Béziers-Neussargues : « La Ligne des Causses et de l’Aubrac », un ouvrage qui fera date
Longue de 277 km, traversant quatre département dans deux régions, Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes, la ligne Béziers-Neussargues est le sujet d’un remarquable ouvrage paru ce mois-ci : « La Ligne des Causses et de l’Aubrac ». Ce livre, rédigé par plusieurs spécialistes du rail et de la région sous la direction de Guy Charmantier, est publié par les éditions La Vie du Rail. L’ouvrage de 200 pages et quelque 220 photographies, propose une remarquable carte sur deux pages, situant la ligne et ses sections affluentes sur fond topographique en quadrichromie, introduisant à une série de textes de qualité. Sa lecture permet de mesurer les effets d’un siècle « d’aménagement » du territoire, qui se résume en fait en un vaste déménagement : la ligne irrigue des régions du sud du Massif central en grands souffrance économique. La dégradation de ses dessertes n’a fait qu’aggraver le cercle pernicieux dont elles sont victimes. (1)
Cinq grands chapitres et 220 photographies pour 277 km de ligne
Cinq grands chapitres structurent l’ouvrage. Un historique technique, depuis les tout débuts de la section minière entre le bassin houiller de l’Orb et Béziers puis la longue remontée vers le nord, la définition de l’infrastructure, l’électrification dès les années 1930 grâce à l’audace technique de la Compagnie du Midi, qui en était concessionnaire, sans oublier les ouvrages d’art remarquables, en particulier le célèbre viaduc de Garabit.
Suit un panorama sur les lignes affluentes, toutes disparues sauf la translozérienne et les lignes en correspondance à aux extrémités, illustration confondante de la dévastation du maillage ferroviaire de la France. Un chapitre complet détaille le matériel roulant ayant circulé, un autre sur l’évolution - ou plutôt l’involution – des dessertes.
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En couverture de l'ouvrage, vue plongeante sur le célébrissime viaduc de Garabit, traversant la Truyère et son lac de barrage..
Ce dernier souligne combien cette ligne nord-sud, reliant l’Auvergne au Languedoc, a progressivement perdu ses trains grandes lignes, diurnes ou nocturnes, qui permettaient de connecter les départements desservis aux grandes villes septentrionales – Clermont-Ferrand, Nevers, Paris et au-delà (jadis via Clermont-Ferrand ou via Montluçon) – et aux grandes villes méridionales – Béziers, Narbonne, Perpignan, Barcelone, Montpellier, Marseille... La trame a mêlé trains grandes lignes et trains de desserte locale, avec leurs correspondances intermédiaires multiples vers Montpellier (à Faugères), Toulouse (à Bédarieux), Plaisance-Andarbe (à La Tour-sur-Orb), Le Vigan, Alès, Nîmes, et Saint-Affrique (à Tournemire-Roquefort), Rodez (à Séverac-le-Château), Brioude (à Saint-Flour). Seule l’antenne vers Mende et La Bastide est demeurée en service… à fréquence uni-quotidienne par train de Marvejols à Mende.
Un autre chapitre, très fouillé, expose la situation contemporaine de la ligne. Bien que cet axe ait une fonction typique de « désenclavement », elle aura été menacée de liquidation tout au long de ces dernières décennies. Demeure principalement le service voyageurs. Le fret a été liquidé à l’exception de la desserte, par le nord, de l’usine ArcelorMittal de Saint-Chély d’Apcher. Il est de plus interdit (!) au sud de Marvejols.
Plus qu’un seul train de voyageurs chaque jour au nord de Saint-Chély-d’Apcher
Le service voyageurs actuel présente la particularité de s’étioler du sud vers le nord : cinq trains par sens de Béziers à Bédarieux, trois de Bédarieux à Millau, deux de Millau à Saint-Chély-d’Apcher, un seul de Saint-Chély-d’Apcher à Neussargues. Ce dernier est au statut Intercités, donc sous l’autorité de l’Etat, annoncé de Béziers à Clermont-Ferrand mais avec (discret) changement obligatoire à Neussargues pour cause d’absence de matériel bimode sur l’axe. La gare de Saint-Flour, sous-préfecture du Cantal et jadis nœud ferroviaire avec la ligne fermée vers Beaumont-Loriat et Brioude, n’est plus desservie que par un train de voyageurs par jour et par sens.
L’ouvrage étend son propos en montrant combien la ligne Béziers-Neussargues illustre la gestion dévastatrice du réseau originel, hérité des compagnies concessionnaires et de l’Etat concédant (et partiellement financeur), à partir de la fin des années 1930. Le chapitre intitulé « Contraction et recentralisation du réseau ferroviaire français ou la dépossession des territoires » est à ce titre édifiant. Il montre que la gestion jacobine du réseau, par un Etat de plus en plus déconnecté des réalités territoriales, débouche sur une marginalisation accélérée des populations les plus éloignées des métropoles, et principalement de la métropole parisienne, tête devenue hydrocéphale d’un pays déséquilibré.
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Gare de Magalas, seule station desservie par train TER entre Béziers et Bédarieux, section méridionale parcourue par cinq allers-retours quotidiens. Les autres gares de cet important bassin viti-vinicole (Faugères, Espondeilhan...) ne sont desservies que par autocars. ©RDS
Dans un dernier chapitre, la parole est donnée à plusieurs association ou responsables politiques, en particulier ceux de l’Amiga (association de défense du viaduc de Garabit et de la ligne) et de la Fnaut. Un intéressant comparatif est établi avec deux lignes aux caractéristiques techniques et territoriales assez semblables, au nord de la Grande-Bretagne (Settle-Carlisle) et à l’ouest de la Suède (l’Inlandsbanan), bien plus dynamiques. Il permet de concevoir des perspectives pour cette ligne du Massif central si les responsables politiques, financiers et techniques français daignaient aller étudier ces deux cas. D’autant qu’un autre chapitre aborde les notables ressources touristiques de Béziers-Neussargues. A titre d’exemple, Raildusud a depuis longtemps déploré l’absence de valorisation de la proximité de la gare de Tournemire-Roquefort et des caves du fromage mondialement célèbre, distantes de quelque 2,6 km seulement.
