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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
23 mai 2023

Saint-Chély-Neussargues : derrière le bras de fer régions-Etat, l’impératif d’une desserte crédible de ces régions abandonnées

 La section de 55,5 km à voie unique entre Saint-Chély-d’Apcher et Neussargues est menacée de fermeture progressive fin 2023 (pour l’unique rotation voyageurs) et fin 2024 (pour la desserte fret de l’usine ArcelorMittal de Saint-Chély), ainsi que Raildusud l’a annoncé dans son article publié le 13 mai. Cette menace est liée au bras de fer financier entre les deux régions Occitanie  et Auvergne-Rhône-Alpes d’une part, l’Etat et son gestionnaire public d’infrastructure SNCF Réseau d’autre part.

 Les deux premières sont unies dans le même refus de cofinancer la rénovation d’une voie sur laquelle ne passe aucun TER. Elles ont envoyé en ce sens un courrier commun à l’Etat, malgré l’orientation opposée de leurs majorités respectives et leurs politiques actuellement divergentes en matière d’infrastructures ferroviaires : offensive en Occitanie, restrictive en Auvergne-Rhône-Alpes. Les deux régions argüent que la seule circulation voyageurs quotidienne est celle d’un Intercités, donc du domaine de l’Etat. Quant aux circulations de fret, de lourds coïls d'acier, elles ne relèvent pas de la compétence des régions, même si nombre d’entre elles – par exemple Auvergne-Rhône-Alpes sur Volvic-Le Mont-Dore pour le trafic d’eaux minérales, ou le projet d’Occitanie sur Tarbes-Bagnères de Bigorre pour l’usine ferroviaire de CAF – s’engagent pour la maintenance de capillaires fret.

La question de la responsabilité du propriétaire du réseau ferré, l’Etat

 Le bras de fer autour de Saint-Chély-d’Apcher-Neussargues renvoie à la question, déjà ancienne, de la responsabilité du propriétaire en titre du réseau ferré national : l’Etat. Nombre d’observateurs estiment que le sujet de régénération de ses lignes devrait ressortir à 100 % du financement de l’Etat et que seuls les travaux de développement répondant à une augmentation du trafic d’intérêt régional devraient être cofinancés par les régions (voire des collectivités de rang inférieur tels départements et intercommunalités) dans le cadre des Contrats de plan Etat-régions (CPER). Pourtant, depuis quelques années, les CPER incluent les cofinancements de travaux de sauvegarde, de gros entretien voire de régénération.

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Novembre 2021 en gare de Saint-Flour, les élus des collectivités de la ligne Béziers-Neussargues célèbrent sa réouverture au nord de Saint-Chély-d'Apcher après onze mois d'interruption pour travaux. A ce jour, le conseil régional Occitanie (représenté ici par son vice-président chargé des Transports Jean-Luc Gibelin, au centre) refuse, à l'unisson de son voisin d'Auvergne-Rhône-Alpes, de financer de nouveaux travaux sur cette section d'altitude. ©RDS 

 L’argument selon lequel l’absence de circulations TER, dont les régions sont autorités organisatrices et financeurs,  justifierait l’absence de cofinancement régional de l’infrastructure est par ailleurs contredit par la récente modernisation, après une longue interruption pour travaux, de la section La Rochelle-La Roche-sur-Yon, 103 km, partie de la transversale Bordeaux-Nantes. Cette section, qui a été entièrement refaite - quoique mise à voie unique avec réserve pour rétablissement (bien improbable à ce jour) de la deuxième voie -, est à cheval sur les régions Nouvelle-Aquitaine (28 km) et Pays-de-la-Loire (75 km). Elle est très majoritairement parcourue par des circulations voyageurs au statut Intercités, donc organisées et subventionnées par l’Etat, les régions n'ajoutant qu'un TER Nantes-La Rochelle pour compenser une dissymétrie de la desserte. Or ces deux régions, avec participation des départements, ont abondé au financement de cette modernisation à hauteur de près de 28 %. Sur la ligne des Causses, la prolongation de la rotation TER Béziers-Saint-Chély au nord serait au demeurant très bienvenue.

