Brillant succès du RER de Genève "Léman Express" : renforts la nuit et le week-end et demandes d'extension à l'ouest
Tandis qu’en France les décideurs palabrent sur de futurs « RER » métropolitains, renommés Services express métropolitains et sensés relier aux grandes villes leurs grandes périphéries, avec l'insistance troublante du nouveau ministre des Transports François Derouvray sur la potion magique que constituerait la solution routière des « cars express », le seul RER métropolitain hors Paris concernant la France se développe à grandes enjambées autour de Genève. Une augmentation d’amplitude horaire de deux lignes est annoncée. Les habitants de la « France voisine » demandent l’extension de ce RER vers l’ouest par la voix de l’association Alprail.
Cinq lignes propres au RER Léman Express, plus une ligne Régionale suisse et des TER côté français
Le RER franco-valdo-genevois est dénommé Léman Express. On est loin des autocars express de M. Derouvray, dont la pertinence (déjà exploitée) se heurte aux inévitables embouteillages matutinaux et vespéraux sauf gros travaux d’infrastructure. Ces liaisons ferroviaires du Léman Express, que complètent le réseau de tramway genevois progressivement étendu vers la France et des bus à haut niveau de service, sont au nombre de cinq, dénommées « RER ». Quatre sont amorcées sur la rive nord du lac à Coppet (GE), traversent Genève par une nouvelle semi-rocade ferroviaire après avoir desservi la gare centrale. Elles desservent cinq stations urbaines intermédiaires avant d’aboutir à Annemasse (74) où l’une d’entre elles fait terminus. Les trois autres poursuivent en éventail alternativement vers Evian, Saint-Gervais et Annecy.
Une cinquième relation ferroviaire du système relie Genève à Bellegarde (01) par la gare frontière de La Plaine (GE). Enfin, une ligne régionale express (RE dans la nomenclature CFF), relie Romont ou Vevey à Annemasse via la gare centrale de Genève et la semi-rocade sus-mentionnée. Cet ensemble est complété côté français par trois lignes de TER Auvergne-Rhône-Alpes : Genève-Bellegarde-Lyon/Grenoble (voire Valence) ; Bellegarde-Evian/Saint-Gervais par Saint-Julien-en-Genevois et Annemasse ; Annecy-Saint-Gervais.
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Carte schématique des dessertes voyageurs du grand bassin genevois : lignes du RER Léman Express exploitées par la coentreprise Lemanis, lignes TER SNCF Voyageurs et ligne régionale express CFF.
Les autorités genevoises et rhônalpines n’ont pas cru nécessaire d’intégrer à ce RER Léman Express, comme le projette le système SERM en gestation en France, de stations de covoiturage, de lignes de bus peu ou prou « express » ou de pistes cyclables. Elles laissent logiquement cela aux collectivités de rang inférieur, canton, intercommunalités, municipalités appelées à les articuler avec l’ossature ferroviaire.
Le bilan de ce système ferroviaire desservant 45 gares sur 230 km de voies, cinq ans après sa mise en service totale (15 décembre 2019) est décoiffant. En février 2024, le système Léman Express atteignait une fréquentation de 80.000 voyageurs par jour ouvrable, soit une hausse de 50 % en quatre ans.
La capacité des trains se révèle insuffisante à certaines heures et les rames à deux niveaux ne seront mises en service qu’en 2030. Au point que l’autorité organisatrice va imposer l’arrêt des rames du service RE à toutes les stations intra-genevoises, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Certains quais sont trop courts pour permettre un doublement des rames. Les voies uniques côté français au-delà d’Annemasse vers Evian (partagée avec des TER et du fret d’eaux minérales) et La Roche-sur-Foron (partagée par les lignes RER d’Annecy et Saint-Gervais, des TER et du fret) se révèlent de capacité insuffisante.
611.000 habitants sur la seule zone agglomérée, un haut PIB/habitants à Genève
Si la ville de Genève, l’une des 45 communes de la république et canton éponyme, compte 204.000 habitants, le canton compte 515.000 habitants et la zone agglomérée, qui inclut des communes françaises, affiche 611.000 habitants. Soit une population comparable à celle de plusieurs métropoles françaises non pourvues de RER.
