Lyon-Turin : très tardif déblocage des études d’avant-projet détaillé de l’accès français au tunnel de base
Le tunnel de base du mont d'Ambin, élément central long de 57,5 km de la liaison nouvelle Lyon-Turin, ne pourra être pleinement utile qu’une fois réalisées les voies d’accès. La section française est longue de quelque 140 km, la section commune de 84,1 km (tunnel du mont d'Ambin et accès proches), la section italienne de 46,7 km. Le projet de loin le moins avancé est celui de la partie française. Un rapport suggérait voici deux ans de la reporter d’une décennie et de se contenter de se contenter de moderniser les voies historiques depuis Dijon et Lyon via Ambérieu et Chambéry, caractérisées par leur longueur, leur profil difficile et leur surcharge.
Heureusement, voici un an et à quelques semaines de la péremption de la promesse de cofinancement par l’UE des études détaillées et de la péremption de la déclaration d’utilité publique de la future section française, Paris a certifié sa part de financement, ce que Rome avait fait depuis longtemps pour la future section italienne.
Préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Fabrienne Buccio a ainsi pu annoncer début décembre le lancement des études de l’avant-projet détaillé (APD), celui qui fixera les mensurations de l’ouvrage et des éléments qui le constituent, des plus importants – ici les nombreux tunnels - jusqu’aux plus réduits. Appels d'offres et travaux pourront alors être lancés. Cet APD concernera un itinéraire de 120 km. Sur ces 120 km, la longueur cumulée des tunnels atteindra 70 km, soit 58,33 % de l’itinéraire. Les 20 km de raccordement à Chambéry sont malheureusement reportés à encore plus tard, au prix de devoir longtemps dégrader la desserte de la ville par les trains de voyageurs internationaux.
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Carte de la ligne française d'accès au tunnel de base international sous le mont d'Ambin, à proximité de Modane. La section incluant un tunnel sous le massif de l'Epine, est quant à elle malheureusement reportée à plus tard. On observera avec attention le maintien (ou non) dans le projet des raccordements : dans le Grésivaudan avec la ligne Grenoble-Montmélian, gage d'un accès de la métropole de Grenoble à l'Italie et d'une possibilité pour le fret Italie-Espagne/Sud-Ouest d'éviter la zone lyonnaise en transitant éventuellement par le Sillon alpin ; dans la zone de La Tour-du-Pin avec la ligne vers Voiron et Grenoble . (Doc. Transalpine)
Mme Buccio avait réuni les parlementaires de la région, les élus des diverses instances territoriales – région, départements, intercommunalités et municipalités – pour annoncer le coup d’envoi de cette étape essentielle du projet. « Le ministre des Transports a signé le 2 décembre le feu vert de l’Etat à SNCF Réseau pour lancer ces études et officialisé le choix du scénario Grand Gabarit » a indiqué la Préfète en ouverture de la réunion.
Plus de dix ans après la déclaration d’utilité publique !
Plus de dix ans après la déclaration d’utilité publique et après des années d’atermoiements, ces études pilotées par SNCF Réseau doivent permettre de définir avec précision le tracé des 120 km de lignes nouvelles depuis Lyon jusqu’à l’entrée du tunnel sous les Alpes en Savoie. Il s’agira, précise la Transalpine, qui coordonne les collectivités parties prenantes du projet, également « de garantir la conformité du projet avec toutes les règlementations en vigueur et de réaliser des études d’impact (mesures compensatoires, insertions paysagères…) ». Le projet concerne trois départements et 66 communes.
L'Etat avait confirmé officiellement fin novembre le choix du scénario Grand Gabarit (le plus favorable au fret ferroviaire) et donné son feu vert à SNCF Réseau pour lancer incessamment le programme d'étude d'APD. Lors de la réunion début décembre, Mme Buccio a présenté les modalités et le contenu du programme d’études, l’organisation de la gouvernance, le calendrier, la procédure de concertation avec les parties prenantes…
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Schéma simplifié du tunnel de base du mont d'Ambin.
« Il s’agit d’un cap majeur dans la réalisation du Lyon-Turin qu’il faut saluer avec enthousiasme... tout en regrettant profondément les retards pris sur le calendrier », précise la Transalpine. Car les voies nouvelles de la section françaises, hors l’embranchement vers Chambéry, seront livrées, au mieux, 10 ans après la mise en service du tunnel sous les Alpes et des voies d’accès italiennes, prévues en 2033.
Dans l’intervalle, l’écoulement des flux et la montée en puissance des trafics de fret se fera sur la ligne existante Dijon-Ambérieux-Modane dont les travaux de modernisation d’ici 2033 ont également été détaillés durant la réunion. Il s’agira principalement d’adapter la signalisation pour augmenter les flux potentiels, de renforcer l’alimentation électrique et de reprendre quelques plans de voies aux principales gares.
France, deuxième partenaire commercial de l’Italie
La ligne nouvelle Lyon-Turin permettra de renforcer les très importants échanges entre la France et l’Italie. La France est le deuxième partenaire commercial de l’Italie et l’Italie le 4e partenaire commercial de la France. Les deux pays constituent 30 % du Produit intérieur brut annuel des pays du bloc de l’Union européenne. En 2023, les deux pays ont effectué 125 milliards d’euros d’échanges commerciaux dont 105 mds € de marchandises contre 109 mds€ en 2023. Notons que l’année 2023 a vu la ligne ferroviaire historique de la Maurienne interrompue durant tout le 4e trimestre par l’effondrement de la falaise de La Praz et que son rétablissement ne pourra intervenir qu’à la fin du 1er trimestre 2025.
