Avec la dissolution en décembre d’Elipsos, cadre juridique de la coopération entre la SNCF et Renfe pour l’exploitation des relations voyageurs franco-espagnoles depuis le service 2011, la desserte à grande vitesse entre les deux pays côté est va se limiter à deux allers-retours Paris-Barcelone sans desserte de Lyon. Disparaissent en effet des horaires du service annuel 2023, qui débute le 11 décembre 2022, les relations quotidiennes Lyon-Barcelone et Marseille-Barcelone-Madrid, jusqu’ici exploitées par des rames AVE de Renfe. La concurrence ouverte prônée par l’Europe et permise par les gouvernements français et espagnols a parfois des effets exactement contraires aux buts recherchés : théoriquement une augmentation de l’offre grâce à l’optimisation des moyens par les exploitants.
Paris reliée directement à Barcelone, mais Lyon et Marseille privées de relations directes
La capitale française (Paris) sera reliée par trains à grande vitesse directs à la plus grande ville de « province » espagnole (Barcelone) alors que les deux plus grandes villes de « province » françaises (Lyon et Marseille) voient disparaître brutalement toute relation directe avec ladite plus grande ville de « province » espagnole. Simultanément, les villes intermédiaires du Languedoc et du Roussillon – Nîmes, Montpellier, Perpignan – verront dès le 11 décembre disparaître leur première liaison à grande vitesse vers l’Espagne de la journée, l’AVE Marseille-Madrid. Ce train à grande vitesse part de Marseille à 8 h 02, dessert en France Aix-TGV, Avignon TGV, Nîmes Centre, Montpellier Saint-Roch, Perpignan. Il quitte Montpellier Saint-Roch à 9 h 39, Perpignan à 11 h 12, premiers – et déjà tardifs - départs vers l’Espagne par la ligne à grande vitesse du tunnel du Perthus, la LFP (Ligne Perpignan-Figueras).
Intercités à Marseille Saint-Charles (g.). Dès le 11 décembre, la métropole perdra sa seule relation ferroviaire directe avec l'Espagne en raison de l'arrêt de l'exploitation de l'AVE Renfe-SNCF Marseille-Madrid par Barcelone. Pourtant, des trois métropoles que sont Paris, Lyon et Marseille, cette dernière est la plus proche de la péninsule ibérique. Les voyageurs vers l'Espagne devront subir une correspondance à Nîmes Pont-du-Gard ou Nîmes Centre. Ceux en provenance du reste de la Provence en subiront donc deux. ©RDS
Actuellement, le voyageur partant de Marseille rejoint Barcelone par l’AVE quotidien en 4 h 32 mn. Deux autres combinaisons sont proposées, plus longues avec correspondance Intercités-TGV en provenance de Paris ou Intercités-AVE en provenance de Lyon, respectivement en 5 h 31 mn et 6 h 04 mn. Si l’on en croit les projections des sites pour le service 2023, la relation directe AVE Marseille-Madrid ne sera pas remplacée et la liaison Marseille-Barcelone sera réduite à des combinaisons Intercités-TGV, voire TER-TGV entre 5 h 10 mn et 5 h 58 mn, soit un temps de parcours allongé d’au moins une demi-heure et l’inconvénient d’un changement à Nîmes Pont-du-Gard ou Nîmes Centre. La combinaison TER-TGV, mentionnée sur le site suisse CFF.ch, ne l’est en revanche pas sur le site SNCF Connect.
Dans le sens Espagne-France, la disparition de l’AVE Madrid-Marseille limitera nettement l’amplitude horaire du service binational puisque le dernier retour pour arrivée à Montpellier Saint-Roch sera ramené de 19 h 45 (AVE Madrid-Marseille) à 17 h 43 (TGV Barcelone-Paris).
On notera que le raccordement sud-sud du triangle des Angles, à l’ouest d’Avignon, et son long viaduc en courbe qui double celui de la liaison Valence-Marseille de la LGV Méditerranée, perdra avec la disparition de l’AVE sa dernière circulation commerciale. Il y a ainsi matière à s’interroger sur la valorisation de l’infrastructure…
Un impact sur les relations Languedoc-Lyon, les gares centrales de Montpellier et Nîmes désertées
La disparition des circulations Renfe France-Espagne impactera les relations Languedoc-Lyon, déjà dispersées entre les gares centrales et les gares excentrées à Nîmes et Montpellier. Au départ des gares centrales, la disparition de l’AVE Barcelone-Lyon créera un trou important dans la matinée. Au service 2022, la liaison Montpellier Saint-Roch-Lyon Part-Dieu part de la préfecture de l’Hérault à 11 h 25 et rallie la capitale des Gaules en 1 h 55 mn. Sa disparition au service 2023 entraînera, selon les horaires actuellement en ligne, un trou de 7 h 29 mn au départ de Montpellier Saint-Roch vers Lyon, entre le TGV Montpellier-Luxembourg (départ 6 h 29) et le TGV Montpellier-Metz (départ 13 h 58). Au service 2022, ce trou n’était « que » de 4 h 56 mn grâce à l’AVE partant de Montpellier à 11 h 25.
