Feue l’étoile de Paulhan, ou les atouts perdus du rail dans un Languedoc en forte expansion
Paulhan est une commune de l’Hérault peuplée de 4.100 habitants, au sein de la communauté de communes du Clermontais qui en compte 29.000. Paulhan comptait environ 2.300 habitants en 1970, année de la disparition de toute offre ferroviaire voyageurs desservant sa vaste gare. Alors que l’avant-projet de service express régional métropolitain de la métropole de Montpellier et alentours n’inclut formellement aucune réouverture de lignes ferroviaires abandonnées, nombreuses dans l’arrière-pays montpelliérain, il est intéressant de se pencher sur l’atout qu’aurait constitué le maintien des lignes desservant l’étoile ferroviaire de Paulhan.
Rappelons qu’au départ de Montpellier, deux lignes du réseau ferré national desservaient les localités voisines : celle amorcée à Les Mazes-Le Crès vers Sommières, ex-PLM, abandonnée et déclassée, dont le sort a été évoqué à plusieurs reprises par Raildusud ; celle amorcée à Montpellier même, au quartier des Prés-d’Arènes, vers Paulhan (41,5 km) et, au-delà Faugères (à 28 km de Paulhan), Bédarieux et Toulouse. (1)
La première, de Mas-des-Gardies (Gard) aux Mazes-le-Crès a vu sa dernière section (Sommières-Les Mazes-le-Crès) fermée aux voyageurs le 18 janvier 1970. La deuxième, de Montpellier à Paulhan, a vu son service voyageurs définitivement suspendu le 15 novembre 1970. L’année 1970 vit ainsi une totale liquidation de l’étoile ferroviaire de Montpellier, grande ligne de la plaine Tarascon-Sète exceptée.
La gare de Paulhan, croisement des axes Montpellier-Faugères et Vias-Lodève
Notons qu’auparavant cet arrière-pays était aussi desservi par un faisceau de lignes départementales à voie standard, dont le département avait juste après-guerre envisagé l’électrification. Il était amorcé à la gare de Montpellier Chaptal et voyait se développer, après un court tronc commun, une ligne vers Rabieux, à proximité de Lodève, et une autre vers Béziers par l’intérieur avec branches au nord de l’étang de Thau. La ligne de Montpellier à Rabieux fut fermée aux voyageurs dès 1949, celle de Montpellier à Béziers en 1953.
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Bâtiment voyageurs de la gare de Paulhan (Hérault). Conçu par le Compagnie du Midi, son ampleur traduisait l'importance de la desserte. Depuis Paulhan, on pouvait rejoindre directement Montpellier par Montbazin, Toulouse par Bédarieux, Béziers par Vias et Lodève. (Carte postale ancienne, années 1910 probablement)
La gare de Paulhan était le point de croisement des lignes de Vias à Lodève et de Montpellier à Faugères. Notons que les circulations Montpellier-Faugères ne rebroussaient pas à Paulhan : arrivées par le nord, elles repartaient par le sud de la gare.
Si elle ne concerne pas directement la métropole de Montpellier, la ligne de Vias à Lodève (58 km) fut fermée aux voyageurs au nord de Paulhan dès le 15 mai 1939, dans la grande furia liquidatrice de la jeune SNCF avant bref rétablissement durant la guerre, et de Vias à Paulhan le 28 juin 1957 après une première suspension avant-guerre. Elle desservait en particulier Clermont-L’Hérault (6.000 habitants en 1970, 9.500 aujourd’hui), ville située dans le « Cœur d’Hérault », zone du département qui connaît la plus forte croissance démographique, parcouru plus à l’est par la ligne départementale Montpellier-Rabieux.
La ligne Vias-Lodève conserva néanmoins longtemps un trafic fret, en particulier avec la desserte de la mine Cogema de Lodève jusqu’en 1991, dont les trains traversaient la gare de Paulhan. .
La gare de Paulhan compta jusqu’à 200 salariés du chemin de fer. Elle n’en compte évidemment plus aucun et son vaste faisceau fret, ainsi qu’un dépôt relais pour les locomotives, ont disparu. Les voies déposées ont laissé place à un espace de loisirs. Seuls quelques rails et un aiguillage ont été conservés pour témoigner du souvenir ferroviaire. Les bâtiments sont récupérés par un restaurant (ancienne vaste halle marchandises, rappel de l’activité viticole de la région) et de futures activités publiques (bâtiment voyageurs).
