Busseau-sur-Creuse – Felletin : Etat et région prêts à enterrer l’un des derniers vestiges des radiales nord-sud du Massif central
Longue de 34,40 km, l’antenne ferroviaire reliant Busseau-sur-Creuse, à 15,38 km à l’est de Guéret sur la ligne de Montluçon à Saint-Sulpice-Laurière, à Felletin vit probablement ses derniers mois. L’état tiers-mondisé de sa voie et de ses ouvrages, laissés en déshérence, devrait induire sa neutralisation « pour raisons de sécurité » dès août prochain. Son faible trafic – deux allers-retours quotidiens depuis Limoges via Guéret -, la déflation démographique du département de la Creuse et surtout la fermeture de sa continuation jusqu’à La Courtine et Ussel, au sud, devraient entraîner une nouvelle et énième coupe dans le réseau ferroviaire desservant le nord du Massif central. Les vagues projets d'autorail léger ne permettront certes pas de résoudre la question de l'obsolescence programmée de la voie et des ouvrages.
Trois axes nord-sud du centre du Massif central auront ainsi été sacrifiés sur l’autel de la métropolisation, de l’abandon des territoires et de ce centralisme pathologiquement français. Au lieu de maintenir des services dans les départements en souffrance économique et démographique afin de leur garantir des possibilités de rebond, la technocratie aura imposé des liquidations d’axes ferroviaires qui accentuent plus encore leur déclin.
Ces axes nord-sud du Massif central progressivement éliminés
Rappelons que depuis trois décennies tous les axes nord-sud du Massif central, entre la ligne des Cévennes (Paris) Clermont-Ferrand-Nîmes, à l’est, et la ligne Paris-Toulouse via Limoges, à l’ouest, auront disparu.
- 1939 - La première suppression des axes nord-sud du Massif central concerna la ligne de Montluçon à Gouttières, où elle s’embranchait sur la ligne Lapeyrouse-Volvic (Clermont-Ferrand). Cet axe de 43,32 km ne connut de trains de voyageurs que de 1931, année de sa mise en service, à 1939, un record national de brièveté d’exploitation… et de dilapidation des investissements publics (l’Etat) et privés (la compagnie du Paris-Orléans). Des circulations de curistes furent maintenues sur le très court tronçon de Montluçon à Néris-les-Bains (7 km) après-guerre jusqu’en 1957. Elle fut déclassée par sections en 1954 et 1972 après avoir connu un trafic marchandises confidentiel.
- 1954 – La deuxième suppression fut celle de la section d’Eygurande-Merlines à Bort-les-Orgues (34 km) en 1954 pour raison de submersion par les eaux du barrage de Bort. La SNCF tronçonnait ainsi la ligne de Bourges à Miécazes dans la Cantal (312 km), mise en service en 1893 dans sa totalité. Cet axe assurait la liaison la plus courte de Paris à Aurillac tout en desservant Montluçon, Evaux-les-Bains, Auzances.
Cet homme natif de la Petite Marche, à une vingtaine de kilomètres, ne peut plus espérer voir passer le moindre train dans cette gare de Budelière-Chambon, près du célèbre viaduc de la Tardes, dans l'est de la Creuse. Le bâtiment voyageurs avait été rasé, et remplacé par un abri en ciment, avant même la suppression du service ferroviaire. Cette ligne Montluçon-Eygurande-Merlines (Ussel), l'un des axes nord-sud du Massif central septentrional, ne voit plus passer aucun train depuis 2008. Les élus locaux bataillent (comme tant d'autres) pour la création d'une voie supposément "verte"... (Doc. RDS)
- 1979 – La troisième suppression pour les voyageurs fut celle en 1979 de la section de Felletin à Ussel (44,14 km) de la ligne Busseau-sur-Creuse - Ussel mise en service dans sa totalité en 1905. La Courtine abritant alors un important camp militaire, le trafic marchandises ne disparut qu’en 1992 au sud de La Courtine après avoir été supprimé de Felletin à La Courtine en 1979 et avant de disparaître de Busseau-sur-Creuse à Felletin en 2007. Le camp de La Courtine était approvisionné jusqu’en 1992 par le sud.