Les voyageurs de l’axe Montpellier-Lyon devront se rabattre sur la gare excentrée de Sud-de-France (ou Pont-du-Gard pour Nîmes), moyennant de longs parcours d’approche, sauf pour les habitants de la banlieue sud de Montpellier (ou des zones agricoles de l’est de Nîmes) et ceux utilisant leur automobile pour aller prendre le train, en souhaitant pour eux que les gares de retour soient les mêmes que celles de l’aller, ce qui est loin d’être assuré.
En attendant le lancement de nouvelles rames Renfe en concurrence frontale avec celles de la SNCF ou en complément, cette rame AVE S100 Renfe est saisie en gare de Montpellier Saint-Roch au départ pour Lyon, en fin de matinée. Avec la disparition de ce service, les relations Montpellier-Lyon au départ de la gare centrale Saint-Roch se dégradent fortement en matinée. ©RDS
Le service 2023 voit donc les deux plus grandes agglomérations françaises après Paris que sont Lyon et Marseille marginalisées dans les relations avec l’Espagne, dont elles sont pourtant beaucoup plus proches que Paris. La distance entre Barcelone et Marseille est de quelque 510 km, Lyon de quelque 640 km, mais Paris d’environ 1.050 km. La distance séparant Barcelone de Montpellier est de 340 km, de Perpignan de 190 km. Si les flux potentiels sont en rapport avec la population, ils sont aussi en rapport avec la proximité des deux extrémités de la relation. On rappellera l’échec d’un projet de relations Languedoc-Espagne porté par la filiale Ilsa d’Air Nostrum visant à relier Barcelone voire Saragosse à Montpellier en 2018.
L’absence incompréhensible de tout arrêt des deux Paris-Barcelone à Lyon
On peut s’interroger sur l’absence de tout arrêt des TGV Paris-Barcelone à Lyon (et même à Lyon Saint-Exupéry) alors qu’ils desservent la gare de Valence TGV, accessible par les TER du sillon alpin. Les 1,4 million d’habitants de la métropole de Lyon seront priés de subir une correspondance à Valence-TGV pour rallier Barcelone. On notera que ces TGV France-Espagne desservent en revanche Sète, Agde, Béziers, Narbonne et Perpignan. Une desserte de Lyon eût optimisé les relations intra-nationales permises par ces arrêts languedociens.
On peut espérer que le service 2023 restera un simple mauvais cru des relations ferroviaires voyageurs entre la France et l’Espagne. La Renfe procède en cette fin d’année au processus d’homologation pour le réseau français des rames de la série 106 du constructeur ibérique Talgo. L’exploitant historique espagnol, soumis à la rude concurrence des TGV Ouigo à bas coût de la SNCF sur ses relations intérieures, a acquis dix de ces rames tri-tension, aptes à circuler en France (25 kV alternatif et 1,5 kV continu) comme en Espagne (25 kV alternatif et 3 kV continu). Elles pourront circuler aussi bien sur des relations longues distance binationales desservant Paris au nord, que sur des distances moyennes binationales de type Marseille ou Lyon-Espagne que nationales de type Lyon-Marseille ou Paris-Lyon.
La solution du manque de relations entre régions voisines Occitanie et Catalogne serait facilitée par un nouveau matériel
Reste à définir un type de matériel et un modèle économique pour des relations binationales et interrégionales Occitanie-Catalogne. Ce matériel serait aptes à des vitesses élevées mais inférieures à 250 km/h pour bénéficier de réductions sur la section LFP Perpignan-Figueras tout en offrant des temps de parcours convaincants. Ce service devrait offrir des amplitudes horaires inconnues jusqu’ici des habitants des deux régions qui pour l’instant se tournent le dos en matière ferroviaire.
TGV Inoui sur la voie 3 du plateau grande vitesse de la gare de Valence TGV. Au service 2023, cette gare sera desservie par les TGV SNCF Paris-Barcelone alors qu'aucune gare lyonnaise ne le sera, privant la capitale des Gaules de toute relation ferroviaire directe avec la métropole catalane. ©RDS
La question du matériel apparaît bien comme la clé de la solution du problème posé aux populations voisines, réduites à utiliser massivement la voie routière. La valorisation de la LFP et de son tunnel du Perthus (8.300 m), section binationale de 44,4 km mise en service en 2009 et dont le coût de construction s’est élevé à 1,1 milliard d‘euros, dépend pour partie de ce type de relations conçues hors de la seule logique parisienne.
Avec la sous-utilisation de la branche sud-sud du triangle des Angles, celle de la LFP démontre une fois de plus où mène la seule exploitation centralisée et en étoile du réseau français.
Connait-on les intentions de la Renfe en terme de relations transnationales à l'échéance de mise en service des S-106 ?
Par ailleurs, sait-on si le processus d'homologation entamé il y a peu permettra une mise en service du service pour le SA 2024 ?