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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
18 mai 2023

Le sacrifice de Laqueuille-Ussel (39,6 km) en 2014 a condamné la plus courte transversale (Lyon) Clermont-Bordeaux

 La liquidation en  juillet 2014 de la section centrale de la « ligne des Puys » Clermont-Ferrand-Ussel (105 km) est l’archétype du refus de la puissance publique de maintenir une péréquation territoriale en matière de services publics de qualité grâce à un réseau ferroviaire maillé doté de transversales. Or la section centrale de cette « ligne des Puys », entre Laqueuille et Ussel, longue de seulement 39,6 km, était un élément-clé de ces transversales inter-régionales, premières victimes du jacobinisme ferroviaire français. La plus courte liaison ferrée Lyon-Bordeaux était sacrifiée.

 Le 6 juillet 2014, l’Intercités Bordeaux-Clermont-Ferrand était passé par profits et pertes. Prétexte à la suppression de ce service interrégional : l’obsolescence de la superstructure entre Eygurande-Merlines et Laqueuille. Sur ces 21,5 km de la ligne reliant Ussel à Clermont-Ferrand, il eût fallu changer 21.000 traverses et effectuer quelques autres menus travaux pour 7 millions d’euros, soit environ 325.000 € par kilomètre de voie unique : un devis léger mais à l’évidence insupportable pour le gestionnaire d’infrastructure d’alors, RFF, l’Etat et les deux régions de l’époque, Limousin et Auvergne. Bien qu’Eygurande-Merlines soit située en Corrèze (ex-région Limousin devenue Nouvelle-Aquitaine), l’essentiel de ces 21 km sont situés dans le Puy-de-Dôme (actuelle région Auvergne-Rhône-Alpes). C’est l’ex-région Auvergne qui fut la plus ferme dans son refus de cofinancement.

Mont-DoreExtrait de la carte des réseaux ferrés français en 1930. Le maillage de cette partie du Massif central était dense. A l'ouest de Clermont-Ferrand ne subsiste plus de nos jours en service voyageurs que la courte liaison Clermont-Ferrand-Volvic. Au-delàs d'Ussel ne subsiste plus en service voyageurs que la ligne vers Meymac. Eygurande-Merlines n'est plus desservie par aucun train, qu'il soit fret ou voyageurs. (Doc. RDS)

 Simultanément et logiquement, la section Ussel-Eygurande-Merlines, continuation sur 18,1 km vers l’ouest, perdit aussi ses derniers trains. Par-delà Ussel, Tulle, Brive, Périgueux et Bordeaux, mais aussi Limoges perdaient ainsi toute relation ferroviaire directe avec Clermont-Ferrand et ses au-delà. Ce que certains ingénieurs qualifient dédaigneusement de « trains des campagnes », à éliminer dès que possible car supposément trop déficitaires (mais les transports franciliens sont-ils commercialement bénéficiaires ? *), sont aussi des trains interurbains à moyenne et longue distance.

Vingt ans avant la neutralisation, on comptait quatre allers-retours, plus un Montluçon-Eygurande-Ussel

 Une vingtaine d’année avant la liquidation de cette transversale  Ussel-Clermont-Ferrand, soit à l’horaire 1993-1994, la section Ussel-Laqueuille voyait circuler en semaine quatre trains par sens : un aller-retour Brive-Clermont-Ferrand, un A-R Bordeaux-Lyon par Brive, Clermont-Ferrand et Saint-Germain-des-Fossés,  deux A-R Limoges-Clermont-Ferrand. Les lundis s’y ajoutait  un A-R Ussel-Laqueuille. Des circulations supplémentaires étaient proposées les vendredis, dont un Brive-Clermont-Ferrand, et le service était adapté les dimanches avec un Brive-Clermont-Ferrand du soir complétant le Bordeaux-Clermont-Ferrand quotidien.

