Fermeture annoncée de Busseau-Felletin :: l’autre goutte d’eau qui fait déborder le vase de la désertification ferroviaire
Deux manifestations, une pétition qui dépasse les 30.000 signatures, une levée de bouclier des élus de la Creuse : l’annonce de la fermeture de la ligne (Guéret) Busseau-sur-Creuse – Felletin semble être la goutte d’eau qui fait déborder le vase des liquidations massives de lignes ferroviaires dans le Massif central depuis des décennies et de la désertification ferroviaire de la France dédaigneusement qualifiée de « périphérique » par les élites du centralisme français. Quelques jours auparavant, le 14 février, une manifestation pour la réouverture de la ligne Volvic-Le Mont-Dore/Ussel avait rassemblé 200 personnes à Ussel et de nouvelles actions sont annoncées pour la réouverture de Boën-Thiers.
Deux manifestations, à Aubusson et Guéret
Le 22 février à Aubusson (à 13 h 30 au passage à niveau avenue de la République) puis le 1er mars à Guéret (à midi devant la gare), les opposants à la fermeture et partisans du maintien d’un service public décent de transport ferroviaire dans le sud de la Creuse, notoirement marginalisé, sont appelés à manifester. Les organisateurs recommandent de venir manifester en train : « On pourra rejoindre la manifestation du 1er mars en prenant le train de 11 h 10 à Felletin, 11 h 20 à Aubusson, 11 h 37 à Lavaveix-les-Mines, 11 h 47 à Busseau-sur-Creuse », expliquent-ils.
Parallèlement, une pétition en ligne a déjà réuni plus de 30.000 signatures à l’heure où nous mettons en ligne, ce qui est déjà considérable si l’on compare ce chiffre à la population du département qui s’élève à 115.500 habitants.
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Affiche d'appel à manifester. La cause ferroviaire réunit associations et élus d'obédiences politiques diverses. Le coût du voyageur/kilomètre pour la collectivité sur une ligne fine rénovée pour quelques dizaines de millions d'euros serait-il tellement supérieur (ou inférieur ?) à celui du voyageur/kilomètre sur le futur métro du Grand Paris Express construit pour 50 milliards d'euros ? Lien vers la pétition :
https://www.change.org/p/touche-pas-%C3%A0-ma-p-tite-ligne
SNCF Réseau a annoncé la suspension des circulations entre Busseau-sur-Creuse et Felletin pour le prochain mois d’août. La fin des deux allers-retours TER quotidiens reliant Felletin à Limoges par Guéret signifie la fin de la ligne puisque plus aucun trafic fret ne la parcourt. SNCF Réseau estime qu’il faudrait entre 50 et 80 millions d’euros pour pérenniser cette section.
Rappelons que les 34,5 km menacés de neutralisation constituent le reliquat de la ligne Busseau-sur-Creuse-Felletin-La Courtine-Ussel, longue de 78 km et mise en service entre 1865 et 1904. Elle a été amputée de son service voyageurs sur sa section courant au sud de Felletin jusqu’à Ussel en septembre 1979. La ligne reliant Saint-Sébastien (sur la ligne Paris-Limoges-Toulouse) à Guéret (44,7 km), qui permettait un itinéraire rapide entre Paris et Ussel, mise en service en 1886, avait vu son service voyageurs supprimé dès juin 1940.
