CPER Etat-Région : Auvergne-Rhône-Alpes écarte toute perspective de réouverture d’axes ferroviaires récemment fermés
Aucune perspective de revoir des trains reliant deux métropoles de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Saint-Etienne et Clermont-Ferrand, pas plus que ceux reliant Saint-Claude (Jura) dans la région voisine de Bourgogne-Franche-Comté à Lyon, la voie étant neutralisée jusqu’à Oyonnax : les montants alloués aux petites lignes dans le volet « Mobilités » 2023-2027 du contrat de plan Etat-Région signé le 16 mai se réduisent à financer a minima le maintien en exploitation des petites lignes encore en service. Les routes en revanche prennent une place importante dans le financement conjoint.
Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires, et Laurent Wauquiez, président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes ont signé le volet « mobilités » du Contrat de Plan Etat-Région. Laurent Wauquiez a salué un « effort historique » : « Je ne me résous pas à une vision de notre pays où l’on ne traite que les gens qui habitent dans les centre-ville et les mégalopoles et où l’on abandonne les autres territoires. »
494 M€ pour les routes, 430 M€ pour le ferroviaire dont 174 M€ pur rénover les petites lignes
Pourtant, les infrastructures ferroviaires de maillage et de desserte fine passent à l’évidence au second plan de l’effort conjoint de l’Etat et de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Le volet « Mobilités » du CPER se répartit ainsi : 494 millions d’euros pour les routes passées sous responsabilité régionale, 430 millions d’euros pour le ferroviaire dont seulement 174 millions pour le maintien des « petites » lignes encore exploitées ; transfert à la région de trois routes nationales mais aucune reprise par ladite région d’une quelconque ligne ferroviaire, comme le permet l’article 172 de la Loi d’Orientation des Mobilités, publiée au Journal officiel le 26 décembre 2019. Le détail des répartitions dans les enveloppes mentionnées ci-dessus ne sera pas connu avant plusieurs mois, probablement avant la fin de l’année.
D'un rayon généreux, la courbe est belle et la tranchée profonde sur cette section de la ligne Saint-Etienne-Clermont-Ferrand à la sortie nord de la gare de Boën... mais les rails rouillent et la végétation s'installe. Aucun train ne relie plus les deux métropoles appartenant pourtant à la même région et distantes de seulement 150 km. ©RDS
Les nombreuses associations qui défendent le réseau ferroviaire, sa modernisation et la réouverture d’axes récemment fermés, évaluent les besoins des lignes de desserte fine et de maillage à quelque 500 millions d’euros en Auvergne-Rhône-Alpes. Leur seule satisfaction, dans ce domaine, réside dans le fait que les signataires du CPER assurent qu’aucune « petite » ligne ne sera fermée.
Il est vrai qu’il reste peu de voies ferrées à sacrifier après les dévastations des années 1930 à 1970. Les plus menacées restent Grenoble-Veynes (à cheval majoritairement sur Auvergne-Rhône-Alpes, et Provence-Alpes-Côte d’Azur), Lozanne-Paray-le-Monial (à cheval sur Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne-Franche-Comté), la partie nord de Béziers-Neussargues (au nord de Saint-Chély à cheval sur Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes), l’antenne Nurieux-Oyonnax et la section Le Puy-Saint-Georges-d’Aurac.
Laurent Wauquiez écarte toute réouverture, un choix politique risqué
En revanche, Laurent Wauquiez a écarté toute perspective de réouverture : « Qu’on soit clair, on ne va pas pouvoir rouvrir des petites lignes qui ont été fermées il y a dix ans, mais mon objectif c’est qu’aucune autre petite ligne ne ferme. » La référence à la décennie écoulée est piquante puisque l’interruption sur le tronçon central (47 km) de Saint-Etienne-Clermont-Ferrand remonte à juin 2016, voici à peine huit années, et la neutralisation de Saint-Claude-Oyonnax remonte à décembre 2017, voici six ans et demi.
La section Laqueuille-Ussel a été neutralisée en 2014 et la section Lapeyrouse-Volvic (itinéraire le plus court de Montluçon à Clermont-Ferrand) neutralisée en 2007 puis fermée. Ceci équivaut donc en revanche à une décennie ou plus. Notons que les sections Volvic-Laqueuille et Laqueuille-Le Mont-Dore (usine d'embouteillage) restent ouvertes au seul fret. Au total, c'est l'ancienne région Auvergne qui aura été la plus frappée, depuis le début de ce siècle, par le démembrement de son réseau.
Non seulement la région Auvergne-Rhône-Alpes s’abstient de toute reprise à son propre compte de la gestion de l’infrastructure de lignes d’intérêt régional, comme le font déjà l’Occitanie pour Alès-Bessèges et Montréjeau-Luchon, ou le Grand-Est, mais elle reste l’une des deux régions de France à ne pas avoir signé le protocole d’accord sur les petites lignes avec l’État.
Aperçu de la gare d'Oyonnax. Les trains en provenance de Lyon ne continuent pas au-delà jusqu'à Saint-Claude, dans la région voisine, malgré la surcharge de la route parallèle. La voie est neutralisée depuis fin 2017, bien moins que les dix ans évoqués par M. Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
En cette époque de retour aux enracinements locaux et autres circuits courts, ce choix politique paraît risqué pour la majorité actuelle dans la perspective des prochaines échéances électorales régionales fixées à mars 2028, reportées de trois trimestres en raison de la présence de l’élection présidentielle en mai 2027, puis des législatives.
