Saint-Etienne - Lyon interrompue à trois reprise en octobre sans alternative... les drames climatiques ne datent pas d'hier
Les interruptions de circulation ferroviaire dans le Sud-Est ont été nombreuses cet automne et ont donné lieu à de nombreuses alarmes sur le « dérèglement climatique », bien que ce genre de perturbations remonte aux origines du chemin de fer… et de tous les réseaux de transport terrestre. En témoigne la catastrophe météorologique qui emporta une partie notable de la ligne d’Elne à Arles-sur-Tech (Pyrénées-Orientales), entre les 16 et 20 octobre 1940, épisode qui causa la mort de 50 personnes en France, plus de 300 en Catalogne espagnole.
Saint-Etienne – Lyon interrompue à trois reprises
En ce mois d’octobre 2024, la ligne Saint-Etienne – Lyon a été interrompue à trois reprises : en raison de l’affouillement à la base d’un talus à la sortie sud de la gare de Saint-Chamond, le 8 octobre, entraînant une interruption totale de trafic d’une journée ; le 10 octobre après reprise partielle du trafic, par la panne d’une rame sur la voie unique rétablie la veille ; puis le 17 octobre en plusieurs endroits de l’axe Lyon-Saint-Etienne, entraînant une interruption de trafic de plusieurs jours avec rétablissement progressif. Aucune substitution par autocar n’a été réalisée dans le premier cas, une substitution routière tardive dans le second.
Après d'intenses travaux et une forte mobilisation des équipes de SNCF Réseau, le trafic aura pu être rétabli le 4 novembre, a annoncé Béatrice Leloup, directrice territoriale de SNCF Réseau. Mais la reprise se fera pour partie sur voie unique, impliquant un allongement du temps de parcours d'environ une demi-heure (sur un horaire optimal de 55 mn) et une fréquence allégée, en attendant que les travaux de confortement soient achevés.
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Rame de matériaux radioactifs bloquée en gare de Saint-Etienne Châteaucreux le 10 octobre, lors de la deuxième interruption de la ligne de Lyon. On distingue le wagon d'une rame de matériaux métallurgiques, en arrière-plan, elle aussi en attente. ©RDS
Les itinéraires alternatifs à la relation TER Saint-Etienne – Lyon étaient limités : soit par les TER Saint-Etienne-Roanne et Roanne-Lyon, avec un temps de parcours de 2 h 30 mn à 3 h 30 mn et un prix doublé ; soit, pour un total de 3,80 €, par les lignes régulières d’autocars C1 (Stas/Région) Saint-Etienne La Terrasse – Chazelles-sur-Lyon – Saint-Symphorien-sur-Coise (18 allers-retours par jour) et correspondance avec la ligne 2Ex (Cars-du-Rhône/Sytral) Chazelles-sur-Lyon-Saint-Symphorien-sur-Coise-Lyon (27 allers-retours par jour). En comptant l’approche par tramway Châteaucreux-La Terrasse, ce parcours de quelque 80 km exige environ 3 heures, diminué d’environ 20 mn si l’on utilise (à prix total plus élevé) à certaines heures de la journée, un train TER Saint-Etienne – Roanne jusqu’à Veauche-Saint-Galmier pour correspondance avec la ligne C1 vers Saint-Symphorien-sur-Coise. Bref, un parcours du combattant.
Travaux de remblaiement et consolidation par gabions sur un affaissement de remblai entre Givors Ville et Saint-Etienne Châteaucreux. Les équipes de SNCF Réseau ont dû intervenir sur de multiples sinistres, survenus à deux dates différentes. (Doc. SNCFR, direction territoriale Auvergne-Rhône-Alpes)
Soulignons que de témoignages rapportés par France3 ont rapporté que les Blablabus reliant Saint-Etienne à Lyon ont vu, durant l’interception de circulation, le prix de leurs billets (uniquement via Internet), bondir de 5 € à 50 €. Miracle du service dérégulé à l’extrême.
