Digne-Saint-Auban, 22 km et 36 ans de fermeture : la Fnaut mobilise les élus jusqu'à Genève, dément les menaces Seveso
(En couverture : réunion à Digne de l'Alpazur SNCF et d'un autorail des Chemins de fer de Provence, peu de temps avant l'abandon de 22 km de ligne par l'Etat et rupture de la continuité ferroviaire)
Une campagne lancée par la Fnaut-PACA pour la réouverture de la ligne Digne-Saint-Auban et la recréation d’une liaison régulière entre la préfecture des Alpes-de-Haute-Provence et Genève par Grenoble a reçu un accueil chaleureux de nombreux maires français des communes situées sur l’itinéraire et des autorités de la République et canton de Genève. Cette initiative met en lumière l’état d’abandon depuis 1989 de la courte section de 22 km reliant Digne à Saint-Auban, qui avait été mise en service par le PLM en 1876. La fédération d’usagers démontre par ailleurs que l’argument selon lequel la proximité de l’usine chimique Arkema en zone Seveso interdirait une réouverture est fallacieux.
D’un côté vers Nice, de l’autre vers Marseille, Avignon, Grenoble, Genève, Briançon, Valence
A Digne, elle donne correspondance vers Nice par les Chemins de fer de Provence, qui attendent la réouverture de leur section nord après réfection du tunnel de Moriez, effondré partiellement en 2019 et qui devrait être rendu à la circulation début 2026 pour 6,5 millions d’euros. A Saint-Auban, elle donne correspondance avec la ligne Marseille-Veynes-Briançon/Grenoble/Valence TGV.
Cette situation montre les avantages de ce court maillon avec possibilités de liaisons directes, qui existèrent autrefois, depuis Genève et Grenoble, éventuellement couplées avec des rames destination Marseille, mais aussi depuis Avignon TGV et Centre, puisque subsiste pour le fret la section (Cavaillon) Cheval-Blanc – Pertuis, section qui fut parcourue par un autorail quotidien Avignon-Digne jusque dans les années 1950. Voire depuis Valence TGV et ses correspondances à grande vitesse vers le nord.
Rame X72500 du TER Marseille-Briançon à Laragne-Montéglin. La disparition des lignes affluentes de l'axe de la Durance (Digne-Saint-Auban, Cavaillon-Pertuis, Cavaillon-Volx) et leur éventuel report sur route constitue un handicap pour les voyageurs en transit. Or le trajet Grenoble-Nice par les lignes des Alpes constitue l'une des plus spectaculaires expériences de voyage en Europe. (Cl. RDS)
Depuis quelques années, les cogitations techniques se sont répandues pour envisager diverses utilisations pour la plateforme de la ligne Digne-Saint-Auban. Certains proposèrent une piste cyclable, un vélo-rail. La piste cyclable pourrait être établie le long de la voie ferrée maintenue. D’autres ont cogité sur un système d’autorails super-légers à faible capacité en navette, Draisy ou Flexy. Ce dernier type exige cependant une voie très bien dressée puisque la légèreté de l’engin amplifie les défauts de la voie. Par ailleurs, il interdit l’interpénétration avec le réseau ferré national, aux normes de sécurité plus contraignantes.
D’autre part, un contre-argument fut servi à satiété, affirmant que la ligne traversant le site chimique Arkema à Saint-Auban, productrice de solvants chlorés, présenterait un danger en cas de réouverture. Ce à quoi la Fnaut a répondu en relevant que les cuves de chlorure de vinyle monomère (CVM) encore exploitées, qui posent problème en raison de l’inflammabilité du produit en cas de fuite et de présence simultanée d’une flamme selon les opposants à la réouverture, ont été installées en 1968 soit plus de vingt ans avant la neutralisation de la ligne sans que cela ne posât problème à qui que ce fût. Les autorails circulèrent sur cette section pendant vingt-et-un ans avec leurs voyageurs.