La valeur des exportations de biens vers la France vers l’Italie s’est élevée 53 mds € en 2023, 52,5 mds€ dans l’autre sens. Parmi les biens en transit, notons principalement des véhicules, de la métallurgie, du textile, de la chimie, des meubles et de l’électroménager, des machines-outils. En dix ans, les investissements directs de la France vers l’Italie ont doublé, à 80 milliards d’euros, à 51 mds€ dans l’autre sens. L’Italie est le cinquième investisseur étranger en France. Quant aux trafics voyageurs, il s’élevait à 19 millions de visites en 2022, dix millions vers l’Italie neuf millions vers la France.
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Gare de Chambéry Challes-les-Eaux. Dans un premier temps, l'absence de raccordement sous le massif de l'Epine depuis la ligne nouvelle amorcée à Grenay, à l'est de Lyon, handicapera la préfecture de la Savoie. (Doc. RDS)
Le prix final du tunnel du mont d'Ambin, qui comprendra trois tubes – deux de circulation à grand gabarit, un de service, est évalué à ce jour à 11,1 milliards d’euros. Sa mise en service est prévue en 2033, soit avec environ trois ans de retard sur le calendrier initial.
Pour la partie française demeurent toutefois quelques interrogations sur la conformité du réseau aux caractéristiques de l’ensemble de la liaison nouvelle Lyon-Turin. Jean-Michel Ven, ingénieur consultant en recherche et développement, spécialisa dans les véhicules ferroviaires de fret et les machines lourdes (armement, énergie) estimait récemment sur le réseau Linkedin que « pour être compétitif par rapport au flux fret du RFC1 (Rotterdam-Milano via le tunnel de base du Gothard) il faut, sans dispense dilatoire, un certain nombre de conditions » sur le réseau amont (côté français).
Améliorer les normes sur le réseau français pour optimiser l’usage du Lyon-Turin
Jean-Michel Ven énumère ainsi :
1 - un dégagement gabarit de chargement /UIC505GC nécessitant des pantographes de captation du courant à grand débattement, alors qu’aujourd'hui sur le réseau SNCF la norme supérieure est la gabarit GB, « 570 mm plus bas ».
2 - une densité de charge du convoi pouvant atteindre 10 tonnes par mètre, alors que la norme de SNCF réseau ne dépasse pas, actuellement, 8 tonnes/mètre.
3 - des voies d'évitement d'au moins 1 000 m voire mieux 1 500 m alors que la norme est aujourd’hui de 750 m en France (portée depuis quelques années à 850 m sur le seul axe Le Boulou-Luxembourg).
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Convoi fret multimodal à l'approche du tunnel franco-espagnol du Perthus. La ligne nouvelle Lyon-Turin permettra au fret espagnol un meilleur accès à l'Italie du nord. Les tunnels de base, atouts majeurs pour le fret ferroviaire. (Doc. LFP)
4 - un suivi des convois /ERTMS3 en raison de l’impossibilité de se baser sur le système GPS à cause des tunnels, et un diagramme des circulations qui donne priorité au fret grand gabarit sur les TER, sur les lignes du réseau classique empruntées par le flux fret franco-italien.
5 - aux 2/3 de chaque descente à plus que 20 ‰ des détecteurs de boîtes chaudes type DBC4 en gestion sécurisée avec un PC leur donnant autorité pour réduire la vitesse de maintien. En cas de détection une base de 70 km/h avec descente à 50 km/h.
Selon l’ingénieur, « si et seulement si ces cinq conditions sont satisfaites alors le fret ferroviaire éliminera la quasi-totalité du fret routier entre Lyon et Turin, à la grande satisfaction écologique et qualité de vie des populations locales… comme en Suisse ».
Indignation sur le retard du projet
Sur la gestion française du projet, Philippe Roux, enseignant en mathématiques et sciences physiques, déplore le retard considérable qui a été pris. « J’avais déjà travaillé il y a vingt ans sur des études phase EP et APS du Lyon Turin et vingt-deux ans plus tard on en est toujours dans ces mêmes études », écrit-il.
M. Roux précise : « J’ai travaillé sur les premières études du Lyon-Turin (raccordements sur le secteur de Grenay en 1993 !), puis en études APS (avant-projet sommaire, NDLR) en 2000, puis en études socio-économiques en 2003 et 2004. Pendant ce temps, les Suisses tout seuls (sans l’Italie) ont mis en service deux tunnels de très grandes longueurs, le Gothard et le Lötschberg ».
Ce mathématicien, qui insiste sur son amour pour le chemin de fer, s’indigne : « Notre argent public est gaspillé, il sert à payer nos futilités, notre paresse, notre laxisme, notre bureaucratie et j'en passe ».
Les monde ferroviaire, résumé des pathologies françaises.
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Coupe d'un des tubes de circulation du tunnel du mont d'Ambin. Le gabarit "autoroute ferroviaire" est assuré. Reste à le poursuivre de part et d'autre de la liaison nouvelle, au-delà de Lyon et de Turin... (Doc. TELT)