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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
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23 mars 2025

Mobilité militaire : le Lyon-Turin sera un bel atout, le démaillage du réseau une grave faiblesse

Le vent de la guerre, étendue à toute l’Ukraine par la Russie en février 2022, et le brutal éloignement des Etats-Unis d'Amérique de ses alliés oblige l’Europe à réarmer. Dans ce processus, qui a commencé voici trois ans et s’accélère, la question des transports est considérable.

 Dès 2018, l’Union européenne s’est dotée d’une politique de mobilité militaire visant à faciliter le déplacement rapide des troupes et du matériel militaire à travers le continent, même si la souveraineté militaire des Etats membres est réaffirmée. Le ferroviaire devrait y jouer un rôle important, puisqu’il permet le transport massif de charges importantes, en site propre. En France, dans le Sud-Est, la forte rétraction des lignes dites « stratégiques » pourra être partiellement compensée, mais désormais avec retard, par la mise en service du nouvel axe Lyon-Turin dont le tunnel de base et l’accès italien sont promis pour 2033.

L’importance du rail dans le conflit russo-ukrainien, avec constructions de lignes

 Le comité pour la Transalpine, qui réunit collectivités,  responsables politiques, grandes entreprises, syndicats professionnels, associations, met l’accent sur la fonction militaire stratégique de la future ligne : « L'actualité internationale donne l'occasion d'évoquer un aspect peu connu du transport ferroviaire. Alors que la question des infrastructures de transport est souvent abordée sous l’angle de l’économie et de l’écologie, leur usage militaire est souvent sous-estimée ».

Cérémonie de première pose de rails destinés à la nouvelle ligne ukrainienne Chop-Uzhhorod. Située dans l'ouest du pays, cette ligne à voie de 1,435 m permettra d'accélérer le transit de voyageurs, de fret civil et de fret militaire. (Cl. Ukrzaliznytsia - Chemins de fer ukrainiens)

 Le conflit russo-ukrainien en fournit un exemple édifiant, avec l’important usage des réseaux ferrés pour les échanges internationaux, transports militaires comme transports de biens stratégiques (denrées, équipements, pondéreux…) et cela malgré la différence d’écartement des rails en Europe occidentale (1,435 m) et en Ukraine (1,520 m).

 On soulignera l’importance du rail dans ce conflit en notant que l’Ukraine entreprend de rapprocher son réseau de celui des autres pays européens en construisant plusieurs liaisons ferroviaires à écartement de 1,435 m. La première reliera Chop à Uzhhorod (22 km) en Ukraine, à la frontière avec la Hongrie et la Slovaquie. Si tout se passe comme prévu, elle devrait être inaugurée assez rapidement. Un autre projet impliquant Uzhhorod vise à relier cette ville à Matovské Vojkovce en Slovaquie par une ligne électrifiée à l’écartement de 1,435 m. En outre, l’Ukraine prévoit de relier la ville de Lviv à la Pologne par un chemin de fer à écartement standard, et une ligne existante vers Kovel sera électrifiée.

 La ligne Chop-Uzhhorod, dont le coût s’élève à 32,7 millions d’euros, sera cofinancée à 50 % par  l’Union européenne via son mécanisme  CEF (Connecting Europe Facilities), qui devrait aussi cofinancer les deux autres projets sus-mentionnés.

L’atout-clé du Lyon-Turin, futur axe stratégique

 En France, la liaison ferroviaire nouvelle Lyon-Turin par le tunnel de base du mont d’Ambin apportera une troisième connexion de ce type entre la France et l’Italie, deux partenaires évidents en cas d’agressions venues de l’est, comme dans la deuxième moitié de la guerre de 1914-1918. Les deux autres sont la ligne classique parallèle du tunnel de faîte du Fréjus (qui connut le 12 décembre 1917 un accident tragique tuant 435 soldats français) et, sur la côte méditerranéenne, la ligne classique Marseille-Nice-Vintimille.

