Avis négatif de la commission d’enquête pour « Métrocâble » de Grenoble, ou le destin logique d’un projet disproportionné
Le projet de téléphérique urbain périphérique « Métrocâble » sensé relier Fontaine à Saint-Martin-le-Vinoux via la presqu’île scientifique de Grenoble a du plomb dans l’aile. Non seulement il se heurte à l’opposition de plusieurs associations comme de nombreux élus, mais la commission d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique a exprimé le 26 mars dernier un avis défavorable sur deux des cinq points étudiés. Ce n’est pas rien, d’autant que ladite commission s’est permis ce commentaire cinglant : « Comment un projet si peu consensuel, présenté comme structurant pour les transports en commun du secteur nord-ouest de l’agglomération, a-t-il pu arriver en l’état jusqu’au stade de l’enquête publique ? »
Certes « la décision finale (d’une mise en chantier, NDLR) peut être prise malgré l’avis défavorable » de la commission d’enquête, relève cette dernière. Mais la longueur de la gestation de ce projet – une décennie – et l’explosion du devis obéraient, entre autres, sa crédibilité. Le devis est passé de 57 millions d’euros en 2017 lors d’un premier vote du conseil de la métropole, à 65 millions d’euros en 2020 lors d’une autorisation de passation d’un marché global avec Poma, industriel des transports par câble, votée par le Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG) puis, selon les dernières évaluations, à 80 millions d’euros selon les plus prudentes et 100 millions d’euros selon d‘autres. De quoi prolonger de plusieurs kilomètres quelques lignes de tramway.
Environ 3,7 km, six stations d’une hauteur de plus de trois étages et 23 pylônes
En 2015, une première concertation avait conclu à un tracé d’environ 3,7 km entre la rive gauche du Drac, au pied du Vercors, à partir d’une zone en voie d’urbanisation sur les communes de Fontaine et Sassenage (opération « Portes du Vercors »), jusqu’à Saint-Martin-le-Vinoux, au pied de la Chartreuse, petite commune de la première périphérie de Grenoble enserrée entre Isère et montagne. Ce tracé impliquait quatre stations intermédiaires avec réorientation dont deux commerciales à l’Argentière (Fontaine) et à Place de la Résistance, station devenue Oxford (Grenoble presqu’île), chaque station étant dotée d’un immeuble d’une hauteur équivalant à celle d’un immeuble de trois étages et demi (exemple de la station Oxford).
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Vue d'architecte de la station Oxford du projet Métrocâble. Le dégagement des voies au sol impose une hauteur importante de l'installation: plus de trois étages (ou quatre niveaux).
Cette ligne aérienne serait en correspondance, moyennant le franchissement par les clients des importants dénivelés des stations du téléphérique (escaliers mécaniques ou non, ascenseurs), avec les lignes de tramway A à Fontaine La Poya (terminus), B à Oxford (terminus) et E à Hôtel de Ville de Saint-Martin-le-Vinoux. Les principaux partisans de ce « Métrocâble » ont été et demeurent le maire de Saint-Martin-le-Vinoux et président du SMMAG, Sylvain Laval, celui de Fontaine Franck Longo et les représentants des entreprises et organismes scientifiques de la presqu’île de Grenoble.
En revanche, de nombreuses voix s’alarmaient de l’utilité très relative de ce transport par câble puisque les prévisions de trafic avaient été réduites à 4.000 passagers par jour alors qu’à l’origine, et avant la réduction drastique du projet d’urbanisation « Portes du Vercors » pour raisons hydrauliques, le projet ambitionnait jusqu’à 15.000 passagers à moyen terme. Ce dernier chiffre restait toutefois au niveau de celui d’une ligne d’autobus à moyenne fréquence.
La réduction drastique du projet d’urbanisation « Portes du Vercors »
En effet, la partie du projet « Portes du Vercors », qui eût potentiellement nourri une partie du trafic de ce « Métrocâble », a été amputée de sa surface située sur la commune de Sassenage en raison en particulier des risques d’inondation. Le préfet de l’Isère a en effet dû retirer le classement de la zone d’aménagement concerté « Portes du Vercors » en zone d'intérêt stratégique (ZIS) sur la commune de Sassenage, interdisant tout projet d’urbanisation massive. La commission d'enquête sur le Plan de prévention des risques inondation (PPRI) avait estimé « qu'il n'y a pas lieu de déroger au principe d'inconstructibilité dans ce secteur » où s’unissent Drac et Isère dans une vallée glaciaire qui s’étroitise à ce niveau et en aval. Une vingtaine d’hectares de terres agricoles ont ainsi été préservés.
