En mal de financements, Railcoop sacrifie provisoirement son activité fret pour protéger son projet voyageurs Lyon-Bordeaux
Recentrage exclusif sur la relation voyageurs, longue de 639 km, entre Lyon et Bordeaux : tel est le tournant pris par Railcoop, la société coopérative d’intérêt collectif qui vient de suspendre ses activités fret. Railcoop, forte de 14.171 sociétaires au 4 mai dernier et d’un capital de 5,8 millions d’euros en début d’année (et 2,8 M€ de titres participatifs) a décidé de cesser ses transports de fret au départ de Capdenac jusqu’à Saint-Jory près de Toulouse, pourtant récemment étendus au-delà. « Le Conseil d’Administration de Railcoop a décidé, le 19 avril, de suspendre ses circulations fret en cours en Occitanie, afin de concentrer ses ressources sur le lancement de la ligne voyageurs Bordeaux-Lyon à l’été 2024, indique un communiqué publié le 25 avril. « Malgré le démarrage d'une nouvelle desserte et de bonnes perspectives de développement dans le Sud-Ouest, les prévisions ne permettent actuellement pas d’envisager d’atteindre la rentabilité économique de l’activité fret sur 2023 », poursuit-il.
Simultanément, le directeur général de Railcoop Nicolas Debaisieux devrait bientôt partager ce titre avec un autre dirigeant. Selon le président de la coopérative ferroviaire, « une direction générale bicéphale » devrait voir le jour, écrit Mediacites.fr. Ce site toulousain affirmait qu’« Alexandra Debaisieux, qui occupait le poste de directrice générale déléguée va partir définitivement en mai ». Cette dernière a rectifié auprès de La Dépêche du Midi que ce retrait n’était dicté que par « des raisons personnelles ». Plusieurs éléments de l’article de Mediacités ont été démentis par un droit de réponse de Railcoop et de son président Philippe Bourguignon, en particulier un point sur un impayé de la coopérative. Par ailleurs, selon Mediacités, quatre employés sont partis depuis le 1er janvier et six autres personnes devaient quitter l’entreprise dans des délais rapprochés.
Capital de Railcoop : 80 % de particuliers, 13 % de collectivités publiques
Notons qu’il est notoire que certains syndicats de cheminots sont frontalement opposés au concept de Railcoop, dénonçant une « privatisation » du rail. Au regard de l’identité des sociétaires de Railcoop (80 % du capital apporté par des particuliers, 13 % par des collectivités publiques, 6 % par des entreprises) ce type de « privatisation » rejoint pourtant les vieux principes jaurésiens – et donc socialistes - de coopération. Tout sociétaire ne dispose que d’une voix aux assemblées générales, quel que soit le nombre de parts qu’il détient. Quant à la propriété étatique des moyens de production en matière ferroviaire, les innombrables localités françaises privées de trains en mesurent les résultats chaque jour dans les territoires « périphériques » de la république.
Locomotive diesel louée par Railcoop pour ses rotations fret depuis Capdenac jusqu'à Saint-Jory. Dans un premier temps, le concept était basé sur une rame de wagons ouverts aux petits chargeurs, à fréquence quotidienne. Faute d'une clientèle suffisante, Railcoop s'est tournée vers le transport de bois. Le matériel a été restitué aux bailleurs.
Le fret, seule activité transport de Railcoop en 2022, n’a permis de dégager que 120.000 euros de chiffre d’affaires l’année dernière, indiquait Rue89Lyon en mars. Ce revenu est à rapprocher de la masse salariale qui s’élevait l’année précédente (2021) à plus de 680.000 euros pour une trentaine d’employés. C’est donc le capital social de l’entreprise qui est sollicité.
Début avril pourtant, Railcoop avait annoncé le lancement d’un trafic fret entre Gignac (Lot) et Saint-Gaudens (Haute-Garonne) après Capdenac-Saint-Gaudens. Depuis un an, des trains de grumes circulaient entre le Lot et Saint-Gaudens pour alimenter une usine de pâte à papier. Déjà, dans un entretien accordé à France-bleu début avril, le PDG de Railcoop admettait que malgré le développement de son activité fret, « c'est compliqué, car l'équilibre économique du fret prend beaucoup plus de temps que prévu, alors que nous avons énormément de demandes en Occitanie ». « Cela prend du temps pour être mis en place », ajoutait-il, précisant « qu’il faudrait déjà une infrastructure de meilleure qualité dans des territoires où pendant longtemps il n'y a plus eu de fret ferroviaire ». « Ensuite, il faudrait une bonne articulation avec le routier », laissant douter de la pérennisation de ce secteur d’activité pour la coopérative.
