Evian-Saint-Gingolph, entre avant-projet avancé et annonce de refus de réouvertures par Laurent Wauquiez
La section de ligne Evian-Saint-Gingolph risque-t-elle de rester fermée et envahie par la végétation longtemps encore ? Les dernières déclarations du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez le laisse craindre malgré l’avancée du projet. M. Wauquiez affirmait après la signature du volet mobilités du Contrat de plan Etat-région début mai que la région dont il préside le conseil ne participerait pas au financement de la réouverture de lignes : « Qu’on soit clair, on ne va pas pouvoir rouvrir des petites lignes qui ont été fermées il y a dix ans ». Pourtant chaque jour, quelque 10.000 véhicules transitent sur l’unique route départementale reliant le Valais à Evian, créant d'importants embouteillages. Ce tronçon réaffecté pourrait donc offrir une alternative aux travailleurs frontaliers de l’est du lac Léman.
Longue de seulement 17,8 km, la section Evian-Saint-Gingolph mise en service en 1886, dite "ligne du Tonkin", a été fermée aux voyageurs dès mai 1938, voici 86 ans, puis au fret en mai 1988, voici 36 ans. Elle constitue pourtant un élément stratégique de maillage tant pour la France que pour la Confédération helvétique. Au point qu’une procédure d’avant-projet sommaire de remise en service a été lancée, avec pour chefs de file le canton du Valais et… la région Auvergne-Rhône-Alpes. On notera que le village de Saint-Gingolph compte deux municipalités distinctes, l’une en Valais (Suisse), qui compte un millier d’habitants, l’autre en Haute-Savoie (France), qui compte environ 900 habitants.
Quatre-mille voyageurs quotidiens
Le « Projet RER Sud Léman (phase II) », avant-projet d’d’une durée initiale fixée de 2018 à 2022 inclus, était un projet en coopération de la France et de la Suisse qui visait à mettre en œuvre une deuxième phase d’études relatives à la définition de l’infrastructure nécessaire à la réouverture de la section de ligne entre Evian et Saint-Gingolph. Son budget était de 1,662 million d’euros. Ces études faisaient suite à une première phase menée entre 2015 et 2017 intitulée « Projet RER Sud Léman (Phase I) » consacrée aux études d’avant-travaux pour une mobilité intégrée à l’échelle régionale autour du Léman.
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Carte ferroviaire de l'ouest de la Suisse. On note le hiatus entre Evian et Saint-Gingolph, qui interdit toute continuité ferroviaire par la voie la plus courte entre l'important noeud d'Annemasse et le Valais. (Doc. CFF)
Cet avant-projet était cofinancé par le FEDER dans le cadre du programme Interreg V France-Suisse et inscrit dans l’objectif d’augmenter l’efficacité du transport ferroviaire. Si le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes exclut tout financement pour réouvertures de lignes, il n’en est pas moins partie prenante dans ce processus. Et les autorités de rang européen y étaient impliquées.
Les études d'avant-projet ont établi une prévision de fréquentation à 4.000 voyageurs quotidiens dès sa mise en service. « Ces chiffres sont supérieurs à certaines métropoles comme Lyon » pour certains axes TER, avance Cyril Pellevat, sénateur LR de Haute-Savoie et président du comité de pilotage. La consultation devrait être lancée dans un an.
In fine, le coût de la réouverture s’élèverait selon l’avant-projet à 260 millions d’euros, ce qui paraît important pour une aussi courte distance, soit 14,5 M€/km. L’électrification augmente la facture. Le dossier entre désormais dans une nouvelle phase avec la saisine de la Commission nationale du débat public, ouvrant la voie à l'enquête publique au cours de laquelle les habitants pourront faire part de leur avis. Le sénateur Pellevat est optimiste : « Le Chablais fait partie des trois pôles de Haute-Savoie qui gagnent énormément d'habitants, avec une attractivité de la Suisse. On a aussi l'aspect touristique. La volonté, c'est de faire un report des automobilistes vers le train ».
Le Valais entend participer
Du côté suisse, et bien que la section en question soit exclusivement située en territoire français hormis quelques centaines de mètres entre les deux gares de Saint-Gingolph, les élus valaisans se sont engagés à soumettre un crédit d’engagement de 22,8 millions de francs (24 millions d’euros) au Grand Conseil, le Parlement du canton qui siège à Sion, pour boucler la ligne ferroviaire du Sud Léman par réactivation de Saint-Gingolph-Evian.