En périphérie, la communauté d’agglomération d’Annemasse Les Voirons compte 94.000 habitants, celle du Pays d’Evian-Vallée d’Abondance 43.000 habitants, celle du Pays Rochois (La Roche-sur-Foron) 30.000 habitants. Côté nord, non desservie par le RER, la communauté d’agglomération Pays de Gex Agglo compte 102.000 habitants et, à l’ouest, la communauté de communes Terre Valserhône (Bellegarde, étrangement renommé Valserhône), desservie par la 5e ligne du RER, affiche 22.000 habitants.
Pour mieux comprendre les enjeux humains et économiques, on soulignera que le PIB annuel par habitant de la république et canton de Genève s’élève en 2024 à 110.710 francs suisses (118.988 €), soit légèrement supérieur au PIB par habitant des Hauts-de-Seine (117.902 €) qui est le plus élevé en France, et trois fois plus que le PIB par habitant de la Haute-Savoie voisine (31.828 €). Autant dire que le Léman Express joue un rôle d’intégration économique et social – voire politique – majeur tout en bénéficiant des ressources financières d’un très puissant pôle économique.
La L4 vers Annemasse fonctionnera 24 h/24 à partir de décembre de Coppet à Chêne-Bourg
Il en résulte une offre à faire pâlir d’envie les usagers des lignes de RER franciliennes. A partir de décembre, la section centrale du Léman Express entièrement sur territoire genevois va proposer « le premier service 24 h/24 et 7 jours/7 de Suisse ».
La ligne L4 Coppet-Annemasse offrira un train par heure entre Coppet et Chêne-Bourg (dernière station avant Annemasse) de 1 h 34, fin du service jusqu’à Annemasse, à 4 h 26, début du service. Sur cette même section, essentiellement urbaine, l’offre sera aussi renforcée le dimanche soir avec l’ajout de sept trains pour assurer une cadence toutes les 15 minutes entre 22 h 19 et 00 h 41. Les trains qui circulent déjà le dimanche soir continueront de desservir Annemasse toutes les 30 minutes sans modification. Par ailleurs, la L4 verra sa capacité renforcée par doublement des rames sur six services le samedi en journée.
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Rame Léman Express saisie à Annecy, en partance pour Coppet via Genève. L'augmentation de l'offre sur le réseau Léman Express concernera essentiellement sa partie située sur le territoire de la république et canton de Genève. ©RDS
Même concept de maintien d’un service 24 h/24 en territoire genevois sur la L5 Genève-Bellegarde, où un train par heure circulera du lundi au vendredi de 1 h 04 à 4 h 51 entre Genève et La Plaine dans les deux sens. Suprême sophistication au pays de l’horlogerie – mais évidence logique - : en gare centrale de Genève une correspondance nocturne sera assurée entre la L4 et la L5. Sur cette même L5, la capacité sera renforcée depuis Bellegarde le matin sur quatre trains, avec doublement des rames.
Sur la ligne L2, qui relie Annecy à Coppet via La Roche-sur-Foron, Annemasse et Genève, l’offre sera renforcée le samedi afin de faciliter les déplacements de sorties, de magasinage et de loisirs. Aux heures de forte affluence, la cadence sera renforcée avec l’ajout de cinq trains, dont un dernier départ plus tardif depuis Annecy, à 21 h 37.
On pense au passage aux politiques des régions de France, qui réduisent presque systématiquement les services ferroviaires TER le samedi et dimanche. Sur la périphérie de Saint-Etienne, par exemple, la section Montbrison-Boën est reportée sur route le samedi et dimanche, avec fort allongement des temps de parcours et baisse des fréquences, dissuadant d’emprunter le transport public pour « aller en ville » faire ses achats ou revenir le dimanche soir étudier à l’université. Sur la ligne TER Lyon-Grenoble, pourtant l’une des plus chargées de la région Auvergne-Rhône-Alpes, le dernier service de fin de soirée par train est programmé à 22 h 16, suivi par une mission par autocar à 23 h 20 avec un temps de parcours de… 2 h 36 mn contre 1 h 24 mn par train.
Répondre à d’autres marchés que le seul domicile-travail
Le service Léman Express montre que ses exploitants ont pour souci de répondre aux marchés hors domicile-travail (loisirs, magasinage, spectacles, familles…), tant par l’amplitude horaire que par les services de fin de semaine, largement sous-évalués par les autorités régionales et SNCF Voyageurs en France… hors bassin genevois.