Les chiffres de population de Montpellier à Paulhan justifieraient un service métropolitain
A 41,5 km de Montpellier par le rail, Paulhan aurait parfaitement pu être desservi par un service régional métropolitain. D’autant que la ligne desservait des localités importantes :
- Saint-Jean-de-Védas, aujourd’hui desservie par la ligne 2 du tramway de Montpellier qui emprunte au demeurant la plate-forme de la ligne Montpellier-Paulhan sur environ 2,5 km (plateforme proprement dite ou accotement). La commune compte près de 13.000 habitants, en très forte expansion (2.500 habitants en 1970).
Ultime section ferroviaire de l'étoile de Paulhan, le court emprunt de l'ancienne plateforme de la ligne Montpellier-Paulhan par le tramway de Montpellier entre Sabines (ci-dessus) et Saint-Jean-le-Sec, la sous-section Condamine-Saint-Jean-le-sec étant toutefois établie en accotement de la voie originelle. (Doc. RDS)
- Fabrègues, pour laquelle un projet d’extension de la ligne 2 du tramway sous forme de tramway accéléré a été enterré, qui compte 7.200 habitants, en très forte expansion (1.800 habitants en 1970).
- Cournonterral, qui compte plus de 7.000 habitants (2.200 en 1970).
- Montbazin Gigean, dans l’aire d’attraction de Sète. Montbazin, qui était aussi desservie par la ligne départementale Montpellier-Béziers, compte à ce jour 2.900 habitants (1.100 en 1970). Gigean en compte 6.600 (1.900 en 1970).
- Villeveyrac, qui abrite le site d’une importante mine de bauxite, compte 4.000 habitants (1.650 en 1970) et abrite sir son territoire la célèbre abbaye de Valmagne, site touristique majeur.
- Saint-Pargoire, qui compte 2.400 habitants (1.400 en 1970).
- Campagnan, qui compte 750 habitants (310 en 1970).
- Paulhan, qui compte donc 4.100 habitants (2.300 en 1970).
Au-delà de Paulhan, vers Bédarieux, les trains de voyageurs desservaient des communes moins peuplées : Nizas Fontès ; Nizas Bourg ; Caux, commune de 2.650 habitants (1.600 en 1970) ; Roujan commune de 2.300 habitants (1.400 en 1970) et Neffiès ; Gabian ; Faugères, gare de jonction avec la ligne Béziers-Neussargues et commune de 560 habitants (360 en 1970). Bédarieux, en grande souffrance économique après la fermeture des mines du bassin de l’Orb, compte quant à elle 5.700 habitants (7.000 en 1970) mais 12.800 sur sa zone agglomérée.
Explosion démographique : + 216,3 % (hors Montpellier) de Montpellier à Paulhan en 54 ans
Au total, la ligne Montpelllier-Faugères totalise 69,5 km. Elle dessert un bassin de population en forte expansion, principalement sur sa section sud Montpellier-Paulhan, tant en zone périurbaine de Saint-Jean-de-Védas à Montbazin (36.700 habitants sur les seules communes naguère dotées d’une gare) qu’en zone périphérique de Villeveyrac à Paulhan (11.250 habitants sur les seules communes naguère dotées d’une gare).
UnAu total, le chapelet de communes directement desservies de Montpellier à Paulhan, sans compter les communes voisines, totalise 47.950 habitants aujourd'hui contre 15.160 en 1970, Montpellier (300.000 habitants) exclue.
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Gare de Campagnan, sur la ligne Montpellier-Paulhan, aujourd'hui aliénée. L'importance de la halle marchandises (au fond) témoigne de l'activité fret passée. (Doc. RDS)
En comparant les populations municipales de 1970 et 2023, on mesure combien la décision de fermeture aura été contra-cyclique. Certes les décideurs de l’époque de la fermeture du service aux voyageurs constataient la faible population alors desservie par la section Montpellier-Paulhan, de l’ordre de 15.160 habitants à l’époque (hors Montpellier qui ne comptait en 1970 qu’environ 170.000 habitants contre 303.000 à ce jour). L’augmentation de la population des communes directement desservies par la section ferroviaire Montpellier-Paulhan, hors Montpellier, s’établit en 54 ans, à + 216,3 % ! (de 15.160 à 47.950 habitants).