Sur Saint-Chély-d’Apcher-Neussargues, un devis de 40 millions d’euros pour remplacer les rails DC

 Dans le cas de Saint-Chély-d’Apcher-Neussargues, la clé de financement proposée par l’Etat aux deux régions mitoyennes était de trois tiers : 33 % pour l’Etat et SNCF Réseau et 33 % pour chacune des deux régions. Le devis de régénération, qui consiste à remplacer la totalité des rails à double champignon restant sur cette ligne d’origine Compagnie du Midi, atteint 40 millions d’euros. Ce renouvellement voie et ballast avec pose de rails Vignole (profilés classiques avec pied) devrait se déployer entre Loubaresse (PK 668,115) et Andelat (PK 693,732), soit quelque 26 km de voie ou une cinquantaine de kilomètres de rails. Devant le refus de participation des régions, l’Etat est sur le point de retirer sa propre offre de financement.

 On notera que cette section se situe entièrement en territoire Auvergne-Rhône-Alpes (département du Cantal), qu’elle inclut la gare de Saint-Flour, sous-préfecture dudit département, et franchit la Truyère sur le célèbre viaduc de Garabit, conçu par Eiffel et classé monument historique en 2017. Relevons que sa remise en peinture devra être effectuée d’ici quelques années. Reste que, même située entièrement dans le Cantal, une rénovation de la voie incriminée concerne globalement les deux régions puisque une dizaine de kilomètres de la section Saint-Chély-d’Apcher-Neussargues se situe en Lozère, donc en région Occitanie.

 Les deux régions ont répondu par un courrier commun affirmant qu’elles ne dépenseraient pas un euro dans cette rénovation d’urgence. La position de la région Occitanie rejoignant celle d’Auvergne-Rhône-Alpes peut surprendre quand on connaît les considérables engagements financiers de la région présidée par Carole Delga dans le réseau ferroviaire : 800 millions d’euros sur une décennie, avec réouverture d’Alès-Bessèges, Montréjeau-Luchon, Limoux-Quillan et rénovation de nombreuses sections en service, parmi lesquelles… Béziers-Saint-Chély-d’Apcher. La fermeture au nord de Saint-Chély-d’Apcher et la transformation de Béziers-Neussargues en une interminable antenne de 221 km sur les 277 km de la ligne actuelle,  sans débouché vers le nord, serait à l’évidence contre-productive.

Une fermeture contre-productive pour le développement des offres fret comme voyageurs

 Contre-productive pour deux raisons : la possibilité d’augmenter à moindre coût l’offre voyageurs  entre Cantal et Lozère, départements notoirement marginalisés en matière de services publics ; l’importance du maintien d’un service ferroviaire fret à destination d’ArcelorMittal, voire du développement du fret grâce à d’autres chargeurs.

 Le développement à moindre coût de l’offre voyageurs passerait par une extension jusqu’à Mende du parcours du train de nuit Paris-Aurillac. Cette liaison Paris-Aurillac est annoncée par l’Etat pour 2024. Même si l’on redoute que la fréquence soit limitée aux fins de semaines et aux vacances scolaires, son extension jusqu’à la préfecture de la Lozère, proposée par l’association Amiga qui regroupe particuliers et élus, offrirait  enfin une desserte régionale et directe en matinée d’Aurillac à Saint-Flour, Saint-Chély-d’Apcher, Marvejols et Mende, avec retour en fin de journée. Elle complèterait la seule relation possible, de milieu de journée, entre Aurillac, Saint-Flour et au-delà permise par l’Intercités L’Aubrac (mais avec changement à Neussargues).

AASituation sur la carte d'extension maximale du réseau français, de la section Saint-Chély-d'Apcher-Saint-Flour-Neussargues. Au départ de cette dernière gare, jadis noeud ferroviaire d'importance, une ligne courait au nord vers Bort, Eygurande-Merlines, Montluçon et Paris, aujourd'hui fermée. Le sacrifice de Saint-Chély-Neussargues condamnerait la fonction de correspondance de cette dernière gare, achevant un démaillage ferroviaire dramatique pour le Massif central, ensemble montagneux des plus difficiles d'accès. Notons que la section Saint-Flour-Beaumont-Loriat (PLM) en concurrence avec Neussargues-Arvant (PO) fut fermée au trafic voyageurs dès 1940, laissant toutefois à Saint-Flour de vastes emprises ferroviaires. (Doc. RDS)

 Cette extension pourrait être dans un remier temps limitée à Saint-Chély-d’Apcher, évitant ainsi un relais d'agent de conduite à Aurillac, fait-on remarquer. La cité lozérienne - 10.700 habitants dans l’intercommunalité -, abrite le premier employeur privé du département avec l’usine Arcelor-Mittal, récemment équipée d’une nouvelle ligne de production pour 10 millions d’euros. Elle est dotée de lycées dotés d’internats : un lycée privé spécialisé dans l’hôtellerie, un lycée spécialisé dans les formations liées à la nature et à l’agriculture, un lycée généraliste et une antenne de l’Université de Montpellier I, spécialisée dans le management hôtellerie et tourisme. Ces établissements génèrent d’importants flux de jeunes voyageurs nécessitant souvent des renforts de matériel roulant.