Vue générale du site ferroviaire de Saint-Jean-de-Maurienne, localité où se situe le portail français du tunnel de base du mont d'Ambin. Cette nouvelle liaison revêtira un intérêt stratégique considérable. (Cl. TELT)

 « Dans un contexte géopolitique incertain en Europe, la capacité d'éventuelles projections et d’acheminements des forces armées est un gage de sécurité », explique le Comité de la Transalpine qui relève toutefois que l’obstacle principal, en matière ferroviaire, reste l’infrastructure : « Des voies ferrées non adaptées au transport de matériel lourd, des tunnels et des ponts ne supportant pas certaines charges militaires ; une coordination complexe entre les réglementations nationales ». Il conviendrait d’ajouter, non sans inquiétude, le démaillage du réseau français, qui prive plusieurs grands axes d’itinéraire alternatifs, atouts-clé dans le cadre d’un conflit, qu’il vienne de l’est ou du sud.

 Lyon-Turin apparaît donc comme « un maillon stratégique » avec son tunnel de base de 57,5 km, son intégration dans le Réseau transeuropéen de Transport (RTE-T) et ses deux lignes nouvelles d’accès largement pourvues de tunnels (lire notre précédent article).

 Le Comité de la Transalpine met en avant trois avantages-clé de la nouvelle liaison ferroviaire : une capacité accrue permettant le passage de convois militaires lourds (faibles déclivités, gabarit maximum) ; réduction du temps de transit, constituant une alternative plus rapide aux itinéraires historiques ; sécurisation des flux grâce à un tracé moins vulnérable que les itinéraires routiers encombrés et l’itinéraire ferroviaire historique. Cet investissement, conclut le comité, constitue « un investissement utile à la résilience et à la souveraineté de la défense européenne ».

 Il faudra toutefois attendre 2033 pour que le tunnel du mont d’Ambin et la ligne d’accès italienne soient mis en service, et 2043 pour que la ligne d’accès française et ses nombreux tunnels voient le jour. Le conflit russo-ukrainien aura eu le temps de se résoudre… ou malheureusement de s’étendre. La liaison ferroviaire franco-italienne restera d'ici-là limitée à la ligne classique de la Maurienne via Modane, aux faibles capacités en raison de ses  déclivités atteignant 33 ‰, et à la liaison côtière via Vintimille, dont la fragilité face à des frappes d’origine maritime est flagrante.

Contournement nord de Marseille, anéanti

 Les liaisons routières sont elles aussi limitées, tant via l’étroit tunnel de Mont Blanc que par celui du Fréjus et voa la fragile autoroute de Menton, auxquelles on peut ajouter les itinéraires complexes par les cols : Petit Saint-Bernard (2.188 m d’altitude), Mont-Cenis (2.085 m), Larche (1.991 m), Tende (1.871 m), Montgenèvre (1.850 m)… Les altitudes de ces cols démontrent la difficulté du franchissement routier des Alpes entre la France et l’Italie.

Reliquat de la gare de Brignoles, sur l'itinéraire de contournement, par l'intérieur,  de Marseille et Toulon entre Gardanne et Carnoules. (Cl. Wikipedia/Fr. Latreille)

 La question de la résilience du réseau ferroviaire en cas de conflit se pose aussi à l’intérieur de la France. Dans le Sud-Est, on déplorera la disparition d’alternatives à des liaisons stratégiques pourtant capitales dans les flux ouest-est. L’axe-clé Avignon-Italie a vu quasiment disparaître le maillage permettant le contournement nord de Marseille et de Toulon, soit les lignes Rognac-Aix-en-Provence (25 km, déclivité maximale de 15 ‰) et Gardanne-Carnoules (79 km, déclivité maximale de 20 ‰). Toutes deux sont neutralisées à ce jour, ce qui implique une dégradation rapide de leurs équipements.

 Or ces deux lignes offrent un itinéraire alternatif à l’axe via Marseille, possiblement complété par l’itinéraire Avignon-Cavaillon-Pertuis-Aix-en-Provence, lui maintenu en service, y compris sur sa section fret Cheval-Blanc-Pertuis. En revanche, il n’a jamais existé d’itinéraire de substitution à l’est de Carnoules, si l’on considère que les réseaux à voie métrique (Nice-Meyrargues, Toulon-Saint-Raphaël), depuis longtemps disparus, ne pouvaient guère constituer une solution de remplacement.