Le moins que l’on puisse écrire c’est que la liquidation de l’axe ferroviaire, avec un transport de fret comme de voyageurs entièrement passé à la route aura été une décision aveugle aux potentielles évolutions ultérieures. On ne décide pas de brader un tel capital physique, d’un tel coût d’investissement et d’un tel potentiel de transport, sans insulter l’avenir.
Montpellier-Paulhan perd ses voyageurs en 1970 mais son fret progressivement jusqu’en 1998
Que reste-t-il de l’étoile de Paulhan ? Comme pour la ligne de Sommières, la ligne Montpellier-Paulhan a vu l’emprise de la section située dans la métropole rétrocédée à Montpellier Méditerranée Métropole. Pour l’instant, les rails à double champignon y rouillent tranquillement. Le projet de récupérer cette emprise pour y installer un tramway au-delà de Saint-Jean-de-Védas, jusqu’à Poussan (avec réutilisation d’une très courte section de l’ancienne ligne départementale), conçu à l’époque des mandats de Georges Frêche, semble enterré corps et âme. Place aux bus à supposés haut niveau de service sur des voiries pourtant très contraintes.
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Ci-dessus : A proximité de Villeveyrac, le viaduc éponyme, long de 59 m, précédant la gare côté Montpellier. Il supporte aujourd'hui un tube d'acheminement de minerai depuis le site d'extraction, sur environ un kilomètre.
Ci-dessous : Entre Villeveyrac et Saint-Pargoire, au pied de la montagne de la Moure, ne subsiste plus qu'une trace souvent interrompue de la ligne Montpellier-Paulhan. Ici, un vague chemin emprunte la plateforme. La route, en revanche, est parfaitement entretenue et supporte un trafic considérable aux heures de pointe. (Doc. RDS)
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Au-delà vers Paulhan, à partir des environs de Montbazin, où subsiste un pont-rail qui permit à la ligne départementale d’enjamber la ligne Midi/SNCF, et jusqu’à Villeveyrac, la ligne reste identifiable, avec rails recouverts de la maigre végétation de ces premiers plateaux calcaires du massif de la Moure. A Villeveyrac, qui fut desservi par des trains de bauxite jusqu’à ce qu’un orage entraîne un effondrement de matériaux sur la voie en 1987, la gare est aliénée et la plateforme engagée par un transbordeur linéaire de minerai.
Fermée aux voyageurs le 14 novembre 1970 alors que la ligne voyait passer quatre allers-retours autorails par jour, trois Montpellier-Toulouse par Bédarieux et un Montpellier-Bédarieux, cette ligne de 41,5 km fut progressivement fermée aux marchandises : en son centre, le même jour, entre Villeveyrac et Campagnan (10,6 km) ; le 28 mai 1978 entre Campagnan et Paulhan (3,9 km), laissant inutilisé le pont sur l’Hérault ; le 19 juin 1987 entre Fabrègues et Villeveyrac (16,6 km) ; en 1998 entre Montpellier et Fabrègues, délaissant quelques embranchements particuliers.
Les retranchements administratifs du réseau ferré national ont été prononcés, en particulier tu en juillet 2024 pour les sections Paulhan-Campagnan et Montbazin-Gigean-Montpellier. La section Sabines-Saint-Jean-le-Sec empruntée par la ligne 2 du tramway de Montpellier est donc passée entièrement sous la propriété de la métropole alors qu’elle était considérée comme section du RFN concédée.
La ligne de Paulhan à Faugères, liquidée en deux ans (1970-1972)
La ligne de Faugères à Paulhan fut fermée aux voyageurs le même jour que celle de Paulhan à Montpellier, le 14 novembre 1970. Mais elle perdit plus rapidement son fret, d’un bloc, le 3 avril 1972. Elle paraît non déclassée à ce jour, ce qui a imposé la construction d’un pont-route pour assurer le croisement avec l’autoroute A75 alors que sa continuation vers Montpellier est déclassée. Mystères de la bureaucratie...
