Une récente étude du bureau d’études belge Transport & Mobility Leuven (TML), citée par la Fnaut, recommande de privilégier l’électrification classique des lignes encore en traction thermique ou, faute de mieux, d’utiliser des engins moteurs à batteries. Cette étude vient heurter de plein fouet la nouvelle tendance du moteur à pile à combustible, qui utilise l’hydrogène comme vecteur d’énergie et qui est porté par plusieurs constructeurs et par certains lobbies des multinationales de l'énergie. Notons que la région Occitanie entend équiper de trains à hydrogènes la ligne Montréjeau-Luchon, qu’elle a malheureusement renoncé à réélectrifier alors que sa caténaire (désormais obsolète) avait été posée par la compagnie du Midi et qu’elle se situe à la périphérie d’un réseau ferroviaire entièrement électrifié. Il n’est pas dit que les rames à hydrogène qu’elle entend commander, les installations y afférant et le transport de l’énergie ne finissent pas par lui revenir plus cher qu’une bonne vieille paire de fils d’alimentation en 1.500 V.

Transporter le stock d’énergie, un recul par rapport à la caténaire

 La motorisation « à hydrogène »  constitue déjà un recul de principe dans l’histoire ferroviaire. Cette dernière est en effet caractérisée par un transfert progressif de fonctions du véhicule vers l’infrastructure : guidage et planéité ; espacement et sécurité ; et, depuis l’installation du troisième rail et de la caténaire, fourniture de l’énergie. Le train électrique classique n’embarque pas son électricité, qu’il reçoit directement de la ligne qu’il parcourt. Utiliser l’hydrogène – vert ou gris, quelle que soit son origine – revient à charger à nouveau le véhicule de la source d’énergie qu’il va dépenser pour avancer, comme pour tout moteur thermique, à charbon ou à pétrole.

 Par ailleurs, l’utilisation du moteur pile à combustible par réaction de l’hydrogène et de l’air ambiant implique une chaîne de fourniture de  la matière première qui exige de la transformation, du transport, de la sécurisation, du stockage, du transfert… et donc à la fois une dépense d’énergies diverses (et de main d’œuvre) et une déperdition de l’énergie originelle,  électrique.

Montréjeau GareGare de Montréjeau Gourdan-Polignan. L'antenne de Luchon s'amorce à quelques centaines de mètres et est longue de quelque 35 km. Electrifiée par la compagnie du Midi, désélectrifiée par la SNCF voici quelques années, elle constituera un hiatus dans l'ensemble des lignes du sud-ouest de l'Occitanie, toutes sous caténaires. 

 L’ingénieur allemand Reinhard Christeller a évalué, dans un article publié par Stadtverkehr et dont se fait l’échos Philippe Hérissé dans Rail Passion de ce mois de février (n°304), a établi « les pourcentages d’énergie initiale arrivant à la roue » suivant les techniques utilisées. Ces valeurs moyennes sont les suivantes : par la caténaire, 75 % de l’énergie initiale parvient à la roue (le reste est dispersé en particulier dans le transport par le réseau à haute tension, moindre si la turbine électrique est proche de la ligne ferroviaire, ce qui est le cas dans les Pyrénées...) ; par la technique des batteries rechargées en ligne, 63 % de l’énergie initiale parvient à la roue (type électrification « frugale » en vue sur Marseille-Aix, la récente rénovation de la ligne n’ayant pas ménagé un gabarit suffisant en vue d’une électrification totale) ; par la technique des batteries avec charge en terminus de  ligne, le pourcentage tombe à 56 % ; avec la technique de la pile à combustible hydrogène, le pourcentage de l’énergie initiale parvenue à la roue s’effondre à 20 % et à seulement 16 % avec celle de l’hydrogène à moteur thermique.

 Passer de 75 % (caténaire) à 20 % (hydrogène pile à combustible) : voici un « delta » susceptible de faire réfléchir le plus inexpérimenté des comptables. Mais on objectera l’importance du coût d’installation d’une caténaire (poteaux, sous-stations, câbles et fils) pour justifier l’embarquement d’hydrogène à bord.

Une comparaison entre hydrogène, hybrides à batteries, caténaire

 Une comparaison effectuée par le site actuteroccitanie est édifiante. Il rappelle en préambule qu’en 2021 « les régions Auvergne Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est et Occitanie se sont associées avec la SNCF et Alstom pour acquérir 12 rames Régiolis dont la traction sera bi-mode électrique-hydrogène », avec une autonomie de 600 km en mode pile à combustible. Devis du marché : 231 millions d’euros parmi lesquels 42 millions d’euros pour l’achat de seulement trois rames par la région Occitanie afin d’en équiper la ligne à voie unique Montréjeau-Luchon (35,6 km) dont les travaux de réhabilitation commencent cette année pour une réouverture qui aura pris au moins quatre années de retard sur le calendrier initial.

 Actuteroccitanie analyse en suite deux autres solutions, le train hybride électrique-thermique-batteries avec récupération de 90 % de l’énergie au freinage (soit une économie de 20 %). Son expérimentation sur une rame Regiolis Occitanie, en cours, s’élève à 16,8 millions d’euros dont 3 M€ payés par le conseil régional, avec une promesse d’autonomie de quelque 1.000 km. Tous impliquent un transport d’un stock d’énergie à bord.

