Une taxe imposée aux habitants situés à moins de 60 minutes d’une gare desservie par les futurs trains à grande vitesse, une levée de boucliers d’élus de la côte basque : le Grand projet Sud-Ouest, ces 327 km de lignes à grande vitesse en forme de tripode qui relieraient Bordeaux, Toulouse et Dax pour une dizaine de milliards d’euros reste un sujet explosif dans les régions concernées.
Si les conseils régionaux d’Occitanie et de Nouvelle Aquitaine soutiennent fermement le projet – ce dernier mettant pour condition la réalisation effective de la branche vers Dax, longue de 105 km au sud du point de convergence des trois sections à Bernos-Beaulac – d’autres élus se manifestent contre le GPSO alors que son financement va faire appel à nombre de leurs administrés.
Une hausse des taxes foncières dans les 2.340 communes à moins de 60 mn d’une gare TGV
Dès 2023 une taxe spéciale d’équipement va contribuer au financement du GPSO et de ses itinéraires d’approche. Ces derniers, rappelons-le, verront le nombre de voies des lignes classiques menant à la ligne nouvelle passer de deux à trois au sud de Bordeaux (Aménagements ferroviaires sud Bordeaux AFSB) et de deux à quatre au nord de Toulouse (Aménagements ferroviaires nord Toulouse, AFNT). Ces deux chantiers bénéficieront aux TER et aux futurs réseaux express métropolitains.
Un arrêté, publié le 31 décembre 2022 au Journal Officiel a énuméré les 2.340 communes dont les habitants devront payer cette « taxe spéciale d’équipement », copiée sur celle imposée aux Franciliens pour le Grand Paris express. Cette contribution, dont le montant global a été porté de 24 à 29 millions d’euros permettra de réduire la part de la contribution des collectivités locales des deux régions concernées. Plusieurs ont manifesté leur opposition au GPSO. Ce transfert très partiel du budget des collectivités vers celui des citoyens les fera-t-elle changer d’avis ?
Carte synthétique des projets GPSO, incluant le réseau tripode à grande vitesse, les aménagements des sections périurbaines d'accès et la lointaine prolongation vers l'Espagne en mode fret-TGV. (Doc. SNCF Réseau)
Cette contribution, incluse dans l’article 103 de la loi de Finances 2022, sera répartie « entre toutes les personnes, physiques ou morales assujetties aux taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties (les propriétaires de logements, les agriculteurs…, NDLR), à la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l'habitation principale et à la cotisation foncière des entreprises ». Ces contributeurs devront être situés « dans les communes situées à moins de soixante minutes par véhicule automobile d'une gare desservie par la future ligne à grande vitesse ». Ces gares sont celles de Bordeaux Saint-Jean, Toulouse Matabiau, mais aussi les futures haltes ou gares de Sud-Gironde près de Bernos-Beaulac sur la section vers Dax, Agen TGV au sud d’Agen et Montauban TGV à proximité de Montauban.
La majoration de la taxe foncière, serai de 0,4 %, soit, selon une source au conseil régional d’Occitanie, une hausse moyenne située entre 3 et 4 euros. Reste que cette taxe est imposée dans un contexte de forte hausse de la taxe foncière, induite par la suppression de la taxe d’habitation décidée contre l’avis quasi-unanime des maires de France par le candidat Macron lors de sa première campagne électorale, en 2017.
La douteuse validité du critère des « 60 minutes en voiture d’une gare TGV »
On peut légitimement s’interroger sur la validité de ce critère des « 60 minutes ». Pierre Debano, ingénieur au fait des questions ferroviaires et habitant à 30 km de la gare Champagne-Ardennes TGV et qui a déjà expérimenté, après mise en service de la totalité de la LGV Est-européenne, la baisse de l’offre dans son secteur et sa dégradation à Nancy, ironise : « Sachant que les temps de parcours évoluent d’une façon importante en fonction de l’heure de la journée, des conditions climatiques et du conducteur, gageons que nombre d’élus locaux vont demander le retour aux 80 km/h sur leurs routes ».
Il ajoute : « On fait payer à des ‘’ruraux’’ une ligne TGV qui ne leur apportera rien pour leurs relations avec leurs grands centres régionaux, et quand on est à une heure d’une gare TGV en voiture, avec en plus la marge de sécurité à prendre et le coût des parkings, sans parler de la fiabilité de la SNCF, l’automobile de bout en bout reste largement compétitive ».
Eglise Notre-Dame de Bernos-Beaulac. C'est sur cette commune rurale du sud de la Gironde que sera construit le noeuf ferroviaire permettant de relier entre elles les trois branches du tripode Bordeaux-Toulouse-Dax. L'activité de Bernos-Beaulac est caractérisée par la polyculture, l'élevage et la foresterie. Ses habitants, situés à proximité de la future halte TGV sud-Gironde, comme ceux de 2.340 communes situées à moins de 60 mn d'une gare TGV, verront leur taxe foncière augmenter de 0,4% dès 2023.