Les cives d’Arkema, à 65 m de la voie ferrée elle-même en surplomb de 12 m
Par ailleurs ces cuves sont situées à 65 m de la voie ferrée elle-même située en talus 12 mètres au-dessus du sol de ces cuves. « A ce jour, la voie ferrée est répertoriée ‘’en service’’ par SNCF Réseau depuis la gare de Saint-Auban jusqu’à l’extrémité est du grand viaduc, soit sur la totalité de la traversée de l’usine, et utilisée pour les manœuvres et stockage des rames de wagons d’approvisionnement de l’usine », indique un document technique de la Fnaut-PACA.
La Fnaut-PACA relève par ailleurs que le même type de stockage du même produit CVM exige évidemment un détecteur de fuite afin d’y répondre immédiatement et d’éviter un embrasement au contact d’une étincelle. Ce fut, explique-t-elle, le cas à Saint-Fons (Rhône) en juillet 2023, en réponse à un début de fuite. Saint-Fons au sud de Lyon est encadré par deux importantes voies ferrées (rive droite et rive gauche du Rhône). Celle de la rive gauche du Rhône, à quatre voies, jouxte l’usine chimique en question ainsi que plusieurs autres et supporte un trafic considérable. Ce qui est accepté à Saint-Fons ne pourrait-il pas l’être à Saint-Auban, où les agents de conduite des trains de fret d’Arkema pilotent toujours des circulations dans un environnement comparable ?
Vu du train, une partie des voies fret et embranchements de l'usine Arkema de Saint-Auban. Les deux agglomérations de Saint-Auban et Château-Arnoux sont étagées le long de la vallée. La gare, qui jouxte l'immense cité ouvrière de Saint-Auban, est distante d'environ 2,5 km de Château-Arnoux. (Cl. RDS)
La demande de réouverture et de rétablissement du Genève-Digne « Plaidoyer pour l’Alpazur » portée par la Fnaut a reçu un accueil enthousiaste, indiquait-elle le 22 janvier dernier dans un communiqué. D’autant qu’elle prend place alors que se préparent les jeux olympiques d’hiver 2030, dont les épreuves s’étaleront de Nice à la Haute-Savoie. (1)
Le sénateur, devenu ministre délégué aux Transports, Philippe Tabarot a encouragé la fédération dans sa démarche Il en va de même pour une longue liste de maires : à proximité, ceux de Digne, Saint-André-les-Alpes et Puget-Théniers dont les communes sont desservies par la ligne Digne-Nice ; non loin, ceux de Laragne, Sisteron, Veynes, sur la ligne Marseille-Veynes ; plus loin encore ceux de Nice, Grenoble, Clelles (sur la ligne Grenoble-Veynes), Chambéry, Aix-les-Bains, Bellegarde et enfin les autorités de la République et canton de Genève.
Pour 22 km, 200 millions d’euros ou 30 millions d’euros ?
La Fnaut-PACA a été reçue trois fois par le conseiller transports du cabinet du président de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur qui, note-t-elle « reste cependant à convaincre ». La présidence de la République a fait savoir qu’elle demandait au préfet de région d’étudier l’opportunité de la rénovation de ces malheureux 22 kilomètres de voie ferrée. La Fnaut-PACA lui a transmis l’argumentaire au sujet du risque supposé de la traversée de l’usine Arkema, rédigé par son conseiller technique Claude Jullien.
Reste le devis qui serait demandé par SNCF Réseau pour rétablir les circulations. Selon la Fnaut-PACA, le gestionnaire d’infrastructure avance un coût de 90 à 200 millions d’euros pour 22 km, soit un coût de 4 à 9 millions d’euros par kilomètre. Cette fourchette de devis « paraît complètement hallucinant pour un la rénovation d’une ligne de 22 km existante » pour les militants de la fédération d’usagers. L’organisation brandit une contre-étude qui estime le devis à environ 30 millions d’euros, soit 1,36 million d’euros par kilomètre.