Après publication de la déclaration d’utilité publique et si tout se passe bien, c’est-à-dire si les financements sont trouvés, les travaux pourraient commencer en 2026 pour une inauguration deux ans plus tard, en 2028, soit trente ans après le passage du dernier train touristique. Plusieurs observateurs estiment plutôt l’objectif de remise en service pour 2030.
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Lors d'une manifestation à Saint-Gingolph (Suisse) en faveur d'une réouverture de la ligne jusqu'à Evian. On notera que la gare terminus avec rebroussement est aménagée en voie unique. Une solution économique... mais la fréquence assurée par les CFF et l'autorité organisatrice valaisanne est d'un train par heure.
L’avant-projet bouclé fin 2022 consistait à mener une seconde vague d’études pour évaluer l’opportunité d’une réhabilitation du tronçon ferroviaire entre Evian et Saint-Gingolph et pour conduire le processus de concertation du public, ainsi qu’expliqué par SNCF Réseau. Les études menées approfondissaient l’analyse socio-économique, les champs techniques ferroviaires, l’analyse de l’environnement, l’aménagement autour des gares, les aspects juridiques, mais également la comparaison des coûts-bénéfices des différents modes de transports.
Il est d’ores et déjà flagrant qu’une réouverture de ce tronçon permettrait de désenclaver le réseau ferroviaire du Chablais à l’est comme à l’ouest. C’est alors l’ensemble du bassin lémanique qui serait irrigué par le rail, offrant une alternative de mobilité performante et respectueuse de l’environnement, indique encore l’argumentaire du projet. On notera que la desserte routière de ce segment est singulièrement démotivante côté français, tandis que du côté suisse les rames électriques parviennent à Saint-Gingolph depuis Saint-Maurice à horaires cadencés…
Le cahier des charges de l’avant-projet
Les principales activités du projet RER Sud Léman (Phase II), dont la Région Auvergne-Rhône-Alpes et le Canton du Valais étaient chefs de file, s’articulaient autour de deux volets, indique SNCF Réseau : le programme d’études et la stratégie de communication.
Ont été étudiés, côté infrastructure et superstructure : la voie ferroviaire à rétablir en lieu et place du vieil armement obsolète et le ballast envahi par la végétation ; les questions acoustiques, importantes pour un environnement humain qui a oublié le bruit des trains depuis près de quarante ans ; l’état et les rénovations ou remplacements d’ouvrages d’art et en terre, soit principalement deux tunnels de 218 m (Croisettes) et 806 m (Meillerie) et trois petits viaducs de 14 m, 40 m et 34 m ; l’acoustique ; l’éventuelle suppression de passages à niveau.
Ont été étudiés, côté exploitation et procédures : la future exploitation ; l’intérêt socio-économique ; le nombre des points d’arrêt et l’aménagement autour d’eux ; l’insertion environnementale. Concernant les points d’arrêt, la ligne en comportait quatre à l’origine, entre Evian et Saint-Gingolph (Suisse) : Les Bains d’Evian (halte), Lugrin, Meillerie et Saint-Gingolph (Haute-Savoie). Cette dernière station est située à moins d’un kilomètre de la gare de Saint-Gingolph (Suisse).
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Sur la carte officielle du réseau ferré national français, la section suisse quittant Saint-Gingolph vers l'est n'est pas mentionnée. (Doc. SNCF Réseau)
L’autre mission des services de SNCF Réseau consiste à communiquer autour du projet et de conduire le processus de concertation auprès du public. « Les résultats des études devront permettre aux partenaires de préciser la faisabilité de la réouverture et d’en établir les modalités », précisait le gestionnaire français d’infrastructure. « Au-delà de l’amélioration de la circulation dans le bassin de vie Sud Léman, il s’agit également de renforcer les conditions permettant le développement régional favorisant à terme, l’implantation des entreprises dans le Chablais, savoyard, valaisan et vaudois », compète-t-il.
Outre les chefs de file français (région Auvergne-Rhône-Alpes) et suisse (canton du Valais), étaient partenaires du projet la communauté de communes du pays d’Evian, le syndicat intercommunal d’aménagement du Chablais et SNCF Réseau côté français ; Chablais région, côté suisse.
Sur les 1,662 million d’euros initiaux destinés à financer cette seconde phase d’études, la partie suisse apportait 382.250 € (fonds fédéraux et fonds cantonaux), la partie française 1.279.750 € dont 767.850 € apportés par le fonds européen FEDER.