- 2007 - La quatrième suppression en date pour les voyageurs fut celle de la ligne de Lapeyrouse (embranchée sur l’axe Montluçon-Gannat à 31 km à l’est de Montluçon) à Volvic (embranchée à l’ancien axe Clermont-Ferrand-Ussel, à 17,2 km de Clermont-Ferrand). Cette ligne de de 56,7 km dotée du célèbre viaduc des Fades qui fut un temps le plus haut viaduc du monde, connut un trafic voyageurs de 1909, année de sa mise en service complète, à 2007, année de sa fermeture pour raisons de sécurité – en fait pour raison de désinvestissement délibéré de la part de l’Etat, son propriétaire.
On soulignera que la combinaison des sections Montluçon-Gouttières, (Lapeyrouse) Gouttières-Volvic et Volvic-Clermont-Ferrand offraient un itinéraire inférieur (100 km) à celui demeuré en service, de Montluçon à Clermont-Ferrand via Gannat et Riom (110 km), tout en desservant des localités aujourd’hui notoirement enclavées. - 2008 – La cinquième suppression en date concerna, en 2008, une autre section de la ligne de Bourges à Miécazes, entre Montluçon et Eygurande-Merlines (92,63 km) « pour raison de vétusté » – en fait, là encore, en raison d’abandon délibéré de la part des « aménageurs » du territoire. Cette décision fut prise malgré l’importance des potentiels trafics agricoles du plateau et celle du trafic voyageurs de la Corrèze vers de nord (Montluçon, Paris) et des flux de curistes vers la station thermale d’Evaux-les-Bains.
La disparition de tout trafic de Busseau-sur-Creuse à Felletin, si elle se confirme, sera donc la sixième amputation sur les trois grands axes nord-sud de la partie médiane du nord du Massif central. Elle ne laissera plus aucune pénétrante ferroviaire directe nord-sud entre Limoges et Clermont-Ferrand.
SNCF Réseau, la préfète et la région Nouvelle Aquitaine prêts à enterrer la ligne
SNCF Réseau a confirmé jeudi 9 janvier aux médias régionaux et au média public Ici Creuse que l'arrêt de la circulation des trains sur cet axe est prévu avant la fin de l'année 2025, si aucun financement n'est trouvé pour le rénover. La Région Nouvelle Aquitaine, l'Etat et SNCF réseau n'arrivent pas à se mettre d'accord pour un financement des travaux.
/image%2F1336994%2F20250115%2Fob_a58557_aubusson-cparama.jpg)
Bâtiment de la gare d'Aubusson au début du XXe siècle. Le joli bâtiment, pas très bien entretenu à l'évidence (au sortir de la Ière Guerre mondiale ?), rappelle le prestige de cette ville connue pour ses ateliers royaux de tapisserie. (Carte postale ancienne CPArama / https://www.cparama.com/forum/aubusson-t2159.html)
Les deux allers-retours quotidiens amorcés à Limoges desservent, à Busseau-sur-Creuse la commune d’Ahun peuplée de 1.450 habitants, Lavaveix-les-Mines, peuplée de 650 habitants, Aubusson, peuplée de 3.050 habitants, abritant plusieurs ateliers de tissage, centre culturel du département de la Creuse, sous-préfecture et chef-lieu de l’intercommunalité. Enfin, Felletin est peuplée de 1.550 habitants.
La communauté de communes Creuse Grand Sud, traversée par la ligne, compte 11.600 habitants. La préfecture, Guéret, est peuplée de quelque 13.000 habitants et sa communauté d’agglomération de 28.500 habitants.
Le plus vieux rail date de 1901
Selon Yann Desenfant, secrétaire à la CGT cheminots, dans un entretien au média Ici Creuse, a souligné que la ligne Busseau-sur-Creuse – Felletin « n’a pas reçu de travaux entretien conséquents pendant des décennies » : « Sur le tronçon Busseau-sur-Creuse-Felletin, le plus vieux rail sur la ligne date de 1901 tandis que le plus jeune est de 1946. » Il conviendrait par ailleurs de rechaper les voûtes de deux tunnels actuellement garnis de briques, pour un devis estimé à 7 millions d’euros.
