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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
14 décembre 2022

La SNCF rompt l'accord avec Renfe : les liaisons "province"-Espagne détériorées, Renfe et Iryo intéressés par le marché

 Avec la libéralisation de l’accès au réseau en France, la nature ferroviaire elle aussi commence à avoir horreur du vide. La rupture par la SNCF de sa coopération avec la Renfe entraîne la suspension en ce mois de décembre des services à grande vitesse depuis l’Espagne vers Lyon et Marseille, exploités jusqu’ici par Renfe, tandis que la SNCF maintenait ceux qu’elle exploitait, à savoir les Paris-Espagne. Pour le voyageurs, l’accès à ces deux services était transparent, avec une distribution de billets unique. Aujourd’hui c’est Iryo, filiale de Trenitalia, d’Air Nostrum et de Globalvia, et la Renfe, opérateur historique espagnol, qui envisagent de (re)venir sur le marché Marseille/Lyon-Barcelone.

Une vision jacobine

 Que la SNCF se révèle une fois de plus l’entreprise publique parmi les plus jacobines de France, personne ne s’en étonnera. Les TGV Paris-Espagne lui paraissent financièrement plus intéressants que les « province »-Espagne. Voilà qui tombe sous le sens puisque les Paris-Espagne effectuent l’essentiel de leur parcours en France, la distance Perpignan-Barcelone n’étant que de 180 km contre 866 km de Paris à Perpignan, soit un taux de parcours intra-national français de 83 %. Cette desserte, désormais deux fois par jour et par sens, touche les importantes gares françaises de Valence TGV, Nîmes Centre, Montpellier Saint-Roch (à l’exception d’un retour via le CNM), Sète, Agde, Béziers, Narbonne et Perpignan.

DSCN3847Rame AVE de la Renfe à Valence TGV. Cette photo entre dans l'histoire depuis le 11 décembre avec la suppression des services Renfe en coopération avec la SNCF entre Lyon et Barcelone. Vers l'Espagne, Valence TGV ne sera plus desservie que deux fois par jour par les seules rames TGV de la SNCF. ©RDS

 Mais elle ne touche pas Lyon, pourtant métropole intermédiaire la plus importante. Avec la cessation du service Renfe, la capitale des Gaules ne dispose donc plus d’aucune relation avec directe Barcelone, pas plus que Marseille. Or la circonscription administrative du Rhône (Métropole de Lyon et Nouveau Rhône) compte 1.876.000 habitants.

 La chalandise procurée par les villes françaises desservies et les correspondances qui y sont données ou relevées constituent une ressource majeure pour ces TGV, avec celle, massive, procurée par la région parisienne, traditionnelle assurance-vie de Voyages SNCF. La preuve en est que ces circulations sont souvent composées de deux rames au départ de Paris, une seule poursuivant jusqu’à Barcelone, l’autre étant limitée à Perpignan.

 La filiale grandes lignes du groupe d’Etat hexagonal n’aime apparemment pas prendre de risques et paraît regarder de haut les flux « province-province » et, désormais, « province »-Espagne. Elle a rapidement supprimé la circulation Annecy-Marseille cinq ans après la coûteuse mise en service (40 millions d’euros dont 24,24 M€ payés par la région Rhône-Alpes) du raccordement entre le Sillon alpin, récemment électrifié, et la LGV Méditerranée. Depuis, cette section de  2,2 km ne voit plus passer aucune circulation voyageurs alors que le Catalan Talgo réalisait jadis avec succès un Barcelone-Genève par Grenoble sur lignes classiques. Apparemment, la grande vitesse ne permet pas ce que permettait le réseau historique, changement d’écartement inclus.

Les étrangers semblent avoir une vision plus équilibrée du territoire

A l’heure de la concurrence, les exploitants étrangers (ici italiens et espagnols) paraissent avoir une vision plus équilibrée du territoire et de ses ressources que les dirigeants de Voyages SNCF. Ces derniers, claquemurés entre leurs sept gares parisiennes, peinent à concevoir que les 55 millions de Français qui ne vivent pas en Ile-de-France puissent avoir envie de se déplacer par des trains directs vers d’autres destinations que la ville supposément « lumière ».

  L’entreprise d’Etat s’est bien gardée de se substituer à la Renfe sur les relations franco-espagnoles qu’exploitait cette dernière depuis la « province ». Concurrencer frontalement son homologue espagnole sur ses lignes intérieures par sa filiale Ouigo en cassant les prix lui paraît plus prometteur.

