Ligne Bonson-Sembadel : aux portes de Saint-Etienne, le sacrifice d'un remarquable outil
Elle desservait les hautes terres des monts du Forez, à l’ouest de Saint-Etienne, atteignant le nord de la Haute-Loire par un tracé somptueux : la ligne de Bonson à Sembadel, longue de 66,67 km, aux déclivités atteignant 30 ‰ et aux vastes courbes lui permettant de gravir 709 mètres de dénivelé entre la plaine du Forez et le haut plateau forestier, a vu son offre voyageurs précipitamment interrompue le 7 juillet 1969. Bonson, gare de jonction avec la ligne Saint-Etienne-Clermont-Ferrand par Noirétable (neutralisée entre Boën et Thiers), est située à 380 m d’altitude. Sembadel, gare de jonction avec la ligne Vichy-Darsac (sortie du réseau ferré national et reprise par le Syndicat ferroviaire du Livradois-Forez – SFLF - de Pont-de-Dore à Darsac), est située à 1.089 m d’altitude.
La ligne fut scindée en deux en 1974
A ce jour, un train touristique exploité par l’association du Chemin de fer du Haut-Forez (CFHF) circule entre Estivareilles et Craponne-sur-Arzon (21 km), la section Craponne-sur-Arzon-Sembadel-La Chaise-Dieu (19 km) lui étant interdite depuis deux ans en raison de la dégradation de la qualité de la voie et des difficultés budgétaires. La section Estivareilles-Sembadel est elle aussi incluse dans le réseau du SFLF.
Un peu plus de cinq ans après la suspension du service voyageurs, la SNCF interrompit le 29 septembre 1974 le service marchandises entre Saint-Bonnet-le-Château et Estivareilles, section de seulement 7 km située au centre de la ligne. La raison invoquée était un désordre survenu sur la voûte du tunnel de Pichillon, au km 28,35 depuis Bonson, que le gestionnaire public refusa de réparer.
Carte postale ancienne représentant la gare de Saint-Bonnet-le-Château, sur la ligne Bonson-Sembadel, présentée par le Chemin de fer du Haut Forez à l'occasion de l'anniversaire de la mise en service. (Doc. CFHF)
Les portails de ce long tunnel en courbe, long de 959 m, sont situés : à l’est sur la commune de Saint-Nizier-de-Fornas, à l’ouest sur celle d’Estivareilles. Il était le plus long de la ligne, devant le tunnel de Pontempeyrat (700 m de longueur, au km 45 depuis Bonson) situé sur la commune d’Usson-en-Forez et toujours traversé par les circulations du CFHF, et celui de Luriecq, sur la commune éponyme, au km 18 depuis Bonson.
Une gestation compliquée, entre statut local ou national
La ligne de Bonson à Sembadel connut une gestation compliquée. A la toute fin du Second Empire, alors que la guerre franco-prussienne avait déjà éclaté (19 juillet 1870) une déclaration d’utilité publique et convention de concession avait été signée pour une ligne à voie standard reliant Bonson à Saint-Bonnet-le-Château, ville médiévale remarquable, important marché agricole et centre de petite industrie qui comptait à l’époque quelque 2.300 habitants (1.450 aujourd’hui). La compagnie concessionnaire initiale était celle du Chemin de fer de Saint-Etienne à Saint-Bonnet-le-Château. La ligne fut mise en service le 4 octobre 1873.
Mais dès janvier 1875 cette compagnie fut déchue et la ligne (voies, bâtiments et matériel), mise sous séquestre avant adjudication. La Banque Parisienne la récupéra le 18 juin 1875, avant de la rétrocéder à la Compagnie des chemins de fer d’intérêt local de la Loire et de la Haute-Loire, concession entérinée par décret le 27 octobre 1877, au titre de réseau d’intérêt local.