Extension de la R91 jusqu’à Evian ou de la L1 jusqu’à Saint-Gingolph ?
Deux hypothèses sont envisagées (outre l’installation acrobatique d’un bus supposément à haut niveau de service sur ex-voie unique que les élus suisses auraient bien du mal à cofinancer).
La première consisterait à étendre les missions actuelles côté suisse, les R91 omnibus Brig - Saint-Maurice - Saint-Gingolph, cadencées à l’heure, jusqu’à Evian côté français. Cette solution serait d’autant plus économique que les rames CFF stationnent 45 mn en gare de Saint-Gingolph avant de repartir pour Brig. Les 18 km les séparant d’Evian pourraient être parcourus en aller-retour, avec deux arrêts intermédiaires, en une trentaine de minutes, laissant un quart d’heure pour le rebroussement à Evian. Cette solution n’impliquerait pas d’augmenter le parc de rames dédiées à la relation R91 moyennant une électrification au courant suisse 15 kV 16 ⅔ Hz.
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Illustration du pragmatisme suisse : voie unique pour rebroussement des circulations à fréquence horaire et valorisation du bâtiment de la halte par mutualisation des services avec installation d'un petit commerce et d'un office de tourisme.
La seconde solution consisterait à intégrer ladite section au réseau Léman Express en poursuivant la ligne L1 Coppet-Genève-Evian jusqu’à Saint-Gingolph voire au-delà vers Saint-Maurice, aux installations moins contraintes que celles de Saint-Gingolph. La section à l’est d’Evian pourrait là aussi être équipée en caténaire au courant suisse, les rames de la L1 étant bicourant. La durée de stationnement de ces rames à Evian avant retour vers Coppet est de 42 mn à l’horaire actuel. Une extension de la mission, limitée à Saint-Gingolph, pourrait donc aussi s’effectuer à parc constant.
Raccourcissement, substitution et possibilité de fret avec une seule courte déclivité de 15 ‰
Terminons en rappelant que le rétablissement de la circulation ferroviaire entre Evian et Saint-Gingolph permettrait de boucler le tour du Léman et de raccourcir notablement plusieurs itinéraires ferroviaires. Le rétablissement d’une continuité ferroviaire entre Genève et Saint-Maurice (gare de jonction avec l’axe Lausanne-Brigue) par Evian et le sud du lac permettrait de réduire la distance de 12,05 km (99,78 km contre 111,83 km via Lausanne) soit une économie de 12 % et l’assurance d’un itinéraire de substitution. Pour la relation entre le nœud ferroviaire d’Annemasse, qui voit confluer les lignes Léman Express côté Haute-Savoie, et la gare de jonction suisse de Saint-Maurice, le différentiel est proportionnellement plus important : l’itinéraire affiche 83,65 km via Evian et Saint-Gingolph contre 127,96 km via Genève et Lausanne, soit une différence de 44,31 km et une économie de presque 53 %.
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Profil de la ligne (Bellegarde) Longeray-Léaz - Saint-Gingolph.
Sur la longue distance entre Lyon, Grenoble ou Paris et le Valais, le différentiel de distance entre les itinéraires nord ou sud Léman reste important : Bellegarde-Saint-Maurice affiche 121,92 km via Evian et Saint-Gingolph contre 144,99 km via Lausanne, soit une différence de 23,07 km et une économie de 19 %. L’éventualité de circulations à moyenne ou longue distance, régulières ou saisonnières, par Saint-Gingolph ne devrait donc pas être une vue de l’esprit, d’autant que l’axe Genève-Lausanne est aujourd’hui en situation de quasi-thrombose.
Côté fret, la ligne fut la seule à voir passer entre France et Suisse des trains de marchandises durant l’Occupation. Le trafic fret a été maintenu pendant un demi-siècle après la suspension du service voyageurs. Le profil en élévation n’est pas défavorable, malgré les affirmations de certains journalistes locaux : La déclivité la plus importante se développe sur 2,5 km environ à la sortie d’Evian, avec un taux de 15 ‰, ce qui n’a rien de rédhibitoire. On trouve déjà ce taux à l’ouest d’Evian, où transitent des trains d’eaux minérales, avec en particulier une section à 18 ‰ sur 2 km à l’est de Thonon, une longue section à 15 ‰ de plus de 5 km entre Thonon et Perrignier, une longue section à 18 % sur plus de 5 km entre Bossey-Veyrier et Archamps, etc. Ces déclivités n’empêchent pas les lourds trains d’eaux minérales de poursuivre leurs rotations.