Auvergne-Rhône-Alpes sollicite l’Etat pour un Intercités Lyon-Montluçon-Bordeaux mais n’offre toujours aucun TER Lyon-Montluçon
Le lithium permettra-t-il le rétablissement d’une liaison ferroviaire voyageurs Lyon-Bordeaux supprimée depuis 2012 ? La région Auvergne-Rhône-Alpes annonce vouloir déposer un dossier de Train d’équilibre du territoire, ces TET nommés Intercités, d’ici la fin de l’année 2024.
L’incompréhensible désengagement de l’Etat, qui liquida ces relations transversales de statut TET dès 2012 (et 2014 sur la section subsistante Clermont-Ferrand-Bordeaux) a nourri le ressentiment et l’exaspération des villes desservies. Pourtant ces lignes servaient de cabotage entre des villes intermédiaires notoirement délaissées par les politiques de « déménagement » du territoire et de désindustrialisation. Même incompréhension pour la passivité de la région Auvergne-Rhône-Alpes qui n’a pas été capable de remplacer, au moins sur son territoire, ce service Intercités en reliant par TER Montluçon à Lyon via la ligne toujours ouverte et à double voie – mais aujourd’hui n’accueillant plus que du fret – entre Gannat et Saint-Germain-des-Fossés (24 km).
Composition des trois automoteurs X73500 ex-Auvergne en gare de Gannat, en provenance de Montluçon et à destination de Clermont-Ferrand. Cette petite ville de 5.700 habitants, tout comme Montluçon (33.500 habitants, et 60.000 habitants pour son intercommunalité) ont perdu toute relation directe avec la capitale de la grande région à laquelle elles appartiennent : Lyon. ©RDS
Les relations entre Montluçon et le sud de l’Allier d’une part, la capitale régionale Lyon de l’autre, relève soit de l’acrobatie rail-route soit d’une correspondance TER-TER imposant un surréaliste détour par Riom. Quant aux correspondances entre les deux TER Nouvelle-Aquitaine quotidiens reliant Montluçon et Limoges et les six TER Montluçon-Clermont-Ferrand, elles relèvent au mieux de la négligence.
L’aventure de Railcoop, symptomatique des besoins régionaux
La coopérative Railcoop, qui a réussi à mobiliser plus de 14.000 sociétaires parmi lesquels bon nombre de collectivités victimes de la destruction des services publics hors métropoles, fut symptomatique de cette rébellion face au déshabillage ferroviaire des régions dites « périphériques » alors qu’elle demeurent la ressource profonde du pays.
Son échec peut être dû, au choix, à l’aventurisme de ses dirigeants ; à l’opposition frontale de certains syndicats hantés par la disparition du monopole ; à l’invraisemblable statut de service librement organisé interdisant toute aide publique (mais frappant l’entreprise ferroviaire de prix de sillons exorbitants) ; à la rétraction des services de SNCF Réseau ; à la coupable abstention de l’Etat et des deux régions concernées, nonobstant la vente d’automoteurs anciens par la région Auvergne-Rhône-Alpes lesquels demeurent dans les entrepôts des ACM à Clermont-Ferrand.
Frédéric Aguilera, vice-président du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes chargé des Transports a annoncé vouloir déposer un dossier de Train d’équilibre du territoire d’ici la fin de l’année. Cette décision suit le projet d’installation de la mine de lithium par la grande entreprise française Imerys dans le sud-est de l’Allier à Echassières.
Le rôle moteur du projet d’exploitation du lithium par Imerys
Ces produits d’extraction, une fois lavés sur place, seraient véhiculés par rail depuis la gare de Saint-Bonnet-de-Rochefort - Naves jusqu’à la périphérie nord de Montluçon, sur le site industriel embranché à la ligne Montluçon-Bourges de la commune de La Loue, pour y être traités. L’objectif est de produire dès 2028 quelque 35.000 tonnes de lithium raffiné par an afin de satisfaire à la demande de batteries pour 700.000 véhicules électriques (ou autres usages).
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Gare de Saint-Bonnet de Rochefort, désormais simple halte à voie unique desservie chaque jour de semaine par quatre des six allers-retours TER train Clermont-Ferrand-Montluçon. Les installations de chargement des rames de minerai de lithium seraient installées à proximité. La voie et certains ouvrages d'art devraient être renforcés. (Doc. Wikipedia/Patrocle)
Le parcours par train se déploiera sur environ 75 km, entre Saint-Bonnet de Rochefort et Naves à l’est, La Loue à l’ouest. SNCF Réseau sera amené à renforcer la superstructure et probablement certains viaducs pour porter cette section au standard d’une ligne de fret lourd, maintenue toutefois en traction thermique.
