne 1 jusqu'à la gare Sud-de-France, elle a perdu les 200 mètres la menant jusqu'au parvis du bâtiment voyageurs et une station intermédiaire face à un grand lycée.
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Faute d'extension du réseau ferré urbain, place au routier avec les BHNS à Montpellier. Outre les inconvénients propres au routier (inconfort de roulement, capacité et vitesse limitées, faible durée de vie des matériels roulants...), ces lignes de bus à "haut niveau de service" étrangement dénommées "Bustram" imposeront souvent une rupture de charge aux stations des lignes de tramway (Génevaux avec la ligne 5, Place de l'Europe avec les lignes 1, 2, 4, Arceaux avec la ligne 3). (Doc. Montpellier Méditerranée Métropole)
Quant aux autres projets évoqués, ils sont passés à la trappe, tout du moins par l’actuelle municipalité : tram express vers Poussan sur l’emprise de l’ancienne ligne SNCF de Paulhan avec desserte de Fabrègues et de la plaine occidentale, où la desserte bus est aujourd’hui d’une extrême lenteur (sur cet axe est prévu un BHNS… à voie unique, en correspondance avec la ligne 5 du tramway) ; extension par antenne de la ligne 2 au nord vers Castries (où l’ancienne ligne SNCF de Sommières devient « voie verte ») ; aucune évocation d’une extension de la ligne 3 vers les plages, etc…
Quant au projet de SERM, il se limite à ce stade à une future optimisation des fréquences TER sur la ligne SNCF historique Tarascon-Sète et à une multiplication de lignes de BHNS, concept dont on connaît la flexibilité et les effets d’annonce douteux.
Au final Montpellier, qui ne dispose pas d’étoile ferroviaire, semble être revenu à la technique routière comme principal outil de développement de son système de transport public. Un retour à la période précédant la tardive introduction du tramway moderne, en juin 2000.
- Nîmes reste au tout-routier.- La communauté d’agglomération de Nîmes, qui compte 258.750 habitants (2021) dispose, au contraire de Montpellier, d’une étoile ferroviaire. C’est semble-il son seul atout pour un éventuel futur transport périurbain de voyageurs : elle compte à ce jour cinq branches, vers Alès, Pont-Saint-Esprit, Tarascon, Le Grau-du-Roi et Sète, sans compter la ligne de contournement à grande vitesse mixte fret-TGV dite CNM dont l’usage TER est exclu.
TramBus de Nîmes (Photo Florian Fèvre
Noria d'autobus à l'arrière de la gare de Nîmes Centre. Le routier reste prépondérant dans et autour de la préfecture du Gard. (Cl. RDS)
La perspective d’un SERM reste toutefois exclue sur ces lignes, avec un axe Tarascon-Sète déjà extrêmement sollicité et des lignes vers Alès et Le Grau-du-Roi maintenues en traction thermique. Une réactivation de la ligne de Saint-Césaire vers Sommières par des banlieues en forte expansion démographique constitue un vieux serpent de mer. La création d’une halte au nord de la commune sur la ligne d’Alès, longtemps évoquée, semble passée par profits et pertes.
L’introduction de la technique tramway, après avoir été envisagée pour l’axe est-ouest, semble désormais abandonnée au bénéfice d’autobus sur voies routières plus ou moins protégées. Sur l’axe nord-sud qui relier la ville-centre aux quartiers commerciaux et d’affaire qui se sont développés le long des axes routiers de contournement côté plaine, un « tram’bus » officie depuis 2012 sur une plate-forme protégée. Son itinéraire a été développé depuis autour de la ville ancienne.
En conclusion, Nîmes reste au tout routier pour son transport urbain.
- Avignon tarde à valoriser sa courte ligne.- A 46 km de Nîmes, la communauté d’agglomération d’Avignon (198.133 habitants en 2022) a choisi, au contraire de sa voisine, la technique tramway pour structurer son réseau. Mais la première et actuellement seule ligne, mise en service en 2019, ne se développe que sur 5,2 km de Saint-Roch à Saint-Chamand. Ses 14 rames relient les quartiers populaires et commerciaux périphériques à l’hypercentre, permettant de cicatriser quelque peu les profondes ruptures urbaines que constituent les voiries, rocades et radiales périphériques, et les vastes emprises ferroviaires.