 La ligne voyait aussi circuler un A-R entre Ussel et Eygurande-Merlines, gare où il bifurquait vers Montluçon via Auzances, Evaux-les-Bains et le célèbre viaduc de la Tardes, ligne sacrifiée dès 2008.  Toujours à l’horaire 1993-1994, deux rotations d’autocars Ussel-Laqueuille complétaient le tableau.

 Notons qu’à l’est, au-delà de Laqueuille, la trame était complétée par des circulations Le Mont-Dore-Laqueuille-Clermont-Ferrand et plus à l’est encore, des circulations Volvic-Clermont-Ferrand. Seules ces dernières, à caractère péri-urbain, sont maintenues à ce jour. Volvic-Laqueuille et l’antenne Le Mont-Dore-Laqueuille ont perdu leurs voyageurs et ne reçoivent plus que quelques circulations de trains de fret d’eaux minérales, elles-mêmes récemment menacées avant ravaudage de la voie grâce à un cofinancement de la région.

A l’horaire d’été 1955, la « ligne des Puys » voyait passer 8 à 10 trains par jour et par sens

 A l’horaire d’été 1955, soit quelque soixante années avant la suspension de toute circulation, la section à voie unique Laqueuille-Ussel  supportait un nombre assez impressionnant de circulations voyageurs (ici exprimées en nombre d’allers-retours).

- Sur l’entièreté de la section Laqueuille-Ussel, circulaient : deux Clermont-Ferrand-Ussel omnibus ;  deux Clermont-Ferrand-Ussel-Brive dont un express et un omnibus ;  un Lyon-Clermont-Ferrand-Ussel-Brive-Bordeaux ; un Vichy-Clermont-Ferrand-Ussel-Bordeaux en haute saison d’été (juillet, août et première moitié de septembre). Soit 5 à 6 allers-retours quotidiens.

Reproduction du tableau horaire été 1955 des pages de l'indicateur Chaix concernant l'axe (Périgueux) Ussel-Clermont-Ferrand.

 - Sur la partie Eygurande-Merlines-Ussel on dénombrait : deux Paris-Montluçon-Eygurande-Merlines-Ussel quotidiens dont un de nuit, et deux Montluçon-Eygurande-Merlines-Ussel. Soit 4 allers-retours quotidiens.

- Sur la seule section Laqueuille-Eygurande-Merlines circulaient : un Mont-Dore-Laqueuille-Eygurande-Merlines donnant correspondance au train Ussel-Montluçon-Paris ; un Mont-Dore-Laqueuille-Ussel ; un Mont-Dore-Laqueuille-Eygurande-Merlines-Paris ; un Mont-Dore-Laqueuille-Brive en haute saison d’été. Soit trois à quatre allers-retours quotidiens.

 Au total, la ligne voyait passer, quelle que fût la section, huit à dix circulations par jour et par sens. Il va de soi qu’en 1955, l’axe voyait passer en outre des circulations fret, d’autant le wagon isolé était largement dominant avec six gares sur ces 39,6 km : Ussel, Aix-la-Marsalouse, Eygurande-Merlines, La Cellette, Bourg-Lastic-Messeix, Saint-Sulpice, Laqueuille.

Un axe étranglé par le démaillage progressif du réseau ferroviaire dans le Massif central

 On le voit, un part importante du trafic voyageurs (au moins l’été) était générée par les lignes affluentes : à l’est, l’antenne Le Mont-Dore-Laqueuille, au trafic nourri vers Clermont-Ferrand mais aussi, malgré un rebroussement d’une douzaine de minutes, vers Eygurande-Merlines et au-delà vers Paris par Montluçon, ou vers Ussel et Brive ; au centre, à Eygurande-Merlines, le reliquat de la radiale Paris-Miécaze (Aurillac) par Bort-les-Orgues, fermée au sud d’Eygurande-Merlines en 1952 car noyée par la mise en eau du barrage de Bort-les-Orgues sans remplacement, assurait quatre circulations Ussel-Eygurande-Merlines-Montluçon, deux ralliant Paris.