Plus aucun itinéraire ferroviaire de substitution crédible
Il est désastreux qu’entre Lyon et Saint-Etienne aucun itinéraire ferroviaire de substitution crédible ne soit plus disponible. Si l’itinéraire entre les deux villes, fortement perturbé en octobre, n’affiche que 55 km – première ligne TER de France par sa fréquentation avec un doublet de lignes entre Givors et Lyon (Perrache ou Part-Dieu) -, l’itinéraire ferroviaire par Roanne affiche 177 km. La différence (3,3 fois) est évidemment dissuasive. Quant à l’itinéraire autocar via les monts du Lyonnais, avec ses quelque 80 km, c’est son temps de parcours qui est dissuasif.
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Profil de la section Saint-Etienne-Givors de la ligne Moret-Veneux-les Sablons - Lyon Perrache dite ligne du Bourbonnais. (Doc. Carnets de profils SNCF 1960)
L’itinéraire ferroviaire de substitution exista toutefois, via Montrond-les-Bains et Viricelles-Chazelles. Il permettait un usage de la ligne Saint-Etienne – Roanne jusqu’à Montrond-les-Bains, puis une correspondance avec la ligne Lyon Saint-Paul-Montbrison, soit un parcours total de 92 km. Mais la ligne Lyon Saint-Paul – Montbrison, mise en service en 1876, a été fermée au trafic voyageurs dix mois seulement après la création de la SNCF, en novembre 1938.
Cette ligne perdit progressivement son service fret de 1940 à 1972. Le 3 avril 1972 partit le dernier train fret de Viricelles-Chazelles à Montrond-les-Bains. Seules subsistent aujourd’hui les sections Lyon Saint-Paul – Sain-Bel par L’Arbresle, intégrée au petit réseau du Train-tram de l’Ouest lyonnais, et la courte section entre Bellegarde (carrières de la Loire Delage) et Montrond-les-Bains, devenue installation terminale embranchée, longue de quelque 6 km et reconstruite en partie pour éviter un tunnel détruit de Ruffy, au km 58,5.
Un itinéraire par l’ex-ligne Lyon-Montrond-Montbrison afficherait un temps de parcours de 1 h 45 mn
Une ligne Lyon Saint-Paul – Montbrison maintenue, avec jonction permettant de tracer des trains directs Saint-Etienne – Lyon, jonction au demeurant créée pour les trains des carrières de la Loire-Delage afin qu’ils puissent rejoindre Saint-Etienne, aurait permis de créer un itinéraire de secours permettant d’afficher un temps de parcours d’environ 1 h 45 mn : 25 mn de Saint-Etienne à Montrond-les-Bains, 45 mn de Montrond-les-Bains à Sain-Bel, 35 mn de Saint-Bel à Lyon Saint-Paul en circulation semi-directe (42 mn en circulation omnibus à ce jour). Cet axe, outre sa fonction alternative, aurait permis une diminution importante de l’itinéraire ferroviaire entre Lyon et Clermont-Ferrand.
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Bâtiment principal de la gare de Viricelles-Chazelles-sur-Lyon, la plus élevée (altitude 524 m) de la ligne Lyon Saint-Paul - Montbrison. Presque parallèle à la ligne de la vallée du Giers à une trentaine de kilomètres au nord cette ligne, dite aussi de la Brévenne, offrait une alternative pour la liaison entre le sud et le centre du département de la Loire et l'agglomération lyonnaise. ©RDS
Rappelons que les deux métropoles de Lyon et Saint-Etienne comptent respectivement 1,430 million d’habitants et 407. 000 habitants et qu’elles forment, côte à côte, une quasi-continuité urbaine. Le tracé de la ligne unique qui relie Givors Canal à Saint-Etienne, serpentant le long du Giers en déclivité maximale de 16 ‰ à l’approche de Saint-Etienne Châteaucreux, mais surtout en déclivité permanente de 14 ‰ sur une vingtaine de kilomètres au sud de Rive-de-Giers. Elle totalise neuf tunnels sur 35 km de Givors Ville à Saint-Etienne Châteaucreux.