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Gare de Bonson côté cour, origine de l'ancienne ligne Bonson-Sembadel. Desservie par les navettes TER Saint-Etienne - Montbrison et Boën et par une collection d'autocars de compléments, elle n'est plus la gare de jonction qu'elle fut. (Cl. RDS)
Ladite compagnie, apparemment peu convaincue de la rentabilité de cette antenne et probablement incapable d’assumer sa part de travaux pour sa prolongation jusqu’à l’axe Vichy-Darsac avec embranchement à Sembadel, obtint de l’Etat le rachat de la ligne Bonson-Saint-Bonnet-le- Château par des conventions signées en 1881 et 1882, approuvées par la loi du 24 juillet 1882. Cette loi reclassait la ligne dans le réseau d’intérêt général et déclarait d’intérêt public sa prolongation jusqu’à Sembadel, maillant ainsi la partie sud des monts du Forez.
La compagnie du PLM se vit concéder par l’Etat la section Bonson-Saint-Bonnet-le-Château par une convention du 26 mai 1883 et une loi du 20 novembre suivant, après plus d’une année de tutelle par l’Etat. Il fallut encore attendre le 2 août 1886 pour que le PLM obtînt la concession de la section supérieure à construire, de Saint-Bonnet-le-Château à Sembadel, soit 40 km. Celle-ci fut mise en service en deux étapes : le 1er août 1897 de Saint-Bonnet-le-Château à Craponne-sur-Arzon ; le 15 septembre 1902, cinq ans plus tard, de Craponne-sur-Arzon à Sembadel.
Trente-deux années entre la première concession en la mise en service complète
En résumé, la mise en service complète de la ligne ferroviaire Bonson-Sembadel aura exigé trente-deux années depuis la publication de sa première concession, et vingt-neuf années depuis la mise en service de sa première section. Entre-temps quatre autorités auront présidé à son destin… avant que la SNCF ne la récupère en 1938 lors de la nationalisation et ne la démantèle progressivement à partir de 1969, trente-et-un ans plus tard.
L’assèchement de l’offre, entamé en 1969 avec la suppression du service voyageurs, se poursuivit méthodiquement avec celle du service marchandises, malgré les importantes potentialités du marché local – industrie, foresterie, scieries, élevage… - ainsi qu’en témoignent par exemple les vastes anciennes emprises fret de la gare de Saint-Bonnet-le-Château.
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Gare d'Estivareilles, origine des trains touristiques du CFHF. L'idéal eût été d'amorcer ces circulations à Saint-Bonnet-le-Château, quelques kilomètres plus bas, mais l'état d'un tunnel l'a empêché et la plateforme au droit de cette dernière ville a été transformée en boulevard urbain. (Cl. RDS)
La première amputation eut lieu avec la neutralisation entre Saint-Bonnet-le-Château et Estivareilles le 29 septembre 1974, comme signalé plus haut, en raison d’un désordre dans le tunnel de Pichillon et du refus de sa réparation. Le 27 septembre 1976 Saint-Bonnet-le-Château perdit ses trains de marchandises avec la suppression du service sur les 22,5 km de la partie basse de la ligne depuis Saint-Marcellin-en-Forez. Le 1er juin 1987, c’est la partie haute d’Estivareilles à Sembadel (35 km), exploitée en antenne de l’axe Vichy-Darsac, qui passa par profits et pertes. Le 24 janvier 1990, enfin, la SNCF suspendit le reliquat de trafic fret de Bonson à Saint-Marcellin-en-Forez (4 km), donnant un ultime coup de grâce à cette remarquable – quoique discrète – ligne de montagne.
Le sauvetage du viaduc de Pontempeyrat en 1986, symbole de la résistance à la liquidation
Il fallut l’action des bénévoles du CFHF et un transfert de propriété au SFLF pour qu’un train touristique pût être établi sur 35 km entre Estivareilles et Sembadel (et au-delà jusqu’à La Chaise-Dieu) à partir du 25 juin 2005, parcours réduit à Estivareilles-Craponne-sur-Arzon pour la raison susmentionnée.
On rappellera que sur la section toujours active, le long viaduc de Pontempeyrat faillit être dynamité en 1986 par la SNCF, entreprise de destruction du patrimoine public interrompue par la volonté des habitants. La population locale, scandalisée, reboucha spontanément les 300 orifices creusés dans la masse des piliers par les dynamiteurs. La SNCF renonça à son forfait.