Outre les services Léman Express, la ligne TER (sous autorité française exclusivement régionale) va être renforcée de trois nouveaux trains – dont un en semaine seulement – entre Annemasse et Bellegarde par Saint-Julien-en-Genevois. Cette ligne est déjà desservie par 14 TER par sens en semaine, complétés par quelques autocars.
Cette belle progression de l’offre rend plus ardente la revendication des populations de l’Ain, non desservies, d’obtenir un retour des trains sur des lignes fermées aux TER. L’association Alprail demande ainsi la réactivation, au départ de Bellegarde, des dessertes voyageurs régionales vers Nurieux et Bourg-en-Bresse. Feu Sigurd Maxwell, visionnaire et ardent promoteur, dès le début des années 1990, d’une liaison entre la gare centrale de Genève (Cornavin) et Annemasse, section clé de ce qui est devenu le Léman Express, avait fondé l’association Alprail en 1993.
Alprail veut introduire de Léman Express sur la ligne du Haut-Bugey, rénovée… pour les seuls TGV
Alprail, après avoir été un élément moteur de la liaison Cornavin-Annemasse, poursuit aujourd’hui son travail en faveur de l’étoile de Bellegarde, mais aussi de la réactivation de la jonction Evian-Saint-Gingolph. L’extension du Léman Express dans le Haut-Bugey est l’un de ses chevaux de bataille. Il l’est d’autant plus que la ligne à voix unique reliant Bellegarde à Nurieux et au-delà à Bourg-en-Bresse (64,7 km), voit passer des TGV depuis sa réactivation en décembre 2010. Cette section de 29,5 km de la ligne du Haut-Bugey Bourg-Bellegarde avait été fermée à tout trafic voyageurs en 1990 après avoir été exploitée et entretenue a minima afin de justifier sa fermeture.
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Splendide viaduc de Cize-Bolozon, entre Bourg et Nurieux, section qui avant la rénovation et électrification avait conservé son service TER voyageurs, rétabli depuis. En revanche, la section Nurieux-Bellegarde, neutralisée en 1990, n'est parcourue depuis sa rénovation que par des TGV. (Doc. Kabelleger/David Gubler - http://www.bahnbilder.ch/picture/8017
Sa réactivation a exigé d’importants travaux depuis des rénovations d’ouvrages et la suppression de passages à niveau jusqu’à son électrification en 25 kV alternatif tant sur la section Bourg – Nurieux - Brion-Montréal-La Cluse, jamais neutralisée jusqu’alors, que Brion-Bellegarde. A de plus été créé à Bellegarde un raccordement direct en déclivité côté et vers Genève, avec construction d’un nouveau bâtiment voyageurs circulaire indépendant de la gare originelle et création d’un quai unique sur le raccordement. Historiquement, la ligne du Haut-Bugey desservait un quai et un petit bâtiment au-dessus de la gare historique (atteint par une passerelle) et était reliée par une longue déclivité à la ligne Lyon-Genève côté et vers Lyon.
La section de Bourg à Nurieux et Brion, parcourue par les TER Lyon-Oyonnax (jusqu’à Saint-Claude avant neutralisation) a été elle aussi modernisée et ses ouvrages rénovés – parmi lesquels le splendide viaduc à double arcature de Cize-Bolozon, long de 273 m et haut de 73 m, reconstruit en 1944 après destruction de guerre. Elle a bien sûr aussi été électrifiée et plusieurs passages à niveau remplacés par des dénivelés.
Cette réactivation a permis de réduire l’itinéraire entre Genève et Paris de 47 km par rapport à l’itinéraire via Culoz et Ambérieu. Si ses courbes de faible rayon ne permettent pas des vitesses remarquables, le temps de parcours Genève-Paris a pu être abaissé à 3 h 13 mn, valeur en cette fin 2024.
317,5 millions d’euros, payés au tiers par la Confédération helvétique
Hors construction du pôle d’échanges de Bellegarde, cette réactivation-rénovation a coûté 317,5 millions d’euros valeur 2010. La confédération helvétique en a financé le tiers, soit 110 M€, alors que cette ligne est entièrement située en territoire français. Si l’on peut comprendre qu’en conséquence cette section soit prioritairement consacrée au flux TGV Genève-Paris, on peut aussi comprendre l’émoi des populations régionales devant l’absence totale d’offre TER sur la section réouverte au trafic, Nurieux-Bellegarde.