Priorité à la relation voyageurs Lyon-Bordeaux par Montluçon, désormais la seule possible
Reste la relation voyageurs Lyon-Bordeaux par Saint-Germain-des-Fossés et Montluçon. Cette relation de 639 km empruntera le plus long des itinéraires ferroviaire qui relie les deux métropoles par le Massif Central, mais le seul à ne pas avoir été physiquement interrompu par la politique de démantèlement du maillage ferroviaire entrepris par l’Etat. La liaison par Saint-Germain-des-Fossés, Clermont-Ferrand et Ussel est longue de 629 km mais la voie est interrompue depuis 2014 entre Laqueuille et Ussel. Une liaison par Saint-Etienne, Noirétable, Clermont-Ferrand et Ussel n’affiche que 604 km mais la voie est interrompue entre Boën et Thiers et, comme indiqué ci-dessus, entre Laqueuille et Ussel.
Le différentiel entre l’itinéraire subsistant, le plus long, et le plus court atteint 35 km. Ces trois itinéraires sont susceptibles d’assurer des dessertes de territoires et d’agglomérations très différents les uns des autres et sont donc complémentaires. Notons que l’itinéraire Lyon-Bordeaux via les lignes à grande vitesse LN4 et LN5 et le Languedoc (Montpellier, Toulouse) affiche quelque 816 km et n’est actuellement desservi par aucun train direct. Le temps de parcours minimum est de 6 h 27 mn et peut monter jusqu’à environ 8 h 30 mn, temps équivalent à la combinaison TER-TGV via Tours. Ces deux itinéraires contournant le Massif Central offrent une toute autre desserte intermédiaire.
Outre le projet de relation Lyon-Bordeaux par Montluçon et Limoges, le plus avancé, Railcoop a travaillé sur des liaisons par lignes classiques délibérément sacrifiées par l'Etat: Rennes-Toulouse, qui emprunterait l'axe Paris-Orléans-Limoges-Toulouse sur sa moitié sud; Thionville-Lyon par l'axe classique Nancy-Dijon, aux circulations voyageurs homéopatiques à cce jour.
Au lancement de la coopérative, fin 2019, Railcoop s’était fixé l’objectif de mettre en service sa relation voyageurs Lyon-Bordeaux dès 2022 affirmait pouvoir transporter dès 2022 avec un trafic espéré de 690.000 voyageurs par an, cumulant voyages de bout en bout et l’important trafic de cabotage espéré, du type Montluçon-Lyon (relation aujourd’hui privée de tout train direct et mal assurée en combinaison car-train), Roanne-Gannat, Montluçon-Limoges, etc… Deux allers-retours diurnes et un nocturne étaient espérés.
Dans un premier temps, le temps de parcours de bout en bout fut estimé par Railcoop à 6 h 47 mn, avant d’être porté à 7 h 30 mn. Le projet se heurta d’entrée aux limitations de temps de service des agents de régulation de SNCF Réseau, cette dernière exigeant que Railcoop supporte le coût d’ajouts de postes de travail pour des services tardifs. Puis la question de la nature et de la disponibilité du matériel roulant se posa avec acuité, alors qu’il s’agit là de la condition numéro un. Un achat à diverses régions (dont Auvergne-Rhône-Alpes) de rames diesel d’occasion X72500 fut acté. La question est désormais de les rénover – une première est en cours aux ateliers ACM de Clermont-Ferrand – et surtout, pour ce faire, de trouver des financements.
La question financière se pose pour un régime aux risques et périls, l’Etat n’intervenant pas
La question financière constitue bien le principal point d’achoppement du projet et le renoncement au fret, parce que non immédiatement rentable, s’explique de ce fait. Le fret ne parvient pas à générer cette amorce de ressource permettant de rassurer les banques qui hésitent notoirement à financer le projet voyageurs au grand dam de la direction de Railcoop qui en a appelé à une garantie de l’Etat, apparemment en vain.
A ce jour, le projet Lyon-Bordeaux est reporté à 2024 avec un seul aller-retour quotidien. De quoi décevoir les collectivités locales, communes, département et même métropole de Lyon qui ont souscrit au capital social de Railcoop. Mais il est vrai qu’en matière de desserte ferroviaire, les élus des territoires et cités concernés ont depuis longtemps l’habitude de la déception, quand ce n’est pas de l’indignation.