Ne demeure plus que la partie du projet « Portes du Vercors » côté Fontaine, dont le maire a déploré l’avis défavorable de la commission d’enquête sur « Métrocâble » en ces termes : « Notre commune a exprimé clairement son adhésion au téléphérique urbain. Elle continuera. C’est un transport d’avenir qui va profondément modifier nos manières de se déplace, une liaison essentielle » à partir du nouveau quartier Portes du Vercors. Les élus voisins de Sassenage ont en revanche exprimé un avis défavorable au téléphérique.
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Carte du projet Métrocâble. La ligne aérienne filaire traverse presque à angle droit un couloir aérologique particulièrement actif. On notera par ailleurs que le nombre de lignes d'autobus tracées au nord de La Poya vers Sassenage et au-delà trahit l'importance des besoins... et l'urgence d'une prolongation de la ligne A du tramway vers le nord. Voici plus d'un demi-siècle, avant mise en service du tramway, la ligne structurante de trolleybus 2/4 reliait Sassenage à Grenoble sans correspondance.
On soulignera au passage que le projet « Métrocâble » impliquait, pour aménager une bonne correspondance avec le tramway côté Fontaine et raccourcir le linéaire du téléphérique, de déplacer le terminus de la ligne A « Fontaine La Poya » côté est. Cette coûteuse opération raccourcirait un peu son propre linéaire, éloignant ce terminus du vaste centre commercial voisin et rendant plus compliqué un éventuel prolongement de la ligne A vers Sassenage, opération fortement appuyée par la population de ladite commune.
« Lourdeurs administratives », fortes oppositions
Pour célébrer les conclusions négatives de la commission d’enquête publique et en attendant la décision finale du préfet, le collectif Stop Métrocâble, avec l’association historique ADTC, et l’association Ademus ont organisé une nouvelle manifestation contre le projet « Métrocâble » le samedi 13 avril. Le président du SMMAG en personne, Sylvain Laval, s’était déjà alarmé début mars « des lourdeurs administratives et réglementaires » qui ralentissaient selon lui le dossier. Il est vrai que pour un téléphérique survolant des sites industriels et scientifiques stratégiques, d’importantes voies de communication – deux autoroutes une voie ferrée électrifiée, une ligne de tramway – et deux cours d’eau qui constituent autant d’accélérateurs du couloir aérologique de la vallée de l’Isère aval, les réglementations techniques sont aussi touffues que fondées.
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Vue d'architecte du projet, verdi à l'extrême, de station La Poya du Métrocâble à Fontaine. Cette station de correspondance imposerait une reprise du tracé de la ligne A du tramway, l'éloignant du vaste centre commercial voisin (Casino en voie de rachat par Auchan) qu'elle dessert presque directement aujourd'hui.
L'autorité environnementale avait précédemment rendu son avis sur « Métrocâble » en demandant que soit réétudiées les possibilités de trafic et de report modal, que soit travaillée la création d’un bus à haut niveau de service. Enfin, la municipalité de Grenoble, dont le maire est Eric Piolle, opposé à Sylvain Laval, avait modifié radicalement sa position, passant d’un soutien au « Métrocâble » lors de l’élaboration du Plan de déplacements urbains en 2016 à une opposition lors du dernier conseil métropolitain (la métropole de Grenoble désigne 16 des 28 membres du conseil du SMMAG). Ainsi, en décembre dernier, 52 % seulement des membres de ce conseil s’étaient prononcés en faveur du « Métrocâble ».
Résumons les points forts et les points faibles du projet « Métrocâble » :
Points forts
- Franchissement rapide de deux importants cours d’eau, de deux autoroutes, une voie ferrée d’intérêt national et de deux lignes de tramway (B et E)
- Raccourcissement de l’itinéraire aérien par rapport à un itinéraire routier contraint par des bretelles routières, des allongements dus au nombre limité de ponts sur les cours d’eau.
- Absence, à ce jour, de ligne d’autobus transversale directe reliant Fontaine à la rive droite de l’Isère puisque ce parcours impose une correspondance entre ligne C6 et ligne 22 (vers Saint-Egrève) à Oxford.
- Absence de liaison bus transversale à partir d’Oxford vers Saint-Martin-le-Vinoux Hôtel de Ville en raison des difficultés de franchissement des voies ferrées (mais aussi du peu d’intérêt de ce parcours. La solution passe par un parcours tram A-tram E via Alsace-Lorraine, au demeurant assez attractif.
