Menace de liquidation fin 2023 des 55,5 km au nord de Saint-Chély-d’Apcher par refus de financement de travaux de rénovation
Les 55,7 km de la ligne Béziers-Neussargues situés au nord de Saint-Chély d’Apcher (Lozère) devraient être fermés dès cette année au trafic voyageurs et l’année prochaine au trafic fret, selon une mise en garde de SNCF Réseau. La radiale Béziers-Neussargues, malgré d’importants travaux à répétition sur les 277 km de son itinéraire à travers quatre départements et deux régions, serait ainsi réduite à une interminable antenne sans débouché au nord.
Le financement pour l’éradication du rail DC n’est pas réuni
La raison est que le financement pour les travaux d'éradication du rail DC qui devaient avoir lieu en 2024 n'est pas réuni, selon le gestionnaire d'infrastructure tandis que se négocient les Contrats de plan Etat-Régions (CPER) dans une atmosphère tendue. Il en résulte que la fermeture de la section Neussargues-Saint-Chély au trafic voyageurs devra être prononcée fin 2023, au service fret fin 2024. Notons qu'une mise en garde similaire est prononcée au sujet de futurs ralentissements importants et potentiellement très pénalisants sur la partie nord de la ligne (Lyon) Lozanne-Moulins, entre Gilly-sur-Loire et Saint-Agnan, section située sur le territoire de Bourgogne-Franche-Comté et parcourue par les TER Auvergne-Rhône-Alpes Lyon-Moulins et les TER Bourgogne-France-Comté Montchanin-Moulins.
Une fermeture du nord de la ligne des Causses serait d’autant plus choquante que cette section septentrionale, à cheval sur les deux régions Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes, est la seule de la ligne Béziers-Neussargues à recevoir encore un trafic fret. Il s’agit des lourds coïls d’acier provenant de Fos, destinés à alimenter l’usine ArcelorMittal de Saint-Chély-d’Apcher. Cette dernière vient d’être agrandie et dotée d’une nouvelle ligne de production pour un investissement de 10 millions d’euros. Notons que le trafic fret est interdit depuis quelques années au sud de Marvejols, soit sur 188 km des 277 km de son itinéraire complet. Pourtant, la ligne avait au départ été conçue pour le fret, tant pour le charbon que surtout pour les vins, puis les bestiaux, voire pour les activités des caves de Roquefort, offrant l'itinéraire le plus court depuis le Languedoc vers Paris, via Bort et Montluçon…
Rame Occitanie assurant la section d'Intercité Clermont-Ferrand-Béziers au sud de Neussargues, en entrée de la gare de Marvejols. Le train de ballast destiné aux rénovations de voie côté Occitanie stationne sur l'ex-faisceau fret. Il ne pourra emprunter la ligne jusqu'à Béziers en raison de l'interdiction, relativement récente, de tout trafic fret (hors travaux) au sud de Marvejols. ©RDS
Les rails DC sont des rails dits « double champignon », les plus anciens de la ligne. Ce type de profilés équipait l’ancien réseau de la compagnie du Midi. Le rail DC présente un profil symétrique par rapport à l’axe horizontal, ce qui implique sa fixation à la traverse par des mâchoires entourant son « âme » (la partie intermédiaire) et son champignon inférieur. Sa stabilité est moindre que celle du rail Vignoles, doté d’un large patin inférieur posé sur la traverse.
L’Etat et la région Auvergne-Rhône-Alpes, seraient tenus responsables d’une fermeture
L’absence de financement pour le remplacement des dernières portions de rail DC au nord de Saint-Chély d’Apcher met en cause aussi bien l’Etat que la région Auvergne-Rhône-Alpes, sur le territoire de laquelle sont situés les quatre cinquièmes de la section menacée, soit 45 km sur 55,7 km (excepté une courte intrusion sur le territoire de la Lozère d’environ un kilomètre). La responsabilité d’une fermeture par manque de financement devrait donc largement reposer sur les décisions du conseil régional siégeant à Lyon, mais avant cela sur celles de l’Etat central.
Gare de Neussargues. Cet établissement perdrait sa dernière fonction de correspondances en cas de fermeture de la ligne des Causses vers le sur jusqu'à Saint-Chély-d'Apcher par Saint-Flour. Neussargues fut un noeud ferroviaire à quatre branches : vers Aurillac, Arvant et Clermont-Ferrand, Béziers, Bort-les-Orgues. Cette dernière destination a été effacée depuis une trentaine d'années. Elle se poursuivait vers Montluçon et Paris jusqu'en 1952. ©RDS
Cette défaillance permettrait enfin aux dirigeants de SNCF Réseau de trouver le bon prétexte pour se débarrasser de cette ligne victime d'une offre sous-dimensionnée, dont la persistance vient heurter de front la conception comptable du système ferroviaire portée par le ministère des Finances. En revanche, une fermeture reviendrait à liquider L’Aubrac, dernier Intercités qui traverse le Massif central, après la suppression des relations Lyon-Bordeaux par Montluçon et par Clermont-Ferrand, et le transfert aux régions du Clermont-Ferrand-Nîmes, naguère Paris-Marseille. Le Massif central deviendrait, un peu plus, un cul-de-sac ferroviaire.
