Rail et littoral en Méditerranée française et catalane – 1 : bien équipée, la Catalogne veut combler le hiatus de la Costa Brava
La Catalogne entend poursuivre sa politique de développement ferroviaire vers les zones touristiques avec un projet visant à desservir la Costa Brava. Par contraste, les régions françaises voisines, Occitanie et Provence-Alpes-Côte-d’Azur, paraissent en retard dans ce domaine alors que leur domaine balnéaire est considérable. Raildusud fait le point sur les accès ferroviaires des cités balnéaires touristiques de ces trois régions, en trois volets.
Première ligne ferroviaire espagnole : sur la côte au nord de Barcelone
Signe de la conscience politique de la desserte ferroviaire du littoral en Catalogne, la première ligne de chemin de fer en Espagne, inaugurée le 28 octobre 1848, était une ligne littorale. Elle reliait Barcelone à Mataró. Elle desservait déjà un chapelet de cités balnéaires au nord de la métropole catalane : Badalona, Montgat, El Masnou, Premià de Mar, Ocata, Premià, Vilassar de Mar et Mataró.
Mataró, désormais gare de la grande banlieue balnéaire du nord de Barcelone après avoir été le terminus de la toute première ligne ferroviaire du royaume d'Espagne. (https://travelerdrawer.blogspot.com/2016/01/mataro-catalunya-espana-spain-estacio.html )
Cette ligne fut poursuivie par étape jusqu’à la cité intérieure de Maçanet, avec mise en service en 1861, atteignant une longueur de 73 km. Ce prolongement dessert la suite du chapelet de cités balnéaires que sont, en particulier, Arenys de Mar, Sant Pol de Mar, Calella et Blanes, où elle s’engage vers l’intérieur des terres. Elle est aujourd’hui desservie par les trains régionaux Rodalies de la ligne R2. A Maçanet, elle s’embranche sur la ligne classique Barcelone-Cerbère par l’intérieur, San Celoni, Gérone et Figueres.
La Costa Brava reste éloignée du chemin de fer
Mais au nord de Blanes, à l’exception de la côté frontalière au sud de Port-Bou (Colera, Llançà) aucune autre cité balnéaire de la côté catalane n’est desservie par le rail, en particulier à la latitude de Gérone. C’est le cas des célèbres stations de la Costa Brava que sont Palamós (18.000 habitants à l’année), Platja d’Aro et Sant Feliu de Guíxols, toutes submergées de touristes aux belles saisons.
L’assemblée législative de la Généralité de Catalogne a voté en début de mois une proposition visant à promouvoir le développement de deux infrastructures ferroviaires « stratégiques » : un train-tram entre Gérone et la Costa Brava et un prolongement, dans l’intérieur, à l’ouest, du réseau de trains régionaux vers Banyoles et Olot.
L'itinéraire du train-tram serait circulaire. Une voie sur nouveau tracé, parallèlement aux routes, longue de 69 km, rejoindrait la côte par deux axes, depuis Riudellot de la Selva au sud, depuis Flaçà au nord, les deux axes rejoingant une section côtière de San Feliu de Guixols à Palafrugell. A l'intérieur, afin de fermer la boucle une voie serait établie en accotement de la ligne historique à voie ibérique du réseau national Adif, de Riudellots de la Selva à Gérone et Flaçà, sur 26 km.
Carte schématique du projet de tramway pour la Coasta Brava, approuvé à la quasi-unanimité des députés du parlement de la Généralité de Catalogne. (Document Pau Noy / La Vanguardia / https://trentramcostabrava.org/ )
Le train-tram de la Costa-Brava afficherait une longueur de 97 km. Les promoteurs du projet estiment à 6,7 millions le potentiel de passagers annuels pour un investissement de 500 millions d’euros. La proposition a obtenu un soutien quasi-unanime des députés avec 132 voix (sur 135 députés) de tous les groupes parlementaires sauf un. Les deux députés du groupe de l’Aliança Catalana (droite nationale régionaliste) se sont abstenus.
La desserte serait « fréquente » afin de soulager les communes du lourd trafic routier. La mise en service est souhaitée par les parlementaires pour 2030. Bien que la date soit apparemment optimiste, la volonté politique paraît réelle.
Les députés catalans visent aussi l’intérieur
Dans le même élan, le parlement de la Généralité a voté en faveur d’une ligne qui s’inspirerait de la liaison assurée par l’ancienne voie ferrée métrique reliant Gérone à Olot (55 km) dont la construction avait été achevée en 1911. Cette ligne, qui ne desservait pas Banyoles, fut fermée en 1969. Elle empruntait un itinéraire pittoresque, par le sud-ouest de Gérone, desservant la vallée du rio Bugente : Amer, San Esteban de Bas… Le temps de parcours minimum au début du XXe siècle était de 2 h 40 mn par traction vapeur. Il était tombé à 2 h 05 mn en 1954 après réception d’automoteurs diesel Ferrostaal.
Dans leur projet, les députés catalans ne reprennent pas l’itinéraire de la ligne à voie métrique. Ils prévoient que la future ligne desserve Banyoles avant de rejoindre Olot. Pour desservir Banyoles, elle passerait par un itinéraire nord, long de quelque 56 km desservant Serinya, Besalù et San Jaume dans la vallée du rio Fluvia qui coule au nord de Gérone.