Une extension de ce micro-réseau est prévue depuis plusieurs années, mais à un horizon régulièrement reporté. En tronc commun sur le parcours péri-central de la première ligne, une ligne 2 relierait l’île Piot à Saint-Lazare-Universités Arendt avec franchissement d’un bras du Rhône, effectuant ainsi un bouclage semi-périphérique le long des remparts côté sud. Son extension jadis prévue jusqu’à la banlieue nord-est (Le Pontet) est incompréhensiblement abandonnée.
Mais à ce jour la mise en service de cette ligne 2, au projet pourtant raccourci, est reportée à 2030. La fracture entre la maire d’Avignon, Cécile Helle (PS), opposée au tramway, et le président de l’intercommunalité Joël Guin (divers droite), constitue un handicap politique certain.
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Carte du projet final de la ligne T2 du tramway d'Avignon... dont la réalisation ne devrait pas être achevée avant 2030 malgré l'engorgement routier considérable des voiries d'approche et de contournement. (Doc. Ilex Paysage et Urbanisme, Lyon)
- Toulon ou le tramway enjeu politique majeur.- Toulon, qui compte 4450.000 habitants sur sa métropole, coincée entre sa montagne et sa rade, présente le profil urbain idéal pour installer un réseau de tramway capacitaire, peu polluant, économe en espace. Cette métropole a pourtant renoncé au projet, suite aux hésitations et contradictions de ses élus majoritaires.
Actuellement, le seul projet de transport ferroviaire concerne la relation péri-urbaine traversante entre le bassin d’Hyères et celui de La Seyne par la ligne du réseau ferré national, avec l’ouverture de la halte de Sainte-Musse à l’est et le projet d’augmentation de fréquence des TER. Mais de tramway urbain, il n’en est plus question… sauf dans les programmes politiques d’équipes candidates aux prochaines municipales.
On se reportera au récent article de Raildusud sur ce sujet, qui détaille enjeux et histoire :
- Grenoble : multitude de projets, absence d’extensions.- Grenoble, sa métropole et son syndicat mixte autorité organisatrice des transports, le SMMAG, auront brillé par l’abondance des études et projets qui auront été financés depuis la dernière mise en service d’une ligne complète, la ligne E longue de 11,5 km, en juin 2014. La longue décennie qui a suivi n’a connu que la courte extension sud de la ligne A sur deux stations en décembre 2019 et la construction du triangle des Taillées pour permettre aux rames de la courte ligne D de poursuivre jusqu’à la gare centrale de Grenoble en tronc commun avec la ligne B (et A, partiellement), en 2024.
De nombreux besoins ont été identifiés mais jamais réalisés, alors que le SMMAG a déjà dépensé de coûteuses études pour un hypothétique téléphérique périphérique péri-urbain à l’ouest, de Fontaine à Saint-Martin-le-Vinoux, d’un devis de plus de 65 millions d’euros, retoqué par l’enquête publique. Ce projet d’équipement, dont l’itinéraire serait orthogonal au puissant flux aérologique de la cluse de Voreppe, le long de l’Isère aval entre Chartreuse et Vercors, a pâti de la réduction drastique d’un projet immobilier côté ouest.
Les besoins avérés concernent trois axes et une rocade. Le premier axe est celui courant au sud du terminus de la ligne E, de Louise-Michel à Pont-de-Claix. Sur cette section, la ligne parallèle à voie unique du réseau ferré national ne saurait supporter un service cadencé de type desserte urbaine. Le second axe est celui courant au nord de la ligne A, de Fontaine La Poya à Sassenage Mairie. Jusqu’à la mise en service de la ligne A en 1987, cette dernière section, qui traverse de grands ensembles résidentiels, était desservie en service cadencé par la ligne 2/4 du réseau de trolleybus…
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Carte schématique du réseau de tramway de Grenoble. On note : le hiatus de la ligne E au sud de Louis-Michel, traduisant une dissymétrie évidente entre nord et sud ; l'absence d'extension de la ligne A au nord de Fontaine sur la rive gauche de l'Isère, au contraire de la rive droite ; le délaissement de la rive droite de l'Isère-amont (Meylan) malgré l'explosion démographique. (Doc. UrbanRail.net)
Le troisième axe, aujourd’hui passé sous silence, est celui de l’amorce de la vallée du Grésivaudan, entre Grenoble et Meylan, en rive droite de l’Isère.