Cavalerie TER en gare de Lyon Perrache. La noeud ferroviaire lyonnais offrirait une cascade de correspondances aux voyageurs Railcoop en provenance de Bordeaux, mais aussi de Périgueux, Limoges, Guéret, Montluçon, Gannat... vers les Alpes, le Jura, l'Italie et la Suisse. ©RDS
Toute la difficulté de Railcoop réside dans un entre-deux lourd de nombreux dangers. Elle assurera la liaison Lyon-Bordeaux sous le régime de l’accès libre, donc à ses risques et périls. Or cette liaison sur lignes classiques, à voie unique sur 255 km soit 40 % du parcours (Gannat-Commentry, 54 km ; Montluçon-Saint-Sulpice-Laurière, 123 km ; Nexon-Périgueux, 78 km), est susceptible de relever soit d’un service national conventionné de type Intercités (Trains d’équilibre du territoire) tel qu’existant jusqu’à sa suppression, soit d’une coordination entre les deux services TER des régions mitoyennes Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine. Dans ces deux cas, ces trains s’ils existaient seraient subventionnés – à juste titre - par la puissance publique.
L’Etat s’étant désengagé massivement des relations interrégionales à longue distance, au mépris d’une conception multipolaire du territoire, et les deux régions mitoyennes étant à l’évidence atteinte d’une cécité réciproque, Railcoop tente de se substituer à la démission des acteurs publics. L’entreprise est ambitieuse, mue par une volonté de justice territoriale. Mais une coopérative, fût-elle soutenue par des municipalités et départements, peut-elle inventer un modèle économique pour une desserte ferroviaire relevant à l’évidence de la solidarité nationale foulée aux pieds par l’Etat jacobin.
Debaisieux : « Nous ne venons pas concurrencer la SNCF »
« Il n’y a pas d’avenir pour les trains des campagnes, il faut s’occuper des métropoles », affirmait un ancien cadre de la SNCF voici quelques semaines, oubliant que les « campagnes » (Montluçon, jadis desservie par des Genève-Bordeaux, est-elle une commune de « campagne » ?) paient aussi leurs impôts et qu’à ce titre elles peuvent revendiquer le droit d’être transportées autrement qu’en attendant au bord des routes les rares autocars octroyés par la république supposément « égalitaire ». Au demeurant, insiste Nicolas Debaisieux à l’adresse des syndicalistes opposés par principe à ce projet, « nous ne venons pas concurrencer la SNCF puisque nous utilisons des lignes où elle ne va plus ». Il ajoute, probablement moins convaincant : « Il y a des segments de marché où la SNCF ne peut pas être viable mais où d'autres entreprises peuvent l'être »
Nicolas Debaisieux tient à ce projet transversal aux risques et périls de ses sociétaires : « On a déjà les trains, on a négocié avec SNCF Réseaux les sillons de circulation. Il nous manque encore quatre millions d'euros pour boucler la rénovation des rames. C'est beaucoup, mais c'est ce que nous avons déjà levé l'an dernier ». Il ajoute, interrogé par France Bleu : « J'y crois toujours. Le ferroviaire se développe fortement. Entre 2019 et 2021, la croissance du nombre de voyageurs chez la SNCF est de 20 %. Il y a donc une attente très forte à cause notamment du coût de l'énergie, il faut des mobilités alternatives. »
Rejoindre Limoges depuis Lyon par train aujourd'hui ? Un véritable parcours du combattant que le service Lyon-Bordeaux permettrait de simplifier considérablement. Sur ce type de relation, le cabotage constitue l'une des ressources-clé de l'exploitant, ce que peine à conceptualiser l'entreprise d'Etat qui préfère liquider les trains (supposément) "des campagnes". Notons qu'un temps de parcours Lyon-Bordeaux par Montluçon (environ 7h30mn de bout en bout) est comparable à celui via les LGV et Montpellier. Notons que la région Auvergne-Rhône-Alpes n'assure aucun TER Montluçon-Lyon malgré l'appartenance des deux villes à la même région et malgré l'existence d'une section directe Gannat-Saint-Germain-des-Fossés actuellement privée de trains de voyageurs.
Raildusud n’a pas pour objectif de prédire l’avenir. Pour autant si les deux régions concernées, et en particulier Auvergne-Rhône-Alpes dont la politique ferroviaire voyageurs manque particulièrement d’audace depuis quelques années, parvenaient à s’entendre, Railcoop leur apporterait sur un plateau un concept de relation interrégionale assurée à l’économie. Le rétablissement d’une la relation Bordeaux-Montluçon côté Nouvelle-Aquitaine, aujourd’hui limitée à Limoges-Montluçon, la création d’une rotation Lyon-Montluçon par la section à double voie fret actuellement sans voyageurs Saint-Germain-des-Fossés – Gannat côté Auvergne-Rhône-Alpes permettrait une fusion rétablissant une continuité Lyon-Bordeaux. Railcoop aurait ouvert la voie, mettant le doigt sur l’une des graves défaillances de l’Etat en matière de gestion territoriale.