Autorail diesel "Ferrostaal" saisi au croisement d'un train de marchandises en traction vapeur sur la ligne Gérone-Olot, peu de temps avant sa fermeture en 1969 par la FEVE, l'administration des lignes à voie métriques espagnoles. (Doc J. Wiseman / https://trenesytiempos.blogspot.com/2018/10/cronicas-de-la-via-estrecha-lvii-el.html)
Ce nouvel itinéraire ferroviaire desservirait une population de 155.000 personnes. Sa fréquentation annuelle pourrait s’élever à trois millions de voyageurs, selon le projet. Son coût l’élèverait à quelque 9 millions d’euros par kilomètre, soit un coût total de quelque 510 millions d’euros. La ligne serait dotée de 17 haltes ou gares. Son tracé suivrait la route principale reliant Gérone à Olot. Comme celui de l’ancien tracé à voie métrique, l’itinéraire serait pittoresque. Olot, 38.000 habitants, est située à 443 m d’altitude, au pied de la sierra Sant Magdalena qui culmine à 1.526 m d’altitude à l’ouest, et de la chaîne des Pyrénées orientales au nord. Son intercommunalité (comarque, 21 communes) compte quelque 60.000 habitants. Cette région de montagne présente un intérêt touristique certain.
Le vote parlementaire sur ces deux projets survient bien que le secrétaire aux Transports, Manel Nadal, eût exprimé ses doutes sur la viabilité d’un train-tram vers les plages de la Costa Brava dans la province de Gérone. Il a suggéré que le projet ne devrait pas être retenu au titre de priorité immédiate dans le plan régional d’infrstructures.
Il n’en demeure pas moins que le vote quasi-unanime du parlement de la Généralité, dont les ressources sont proportionnellement bien supérieures à celles des régions de la France centralisée, démontre de la part des élus une conscience et une nette volonté ferroviaire. Non seulement ils votent en faveur de réactivation d’un itinéraire ferroviaire abandonné (Gérone-Olot), sous une forme totalement nouvelle, mais ils soutiennent la construction d’un itinéraire balnéaire qu’aucun service ferroviaire n’a jamais desservi (Gérone-Costa Brava).
Au sud, le train desserte toutes les stations balnéaires de Barcelone au delta de l’Ebre
Au demeurant, les cités balnéaires de la côte catalane situées au sud de Barcelone sont remarquablement desservies par le rail. La ligne Barcelone-Tarragone suit la ligne de côte sur la quasi-totalité de son parcours une fois contourné l’aéroport d’El Prat. Cet axe à double voie ibérique électrifiée offre de beaux points de vue sur la mer, à l’image de la ligne de la Côte bleue à l’ouest de Marseille, mais sur un itinéraire bien plus long, d’environ 80 km. Il est partiellement doublé par la ligne Barcelone-Villafranca-Tarragone par l’intérieur, jusqu’à San Vincenç de Calders.
Cet itinéraire dessert de nombreuses cités balnéaires parmi lesquelles Castelldefels (68.500 habitants), Garraf, Sitges, Vilanova i la Geltrù, Calafell Platja, Coma Ruga, Torredembarra, Altafula, La Mora et Tarragone. La seule commune de Sitges compte 32.000 habitants et son intercommunalité, le comarque de Garraf, en compte 133.000. Plus au sud, le comarque du Tarragonès compte 242.000 habitants. Au nord, Barcelone compte 1,66 million d’habitants.
Vue des voies de la gare de Sitges avec une rame banlieue à deux niveaux. Sitges est desservie par les lignes Rodalies. Sitges est une cité balnéaire, mais aussi historique et culturelle, très active et dont la vieille ville s'étend sous la gare et sur un promontoire au-dessus de la mer. (Doc. Bernat Boràs, www.transcat.cat)
Au sud de Tarragone, enfin, la ligne Tarragone-Valence, en cours de modernisation, suit la côte et ses cités balnéaires jusqu’au delta de l’Ebre, desservant en particulier Cambrils (36.500 habitants) et des stations aux noms évocateurs tels que Miami Platja, L’Hospitalet de l’Infan, L’Ametila de Mar et l’Ampolla. Une fois passée dans le Valencien, la ligne s’écarte un peu de la côte, tout en desservant toutefois Vinaròs, Benicarló, s’approche de la célèbre Peñiscola (qui abrita le dernier pape d’Avignon) puis de Benicassim, communes balnéaires du nord de Castelló de la Plana.
Pour l’importante population catalane (8 millions d’habitants) et ses non moins nombreux touristes, une majorité du littoral de la généralité est directement accessible par le mode ferroviaire, de Blanes au nord à Tarragone au sud… à l’exception de la Costa Brava au nord de Blanes jusqu’au cap de Creus. Le projet de train-tram Gérone-côte porté par le parlement catalan a précisément pour objectif de combler ce hiatus
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Prochain article : Rail et stations balnéaires en Méditerranée française et catalane – 2 : l'Occitanie peine à desservir son littoral par le rail