 L’antenne du Mont-Dore  cessé de fournir des trains rebroussant vers l’ouest à Laqueuille bien avant la suppression de son service voyageurs en 2015. La neutralisation de la ligne Montluçon-Eygurande-Merlines en 2008 avait défintivement interdit toute possibilité de liaison ferrée radiale entre Le Mont-Dore et Ussel d’une part, Montluçon et Paris d’autre part. La seule fonction de la section Laqueuille-Ussel reste donc une fonction transversale, limitant d’autant son potentiel commercial.

Des populations nombreuses de part et d’autre : Clermont, Saint-Etienne, Lyon et Gironde

 Pour autant, ce potentiel n’est pas négligeable. A l’est, la métropole de Clermont-Ferrand compte 300.000 habitants. La ressource des flux voyageurs pourrait être complétée par la métropole de Saint-Etienne (405.500 habitants) située à 145 km de Clermont-Ferrand seulement si la puissance publique acceptait enfin de rouvrir la section Boën-Thiers (47 km, neutralisée en 2016), et par la métropole de Lyon (1.420.000 habitants) située à 200 km de Clermont-Ferrand via Saint-Etienne et 229 km via Roanne. Soulignons que la liaison Lyon-Bordeaux par Saint-Etienne, Clermont-Ferrand et Ussel est longue de 600 km, contre 629 via Roanne et Clermont-Ferrand et 639 km via Roanne et Montluçon.

 A l’ouest, la population est moins dense et les agglomérations moins peuplées, mais desservies par le rail. Ussel compte 9.200 habitants, son intercommunalité (Haute-Corrèze Communauté) 32.100 habitants. Vers Bordeaux, l’intercommunalité de Tulle compte 45.000 habitants, celle de Brive 108.000 habitants,  celle de Périgueux 105.000 habitants et le département de la Gironde 1.700.000 habitants.

EygurandesFaisceau de la gare d'Eygurande-Merlines aujourd'hui (ci-dessus) et dans les années 1920 (ci-dessous). Jusqu'en 1952, cette gare fut un noeud ferroviaire important, au centre de quatre branches : vers Aurillac, Montluçon, Clermont-Ferrand et Ussel. La branche vers Aurillac a disparu en 1952, condamnant la plus courte liaison ferrée entre la préfecture du Cantal et Paris. La branche Montluçon a été liquidée en 2008 faute d'accord de financement pour des travaux de régénération sur quelques kilomètres entre les régions mitoyennes. Les branches Clermont-Ferrand et Ussel ont été sacrifiées en 2014 pour la même raison. (DR) 

Eygurande

 Entre Laqueuille et Ussel, en revanche, la population desservie par la ligne est très peu dense avec de vastes intercommunalités rurales peu peuplées : Dôme Sancy Artense, 12.630 habitants ; Massif du Sancy, 9.600 habitants ; Chavanon Combrailles et Volcans, 12.700 habitants. La commune du Mont-Dore, qui appartient à l’intercommunalité Massif du Sancy, ne compte plus que 1.274 habitants (un « plus bas » depuis… 1872) après en avoir compté 2.703 en 1936, à la grande époque du thermalisme qui lui apportait des milliers de curistes chaque année. La Bourboule voisine compte 2.245 habitants (un « plus bas » depuis 1891) après en avoir compté 3.154 en 1931 et un flux de curistes supérieur encore.

  Le progressif assèchement des relations ferroviaires à moyenne et longue distance a accompagné, et probablement amplifié le recul généraldu thermalisme, empêchant de lui substituer un tourisme vert ou hivernal drainé par le chemin de fer.

La fonction longue distance pourrait servir de locomotive aux flux régionaux

 La valeur de la « ligne des Puys » est donc plus liée à sa fonction à longue distance Auvergne-Rhône-Alpes - Nouvelle-Aquitaine qu’à sa fonction interdépartementale Puy-de-Dôme-Corrèze et surtout qu’à sa fonction locale dans l’ouest du Puy-de-Dôme. Pour autant, et parce que le chemin de fer réunit alors que la route disperse, la réactivation d’une offre à longue distance permettrait sans doute de réamorcer des flux à plus courte distance, alliant voyages de bout en bout à parcours de cabotage, voire de proximité. Elle justifierait le réamorçage d’une offre voyageurs sur l’antenne du Mont-Dore.