Sauf tardif retournement politique de dernière minute en 2027, à l'échéance du CPER "Mobilités" signé le 16 mai dernier, ce choix est surprenant. Le trafic TER a bondi de 30 % en France depuis 2019 malgré les fenêtres des confinements Covid. Et la tendance persiste à l’expulsion des salariés et retraités des centres métropolitains, à l’immobilier souvent hors de prix, vers les zones moins denses.
Le collectif Letrain634269, qui réunit associations, collectivités et élus favorables à la remise en service de la section centrale de la ligne Saint-Etienne-Clermont-Ferrand commente, dans un communiqué : « Alors que certaines régions se battent pour rouvrir des lignes, la Région Auvergne Rhône-Alpes se bat pour ne pas en fermer. Cela en dit long sur la politique d’aménagement du territoire par le train, un outil structurant et naturellement écologique. » Il dénonce par ailleurs une « politique du (presque) tout routier assumé ».
Les liaisons Saint-Etienne-Clermont-Ferrand sont assurées chaque jour et par sens par deux autocars directs affrétés par la région au tarif TER, avec un temps de parcours à peu près équivalent à celui des trains qui desservaient des gares intermédiaires, et un autocar de cabotage de bout en bout.
Aurail (18 organisations de défense des usagers du train) dénonce la priorité au routier
De son côté, la confédération Aurail, qui réunit dix-huit organisations de défense des usagers du train à travers toute la région Auvergne-Rhône-Alpes (parmi lesquelles Letrain634269) juge « décevant » le volet mobilité du CPER signé le 16 mai. Dans un communiqué détaillé, elle expose ses griefs en ces termes : « Nous regrettons que le routier s'octroie encore le plus gros budget (494 M€) alors que toutes les études indiquent qu'il est indispensable de favoriser le ferroviaire, dix fois plus respectueux de l'environnement. Nous remarquons que la région s'octroie la compétence sur plusieurs routes nationales, ce qui signifie que les sommes qui auraient dû être investies dans le ferroviaire seront perdues pour lui et qu’elles seront dévolues au développement infini de la mobilité individuelle qui est non seulement la plus polluante mais aussi la plus coûteuse pour les usagers. »
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Automoteur X73500 assurant un TER Grenoble-Gap sur les voies antédiluviennes en gare de Lus-la-Croix-Haute. Non seulement le service ne permet plus aucune relation à longue distance entre l'Isère et les Alpes du Nord d'une part, les Alpes de Haute-Provence et le nord des Bouches-du-Rhône d'autre part, mais la rénovation de la voie sur la partie sommitale n'est pas encore financées. ©RDS
Aurail insiste sur le fait que « les 170 M€ prévus pour la régénération de l'infrastructure en urgence suffiront à peine à la conservation de l’existant en éliminant toute possibilité de modernisation, et, évidemment de réouvertures de lignes, réouvertures pourtant plébiscitées par les usagers » potentiels. La restauration des lignes récemment neutralisées et la rénovation de celles qui menacent de l’être exigent selon les associations un budget de quelque 500 M€ en Auvergne-Rhône-Alpes.
Aurail s’inquiète du risque d’arbitrages défavorables aux lignes desservant les territoires ruraux (mais souvent reliant deux grandes agglomérations) au bénéfice des SERM, les futurs réseaux express métropolitains : « Nous notons aussi le budget dédié aux RER métropolitains. Nous y sommes favorables bien entendu à condition que les territoires ruraux n'en fassent pas les frais. Nous serons très attentifs à ce que ces projets, qui utiliseront le plus souvent les lignes TER existantes, incorporent une offre inter-régionale et inter-métropolitaine réétudiée et développée, avec une amplitude et un cadencement suffisants ».
Mobilisation redoublée pour Saint-Etienne-Clermont-Ferrand
Pour la liaison Saint-Etienne-Clermont-Ferrand, la plus emblématique des axes ferroviaires tronçonnés, le collectif LeTrain634269 « reste mobilisé plus que jamais » pour obtenir la restauration de la section centrale de 47 km et entend « renforcer sa mobilisation au service de l'intérêt général et des territoires oubliés déconnectés des bassins de mobilités au nom de l'égalité d'accès des citoyens en matière de transports ».
Letrain634269 va continuer à multiplier les initiatives visant à mobiliser les populations concernées. Rappelons que la ligne Saint-Etienne-Clermont-Ferrand concerne directement les deux métropoles d’extrémités et plusieurs intercommunalités intermédiaires qui rassemblent plus de 850.000 habitants, sans compter le réservoir de chalandise que constitue la métropole voisine du Grand Lyon.
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Récente démonstration de l'insuffisance du transport par autocar, réalisée le 6 avril à Noirétable par les militants de Letrain634269. Ils ont prouvé que l'embarquement des personnes à mobilité réduite, des malvoyants, des cycles... était quasiment impossible malgré la modernité de l'autocar, contrairement au train. L'opération a été largement rapportée par les médias régionaux. (Doc. Nadine Bourbonnaux)
Le collectif distribue régulièrement des tracts sur les marchés des localités abandonnées par le train (Noirétable…). Le samedi 29 juin à partir de 9 h 30 en gare de Thiers, une opération « Relais du rail » consistera à parcourir à pied ou à vélo sous forme de relais la distance séparant Thiers de Boën « dans l’esprit du relais de la flamme olympique ». L’arrivée est prévue à 15 h 30 en gare de Boën… où aucun train n’attendra puisque la région n’assure pas de train TER rejoignant Boën les samedis, dimanches et fêtes, se contentant d’autocars aux temps de parcours augmentés de 60 % par rapport aux trains.
Ces mobilisations pourraient préparer un débat électoral animé en plaçant le ferroviaire comme un enjeu primordial des élections régionales à venir dans plusieurs départements.