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Ci-dessus : Vue côté voies du bâtiment voyageurs de la gare de Paulhan, en cette année 2024. L'aménagement paysager est réussi. Le transport des personnes et du fret est exclusivement confiné à la route. (Doc. RDS)
Ci-dessous : les paysagistes et les élus ont désiré conserver en ville une trace de l'activité ferroviaire de cette étoile de Paulhan désormais entièrement disparue. Voici l'aiguillage, noyé dans le "stabilisé" piétonnier, de la jonction vers Montpellier et vers Lodève. La tangente était plutôt favorable. (Doc. RDS)
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La ligne Vias-Paulhan-Lodève (58,15 km), a progressivement perdu son trafic voyageurs. Le 15 mai 1939 fut suspendu le service voyageurs de Béziers à Lodève par Vias et Paulhan. Le service voyageurs fut rétabli de Vias à Paulhan en juin 1942, de Rabieux à Lodève pour les trains départementaux en mai 1943, de Paulhan à Rabieux en septembre 1944. Puis il re-disparut de Paulhan à Rabieux le 3 octobre 1948, la section nord conservant toutefois quelques circulations voyageurs des trains du réseau départemental de Rabieux à Lodève jusqu’en 1949. La section Vias-Paulhan perdit son service voyageurs le 27 juin 1957.
Son trafic marchandises s’éteignit progressivement, avec quelques sursauts : le 31 mai 1981 de Cartels à Lodève (5 km) ; en septembre 1991 de Lézignan-la-Cèbe à Cartels (29,35 km) avec la cessation du trafic de minerai de la Cogema ; en mai 2008 de Vias à Lézignan-la-Cèbe. Après brève et vaine restauration en août 2010, la courte section Vias-Florensac (carrière des Roches-Bleues), soit environ 8,5 km, été refermée au service fret en septembre 2010.
La gare de Paulhan perd ses premiers trains (de voyageurs) en 1948, ses derniers (de fret) en 1991
Au total, la gare du nœud ferroviaire de Paulhan a connu un service complet de ses quatre lignes (vers Montpellier, Faugères, Lodève et Vias) jusqu’en 1939, année de la suppression du service voyageurs de Vias à Lodève, avant rétablissement depuis Vias en 1942 et vers Rabieux en 1944. Après ces soubresaut, c’est en 1948 que s’éteint définitivement le service voyageurs vers Lodève.
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Fin d'après-midi de semaine sur la route départementale remontant de Poussan vers Villeveyrac et le Coeur d'Hérault, avec autocar LiO des services routiers régionaux englué dans les embouteillages. Depuis quelques décennies, la réponse à l'explosion démographique et à la périurbanisation a consisté à élargir les routes tout en achevant la liquidation des axes ferroviaires vers l'intérieur. (Doc. RDS)
Puis en 1957, la gare de Paulhan perd son service voyageurs vers Vias. Treize années plus tard, en 1970 elle perd son service voyageurs vers Montpellier à l’est, Faugères, Bédarieux et Toulouse à l’ouest et ne demeure plus qu’une gare fret secondaire.
En effet, le fret commence à disparaître en 1970 avec interruption du fret jusqu’à Montpellier par Villeveyrac (demeure la section Villeveyrac-Montpellier et Gigean), ne subsistant plus qu’une possibilité de fret jusqu’à la commune voisine de Campagnan. En 1972 elle perd son fret vers Faugères et Bédarieux, puis en 1978 vers Campagnan. Sur la ligne de Lodève elle perd son fret en 1991, dernier trafic qui l’a touchée.
La gare de l’étoile de Paulhan illustre le désinvestissement ferroviaire massif de l’Etat français dans le maillage territorial. Et, dans ce cas précis, sur un territoire qui a connu depuis un demi-siècle une véritable explosion démographique. Le plus surprenant est que le futur SERM de Montpellier semble ignorer les potentialités résiduelles de ce riche réseau sacrifié.
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(1) Sur Montpellier-Sommières, on pourra se reporter à nos précédents articles parus en 2022, par les liens suivants :
https://raildusud.canalblog.com/archives/2022/03/04/39339176.html
https://raildusud.canalblog.com/archives/2022/03/08/39339471.html