Vue générale de ce qui reste du bâtiment voyageurs PLM, puis SNCF, de la gare de Digne, ville renommée Digne-les-Bains en 1988. On devine à l'arrière de sa toiture celle de l'ancien bâtiment de la compagnie du Sud-France, devenue Chemins de fer de Provence. L'inconvénient de ces gares est qu'elle sont situées assez loin du centre de la ville. Un handicap qu'un fréquent service de navette routière compenserait largement.
Relevons pour mémoire et à titre de comparaison que les 6,5 km du barreau Roissy-Picardie en cours de réalisation, à double voie électrifiée sur une plateforme totalement nouvelle, coûtera 541 millions d’euros (83 M€/km).
Malgré les reports de commissions en concertations et de réflexions en procrastinations tout au long des trente-six dernières années, le point rassurant est que SNCF Réseau a refusé de céder un bout de terrain de son emprise pour élargir un rond-point de la route parallèle. Cette courte ligne file en surplomb de la nationale 85, ou « route Napoléon », sur la rive droite de la Bléone affluent de la Durance et comptait quatre gares intermédiaires en allant vers Digne : Malijai, Mallemoisson, Aiglun et Champtercier. Son profil est favorable, avec des déclivités ne dépassant pas 16‰ et une seule courbe prononcée, à la sortie de la gare de Saint-Auban pour franchir la Durance et l’usine Arkéma.
Des temps de parcours par cars supérieurs à ceux des autorails de 1956
Saint-Auban-Digne a été fermée à tout trafic le 23 septembre 1989, la dernière circulation l’ayant empruntée étant un autorail « Alpazur » Grenoble-Digne et retour, donnant et relevant correspondance avec la ligne à voie métrique toujours en exploitation Digne-Nice. N’ayant pas été déclassée, la ligne Saint-Auban-Digne peut à nouveau recevoir du trafic. La SNCF avait transféré sur route les autorails navettes Saint-Auban-Digne dès 1972.
Actuellement, la relation Digne-Val de Durance est assurée par autocars des LER PACA, « Lignes express régionales » qui n’ont d’express que le nom. Ils empruntent la très fréquentée N85 (route-Napoléon) via des zones commerciales périphériques.
Une douzaine de circulations par jour ouvrable et par sens relient Digne à la proche vallée de la Durance (LER 31, 33, 37…). Le temps de parcours de Digne à Château-Arnoux, soit 23 km, (ces cars ne desservent pas la gare de Saint-Auban) varie entre 30 minutes et 50 minutes. Le temps de parcours des autorails omnibus Digne-Saint-Auban était de 29 minutes en 1955. Quelques bus de l’intercommunalités assurent une desserte essentiellement scolaire.
En 1956, 6 allers-retours dont un vers Avignon et un vers Grenoble voire Genève
A l’horaire 1956, les 22 km étaient parcourus par 6 allers-retours quotidiens sur une belle amplitude horaire de 6 h 00 à 20 h 00 au départ de Digne, de 9 h 39 à 21 h 38 au départ de Saint-Auban. Sur ces 6 allers-retours, un était origine-destination Grenoble, un était origine-destination Avignon via Pertuis et, en haute saison d’été, un était origine-destination Genève via Grenoble (une course Genève-Digne de 364 km et Genève-Nice via Digne de 514 km) qui ressuscitera sous le nom d’Alpazur dans les années 1970 et dont la disparition signera la fermeture de la ligne.
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Trois allers-retours quotidiens étaient tracés à l’aplomb des circulations CP de et vers Nice à Digne (le Genève-Digne en correspondance soignée) ; trois à l’aplomb de circulations de et vers Marseille, soit à Saint-Auban soit à Pertuis (4 en haute saison d’été) ; enfin, en correspondance à Saint-Auban ou par train direct, quatre relations étaient garanties de et vers Grenoble.
Il ne reste rien de ce beau maillage à longues distances, sauf correspondances multiples par autocars et TER mal ou non coordonnés entre les deux régions PACA et Auvergne-Rhône-Alpes à Veynes.
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(1) On peut accéder aux textes de la Fnaut-PACA concernant Digne-Saint-Auban par ce lien :