L’introduction progressive de la gratuité sur le réseau des transports urbains de Montpellier ne va pas sans mal. Les témoignages de contrôleurs indiquent une forte proportion des cas de non-validation ou de voyages sans titre de transport. Une récente opération menée par la gendarmerie sur la partie la moins fréquentée de la ligne 3 a montré un taux d’infractions élevé : 47 contraventions pour défaut de titre de transport en seulement deux heures sur une seule ligne.

Le message « gratuité » peut être surinterprété

 Ce phénomène peut s’expliquer par de nombreux facteurs. D’une part la baisse du pouvoir d’achat induite par l’inflation dont le bond récent, en particulier dans l’alimentaire, ampute les budgets des ménages. D’autre part la vague culturelle d’incivilité, qui se manifeste de multiples façons, de la fraude à la violence. Mais à Montpellier, l’introduction progressive de la gratuité, promesse de campagne du maire et président de la métropole Michaël Delafosse (PS), désormais accompagnée de multiples campagnes publicitaires, est susceptible de favoriser le phénomène.

IMG_20221006_105351Citadis 302 de  la ligne 4 du réseau de Montpellier, en livrée Lacroix, passant la jonction située sur le pont de Lattes, en surplomb des aiguilles de tête de la gare de Montpellier Saint-Roch. Sur cette vue, la rame est détournée via Léon Blum, la boucle de la ligne 4 étant réduite en raison des travaux à la station Corum.  ©RDS

Le message « gratuité » des transports peut en effet être surinterprété comme un droit de libre embarquement à bord des véhicules de TaM, les Transports de l’agglomération de Montpellier, actuellement exploités en délégation par Transdev. Or les conditions d’obtention de la gratuité sont soumises à des règles imposant quelques démarches préalables avec obtention d’une carte d’abonnement gratuit, garanties théorique pour l’exploitant d’évaluer son trafic et, éventuellement, pour l’autorité organisatrice de revenir sans heurts sur la mesure sans heurts, par simple facturation du renouvellement de l’abonnement.

Les trois conditions pour bénéficier de la gratuité sur le réseau de Montpellier

 Rappelons les conditions d’accession à la gratuité sur le réseau de Montpellier. Il convient d’abord de résider sur le territoire d’une des 31 communes de Montpellier Méditerranée Métropole, qui compte 491.000 habitants. Le territoire de cette métropole est très découpé, sa partie nord-est, entre Vendargues et Montaud, formant une excroissance au milieu de communes ayant refusé d’adhérer à l’intercommunalité montpelliéraine. De ce fait, de nombreux habitants de communes non métropolitaines plus proches de la ville-centre que des communes métropolitaines sont exclus de la gratuité: les habitants de Mauguio (16.800 habitants), qui inclut la station balnéaire de Carnon,  ou Saint-Aunès (3.800 habitants), dont les populations sont en forte augmentation. Ces deux communes sont mitoyennes de la commune de Montpellier mais adhérentes de l’intercommunalité Pays de l’Or. Elles ne sont donc pas éligibles à la gratuité des transports et desservies par un réseau spécifique : Transp’Or. Il en va de même pour Palavas-les-Flots 5.800 habitants et station balnéaire.

 La deuxième condition est celle de l’âge. Jusqu’à la fin 2023, ne sont éligibles à la gratuité sept jours sur sept que les habitants de la métropole âgés de moins de 18 ans ou de plus de 65 ans. Les autres n’y ont droit que les jours de fin de semaine, soit les samedis, dimanches, plus les jours fériés. Enfin, une réduction de 10 % à 20 % est consentie aux abonnés payants.

 La troisième condition est celle d’obtenir un titre de transport sur carte à puce ou smartphone  baptisé « Pass Gratuité », sur présentation d’un justificatif de domicile et d’une pièce d’identité. Ce « Pass gratuité » est en fait un abonnement gratuit valable désormais deux ans et impose une validation à chaque montée dans un véhicule de TaM. Il doit être renouvelé ensuite.

Un « Pass Gratuité » non validé n’est pas un titre de transport

 Le terme de « gratuité » décliné par les affiches de promotion de la mesure constitue donc un raccourci susceptible d’induire en erreur, principalement les voyageurs occasionnels… ou dyslexiques. La consistance de la mesure s’apparente plus à un abonnement cadeau qu’à une libre circulation sans validation telle qu’elle est pratiquée par exemple sur la courte ligne de tramway d’Aubagne depuis 2009.

IMG_20221017_172402Rame de la ligne 2 à la station terminus Jacou, en livrée neutre pour renforts. La gratuité version Montpellier est encadrée, avec obligation de validation d'un titre de transport à chaque montée, correspondances comprises.  ©RDS

La gratuité montpelliéraine, même une fois généralisée, n’économisera pour l’exploitant ni le système de distribution des titres de transport, ni celui de leur validation. Les personnels dédiés à l’établissement des « Pass Gratuité » demeurera. Les valideurs embarqués dans les rames et les autobus resteront en place, permettant un décompte fin des fréquentations et des flux.