DSC04842Nouveau bâtiment voyageurs en construction à Lyon Part-Dieu. La rénovation et l'extension de cet établissement, avec une 12e voie à quai récemment mise en service, contraste avec la réduction de l'offre internationale. Plus aucune relation directe avec l'Espagne depuis la disparition de l'AVE Renfe suite à la dénonciation de l'accord de coopération par la SNCF, Renfe ne pouvant instantanément établir son propre système de commercialisation. ©RDS

 De source sûre, c’est la SNCF qui a dénoncé le système de coopération qu’elle entretenait avec la Renfe. A l’occasion du salon IBTM, consacré au secteur conférences, événements, voyages d’affaires et congrès, tenu fin novembre à Barcelone, l’opérateur espagnol a fait porter la responsabilité de la rupture sur la SNCF, rapporte Mobilités magazine (1) : « C’est la SNCF seule qui a souhaité se retirer du joint-venture. La Renfe souhaitait poursuivre », lui ont confié des représentants de la Renfe.

 Au service 2023, débuté le 11 décembre, les relations historiques « province »-Espagne à grande vitesse seront donc suspendues. Cette décision « est étonnante, qui fait bien désordre, au moment où les dirigeants politiques multiplient les déclarations visant à promouvoir le transport ferroviaire pour des questions environnementales, et quand les dirigeants des compagnies ferroviaires annoncent vouloir doubler leurs parts de marché ! », commente Jean-François Bélanger, journaliste à Mobilités magazine.

Les Espagnols ne pouvaient reconstituer rapidement un réseau de commercialisation

 Une source de Voyages SNCF avait auparavant estimé que « la Renfe était intéressée » par une reprise en solo des relations Lyon/Marseille-Espagne, suspendues en raison de la décision unilatérale de l’entreprise française. Mais les Espagnols ne pouvaient pas, du jour au lendemain, établir un réseau de commercialisation alternatif alors que jusqu’ici les titres de transport pour les trajets intérieurs à la France sur les AVE ibériques étaient commercialisés par la SNCF. Or cette ressource était importante. La relation Languedoc-Lyon était prisée, abondant la desserte des gares centrales de Montpellier et Nîmes vers la capitale des Gaules en fin de matinée. Au service 2023, on constate un « trou » considérable en matinée en raison de la disparition de l’AVE.

IMG_20210605_101027130_HDRRame TGV Inoui de Voyages SNCF quittant Valence TGV. A droite, la liaison construite à grands frais vers le sillon alpin, Moirans Grenoble, Annecy ou Genève. Cette voie unique n'est lus parcourue par aucun service commercial. Le rétablissement, via ce raccordement, d'une offre à grande vitesse depuis Genève reprenant l'ancien itinéraire du Catalan Talgo mais sur les LGV existantes constituerait un bond qualitatif remarquable pour les populations des Alpes et de Suisse vers le Languedoc et vers l'Espagne. Un train multi-tranche composé d'une rame Genève-Grenoble-Barcelone et d'une rame Annecy-Grenoble-Toulouse avec parcours commun entre Chambéry, Valence TGV et Narbonne ferait sens. ©RDS

 Iryo, qui vient de lancer ses relations à grande vitesse en Espagne (novembre 2022), confirme s’intéresser aux relations passe-frontière, mais sur deux axes : jusqu’à Paris et jusqu’à Lyon avec prolongation vers l’Italie du Nord, rapporte Mobilités magazine. L’expérience passée (1989-2007) sur ce dernier corridor était celle du train de nuit Barcelone-Turin/Genève (et au-delà) Pablo Casals, mais sans aucun arrêt commercial en France.

Rhône, Loire, Isère, Savoies, Drôme : 5,7 millions d’habitants

La ressource commerciale depuis la « province » vers l’Espagne est réelle. Les départements du Rhône, de la Loire, de l’Isère, des Savoies et de la Drôme totalisent 5,7 millions d’habitants, une ressource de flux considérable vers la très touristique Espagne. La partie méridionale de l’itinéraire (Vaucluse, Gard, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales) totalise 3,34 millions d’habitants. A l’exception notable du Rhône et de ses 1,876 million d’habitants, tous ces départements restent certes desservis par les deux allers-retours TGV de Voyage SNCF, mais la disparition de l’AVE Renfe réduit l’offre d’un tiers.

 Les Bouches-du-Rhône sont aussi pénalisées par la disparition du service Renfe. Or ce seul département compte 2,1 millions d’habitants. Contrairement au service quotidien originel Renfe Toulouse-Barcelone, rapidement suspendu car trop déficitaire, le Marseille-Barcelone-Madrid avait survécu, rétabli après l’épisode covidien.