« Dans le contexte d'inflation et de réduction du pouvoir d'achat, cette énième taxe est généralement mal accueillie par les maires, la plupart ne connaissant même pas son existence », relève la rédaction régionale de Francetvinfo (1). Le média rapporte les propos d’Alain Baqué, maire de Mauvezin, dans le Gers : « On ne connaît pas les modalités de prélèvement mais cette taxe est imposée de façon arbitraire. Ceux qui habitent à une heure et dix minutes d'une gare de la LGV ne vont rien payer alors ! Pour desservir le territoire c'est bien, mais ça fait encore une taxe supplémentaire pour mes administrés. »
Au conseil régional d'Occitanie, on objecte que cette taxe « ne concernerait que les ménages propriétaires » et que donc « 42 % des foyers ne seraient donc pas concernés ». Mais on semble omettre le fait qu’en zone rurale, le taux de résidents propriétaires à faibles revenus est important. Les retraités ruraux habitant un logement hérité de leurs ancêtres en zone rurale ne sont pas des métropolitains mobiles des classes moyennes supérieures capables de s’offrir un loyer de 1.500 euros par mois. Or ces derniers ne seront pas surtaxés.
Le maire de Bordeaux, opposant notoire, rejoint par ceux de Bayonne et Irun
Cette taxe rend plus audibles les oppositions au principe même du GPSO. Le maire de Bordeaux Pierre Hurmic (EELV), de longue date farouche opposant au projet au contraire du président de la métropole Alain Anziani (PS), est rejoint dans une lettre ouverte publiée en ce début d’année par le maire de Bayonne Jean-René Etchegaray (UDI) et celui d’Irun (Espagne) Jose-Antonio Santaro (PSOE, socialiste).
Ils y contestent le GPSO en arguant que sa prolongation au-delà de Dax vers l’Espagne « n’est ni programmée, ni finançable » alors que les lignes à grande vitesse espagnoles du « Y basque » arriveront à la frontière depuis le sud dès 2027. L’extension de la LGV française de Dax à Irun est envisagée par le Conseil d’orientation des infrastructures (COI), dans un rapport daté du mois de décembre 2022, « au plus tôt en 2042 ». Le conseil de la communauté d’agglomération du Pays Basque avait voté à 80 % contre l’ensemble du projet en décembre 2021.
TGV SNCF en gare de Bordeaux-Saint-Jean. La branche du GPSO vers Dax devra être poursuivie jusqu'à la frontière espagnole por trouver sa pleine justification. ©RDS
Cet angle d’attaque est d’autant plus judicieux qu’un éventuel financement européen du GPSO, espéré à quelque 2 milliards d’euros (sur 10 mds€ au total) paraît conditionné à la réalisation de la branche Bordeaux-Dax, la seule à présenter un intérêt international. Retrancher Benos-Beaulac-Dax du GPSO reviendrait à condamner financièrement l’ensemble du projet.
Les élus signataire de cette lettre ouverte proposent « la modernisation de la ligne existante entre la frontière espagnole et Bordeaux », selon eux « moins onéreuse, plus sobre, plus rapide à réaliser, plus respectueuse des territoires et des écosystèmes ». Selon eux, « des études antérieures accréditent cette alternative ».
L’amélioration de la ligne existante ne serait pas si « écologique » que ça…
Cet argumentaire se heurte à des réalités techniques. Un quadruplement de la ligne des Landes dans sa longue et rectiligne partie forestière entre Facture (jonction de l’antenne d’Arcachon) et Dax paraît crédible à moindre coût (mais avec reconstruction complètes des sept gares intermédiaires et destructions de bâtiments dans les bourgs traversés) sur le mode des Aufbaustrecken (ABS – « lignes améliorées ») allemandes. Une augmentation des vitesses y serait aisée mais moyennant réélectrification et installation d’une signalisation embarquée.
Une augmentation significative des flux, sinon des vitesses, sur les sections encadrantes paraît bien plus complexe. Entre Bordeaux et Facture, l’addition de nouveaux trains accélérés à un trafic déjà élevé combinant TER (bientôt RER), trains de fret internationaux et TGV imposerait plus encore un quadruplement de la section. Les contraintes foncières y seraient bien plus lourdes qu’au sud, en particulier en banlieue bordelaise.
Gare de Biarritz. Allier une hausse du trafic fret par report modal, une amélioration des dessertes voyageurs locales et une augmentation du trafic grandes lignes se heurterait à l'exiguité des installations ferroviaires et au tracé tourmenté de la ligne classique.
Au sud de Dax, et surtout sur la côte basque du nord de Bayonne à Irun, une augmentation de la capacité de la ligne existante, au tracé tourmenté et en zone urbanisée, paraît hors de proportion avec la création d’une ligne entièrement nouvelle, mieux tracée et en partie souterraine, évitant d’impacter les agglomérations. Le souci environnemental n’est pas toujours là où on croit.
Reste que la crédibilité de la branche sud du GPSO repose en grande partie sur sa continuation en ligne nouvelle de mode mixte fret-TGV jusqu’à la frontière espagnole. Car seule cette dernière, d’intérêt européen, permettra d’améliorer significativement le flux fret et d’en décharger la ligne classique qui traverse des zones fortement urbanisées du sud de Bordeaux et de la côte basque, permettant simultanément l’amélioration des fréquences des TER du quotidien. Ca pourrait même être celle qui devrait être construite en priorité.
Les historiens pourrait même nous renseigner quand les parisiens ont finit de payer les travaux hausmaniens et le métro de Paris, etc.