Marseille-Bordeaux, sans alternative

 Plus à l’intérieur encore, l’axe Marseille-Bordeaux paraît lui aussi fragilisé par le démaillage du réseau. S’il existe un puissant doublet de lignes entre le pôle d’Avignon et Montpellier avec la LGV Méditerranée et le CNM (Contournement de Nîmes et Montpellier), qui seront prolongés jusqu’à Béziers d’ici plusieurs années, le reste est nu. L’itinéraire Montpellier-Bédarieux-Mazamet-Saint-Sulpice-Toulouse a disparu corps et bien entre Montpellier et Mazamet alors que cette alternative intérieure était légèrement plus courte (quoique évidemment moins rapide en raison du profil) entre Montpellier et Toulouse que par Narbonne. Saint-Sulpice-Montauban et (Castres) La Crémade-Castelnaudary ont aussi été liquidées.

 En revanche le GPSO, avec sa section à grande vitesse (mais convertible aisément en axe militaire le cas échéant) Bordeaux-Toulouse, confortera la solidité des relations ferroviaires entre ces deux métropoles.

Bâtiment de la gare de Paulhan, côté voies transformées en parc de loisirs, sur l'itinéraire Montpellier-Toulouse par Bédarieux, Saint-Pons de Thomières et Mazamet. Ce doublage par l'intérieur de l'itinéraire de plaine a disparu du réseau ferré national entre Montpellier, Paulhan et Faugères, puis entre Bédarieux et Mazamet, isolant du réseau des zones entières... et limitant les alternatives en cas de conflit armé. (Cl. RDS)

 Sur la vallée du Rhône au sud de Lyon, les trois lignes (rive droite, rive gauche classique, LGV Méditerranée) offrent une garantie de solidité pour les transports militaires, ou civils stratégiques, en cas de conflit de haute intensité. Leur doublage par la ligne des Alpes, parallèle à une centaine de kilomètres à l’est, revêt une réelle valeur dans cette perspective malgré son profil difficile (jusqu’à 25 ‰, entre Grenoble et Veynes), sa voie unique et son rebroussement à Veynes. Cet itinéraire a servi à des détournements de rames voyageurs tractées lors d’interruptions entre Livron et Veynes.

Lyon, 26 mai 1944, 717 morts, des installation ravagées

 Plus au nord, venons sur Lyon, premier nœud ferroviaire de correspondances en France et cœur vital du réseau de l’ensemble de la moitié est de la France.

 Lyon pendant la Seconde Guerre mondiale fut terriblement frappée par les bombardements alliés, preuve de son importance stratégique. La pire journée fut celle  du 26 mai 1944, où les bombardiers de l’US Air Force visèrent le sud industriel de Lyon, les gares ferroviaires de la Guillotière (fret), de Perrache, de Vaise, de Vénissieux. Une autre partie de l’armada fut dirigée vers Chambéry et Saint-Etienne.

Mai 1944 : les installations ferroviaires de Lyon sont anéanties pour une grande partie, ainsi que les quartiers voisins, causant des centaines de morts et des milliers de blessés. (Cl. Archives municipales de Lyon)

Plus de 1.500 bombes tombèrent sur Lyon en une seule matinée, explosives, incendiaires, au phosphore, à retardement… L’altitude entraîna une dispersion des explosifs, ravageant les quartiers entourant les gares. La gare de Vaise fut la plus touchée, entraînant l’interruption de la ligne Paris-Lyon en dix endroits. Bilan : 717 morts, 1.129 blessés et 25.000 sinistrés.

 Lyon fut ainsi appelée « ville martyre » une seconde fois, la première à la suite de la grande Terreur de 1792 à 1794, où il avait été ordonnée par Paris qu’elle fût rasée.

 Lors de sa fuite, l'armée allemande détruisit tous les ponts franchissant les deux grands cours d'eau de la capitale des Gaules.

 Et aujourd’hui ? Le nœud ferroviaire de Lyon peut être anéanti par simple frappe sur les deux points critiques Perrache-Guillotière et Saint-Exupéry, qui commandent à la totalité des axes nord-sud. Le recours en ce cas réside dans le lointain contournement Mâcon-Bourg-Ambérieu-Chambéry-Grenoble-Valence/Veynes. Le futur contournement ferroviaire Est de l’agglomération lyonnaise, entre la ligne Lyon-Ambérieu et les lignes de la vallée du Rhône au sud de Lyon constituerait une solution remarquable. Mais il n’en est qu’au stade des ébauches pour sa partie nord, des hypothèses pour sa partie sud.