Extrait d'un horaire Montpellier-Barcelone courant janvier 2023, présenté par le très efficace site des chemins de fer suisses. Quant au premier départ de Perpignan vers Barcelone, il est proposé à... 15h04 ! L'offre directe depuis le Languedoc et le Roussillon vers la Catalogne ne tient aucun compte des besoins de déplacement de populations pourtant voisines. (Doc. cff.ch) 

 L'intérêt de l'AVE amorcé à Marseille était double puisqu’il offrait au Languedoc le service le plus précoce en journée vers l’Espagne. Or la principale faiblesse du rail vers l’Espagne pour Nîmes, Montpellier, Sète, Béziers, Narbonne et plus encore Perpignan est que le train n’offre qu’une amplitude horaire dérisoire. Le premier départ de train direct depuis Montpellier vers Barcelone, offert jusqu’ici par l’AVE Renfe origine Marseille, était programmé autour de 9 h 30. Au service 2023 et après dissolution de la coopération Renfe-SNCF, ce premier départ n’est plus proposé qu’à 13 h 18, par le premier TGV Paris-Barcelone.

 La prise en considération par les dirigeants de Voyages SNCF de la « province », y compris et surtout des régions voisines de l’Espagne, relève du comique.

- - - - -

(1) Lien vers l’article de Mobilité magazine sur le sujet :

https://www.mobilitesmagazine.com/post/la-renfe-et-iryo-interessees-par-barcelone-marseille-et-barcelone-lyon

 

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Commentaires
R
Si le 1er tgv montpellier barcelone depuis marseille est déjà un peu tardif le matin, a contrario, il n’est meme pas accessible depuis Nice, meme avec une correspondance ter.<br /> <br /> Une relation matinale entre le languedoc et barcelone gagnerait donc à être spécifique, de facon à ce que les autres trains puissent couvrir un large spectre du territoire francais (et evidemment, pas que paris)<br /> <br /> <br /> <br /> Imaginons que Ales Nimes soit electrifié (pour d’autres motifs évidemment, dans le cadre d’une electrification qui pourrait etre + frugale au nord d’ales avec train à batterie)… et on pourrait envisager un tgv Ales Nimes Montpeller st roch beziers narbonne Perpignan Barcelone (par les gares centrales, tandis que les autres tgv passeraient + probablement par les gares du cnm)
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V
La RENFE exploitera à nouveau non pas un mais 2 AR directs sur Madrid-Saragosse-Barcelone -Marseille ainsi que sur Barcelone-Lyon à partir de cet été 2023 et même sans doute un peu avant.<br /> <br /> Les sillons ont été obtenus, les essais à vide commenceront dès le 16 janvier 2023, la formation des mécaniciens est en cours, le certificat de sécurité a été obtenu le 22 décembre 2022 (valable sur ces 2 itinéraires pour l’instant mais la RENFE a fait une nouvelle demande pour le réseau tout entier).<br /> <br /> <br /> <br /> A moyen ou long terme, la compagnie publique espagnole souhaite se positionner sur l’ouverture à la concurrence des TER dans les régions Grand-Est et Hauts-de-France.<br /> <br /> <br /> <br /> Sur Paris-Barcelone, la SNCF exploite toujours 2 AR toute l’année, un troisième l’été et elle est bénéficiaire sur ces liaisons. <br /> <br /> <br /> <br /> Aucune de ces 2 compagnies ne souhaitent exploiter un train de nuit sur ces axes car estiment-elles, li serait déficitaire.
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G
Concernant le fait que la SNCF ne fait pas de train depuis Lyon et Marseille vers Barcelone, il ne faut pas oublier qu'il y a 2 types de matériel entre la SNCF avec les trains à 2 niveaux et la RENFE qui a du matériel 1 niveau.<br /> <br /> Si on regarde la comparaison entre les Comfort 200 et les Euroduplex fait par TransportRail sur Bordeaux Marseille, on se rend compte que les Euroduplex ont pas mal de désavantages. Si la SNCF avait plus de TGV à 1 niveau, peut être que ça serait plus intéressant de faire de telles liaisons depuis Lyon et Marseille vers Barcelone.
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D
La presse méridionale est consternée par cette "stratégie " de la SNCF :<br /> <br /> <br /> <br /> https://www.lindependant.fr/2022/12/13/transports-sncf-inaugure-un-tgv-paris-barcelone-10865403.php
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H
Vu ce matin une rame Avril S-106 , en train d'évoluer à Lyon Gerland.
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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