Pourtant la ligne a bénéficié de travaux d'urgence fin 2022. Ce chantier de 3,5 millions d’euros avait été pris en charge à 75 % par la Région. En fin d’année, ces 3,5 millions d’euros seront donc probablement passés par profits et pertes. Ce ne sera pas la première fois que la bureaucratique puissance publique française investit sur une ligne peu de temps avant de la fermer.
Jean-Luc Gary, directeur territorial SNCF Réseau Nouvelle-Aquitaine, a admis que « le coût total pour pérenniser la ligne n'est même pas chiffré ».La Région Nouvelle Aquitaine assure que, malgré une politique volontariste, elle ne peut pas financer les travaux de modernisation partout. Lors d’une visite à La Souterraine en novembre, le précédent ministre délégué aux transports, François Durovray avait affirmé sa détermination de trouver une solution pour garder des trains à Felletin. Depuis, plus rien.
Lycée des métiers du bâtiment de Felletin : 450 élèves
François Landry, qui a créé la page Facebook « la p’tite ligne » estime que cette ligne conserve un potentiel, y compris fret, aujourd’hui abandonné. Elle dessert en particulier le Lycée des métiers du bâtiment qui assure des formations de la 3e à bac+2 à plus de 450 élèves. LMB est labellisé Campus des métiers et des qualifications en construction durable et éco-réhabilitation, et il est le centre névralgique du nouveau « Campus Régional du Patrimoine bâti ».
On relèvera aussi que le camp militaire de La Courtine, à 25 km au sud de Felletin et à 19 km au nord d’Ussel, constitue un important pôle d’activité, devenu un espace d’entraînement multimétiers, tant pour les armées (toutes armes) que pour certaines spécialités civiles (CNES, Protection civile). Sa capacité d’hébergement est la plus importante de France : 4.000 hommes.
François Landry a confié au quotidien La Montagne, à propos de la ligne Busseau-sur-Creuse-Felletin : « J’ai compris que si personne ne l’utilisait, c’est parce que les horaires n’étaient plus adaptés ». Il était quasi-impossible de faire un aller-retour Felletin-Guéret intéressant, puisque le voyageur arrivait en fin de matinée pour repartir en début d’après-midi… « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage… », dénonçaient ses partisans.
/image%2F1336994%2F20250115%2Fob_13ba8f_felletin-gare.jpg)
Gare de Felletin, jadis point de croisement sur la ligne d'Ussel, l'un des axes nord-sud de la partie septentrionale du Massif central. Aujourd'hui, illustration éclairante de la fracture territoriale. (Doc. POINOT.N / Wikipedia)
Depuis, les horaires ont été opportunément recalés. Le départ du matin depuis Felletin est fixé à 6 h 23 pour arriver à Guéret à 7 h 16 et à Limoges à 8 h 25. Dans l’autre sens, le départ du soir est fixé à 17 h 10 de Limoges, 18 h 20 de Guéret pour arrivée à 19 h 10 à Felletin.
La préfète de la Creuse Anne Frackowiak-Jacobs estime auprès d’Ici Creuse que financer les travaux pour maintenir la ligne TER Guéret-Felletin en activité comme aujourd'hui est quasiment « impossible », se contentant d’envisager que l’Etat participe à l’expérimentation d’un « train léger ». Mais on sait que l’essentiel dans le chemin de fer réside dans la qualité de son infrastructure… et que plus le train est « léger » plus la voie doit être parfaite. La promesse de la préfète sonne comme une homélie d'obsèques.
On notera que Guéret est relié par autocar régional à Felletin 5 fois par jour en semaine par la ligne 210, amorcée à La Souterraine, complétée les vendredis. Le temps de parcours Guéret-Felletin est de 1 h 15 mn contre 50 mn par train malgré l’état désastreux de l’antenne de Felletin. La ligne 204 relie Limoges à Felletin par Aubusson et Bourganeuf 4 fois par jour en semaine (3 fois en vacances scolaires) avec des compléments autour des fins de semaine. Le parcours Limoges-Felletin est assuré en 2 h 10 mn contre 2 h 00 mn par train malgré là encore l’état désastreux de l’antenne de Felletin et le détour par Guéret.