Le 9 novembre, le train fêtant la réouverture après travaux a fait le plein
Outre la fréquence « en quenouille » s’étiolant vers le nord soulignée plus haut, la ligne Béziers-Neussargues est victime de la manie française de travaux ponctuels égrenés à grands coûts année après année moyennant, chaque fois, interruption du trafic ferroviaire. Le 9 novembre dernier, un train de soutien à la ligne a célébré une énième réouverture après travaux au nord de Saint-Chély-d’Apcher. De longues sections de rails à double champignon avaient été remplacées par des rails Vignole, travaux financés par l’Etat à hauteur de 42 millions d’euros, destinés à pérenniser le trafic fret de coils entre Fos et Saint-Chély-d’Apcher via… Clermont-Ferrand malgré le considérable détour via Lyon et Saint-Etienne (pour éviter la rampe des Sauvages).
La rame ZGC de 220 places était bondée de bout en bout, signe de la mobilisation autour de ce service public emblématique des provinces traversées. A cette occasion, l’ouvrage dédié à la ligne, à peine sorti des presses de La Vie du Rail, fut abondamment diffusé.
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Neige de novembre en gare d'Aumont-Aubrac. Le chemin de fer constitue un lien capital pour les régions géographiquement éloignée des grands centres urbains. ©RDS
Cette nouvelle mobilisation a permis aux participants, parmi lesquels plusieurs élus dont le vice-président du conseil régional d’Occitanie Jean-Luc Gibelin, d’être interpellés sur le dysfonctionnement récurrent du service voyageurs de la ligne. Entre l’unique train qui circule de bout en bout, au statut Intercités, et les services partiels au statut TER Occitanie (LiO), le taux de suppressions au nord de Millau est vertigineux, selon les calculs d’observateurs avertis interrogés par Raildusud. Du 1er janvier au 9 novembre 2024, le taux de trains annulés - hors grèves ou neutralisation pour travaux - a atteint 19,7 %. Plus précisément, ce taux a grimpé à 30 %, du 29 juin au 29 août 2024, en pleine période touristique !
Encore 60 km de rail à double champignon entre Campagnac et Saint-Chély-d’Apcher
Les saisons sans trains pour cause de travaux ne devraient pas cesser… si tout du moins les finances publiques permettent encore de rénover la dernière section à problème. Il ne s’agit pas d’un détail puisque 60 km de la voie unique sont encore équipés d’antiques rails à double champignon, entre Campagnac et Saint-Chély-d’Apcher, au sud de cette dernière gare. Cette section est d’autant plus fragile qu’elle n’est pas circulée par le train de fret desservant Saint-Chély-d’Apcher depuis le nord.
La tactique désormais éprouvée appliquée par SNCF Réseau et l’Etat propriétaire qui consiste à tronçonner les lignes en neutralisant les sections les moins fréquentées (souvent parce que les moins fréquentables en raison d’une offre insuffisante et de vitesses dégradées) pour ne garder que des moignons d’extrémités, constitue une véritable menace. Destinée à faire passer « en douce » une nouvelle contraction du réseau, ce tronçonnage reporte non seulement sur route l’offre de bout en bout moyennant une complexification des horaires et une perte de clientèle, mais elle prive les trains d’extrémités de ce trafic longue distance et d’une partie notable du trafic de cabotage.
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Bâtiment principal de la gare de Tournemire-Roquefort. Jadis centre d'une étoile ferroviaire avec les lignes affluentes vers Le Vigan et vers Saint-Affrique, source de trafic fret avec les expéditions de fromages en wagons réfrigérés, cette station n'est plus que l'ombre d'elle-même. Elle pourrait toutefois retrouver des couleurs si les itinéraires vers les caves de Roquefort, à moins de 3 km, étaient valorisés par les municipalités concernées. ©RDS
Cette tactique du « saucissonnage » a été récemment appliquée avec méthode : sur la ligne du haut Jura entre Saint-Claude et Oyonnax ; sur la ligne Saint-Etienne - Clermont-Ferrand entre Boën et Thiers ; elle a failli l’être sur la ligne des Cévennes Nîmes - Clermont-Ferrand entre Langogne et Saint-Georges-d’Aurac, section sauvée in extremis voici quatre ans grâce à un financement mixte obtenu de haute lutte.
On notera que les probables restrictions budgétaires ont conduit la présidente du conseil régional d’Occitanie Carole Delga à menacer de retarder (abandonner ?) le projet de réouverture de la ligne affluente Séverac-le-Château-Rodez (et par ailleurs de la section Limoux-Quillan, dans l’Aude).
L’ouvrage « La Ligne des Causses et de l’Aubrac » apporte une puissante contribution à la pérennisation de cet axe ferroviaire tant par sa complétude technique, historique et iconographique que par son engagement en faveur des provinces desservies.
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(1) « La Ligne des Causses et de l’Aubrac », par Mireille Charmantier, Stéphane Etaix, Christophe Keseljevic, Michel Léon, Patricia Vergnes-Rochès, sous la direction et par Guy Charmantier ; éditions La Vie du Rail, 200 pages, 62 €.
Disponible par commande à distance via :
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