- Fourniture des équipements de ligne et des véhicules suspendus par Poma, grande société régionale jadis basée à Fontaine et aujourd’hui localisée à Voiron.
Points faibles
- Un prix hors de proportion (une centaine de millions d’euros) avec le trafic de base espéré, 4.000 passagers par jour soit le flux d’une ligne d’autocar de seconde catégorie (environ 60 montées par mission pour une fréquence aux 12 mn sur treize heures d’amplitude, chiffres moyens).
- Un tracé butant à Saint-Martin-le-Vinoux sur une zone peu attractive, impliquant que les parcours des passagers se poursuivent en correspondance avec le tramway E, principalement vers Saint-Egrève au nord et son importante zone commerciale desservie par la station Karben. La correspondance par ligne E vers Grenoble paraît sans grand intérêt du fait de l’existence, depuis la presqu’île, de la ligne B qui, de plus, dessert la gare centrale au contraire de la ligne E.
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Rame Alstom Citadis 402 du réseau TAG en rebroussement à Fontaine La Poya sur un terminus équipé à minima. Les correspondances par autobus vers Sassenage, commune voisine, s'opèrent en bord de route, sur la droite de la vue. Un prolongement, éventuellement à voie unique, jusqu'à Sassenage Mairie, à l'image de l'ancienne ligne de trolleybus, permettrait de desservir d'importants ensembles résidentiels et de se rapprocher du célèbre château de Bérenger. ©RDS
- La réduction de la chalandise espérée côté Vercors par l’annulation de l’urbanisation massive sur la commune de Sassenage.
- La construction de six stations (commerciales ou techniques) et pas moins de 23 pylônes dans une zone déjà dense.
- Le retard pris par des besoins flagrants d’extensions du réseau tramway, réseau qui n’a connu aucune prolongation depuis celle de la ligne A côté sud, de Denis Papin à L’Etoile (deux stations), mise en service en 2019 mais votée lors de la précédente mandature. L’exigence d’extensions nouvelles du réseau de tramways vers des zones d’habitations de forte densité rendent la dépense de 100 M€ pour le « Métrocâble » à l’évidence disproportionnée. On évoque la prolongation vers Pont-de-Claix centre et zone commerciale de Comboire (extension ligne E au sud de Louise-Michel) ; vers Sassenage qui a évidemment plus besoin de ligne directe vers Grenoble centre que vers Saint-Martin-le-Vinoux (extension ligne A vers Mairie de Sassenage, quartiers jadis desservis directement par ligne de trolleybus 4, alors qu’une correspondance est imposée à La Poya depuis 1987 depuis la mise en service de la ligne A) ; antenne de la ligne C à partir de Jean-Pain vers Meylan ; extension de la ligne D en rocade de Saint-Martin-d’Hères vers Grand’Place…
- Nécessité de renouvellement ou de rénovation mi-vie du matériel roulant du réseau de tramway, dont les rames TFS (deux générations) et Citadis 402 affichent respectivement 37, 28 et 20 années de carrière.
- Absence de correspondance du « Métrocâble » à Saint-Martin-le-Vinoux avec un futur service TER « express métropolitain » (envisagé d’ici… 15 ans) : la création d’une station nouvelle à 2.000 mètres de la gare centrale en zone très contrainte paraît absurde.
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Rames Alstom Citadis 402 au terminus Oxford de la ligne B du réseau de tramways grenoblois, sur la presqu'île scientifique. La correspondance autobus est déjà possible à l'est avec franchissement du Drac vers Fontaine Louis-Maisonnat et au-delà (Grand'Place, Echirolles, Saint-Martin d'Hères) par la ligne C6 de rocade, et à l'ouest par franchissement de l'Isère vers l'important centre commercial, la zone résidentielle et la gare TER de Saint-Egrève par la ligne 22.
- Fragilité de l’exploitation d’un téléphérique traversant une vallée en U d’une largeur de 3.000 mètres, entourée de massifs conséquents, dotée de deux importants cours d’eau, orientée dans le sens des vents dominants nord-ouest - sud-est que la ligne subirait latéralement de plein fouet.
- Traversée en surplomb d’une zone industrielle et scientifique (CEA, Synchrotron…) sensible.
Le « Métrocâble » grenoblois risque donc de subir le sort des projets voisins de Lyon qui envisageaient des lignes vers les collines de l’ouest et du nord. Ces arguments de campagne du camp EELV lyonnais, qui a emporté la mairie centrale de Lyon et la présidence de la métropole, ont depuis sombré corps et biens au bénéfice d'une extension remarquable du réseau de tramways.