 La ville pourrait ainsi disposer d’une  relation nocturne directe avec Paris, enrichissant l’offre d'un flux birégional de et vers Saint-Flour, Aurillac, Brive, Limoges… Une correspondance d’extrémités de service de et vers Clermont-Ferrand à Neussargues serait évidemment souhaitable.

Une rupture de charge pour les coïls d’ArcelorMittal constitueraient un handicap pour l’entreprise

Côté fret, une rupture de charge imposée par la fermeture de la section Saint-Chély-d’Apcher-Neussargues handicaperait l’usine Arcelor-Mittal. Un transfert des coïls en provenance de Fos-sur-Mer via Clermont-Ferrand depuis les wagons sur des camions ralentirait le flux, augmenterait les coûts d’acheminement et chargerait les routes régionales de norias de camions.  La région Occitanie aurait tout à perdre d’une telle situation, ArcelorMittal étant alors susceptible de bloquer tout développement ultérieur, voire de déménager progressivement sa production vers des sites mieux desservis.

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Saisie à partir d'un TER stationnant à Arvant à l'été 2021, une vue du chantier de transfert du rail à la route des chargements de coïls destinés à l'usine ArcelorMittal de Saint-Chély-d'Apcher. En attendant une réfection complète de la voie sur la section Saint-Chély-d'Apcher-Neussargues, un déport à Saint-Flour de ce transfert pourrait être réalisé après réfection de seulement 5 km de voie au nord de cette dernière gare. Il permettrait de diviser par deux la longueur du transport par camion par rapport à une origine Arvant. ©RDS 

 Réelle posture politique ? Coup de bluff dans le cadre de la négociation des CPER ? Régions rattrapées par des contraintes financières trop lourdes ? Ce jeu est risqué  pour Occitanie qui peut perdre gros avec ArcelorMittal comme principal employeur de la Lozère, mais aussi pour Auvergne-Rhône-Alpes qui peut voir disparaître une opportunité de remailler son offre ferroviaire intérieure et d’abonder le flux de sa ligne TER Aurillac-Clermont-Ferrand récemment modernisée dans la vallée de l’Alagnon (Arvant-Neussargues)...

 Rappelons que le feuilleton de Saint-Chély-Neussargues dure depuis quelques années. La section devait fermer au service voyageurs dès 2021, après rapport du BEATT (Bureau d’enquête sur les accidents de transports terrestres) établi après un déraillement de l’Intercités Aubrac en février 2006 et qui exigeait déjà un remplacement des rails DC, très sollicités par les circulations de fret lourd.

Des solutions intermédiaires pour alléger ou étaler la facture

 Les deux régions maintiendront-elles leur position ? Il leur serait possible de faire pression sur l’Etat tout en transigeant. Pourrait être proposé, selon nous, financement moins lourd pour elles (12 M€ chacune, 14 M€ pour l’Etat, 3 M€ pour SNCF Réseau) avec pour contrepartie la prolongation du train de nuit Paris-Aurillac, annoncé pour fin 2023 (service annuel 2024) au moins jusqu’à Saint-Chély-d’Apcher dès 2025 une fois les travaux de remplacement des rails DC réalisés. Rappelons que la répartition initiale proposée par l'Etat était de 33% pour chacune des régions (soit 13,2 M€ chacune) et 33% répartis entre l'Etat (9,8M€) et SNCF Réseau (3,4M€).

 Elles pourraient exiger une fréquence quotidienne en non pas uniquement les fins de semaines et vacances scolaires comme ce qui semble se préparer au ministère des Transports. Pour l’Etat, le surcoût de la prolongation du train de nuit pourrait être couvert par des recettes supplémentaires. Pour les deux régions, le train de nuit rétablirait une relation directe avec Paris depuis Lozère et Saint-Flour, disparue depuis plus de quinze ans (fin de la liaison directe diurne Béziers-Paris en 2007, de la liaison nocturne en 2003). La liaison fret serait sauvegardée. Il resterait à éliminer le rail DC entre Saint-Chély-d’Apcher et Marvejols, en Occitanie, pour étendre la liaison voyageurs nocturne jusqu’à Mende.