Le journal La Tribune souligne que ce dépôt de dossier pour rétablissement d’un TET par le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes constitue « un engagement soudain qui interroge ». Son président sortant, Laurent Wauquiez, qui doit quitter son poste à Lyon après avoir été élu député de Haute-Loire en raison de l’interdiction du cumul des mandats de parlementaire et de chef de l’exécutif d’une collectivité, n’a jamais jusqu’ici marqué d’empressement pour accompagner le rétablissement d’une liaison ferroviaire entre Lyon et Bordeaux, ni même entre Lyon et le bassin de Montluçon qui inclut Gannat, Lapérouse, Commentry…
La solution négligée d’une relation de TER en correspondance à Montluçon
Le rétablissement ferroviaire partiel d’une liaison entre les deux régions pourrait être réalisé à moindre coût si Auvergne-Rhône-Alpes établissait au moins deux liaisons TER quotidiennes directes Lyon-Montluçon. Cela pourrait être réalisé par exemple par dissociation de rames Lyon-Clermont-Ferrand à Saint-Germain-des-Fossés après parcours en UM (deux rames accouplées) depuis Lyon, l’une d’elles continuant vers Montluçon par la section à double voie Saint-Germain-des-Fossés - Gannat. Simultanément, l’aménagement de correspondances à Montluçon avec les deux TER quotidiens Nouvelle-Aquitaine reliant Montluçon à Limoges via Guéret et Saint-Sulpice-Laurière permettrait, moyennant un battement réduit, de recréer un flux transversal.
Il s’agirait certes d’une forme de bricolage destiné essentiellement à assurer des parcours de cabotage, principalement entre Limoges et les au-delà de Montluçon côté est jusqu’à Lyon, avec possibilités de continuation vers Bordeaux Périgueux, Angoulême à l’ouest, Grenoble, Genève, Annecy, Bourg et la moyenne vallée du Rhône à l’est. Mais il est évident que seule une liaison de bout en bout Lyon-Bordeaux, au moins deux fois par jour, revêtirait une pertinence tant en matière commerciale que de (ré)aménagement du territoire, bénéficiant à des départements parmi les plus déshérités du pays en termes de service public : Allier, Creuse, Haute-Vienne...
Auvergne-Rhône-Alpes rappelle à l’Etat sa responsabilité pour l’offre interrégionale
La démarche d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui se va se tourner vers l’Etat pour rétablir cette offre transversale, est juridiquement fondée. Les services interrégionaux relèvent de l’Etat, si l’on applique le sain principe de subsidiarité : le transfert de compétence vers l’autorité supérieure est légitime quand l’autorité inférieure ne peut l’assurer. Le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes serait néanmoins plus légitime à exiger de l’Etat qu’il rétablisse un Lyon-Bordeaux si, de son côté, il avait été capable d’assurer des Lyon-Montluçon, qui relèvent de sa compétence puisque ne débordant pas des frontières de la région. Et s'il s'était entendu avec la région voisine pour optimiser les deux correspondances possibles dans chaque sens.
Frédéric Aguilera appuie sa demande sur le bon bilan des TET Lyon-Tours-Nantes, relation sur laquelle l’Etat, autorité organisatrice, a ajouté un troisième aller-retour de bout en bout en 2022. « C’est un succès qui montre que les transversales ont un avenir », a confié à ActuLyon un familier du dossier au conseil régional. Il en va de même sur les autres lignes TET de jour, en particulier sur la relation Bordeaux-Marseille, assurée par quelque six Intercités par jour et par sens cadencés aux deux heures, avec réservation obligatoire. Quatre autres lignes de TET transversales sont assurées : Bordeaux-Nantes, Toulouse-Bayonne, Clermont-Ferrand-Béziers (avec changement à Neussargues faute de matériel bimode) et la susmentionnée Lyon-Nantes.
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Sur la section neutralisée de la "ligne des Puys" entre Laqueuille et Ussel, élément de la relation disparue Lyon-Bordeaux par Clermont-Ferrand et Brive. Le président de la région Nouvelle Aquitaine avait dit sa volonté d'y rétablir le trafic, mais Auvergne-Rhône-Alpes a désormais pour doctrine de ne plus investir dans d'éventuelles réouvertures. (Doc. Christian Jobst, Railwalker.de)
Rappelons que l’Etat a liquidé deux lignes Lyon-Bordeaux, l’une par Montluçon et Limoges (en 2012), l’autre par Clermont-Ferrand et Ussel (en 2008, maintenue limitée à Clermont-Bordeaux jusqu’en 2014), axe dont la section Laqueuille-Ussel a été purement et simplement fermée à tout trafic (mais non retranchée du réseau ferré national).
Quant au rétablissement d’un service Intercités de Lyon à Bordeaux par Montluçon et Limoges, sa qualité serait notablement renforcée non seulement par le renforcement de la voie entre Saint-Bonnet-le-Château et Montluçon pour les besoins du trafic Imerys, mais aussi par la suppression du rebroussement de Saint-Sulpice-Laurière, envisagé de très longue date, depuis l’époque de la compagnie PO.
Reste une autre question en suspens : celle de la relation Lyon-Bordeaux via Clermont-Ferrand, Ussel et Brive. Sur ce sujet, Auvergne-Rhône-Alpes garde un silence total. Il faudrait rouvrir la section Laqueuille-Ussel et Laurent Wauquiez a promis de ne concourir en rien « à la réouverture de lignes fermées depuis dix ans. » Or cette section est pour partie sur le territoire d’Auvergne-Rhône-Alpes.