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Rencontre à La Chaise-Dieu d'un autorail du CFHF en provenance d'Estivareilles et d'une circulation de l'Agrivap en provenance d'Ambert (au fond). Depuis deux ans, cette scène ne peut plus avoir lieu en raison de la neutralisation de Craponne-La Chaise-Dieu pour raison technique. (Doc. CFHF)
Ce remarquable viaduc en maçonnerie franchit l’Ance aux confins des trois provinces historiques du Forez (à l’est), de l’Auvergne (au nord) et du Velay (au sud). L’ouvrage est long de 130 m, compte neuf arches de 14 m d’ouverture et culmine à 36 m de hauteur.
« Voie verte » et transformation en boulevard urbain
Aujourd’hui la section aval – à l’est d’Estivareilles – semble définitivement perdue pour le réseau ferroviaire. Elle est tantôt transformée en voie supposément « verte », tantôt transformée en route. Au droit de Saint-Bonnet-le-Château, elle a ainsi laissé place à un « boulevard urbain » au gabarit généreux, qui emprunte la large tranchée ferroviaire côté Estivareilles. En lieu et place de la gare, dont le bâtiment voyageurs a été rasé, une « gare routière » permet aux quelques autocars desservant la commune d’attendre leurs voyageurs.
Pourtant, le potentiel de transport est important si l’on en juge par la modernité des routes et leur trafic. En aval de Saint-Bonnet-le-Château, la D498 vers Bonson et Andrézieu-Bouthéon est remarquablement modernisée. La D5 qui la rejoint à Luriecq depuis Montbrison l’a été de même, avec un raccordement au vastes dimensions. Le trafic poids-lourds sur la D498 paraît assez considérable pour ces itinéraires de montagne, tant en desserte locale que de et vers le Puy-de-Dôme et la Haute-Loire.
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En lieu et place de la gare de Saint-Bonnet-le-Château, un boulevard urbain (ci-dessus) dans la tranchée côté ouest, et un trottoir d'embarquement des lignes d'autocar (ci-dessous). Le bâtiment voyageurs a été rasé. (Cl. RDS)
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Saint-Bonnet-le-Château est une commune active, de même que ses environs. Elle est en particulier renommée pour ses ateliers de fabrication de boules de pétanques. Réputée « capitale mondiale » elle abrite deux usines qui fournissent 80 % du marché. La marque Obut, renommée, y a son siège social et son usine. On trouve aussi des ateliers de fabrication de mobilier médical, de mobilier pour collectivités, d’armes de chasse et une série d’autres PME industrielles : tissus d’ameublement, produits d’entretien, escaliers, négoce de bois...
La totalité des flux engendrés par ces activités est confiée à la route.
Une fonction touristique sous-exploitée
Outre cette potentielle fonction fret, la ligne Bonson-Sembadel revêtirait une fonction touristique et hygiénique évidente, malheureusement sous-exploitée puisqu’aucun accès depuis le réseau ferroviaire national (TER) n’est désormais possible. La dimension touristique est portée par le seul CFHF sur la section Estivareilles-Craponne-sur-Arzon.
Cette fonction pourrait être bien plus importante, surtout pour les populations de la proche métropole stéphanoise avides de grand air et d’altitude. Déjà, en témoigne le succès du CFHF qui pourtant doit composer depuis une vingtaine d’années avec le budget serré d’une simple association sans but lucratif. La saison touristique des autorails commencera le dimanche 25 mai prochain avec un train restaurant « Spécial Fête des mères » au départ de Craponne-sur-Arzon à 12 h 30 (sur réservation). Le menu chaud sera proposé par un traiteur.
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Aperçu de véhicules ferroviaires du CFHF en gare d'Estivareilles. La rame à grand parcours de couleur verte est démotorisée. (Cl. RDS)
La pleine saison débutera le 22 juin avec des fréquences les vendredis, samedis et dimanches de juillet et août, complétées par des circulations les mardis, ainsi que le 14 juillet. (1) Le CFHF propose en outre des stages de conduite de locomotive et des « trains à la carte » sur réservation. Le CFH est partenaire du Pass du Haut-Forez qui permet de bénéficier de réductions lors de la visite de divers sites partenaires.