IMG_20211128_142143797En gare de Saint-Flour. L'important faisceau de voies subsistant permettrait d'une part d'assurer un transfert provisoire train-camion des chargements de coïls du côté de l'ancienne et vaste halle marchandises, et d'autre part la réception et le traitement d'un train de nuit en provenance de Paris et Aurillac, en attendant son prolongement jusqu'à Mende. ©RDS 

  Ultime position de repli : ne traiter en 2024 que la seule section Andelat-Saint-Flour (5 km) dont le coût, de l’ordre de 8 M€, pourrait être pris entièrement en charge par l’Etat. La desserte de l’usine ArcelorMittal pourrait voir son transfert du rail à la route s’effectuer à Saint-Flour et non pas Arvant, où il faudrait remettre en état deux voies de service  du côté de la halle marchandises, seules accessibles par la route. Côté voyageurs, en attendant la fin des travaux jusqu’à Loubaresse, l’Intercité L’Aubrac serait scindé entre un direct Clermont-Ferrand-Saint-Flour et un Saint-Chély-d’Apcher-Béziers avec transfert par autocar entre Saint-Flour et Saint-Chély-d’Apcher. Mais le train de nuit pourrait atteindre Saint-Flour dès 2025. Le chantier de ce RVB de 5 km pourrait démarrer dès la rentrée 2024 pour s’achever en fin d’année. Seul le nettoyage des voies fret susmentionnées et quelques installations (eau, nettoyage) pour le traitement du train de nuit à Saint-Flour devraient être ajoutés au projet.

 Resteraient à traiter les 21 km de voie en rail DC de Saint-Flour à Loubaresse les années suivantes. Le financement de ce traitement serait d’autant plus possible qu’il serait étalé et que le train de nuit déjà à Saint-Flour, illustrerait la légitimité de l’offre et serait attendu à Mende. ArcelorMittal, quant à lui, pèserait de tout son poids économique pour une solution pérenne tout ferroviaire.

 

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Commentaires
A
Merci pour la médiatisation de cette triste situation.<br /> <br /> <br /> <br /> 2 remarques,<br /> <br /> -la proposition de Spotmatik, de faire transiter les coïls par Béziers, semble tomber sous le sens. Certes les rampes sont possiblement plus fortes (encore que la sortie de Neussargues vers St-Flour "grimpe" allègrement!), mais on a un itinéraire électrifié (pour combien de temps?) et beaucoup plus court depuis Fos!!!<br /> <br /> -tant qu'à aménager des installations (que l'on espère temporaires) de trnsbordement rail-route à St-Flour, il pourrait être intéressant de les localiser à la sortie de la ville vers la Zone d'Activités du Crozatier, pour limiter les nuisances dans la zone à dominante résidentielle autour de la gare.
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S
j'ai souvenir avec photos d'époque qu'en 1986 , les trains de coils à destination de l'usine de St Chely étaient acheminés depuis Fos/mer via Tarascon-Nimes-Beziers en traction 1500 vols avec probablement un trajet plus court que par Arvant-Neussargues-Garabit.<br /> <br /> ce convoi unique nécessitait , en fonction du gros tonnage l'emploi d'une unité multiple en tête et d'une loco de pousse pour assurer les fortes rampes , ce qui se faisait couramment selon les besoins de l'usine.<br /> <br /> cette section , uniquement en région occitanie , avait été rénovée en divers endroits , aussi il serait judicieux , compte tenu de nouveaux matériels intercités acquis de les faire bénéficier d'un rénovation aboutie afin de la faire vivre comme quelques associations le demandent depuis des années
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A
Bonjour, quelques remarques :<br /> <br /> -La section La Roche-sur-Yon - La Rochelle est bien parcourue par une rotation régionale Nantes - La Rochelle, dont les horaires viennent compenser la desserte légèrement décentrée des IC Nantes - Bordeaux.<br /> <br /> -Le RVB entre St-Chély et Le Monastier doit s'étaler de 2025 à 2027 (2 phases), celui du Monastier à Mende de 2024 à 2026 (2 phases aussi). Le prolongement du Paris - Aurillac au sud de St-Chély ne pourrait donc s'envisager qu'en 2027.<br /> <br /> <br /> <br /> Et des questions :<br /> <br /> -La proposition de prolongement du Paris - Aurillac est-elle encore seulement une initiative de l'Amiga où a-t-elle été discutée auprès du ministère des Transports ?<br /> <br /> -La proposition de compromis de financement régional face à l'extension de l'ICN est-elle une idée de @RailduSud ou une vraie option offerte aux autorités organisatrices ?
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
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