 Une autre expérimentation, sur une rame AGC, soutenue par cinq régions parmi lesquelles Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur vise à remplacer les moteurs diesel par des batteries permettant une autonomie de 80 km, une économie d’énergie de 20 % et une longévité des batteries d’une décennie. Cette expérimentation est évaluée à 38 millions d’euros dont 5,4 M€ réglés par la région Occitanie qui prévoit de faire rouler cette rame entre Nîmes Centre et Le Grau-du-Roi, 40 km hors caténaires (45 km au total) soit le maximum d’autonomie admissible. Un temps de rechargement au terminus sera indispensable et devra être intégré au roulement.

IMG_20230204_153225Rame TER à deux niveaux en gare de Chambéry Challes-les-Eaux à destination de Valence Ville. Seule une électrification classique avec caténaire permet la circulaiton de ce type de rames à deux niveaux, gâce à la puissance qu'elle permet. L'électrification du Sillon alpin Moirains-Valence puis Montmélian-Grenoble est l'une des plus récentes électrifications par caténaires entreprises par la SNCF, et largement financée par l'ancienne région Rhône-Alpes. ©RDS 

Reste la caténaire. Actuteroccitanie insiste sur le fait que la totalité des lignes et antennes pyrénéennes furent électrifiées, y compris Lourdes-Pierrefittes qui est la seule ligne électrifiée de France à avoir été déferrée, un comble alors que les usines hydroélectriques sont à proximité de la zone de consommation. Surtout, il produit une étude (coûts d’investissement et d’exploitation rapportés au trafic potentiel) de la SNCF qui montre que la traction électrique par caténaire classique (et complète) n’est pas tellement plus chère que la traction électrique par caténaire « frugale » (partielle) impliquant des trains à batteries.

 Il démontre aussi que l’électrification « frugale » est rapidement plus rentable que la traction « thermique non fossile » (incluant l’hydrogène). Le trafic potentiel n’a donc pas à être très élevé pour que le « thermique non fossile » devienne plus cher que l’électrification frugale, et si ce trafic potentiel croît encore, pour que l’électrification complète devienne plus intéressante que l’électrification « frugale ».

 

Graphique évaluant les zones de pertinence des différents types de motorisation. Il importe de souligner que seule l'électrification par caténaire permet d'émanciper le véhicule de la charge de son stock d'énergie.

Ces lignes d’Occitanie éligibles à une électrification complète classique

 L’électrification complète permet, au contraire du thermique non fossile, de franchir un niveau d’offre vers le haut par introduction de rames à deux niveaux. En Occitanie, le site susmentionné évoque ainsi comme lignes éligibles à l’électrification la section Nîmes-Alès (pour 60 M€) et sa quarantaine de circulations quotidiennes, seule section à double voie de cette région à ne pas être électrifiée à l’exception de sections récemment doublées Toulouse-Saint-Sulpice, ainsi que ce quart-nord-est toulousain, l’axe périurbain Toulouse-Auch (100 M€) et la ligne Nîmes-Le Grau-du-Roi (45 M€) sous réserve d’aménagements permettant d’accueillir des TGV estivaux. (1)

 Sur Montréjeau-Luchon, le site évalue une réélectrification à 35 M€ (20 M€ lors de l’étude préliminaire)… à comparer avec le prix d’achat des trois rames à hydrogène par la région Occitanie, évalué à  42 millions d’euros. Comme pour les autres axes évoqués, le retour à l’électrification complète, surtout dans un environnement de lignes adjacentes déjà électrifiées, permet d’éviter la création de sous-parcs de matériel moteur, coûteux à l’acquisition (séries limitées, technologies nouvelles…) et source de rigidité à l’exploitation.

IMG_20200714_172331En gare d'Alès. Si le nombre de circulations de et vers Nîmes peut justifier une électrification de cette section à double voie, la difficulté résiderait dans l'organisation de l'exploitation plus au nord. Des rames bimodes seraient nécessaires, renchérissant le coût de l'opération.  ©RDS 

 Les réseaux voisins de la France continuent d’électrifier leurs lignes demeurées en traction thermique. C’est le cas de l’Allemagne et même de l’Italie pour ce qui reste à cette dernière de reliquat de lignes non électrifiées. Avec sa relance de l’énergie électronucléaire, l’actuel gouvernement français ferait bien de penser à l’usage transport du supplément d’électricité qui sera ainsi produit, comme le firent les gouvernements de l’ère Giscard : par une relance des programmes d’électrification du réseau ferroviaire. Hélas, le « décroissantisme » de l’écologisme politique, allié à l’obsession très française de disruption technologique et au lobbyisme de l’industrie pétrolière et gazière en faveur de l’hydrogène risque de renvoyer une fois de plus la France au statut du pays des illusions perdues. A quel prix ?

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(1) Lien vers l'article du site actuteroccitanie :

Hydrogène, batteries ... et un peu de caténaires?

À l'heure où la réduction des émissions de gaz à effet de serre s'impose de plus en plus dans le débat quotidien, au point de parler de "verdissement" du ferroviaire pourtant déjà peu émetteur, la SNCF développe une multitude d'option. En Occitanie, la région s'est engagée dans le développement de ces alternatives mais qui ferait...

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