JobstSur la voie abandonnée, quelque part entre Ussel et Laqueuille, magnifique paysage saisi par le photographe Christian Jobst. Ce cheminot allemand est le talentueux témoin des destructions du patrimoine ferroviaire par la politique de "déménagement du territoire" menée avec obstination par les gouvernements français. Le Massif central en est une victime emblématique. (Christian Jobst, www.railwalker.de)

 Notons pour terminer que la relation ferroviaire à longue distance Bordeaux-Clermont-Ferrand,  en 1994 elle était abattue par rame tractée en 5 heures 57 mn malgré la desserte de 15 gares intermédiaires, ce qui lui attribuait une fonction de desserte locale dans certaines zones. La totalité de la relation Bordeaux-Lyon Part-Dieu par la même « ligne des Puys » était abattue en 8 h 58 mn malgré la desserte de 20 gares intermédiaires parmi lesquelles Saint-Germain-des-Fossés avec rebroussement (9 mn), et Roanne.

- - - - -

(*) Budget de fonctionnement annuel d’Île-de-France Mobilités : 10,8 milliards d’euros dont les recettes commerciales ne couvrent que 38 %. La fiscalité des entreprises en couvre 50 %, soit 5,4 milliards d’euros  par an. Les subventions des collectivités en couvrent 12 %, soit 1,3 milliards d’euros par an.

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Commentaires
J
Où est l’époque bénie du départ d’Austerlitz le soir et une arrivée à la Bourboule le matin sans changement de train. Un rêve pour les curistes que nous étions.
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B
Oui, les "cars Macron" ont été fait sous Hollande . Mais c' est ce cher micron qui a crée cette hérésie : un ministre de l' économie qui s' occupe des transports...............et surtout en refusant d' écouter (et de recevoir) les associations d' usagers des transports ! Tout simplement "Macron", quoi : le mépris.
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D
Quand on voit les montants des travaux (même s'il s'agit de sommes d'il y a 9 ans), on se dit que la mauvaise volonté a été de mise pour ne pas les financer. Mais il faut se souvenir aussi que durant les 5 années qui ont précédé la fermeture, la SNCF a consciencieusement chassé les voyageurs des trains via d'interminables fermetures pour travaux. Et que peu de temps après un ministre d'un président corrézien a libéralisé les cars sur autoroute...<br /> <br /> Mais déjà à l'époque l'Auvergne n'avait d'yeux que pour les "RER" de Clermont. Bilan, ils ont laissé fermer Laqueuille Ussel mais ont financé un RVB en double voie jusqu'à Volvic pour 5 trains par jour fonctionnant en navette. Cherchez l'erreur.
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A
Merci pour ce bel article et toutes ces précisions sur notre chère transversale des Puys...<br /> <br /> Notons que la fermeture en 2014 du maillon central est intervenue quelques années après la mise en service de cette satanée autoroute A89 Clermont-Bordeaux... reviendra-t-on un jour en arrière ? je n'y crois guère, malgré la déplétion des ressources pétrolières déjà en marche.
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S
je lis :<br /> <br /> Bordeaux-Clermont-Ferrand, en 1994 était abattue en 5 heures 57 min,<br /> <br /> Bordeaux-Lyon Part-Dieu était abattue en 8 h 58 min .<br /> <br /> Aujourd'hui les meilleurs de temps de parcours respectifs (avec une ou deux correspondances) et en passant par Paris s'établissent à 7h54 (Clermont Bordeaux) et 5h15 (Bordeaux Lyon).<br /> <br /> No comment. <br /> <br /> La SNCF ou comment vous faire préférer la voiture?
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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