Le dénivelé entre Givors Ville (altitude 159 m) et Saint-Etienne Châteaucreux (altitude 508 m) est de 349 mètres pour une distance de 35,65 km soit un gain moyen de 9,789 m/km.
La section Saint-Etienne – Lyon, partie de la radiale de Paris à Lyon par le Bourbonnais, a été mise en service en octobre 1832. C’est l’une des lignes les plus anciennes de France après la plus ancienne, celle de Saint-Etienne à Andrézieux (juin 1827). Son itinéraire le long de la vallée du Giers est difficile et la stabilité de ses ouvrages devrait être la priorité des pouvoirs publics.
Le souvenir tragique de l’aiguat d’octobre 1940
Evoquée au début de cet article, l’épisode « cévenol » d’une extrême violence survenu dans les deux Catalogne (française et espagnole) en octobre 1940, montre que les grands drames météorologiques ne datent pas d’hier. Et qu’ils sont susceptibles d’entraîner de considérables dégâts sur les infrastructures.
S’étendant sur cinq journées à partir du 16 octobre 1940, cet événement dénommé depuis en catalan l’aiguat a battu le record d’Europe de précipitations sur 24 h, à près de 1.000 mm d’eau le 17 octobre 1940 (840 mm officiellement enregistrés mais le pluviomètre avait débordé plusieurs fois). Les cinquante victimes françaises furent principalement déplorées dans le Vallespir, en particulier la vallée de la Tech, à Amélie-les-Bains. Côté espagnol, tout autant touché par l’événement, on décompta plus de 300 morts dans les vallées descendant des Pyrénées.
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Gare d'Arles-sur-Tech au début du XXe siècle. Cet important établissement offrait une correspondance entre les train de la Compagnie du Midi et les tramways électriques des Chemins de fer des Pyrénées-Orientales. Elle perdit toute activité ferroviaire à la suite des dévastations météorologiques d'octobre 1940 sur la ligne d'Elne. C'était il y a 84 ans. (Carte postale ancienne CParama)
La ligne d’Elne à Arles-sur-Tech avait été fermée aux voyageurs cinq mois auparavant par la nouvelle SNCF, mais le trafic marchandises y avait été maintenu. Or à l’ouest d’Amélie-les-Bains, l’aiguat détruisit la voie en de multiples endroits, entraînant la fermeture de la cette section à tout trafic, et définitivement. La gare d’Amélie-les-Bains fut détruite.
Mise en service en 1898 sur la totalité de son parcours par la Compagnie du Midi, cette ligne de 33,77 km affichait un dénivelé de 248 mètres avec des déclivité maximales de 11 ‰. Il ne subsiste plus de cette ligne de montagne que la courte section de 17 km d’Elne au chantier multimodal du Boulou, électrifiée en 1981 en courant continu 1.500 V, seule section ayant reçu une caténaire. La section Céret-Amélie-les-Bains (7 km) perdit son trafic marchandises en 1972, celle courant de Saint-Jean-Pla-de-Corts à Céret (4 km) en 1990.
A son extrémité d’Arles-sur-Tech, cette ligne du « grand réseau » donnait depuis 1913 correspondance avec une ligne départementale du Haut Vallespir rejoignant en 19,3 km Prats-de-Mollo, station thermale, avec embranchement de 9,5 km à Manyaques jusqu’à Saint-Laurent-de-Cerdans. Ce petit réseau à voie métrique desservait des mines de fer. Le dénivelé maximal, entre Arles-sur-tech et Saint-Laurent-de-Cerdans était de 458 m, justifiant les déclivités de 70 ‰ et son électrification en courant alternatif 6 kV 25 Hz. Fermée à tout trafic dès 1937, ses installations subsistantes furent elles aussi gravement endommagées par l’aiguat d’octobre 1940.
Heureusement, Saint-Etienne - Lyon n'a pas subi le sort de la ligne du Vallespir...