L’Aubrac relie Clermont-Ferrand à Béziers, moyennant toutefois une rupture de charge à Neussargues en raison de l’absence d’électrification entre Neussargues et Clermont-Ferrand et de la non-utilisation de rames bimodes. Une électrification Aurillac-Clermont-Ferrand en 25 kV avait été prévue au Contrat de plan Etat-région 2000-2006 mais annulée par la suite. La ligne Béziers-Neussargues fut électrifiée par la compagnie du Midi en 1933. Elle l’est restée depuis, à la même tension de 1.500 Vcc d’origine.
Une rupture de mode train-autocar pour les voyageurs, train-camions pour le fret
Les projets, portés par les associations de défense de la ligne et du viaduc de Garabit (Amiga…) d’extension jusqu’à Mende, voire Millau, du futur train de nuit Paris-Aurillac annoncé par le gouvernement, serait évidemment condamnés avant terme par la neutralisation de Saint-Chély d’Apcher-Neussargues. Les correspondances depuis le sud tant vers la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme, Lyon et Paris que vers le Cantal et au-delà seraient transformées en rupture de mode train-autocar. Notons que la circulation routière dans cette région est aléatoire en hiver. La ligne Béziers-Neussargues atteint son point culminant sur cette section, à proximité d’Arcomie, à 1.054 m d’altitude. Quant à l’autoroute A75 qui passe à proximité, elle n’est pas concédée, donc non payante et son entretien comme son amortissement sont entièrement à la charge du contribuable, ce qui relativise le déficit affiché de la ligne.
Rame fret chargée de coïls d'acier à destination de Saint-Chély-d'Apcher, en cours de déchargement à Arvant pour transfert sur poids-lourds en raison de travaux ayant nécessité la neutralisation de la section Neussargues-Saint-Chéy-d'Apcher durant l'année 2021. Un avant-goût de ce qui va se passer dès décembre 2024? ©RDS
Pour le trafic fret, la fermeture de ces 55,7 km imposerait là encore une rupture de mode. Ce système a pu être expérimenté, au détriment des populations riveraines de l’itinéraire routier, avec transfert en gare d’Arvant, du train au camion, des coïls à destination de Saint-Chély-d’Apcher, suscitant des norias de poids-lourds sur les routes de la région. On a connu exploitation plus écologique et économique.
Les régions veulent renvoyer l'Etat à ses responsabilités de propriétaire
On attend désormais d’éventuelles réactions des régions mitoyennes, et en particulier de celle d’Auvergne-Rhône-Alpes dont la doctrine actuelle est de renvoyer l’Etat à ses responsabilités de propriétaire du réseau ferré national, et donc d’investisseur, tandis que la région Occitanie investit sur les lignes dont ses TER sont les principaux, voire les uniques, clients.
Il est vrai que sur Saint-Chély-d’Apcher-Neussargues, la voie ne supporte juridiquement aucun trafic TER puisque le seul mouvement voyageurs quotidien est un aller-retour Intercités (mais avec du matériel TER Occitanie) tandis que les circulations fret ne relèvent pas des autorités régionales. Le bras de fer entre régions et Etat est brutal. Auvergne -Rhône-Alpes, mais aussi semble-t-il Occitanie entendent cesser d'être les supplétifs de l'État propriétaire du réseau.
Rappelons que l’entretien des voies en France n’est pas dans les compétences des régions, bien que celles-ci s'y engagent de plus en plus massivement. En Allemagne et en Italie, l’entretien du réseau ferré est financé directement par l’Etat et non par les péages.
Sur la partie haute de la ligne Béziers-Neussargues, la météo n'est pas toujours clémente. C'est aussi pourquoi les populations sont très attachées à leur desserte ferroviaire, qui par ailleurs manifeste leur reconnaissance par la collectivité nationale. Mais les dirigeants du ferroviaire français et de trop nombreux élus estiment depuis longtemps que les économies doivent être réalisées sur le dos des "périphéries" du territoire. ©RDS
Mais les arguties juridiques ne peuvent masquer une vérité : ceux qui auront refusé d’investir sur cette courte section, principalement l'Etat mais aussi région Auvergne-Rhône-Alpes (et marginalement Occitanie), porteront aux yeux de l'opinion la responsabilité d’une énième destruction de service public de transport dans le Massif central.
Les mêmes défausses ont déjà produit les mêmes effets entre Laqueuille et Ussel (Clermont-Ferrand-Bordeaux/Limoges), entre Montluçon et Eygurande-Merlines (Paris-Ussel), entre Busseau-sur-Creuse et Ussel, entre Boën et Thiers (Saint-Etienne-Clermont-Ferrand), entre Lapeyrouse et Volvic (Montluçon-Clermont-Ferrand)...
Ce mouvement relève désormais moins de la fracture que de la liquidation territoriale. La France se résume-t-elle à une poignée de métropoles et de villégiatures de haut niveau gravitant autour de sa région capitale hypertrophiée ?