Sur Meylan, commune à la fois résidentielle et tertiaire, un nouveau programme d’immeubles d’habitations de 500 appartements vient d’être terminé et un autre, aussi massif, est engagé. Or cette zone n’est desservie que par la ligne C1. Pourtant exploité en autobus articulés, elle présente de multiples situations de surcharge, avec attentes en bord d’une autoroute urbaine sur plusieurs stations. Malgré quelques aménagements en cours, cette ligne devrait à l’évidence être convertie en mode tramway, avec débranchement de la ligne C au stade des Alpes ou des lignes B/D à Grands Sablons. Dans le premier cas, les services de cette ligne F pourraient rejoindre la gare centrale par les jonctions C-E à Alliés-Libération et E-A/B/D à Alsace-Lorraine. Mais dans les deux cas se poserait la question d’un terminus à la station Gares, dont la voie de refoulement est utilisée depuis septembre dernier par les rames de la ligne D.
Côté rocade enfin, le projet d’une extension de la ligne D de Saint-Martin-d’Hères à Grand-Place voire au-delà fait partie de diverses études passées.
In fine, Grenoble se retrouve dans la situation d’autres réseaux de tramway : passer d’une conception urbaine à une conception péri-urbaine de la desserte, grâce à des extensions, au demeurant moins coûteuses que les infrastructures en milieu urbain dense, avec possibilité de voie unique en bout de ligne avec terminus partiels (type ligne 2 à Montpellier). A Grenoble, ce pourrait être le cas de La Poya à Sassenage (ligne A) voire d’antennes d’une future ligne F vers Meylan Lycée du Grésivaudan et Pré-de-l’Eau.
Pour l’instant cependant, tout est en suspens, les élus semblant très préoccupés par le projet de SERM… qui ne concerne pourtant pas les trois extensions radiales susmentionnées.
- Clermont-Ferrand : le pneu règne.- Equipée d’un transport sur pneus guidé par rail central, le Translohr depuis novembre 2006, système qui a démontré, par plusieurs incidents, la fragilité du concept, la métropole de Clermont-Ferrand, 296.700 habitants (2022), a renoncé à un projet de seconde ligne de transport lourd mais cette fois en mode tramway, soit deux rails servant tant au guidage qu’à la propulsion et à l’appui. Le guidage y est assuré, principe originel et éprouvé du chemin de fer, par l’inclinaison opposée des bandes de roulement des roues, assurant une force de recentrage permanent.
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Anciens tramways de Clermont-Ferrand. Ce réseau historique à voie métrique - comme à Saint-Etienne où il a été conservé pour partie ou dans maintes villes suisses -, a été supprimé en 1956. Malgré la technique éprouvé de la voie ferrée classique, les élus ont préféré essayer le guidage par rail central combiné au roulement pneus, avant de se convertir à l'autobus articulé pour l'extension du réseau structurant. (Carte postale ancienne, scannée par Claude Villetaneuse/Wikipedia)
La première ligne (« A ») conçue sur le mode Translohr, système abandonnée par Lohr industrie à Alstom et Bpifrance dès 2012, compte 15,7 km et 34 stations des Vergnes au nord à La Pardieu Gare au sud. Les rames, longues de 32 mètres, offrent une largeur limitée à 2,20 m. Le roulement pneus sur béton est d’autant plus irrégulier que l’engin doit coller au mieux à son rail central de guidage, que le pneu présente plus d’élasticité que la roue d’acier et que la bande de roulement est soumise à orniérage. Au sol, le béton n’a pas la résistance de l’acier, d’autant qu’un pneu présente une surface de roulement et donc d’usure considérablement plus large (et plus souple) qu’une roue d’acier sur rail d’acier.
La seconde ligne (« B »), pour laquelle le concept de tramway proprement dit a été abandonné, est une ligne de bus à haut niveau de service, de même qu’une troisième ligne (« C »).
FIN
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(1) Lire aussi notre précédent article mis en ligne le 19 juin.