L’ouest de Lyon, négligé

 En revanche, un axe conçu par le PLM contournant Lyon par l’ouest et le pied des Monts du Lyonnais, entre Lozanne (continuation de la ligne de l’Azergues depuis Paray-le-Monial, Moulins et Dijon par Le Creusot) et l’Arbresle (embranchement depuis la ligne de Saint-Germain-des-Fossés) et Givors, constitue d’ores et déjà une alternative efficace depuis le centre et le nord vers le sud méditerranéen.

Rames du train-tram de l'Ouest Lyonnais (en livrée originelle) au terminus de Brignais.  A à peine plus de 9 km se situe le noeud ferroviaire de Givors... mais la voie est neutralisée entre Brignais et Givors, interrompant les possibilités de contournement ouest de Lyon depuis le nord et empêchant aux voyageurs provenant de la vallée du Giers, de Saint-Etienne et au-delà, d'accéder facilement à l'ouest de la métropole lyonnaise. (Cl. RDS)

Malheureusement, la furia liquidatrice qui a présidé à la gestion du réseau depuis 1938, et malgré la rénovation pour le train-tram de l’Ouest Lyonnais jusqu’à Brignais, maintient un hiatus entre Brignais et Givors, autre nœud capitale du complexe ferroviaire lyonnais. La réactivation de cette courte section actuellement neutralisée, longue de seulement 9,4 km, rétablirait non seulement ce contournement stratégique mais permettrait au train-tram de l’Ouest Lyonnais d’offrir une correspondance depuis Saint-Etienne en direction des pôles d’activité de Francheville, Tassin, le 5e arrondissement de Lyon, sans avoir à effectuer le long détour par Perrache, voire Part-Dieu.

  Qui vis pacem para bellum. Les menaces qui pèsent sur la paix en Europe, qu’elles viennent de l’est ou du sud, ou des deux coalisés, doivent rappeler aux gestionnaires politiques et financiers du réseau ferroviaire français qu’une politique de rétraction court-termiste peut se payer très cher le jour où… Et que le rail constitue une arme logistique puissante en cas de conflit ouvert. A condition qu’il existe encore.

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Commentaires
B
A propos : bien entendue, nous devons penser au Tunnel sous La Manche . Mais aussi à une liaison alternative via Cherbourg, dont la circulation de renaissance commence, en principe, actuellement avec Cherbourg - Bayonne via Mezidon, Le Mans et Tours (évite IDF) ; au fait, Bayonne, des "rails du sud", n' est ce pas (sourire) !
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D
Dans la région Sud, il est indéniable que la ligne du Centre Var ainsi qu'Aix Rognac ont un réel intérêt stratégique. Et pas que... moyennant une desserte cadencée ces 2 lignes présentent un potentiel certain à alléger la circulation automobile et à désenclaver la ville d'Aix en Provence (non,non ce n'est pas l'apanage des autoroutes) en la branchant sur Toulon d'une part et sur le bassin industriel de l'étang de Berre d'autre part. Mais on pourrait ajouter d'autres lignes toujours dans le quart Sud Est, comme Ussel Laqueuille. Il est dommage que le caractère stratégique de certaines lignes ne soit pas reconnu avec pour conséquence une participation du Ministère de la Défense à leur maintien en état ou leur rénovation. <br /> Ailleurs on pourrait citer Angoulême Limoges (avec un intérêt TER évident toujours moyennant une cadence horaire) ou Mont de Marsan Tarbes (avec en plus un intérêt fret) et probablement un potentiel voyageur cabotage et rabattement sur la future halte TGV Landes.
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B
Et bien voilà : même en cas de conflit militaire majeur, non seulement nous n' avons pas une armée digne de ce nom, mais en sus notre réseau ferroviaire est insuffisant . Que penser de l' ancien ministre Guillaumat qui voulais réduire notre réseau ferroviaire à 1/3 de ce qu' il est actuellement - soit, rapporter à la Franche-Comté, uniquement Belfort - Besançon - Dijon en survivant - alors que cet homme a connu la période 1939 - 44 (il fut résistant selon Wikipédia)...........et donc l' intérêt des trains pour les transports des personnels et matériels (?) . Encore un qui devait etre sous l' emprise "d' amis/connaissances" autocaristes et routiers !
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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