Pourtant, deux croisements ont été rétablis entre Nurieux et Bellegarde : à Charix-Lalleyriat et Châtillon-en-Michaille. Ces deux croisements déterminent depuis Nurieux trois segments à voie unique de longueurs inégales : 13,75 km, 10,14 km et 5,51 km. Il est à noter que le quai de la nouvelle gare de Bellegarde donne sur une voie unique sans possibilité de croisement.
Dernier train Bellegarde-Bourg entrant en 1990 en gare de Saint-Germain de Joux, sur la section ensuite neutralisée Bellegarde-Nurieux. Depuis, la ligne est métamorphosée mais exclusivement parcourue par des TGV, laissant aux populations locales de lents services d'autocars tandis qu'elles voient passer des rames pour Paris ou Genève. (Doc. : https://www.cheminots.net/topic/15279-dernier-train-ligne-du-haut-bugey-1990/)
Ces possibilités de croisement s’ajoutent aux quatre maintenus et rénovés de Bourg à Nurieux : Ceyzeriat, Villereversure, Cize-Bolozon et Nurieux (avant l’embranchement vers Oyonnax). Cette situation – sept croisements possibles sur les 64,7 km séparant Bourg de Bellegarde – permettrait d’envisager un rétablissement de dessertes TER ou Léman Express de Genève à Bourg-en-Bresse. Les deux villes sont distantes de 98 km par fer, soit à peine plus que la distance ferroviaire entre Genève et Saint-Gervais (81,2 km), gares reliées par les rames de la ligne L3.
Alprail demande aussi, avec nombre d’élus, l’extension de la L5 Genève-Bellegarde jusqu’à Culoz, soit une prolongation de 33 km doublant la longueur de la L5 depuis Genève de 33 km à 66 km. La ligne du Haut-Bugey comme la ligne Genève-Culoz complèteraient la desserte pérphérique ce cette région genevoise à haut potentiel.
Pour le Pays de Gex, tourné vers Genève, priorité au tramway et au BHNS
Notons aussi que la ligne neutralisée (Bellegarde) Fort-l’Ecluse-Collonges – Divonne (et jadis Nyon) présente un intérêt moindre de et vers la France que de et vers la Suisse, le pays de Gex étant de plus en plus démographiquement absorbé par le grand Genève. Une prolongation de la ligne Nations-Grand-Saconnex jusqu’à Ferney-Voltaire, en Pays de Gex, devrait être mise en service en 2027. Dite « tram des nations », la ligne comprendra trois stations en territoire français. Elle sera complétée par un bus à haut niveau de service de Gex à Ferney et à la gare centrale de Genève.
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A Fort-l'Ecluse-Collonges, vue de la jonction de la ligne de Divonne-les-Bains, alors encore parcourue par des trains de fret transportant des déchets, qui ont fonctionné jusqu'en 2014. Ses derniers trains de voyageurs avaient été supprimés en 1980. (Doc. : https://en-academic.com/pictures/enwiki/67/Collonges_junction_Divonne_line.jpg)
Pour autant, une réactivation de la ligne de Divonne, soutenue par une association, permettrait à la fois de capter ou susciter un trafic de et vers Rhône-Alpes et, si prolongée jusqu’à Nyon, de rétablir un itinéraire jusqu’au canton de Vaud, possiblement utilisé comme voie de contournement de Genève. Notons que la ligne a été partiellement transformée en voie verte sur les communes de Gex et de Divonne et que la destruction d'un pont au-delà de Gex a rompu la continuité de la plate-forme vers Nyon.
Reste que l’extension du Léman Express vers l’ouest paraît être une priorité pour l’association Alprail. La création d’un vrai service régional sur la ligne du Haut-Bugey « ajouterait au nombre des travailleurs navetteurs celui des touristes qui se rendent au lac de Nantua, des Suisses en soif de découverte du viaduc de Cize-Bolozon ou du riche patrimoine de la ville de Bourg » tout en constituant « un atout majeur pour l’économie locale », note l’association. Soulignons que la communauté d’agglomération du Haut-Bugey totalise 42 communes parmi lesquelles Oyonnax (22.300 habitants) et Nantua (3.500 habitants). Elle affiche au total 63.500 habitants.