Les élus sont vent debout
La ville de Guéret, dont la maire est Marie-Françoise Fournier (sans étiquette), est vent debout contre la liquidation programmée de Busseau-sur-Creuse-Felletin. Elle a publié sur son site Facebook cette protestation : « Cette ligne nécessite aujourd’hui des travaux urgents à la fois sur le rail et les tunnels. Son maintien est vital pour les besoins de la population, le développement économique et touristique, les déplacements estudiantins mais également pour un retour du fret. A l’heure des « mobilités douces », des financements doivent être priorisés par l’Etat, les autorités en charge de la mobilité et l’opérateur historique, SNCF Réseau, afin de pérenniser cette « petite ligne » structurante et essentielle au bassin de vie du sud creusois : sans ces financements, la petite ligne Guéret – Felletin fermera en août 2025. Sans mobilisation, c’est le devenir des petites lignes qui est menacé. Sans mobilisation, c’est l’avenir de nos territoires qui est en danger. »
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Gare de Felletin côté voies. On note la décrépitude des composants, généralement plus âgés d'un siècle. La voie du premier plan était utile pour le croisement des trains reliant Busseau-sur-Creuse à Ussel, par La Courtine et son vaste camp militaire, toujours en service mais désormais privé de tout accès ferroviaire. (Cl. Wikipedia)
Guéret, préfecture de la Creuse, compte 12.800 habitants sur la commune, 28.500 habitants sur la communauté d’agglomération qui réunit 25 communes. La ligne Busseau-sur-Creuse-Felletin dessert en propre Ahun (gare de Busseau-sur-Creuse) et ses 1.500 habitants (13.500 sur la communauté de communes Creuse-Sud-Ouest), Lavalleix-les-Mines et ses 650 habitants (13.200 sur la communauté de communes Marches-et-Combrailles en Aquitaine), Aubusson et ses 3.050 habitants (11.600 sur la communauté de communes Creuse Grand-Sud), Felletin et ses 1.550 habitants, membre de la même intercommunalité.
Les quatre intercommunalités desservies, de Guéret à Felletin, totalisent 66.800 habitants. Il va de soi que cette ligne en antenne concerne des populations situées bien au-delà, puisque les deux allers-retours TER quotidiens relient Felletin à Limoges, ville de 129.700 habitants au centre d’une communauté urbaine (Limoges Métropole) de 207.147 habitants selon les derniers chiffres disponibles. La distance ferroviaire entre Felletin et Limoges s’établit à 127,5 km. Rappelons que Felletin abrite un lycée professionnel consacré aux métiers du bâtiment fréquenté par 450 élèves issus de toute la région.
Victime d’une obsolescence délibérée
La section Busseau-sr-Creuse-Felletin est victime d’une obsolescence délibérée de la part du propriétaire de l’infrastructure ferroviaire en France : l’Etat. « Le plus vieux rail date de 1901 et le plus jeune de 1946 », dénonçait le secrétaire de la CGT Cheminot départementale, Yann Desenfant, sur le média public Ici. Deux tunnels en briques devraient être « mis aux normes européennes » avec bétonnage, pour un devis d’environ 7 millions d’euros selon SNCF Réseau, le gestionnaire public d’infrastructure. Jean-Luc Gary, directeur territorial de cette filiale du groupe SNCF pour la Nouvelle-Aquitaine confiait au même média que « le coût total pour pérenniser la ligne n'est même pas chiffré », signe manifeste d’une décision de liquidation délibérée.
Pourtant, en novembre, François Durovray, le ministre des Transports du gouvernement Barnier non reconduit depuis, avait affirmé à La Souterrain sa volonté de « trouver une solution » pour éviter la fermeture de la ligne. Le propos était suffisamment vague pour n’engager à rien. Dire « nous allons financer sa rénovation » eût été plus convaincant. Depuis, plus rien « alors qu’il y a de plus en plus de fréquentation sur cet axe », affirment les défenseurs du service ferroviaire, qu’il s’agisse de Creusois ou de touristes.
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Beau bâtiment voyageurs de Busseau-sur-Creuse, type compagnie du Paris-Orléans, toujours soigné. Gare de jonction, elle vit passer des trains vers Lyon, Bordeaux, Paris, Ussel... Aujourd'hui, elle voit passer chaque jour deux allers-retours TER Nouvelle-Aquitaine Limoges-Montluçon et deux autres Limoges-Felletin. Si l'antenne vers Felletin est neutralisée, que deviendront les deux allers-retours TER Limoges-Felletin ? Limités à Guéret ou réorientés vers Montluçon ? (Cl. Wikipedia/Mossot)
La levée de boucliers contre la fermeture dans une région à la faible densité de population – mais une population qui paie ses impôts comme les autres – manifeste un ras-le-bol plus général. Après 87 années de fermetures, le réseau ferroviaire national originel français a perdu la moitié de son kilométrage, une dévastation supérieure à celles qu’ont pu connaître les autres pays européens de taille comparable.