La dimension politique du démaillage ferroviaire
Le maire de Felletin et le maire d'Aubusson ont demandé une réunion d'urgence avec toutes les parties. Elle s’est tenue le 13 janvier. Sur Ici Creuse, le maire de Felletin Olivier Cagnon (gauche) déplore l'état de la ligne : « Je ne défends pas la ligne telle qu'elle est aujourd'hui car les horaires ne sont pas adaptés et les tarifs sont relativement prohibitifs, à 10 euros alors que le bus propose 2,30 euros. Mais je défends cette ligne sur le long terme. Si on ferme cette ligne, on le regrettera dans quinze ou vingt ans. On a un bel outil, une pépite à préserver. » Il explique que ce serait « une erreur » de mettre en arrêt la ligne TER : « Une étude de revitalisation est en cours, attendons de voir. »
Autre signe de la dimension politique du maillage ferroviaire, le Rassemblement national, qui a obtenu 35,40 % des voix dans la Creuse en mai dernier et a fait élire aux législatives suivantes son candidat Bartolomé Lenoir (RN-UDR) par 37,69 % des voix au second tour lors d’une triangulaire, est monté au créneau. Sa fédération creusoise estime que ce sont « toujours les territoires ruraux qui trinquent » comparé aux grandes villes. Il met en cause la région Nouvelle-Aquitaine.
Les effets récessifs du tronçonnage et du démaillage
Le premier effet récessif est que la dizaine d’allers-retours quotidiens par autocars concernant Felletin sur les origines-destinations du train dispersent les fiches horaires, la compréhension des services par les usagers et multiplie les coûts d’exploitation : un autocar (à durée de vie limitée), un conducteur. De courts rabattements sur un train fréquent seraient probablement plus économiques.
Le deuxième, est que la déshérence de la ligne Busseau-sur-Creuse-Felletin, qui n’est que le moignon de Busseau-sur-Creuse-Ussel, confirme que la neutralisation des sections les moins fréquentées induit l’affaiblissement des sections maintenues. Ici, on peut constater que la ligne Busseau-sur-Creuse-Felletin souffre évidemment de la fermeture de Felletin-Ussel, privant la section nord du trafic de transit venu du sud, reporté sur de rares autocars. On retrouve le même phénomène sur Saint-Etienne-Clermont-Ferrand fermée en son centre (Boën-Thiers), sur Bourg-Saint-Claude fermée en son centre (Oyonnax-Saint-Claude), etc.
/image%2F1336994%2F20250115%2Fob_11e7f5_gueret1.jpg)
Autorails X2800 et X2200 en gare de Guéret, début des années 2000. Les quatre voies à quai trahissent l'importance passée du noeud ferroviaire: vers Montluçon, Lyon et Clermont-Ferrand ; Saint-Sulpice-Laurière, Limoges et Bordeaux ; Saint-Sébastien, Orléans et Paris ; Busseau-sur-Creuse, Felletin, Ussel, Tulles, Brive et Toulouse. (By Tuyra - travail personnel http://leportailferroviaire.free.fr, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=7748801)
Pire encore, la fermeture au nord de Guéret de la ligne Guéret-Saint-Sébastien prive l’antenne de Felletin d’une partie de son intérêt. Cette ligne de 45,44 km, ouverte en 1886 et fermée aux voyageurs en 1940 et au fret en 1950 et 1952, était conçue pour rejoindre vers le nord, depuis Guéret, l’axe radial Paris-Limoges-Toulouse à Saint-Sébastien, évitant le détour par Saint-Sulpice-Laurière. L’itinéraire Guéret-Saint-Sébastien par Saint-Sulpice-Laurière est de 90 km, soit exactement deux fois plus long que par la ligne fermée.
C’est ainsi l’ensemble de l’itinéraire Paris-Ussel par Guéret et Felletin qui est aujourd’hui liquidé et dont les tronçons subsistants agonisent dans l’indifférence des décideurs étatiques.