 En théorie. Car les slogans autour de la gratuité des transports sont susceptibles de faire oublier qu’un « Pass Gratuité » non validé ne constitue pas un titre de transport valable aux yeux du transporteur. Il en résulte une  vague de non validations perceptible aux observateurs comme aux forces de l’ordre ou aux contrôleurs de TaM.

L’opération qui visait les trafics a mis au jour les défauts de titres de transport

  Une opération de deux heures, de 16 h 00 à 18 h 00 menée le 3 novembre au terminus de la ligne 3 à Juvignac, visait d’abord les trafics. Menée par la gendarmerie sur réquisition du procureur de la République de Montpellier et par des contrôleurs TaM, soit une vingtaine d’agents au total, elle a débouché sur la constatation de huit infractions pour détention de stupéfiants. Mais, durant ces deux heures, les forces de l’ordre et de contrôle ont dressé 47 contraventions pour défaut de titre de transport.

 Il se trouve que ce terminus Juvignac n’est desservi que par une rame sur deux circulant sur la ligne 3. La moitié des rames fait terminus à Mosson, l’autre moitié continue jusqu’à Juvignac par une interstation sur voie unique d’environ 1.100 m qui contourne le pôle d’échange multimodal de Mosson, franchit le cours d’eau éponyme et atteint par une longue déclivité le plateau de Juvignac.

 La station terminus se situe au coeur d’un quartier résidentiel relativement dense récemment bâti, les Constellations, et à proximité d’une zone pavillonnaire plus ancienne. Entre 16 h 00 et 18 h 00 le 3 novembre, on a dénombré 10 arrivées de rames au terminus Juvignac. Le nombre moyen d’infractions aux titres de transport a donc atteint près de cinq par rame, un chiffre important compte tenu du fait qu’on est en bout de ligne.

En 2021, un taux de fraudes évalué à 20,6 %

 En 2021, première année d’introduction partielle de la gratuité, rappelle le site spécialisé tramwaydemontpellier.net (1), le taux de fraudes sur le réseau TaM était évalué à 20,6 %. Le coût par manque de recettes de la gratuité en année complète, une fois généralisée à tous les résidents de la métropole, est évalué par les élus à 24 millions d’euros en année complète. Ce chiffre est porté à 33 millions d’euros par an par un calcul du site tramwaydemontpellier.net qui a analysé le bilan  financier complet de TaM pour l’année 2019.

 Ces montants sont à comparer au coût prévisionnel des seuls travaux de renouvellement des voies et appareils de voie en cours depuis le début de l’été sur le réseau TaM, principalement aux deux nœuds ferroviaires complexes de Gare Saint-Roch (jonction ou croisement de quatre lignes) et Corum (jonction ou croisement de trois lignes) : 4 millions d’euros. (2)

IMG_20221017_164506Aperçu d'un chantier de renouvellement d'appareils de voie à la station Corum, cet automne. Le fort maillage du réseau montpelliérain dans la partie centrale de la ville implique de nombreux aiguillages et croisements.  ©RDS

Ces opérations de maintenance et renouvellement devraient se poursuivre les prochaines années. Lee marché pour 77 nouvelles rames (22 destinées à la ligne 5 en construction, une trentaine au remplacement des rames Citadis 401 de la ligne 1 mises en service en 2000, 17 destinées à renforcer les fréquences sur toutes les lignes et 8 en réserve) a été passé avec CAF pour 223,7 millions d’euros, soit environ 2,9 M€ par rame. Le manque à gagner induit par la gratuité devra être compensé par d’autres ressources... ou des économies d’investissement, par exemple en reportant ou limitant les projets d’extensions du réseau. (3)

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(1) Lien vers l’article du site tramwaydemontpellier.net consacré au taux de fraude :

4 août 2022 - En 2021, le taux de fraude s’est élevé à 20,6 % sur le réseau TaM Montpellier 3M

A Montpellier, la rame 2073 Citadis 402 Alstom, opérant sur la ligne 3, est photographiée en train de stationner les portes grandes ouvertes sur une voie en tiroir du faisceau de la station (L3) et terminus (L1) " Mosson ", le mercredi 1er septembre 2021.

http://tramwaydemontpellier.net

(2) Lien vers l’article du même site sur l’appréciation par la Fnaut de la gratuité :

5 octobre 2021 - Pour la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT), l'instauration de la gratuité est une décision irresponsable et démagogique qui risque de remettre en cause le versement mobilité des entreprises

A Montpellier, la rame 2049 Citadis 302 Alstom multilignes est exceptionnellement photographiée sur la ligne 3 entre les stations "Mosson" et "Celleneuve", le mercredi 1er septembre 2021. Copyright : Edouard Paris Selon une info mise en ligne par le magazine Ville Rail & Transports, ce mardi 5 octobre 2021, la gratuité totale des transports publics...

http://tramwaydemontpellier.net

(3) Lien vers l’article de Raildusud sur les projets d’extensions du réseau tramway de Montpellier :

http://raildusud.canalblog.com/archives/2022/10/20/39656866.html