Toutes les régions ont été frappées, en particulier le Massif central, qui a même connu la ligne à la plus courte durée de vie : Montluçon-Gouttières (43,5 km), mise en service en 1931 et fermée aux voyageurs dès 1939 (avec réouverture sur quelques kilomètres après-guerre pour desservir occasionnellement la station thermale de Néris-les-Bains).Ce fut parmi les exemples les plus éblouissants de « bonne gestion » des équipements publics.
La liste interminable des lignes sacrifiées sur l’autel de la métropolisation
Depuis six ans, Raildusud a évoqué les nombreuses autres lignes sacrifiées sur l’autel du désengagement de l’Etat des régions supposément « périphériques » et condamnées par une métropolisation et un centralisme présentés comme la potion d’un avenir radieux.
Dans le Massif central, citons, pour rappeler l’ampleur de la dévastation, outre Felletin-Ussel :
Montluçon-Evaux-les-Bains-Eygurande-Merlines, Eygurande-Merlines-Bort, Bort-Miécazes (Aurillac), Bort-Neussargues, Commentry-Moulins, Lapeyrouse-Volvic, Volvic-Ussel/Le Mont-Dore (restée ouverte au fret entre Volvic et Le Mont-Dore), La Ferté-Hauterive-Gannat, Saint-Germain-des-Fossés-Gannat (restée ouverte au fret), Vichy-Albert-Sembadel-Darsac (Le Puy), Bonson-Sembadel, (Saint-Etienne) Boën-Thiers (Clermont-Ferrand), Firminy-Dunières-Annonay-Peyraud, Le Teil-Alès/Bessèges/Aubenas-Lalevade, Saint-Flour-Brioude, Nimes-Le Vigan-Tournemire Roquefort, Tournemire-Roquefort-Saint-Affrique, Bédarieux-Mazamet, La Tour-sur-Orb-Palaisance, Montpellier-Sommières-Alès, Le Martinet-Remoulins-Beaucaire, Alès-L’Ardoise, Le Pouzin-Privas, Séverac-Rodez/Espalion, Montauban-Saint-Sulpice, La Crémade-Castelnaudary, Sarlat-Gourdon/Cazoulès, Souillac-Saint-Denis-près-Martel, (Limoges) Saint-Yriex-Objat (Brive),Villevieille-Bourganeuf, Montluçon/Lavaufranche-Châteauroux, Lyon-Montrond-les-Bains-Montbrison et bien sûr la rive droite du Rhône, réservée au fret (et récemment rouverte aux voyageurs seulement au sud de Pont-Saint-Esprit).
Charmante gare d'Aubusson, qui voit passer deux trains par jour et par sens et bientôt ne devrait plus en voir passer aucun, malgré l'attrait touristique de cette commune célèbre par ses ateliers de tapisserie et les droits au transport de la population environnante. Comme pour la gare de Busseau-sur-Creuse, on note le soin et la délicatesse apportée par les architectes de la compagnie du Paris-Orléans à la conception de ce bâtiment afin qu'il s'allie parfaitement avec l'esprit et la tradition des lieux. (Cl. bonjourlafrance.com)
Pour épargner nos lecteurs, nous n’évoquons par les lignes de Saône-et-Loire et de l’Yonne, tout au nord du Massif central ni, bien sûr, les innombrables lignes départementales généralement à voie métrique, toutes disparues.
Le ras-le-bol des habitants de la Creuse rejoint celui des habitants de la Loire, qui se mobilisent toujours et encore pour la réhabilitation de Boën-Thiers. Le réseau ferroviaire des provinces du pays est à l’évidence devenu un sujet politiquement inflammable et constituera un enjeu important pour les prochaines échéances électorales, principalement régionales.