Le CFHF entretient une flotte de matériel roulant assez importante. L’effectif affiche les autorails X 4001 (dit Picasso), X 2425, X 2807 (radié par la SNCF en 2008, remis aux couleurs rouge et crème d’origine et rénové par les ateliers ACC de Clermont-Ferrand), la remorque d’autorail unifiée X 8236 et la « Rame à grand parcours » RGP2 à deux caisses X 2709. Cette dernière, acquise auprès de Quercy Rail, a dû être démotorisée. Elle circule donc tractée mais a l’avantage de comporter un compartiment-bar, utile pour les circulations de trains-restaurant.
Difficile d’accéder au train touristique par la ligne d’autocar L13…
L’aliénation des emprises ferroviaires sur la section aval Bonson-Estivareilles interdit tout retour d’une connexion ferroviaire depuis le réseau ferré national. Les seules lignes d’autocars permettent surtout de desservir Saint-Bonnet-le-Château depuis Montbrison et Saint-Etienne, principalement en semaine scolaire. La ligne L32 Montbrison-Saint-Bonnet-le-Château propose 6 allers-retours quotidiens du lundi au vendredi en période scolaire, 4 A-R en période de vacances scolaires, 3 A-R les samedis et un seul les dimanches et fête malgré la demande des retours de fins de semaine.
La ligne L13 Saint-Etienne - Saint-Bonnet-le-Château - Craponne-sur-Arzon propose du lundi au vendredi en période scolaire 6 allers-retours quotidiens, auxquels s’ajoutent 3 A-R limités à Saint-Bonnet-le-Château (qui ne desservent donc pas Estivareilles et le CFHF). En semaine de vacances scolaires la fréquence est identique mais avec 2 A-R partiels seulement. En semaine de vacances d’été, le flux est limité à 4 A-R. Les samedis toute l’année l’offre est réduite à 4 A-R. Les dimanches et fêtes toute l’année elle tombe à seulement 2 A-R.
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Poteau d'arrêt de l'une des deux lignes d'autocar régional desservant Saint-Bonnet-le-Château, au droit d'un village intermédiaire, planté à peu de distance d'un pont-rail de la ligne ferroviaire abandonnée. Ni abri, ni affichage dynamique des prochains passages, ni banc, ni protection contre une éventuelle embardée de véhicule. (Cl. RDS)
On conçoit que l’accès par transport public au chemin de fer touristique, qui fonctionne principalement les trois jours de fin de semaine en été, relève de l’acrobatie. A l’horaire 1956, La ligne Bonson-Sembadel était desservie par un A-R amorcé à Saint-Etienne et un A-R amorcé à Lyon via Saint-Etienne, complétés par un A-R Saint-Etienne-Bonson-Saint-Bonnet-le-Château en semaine. Les samedis d'été, un autre aller Saint-Etienne-Sembadel était proposé, avec retour le dimanche. De quoi allier, même modestement, desserte locale, liaisons régionales et voyages touristiques de fins de semaines et de vacances dans ces hautes terres.
Aujourd’hui, la version ferroviaire de la fracture territoriale prend ici tout son sens. Pourtant, les 408.000 habitants de Saint-Etienne Métropole sont tout proches de ces somptueuses montagnes et de leur patrimoine d’exception : Bonson n’est qu’à 17 km de la gare de Châteaucreux, Saint-Bonnet-le-Château à 43 km, Estivareilles à 48 km, Sembadel à 83 km, La Chaise-Dieu à 88,5 km…
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A Saint-Bonnet-le-Château, montée vers la collégiale qui domine cette petite ville de moyenne montagne au riche passé et à l'architecture remarquable. Si l'activité industrielle de la commune et de ses environs est notable, son activité touristique ne l'est pas moins, avec une forte affluence à la belle saison. (Cl. RDS)
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(1) Lien vers le site du Chemin de fer du Haut Forez (CFHF) :
https://www.cheminferhautforez.com/