Réouverture de Boën-Thiers : l'étude d'opportunité des services de l'Etat (SNCF Réseau et Cerema) freine des quatre fers
Les premières conclusions de l’étude d’opportunité sur une éventuelle réouverture de la section Boën-Thiers (47 km) de la transversale Saint-Etienne-Clermont-Ferrand (145 km) penchent à l’évidence contre une remise en service. C’est ce que l’on peut conclure de la lecture d’un texte transmis par le Cerema, lui-même mandaté par SNCF Réseau, la région Auvergne-Rhône-Alpes étant financeur. Ce bureau national d’analyses basé à Bron (Rhône) dépend directement de l’Etat, ce qui en relativise l’objectivité. Ses premières conclusions et sa méthodologie sont vivement contestées par le collectif Letrain634269 qui rassemble en particulier les départements du Puy-de-Dôme et de la Loire, la métropole de Clermont-Ferrand, une série d’intercommunalités situées sur le parcours de cette ligne et de nombreuses associations. Ce nouvel épisode survient au moment même où la présidente de l’association Régions de France Carole Delga, président (PS) du conseil régional d’Occitanie, a solennellement mis en garde l’Etat français : « Sans choc ferroviaire, la moitié des lignes vont fermer », a-t-elle lancé, simultanément à une tribune signée allant dans le même sens signée des quinze présidents de régions. Sans ce choc, les réouvertures souhaitées n’auraient évidemment pas lieu.
Alors que l'autre étude, celle concernant l'état des ouvrages d'art et de la plateforme, semble relativement positive, le collectif Letrain634269 s’indigne en ces termes : « Nous avons eu connaissance des premières conclusions partielles de l’étude d’opportunité concernant la réouverture de la liaison Clermont-Ferrand Saint-Étienne par Boën et Thiers. Cette étude commandée par la région Auvergne Rhône-Alpes pourtant voulue indépendante le 23 février 2021 par le président de région Laurent Wauquiez laisse apparaitre manifestement de graves manquements et est clairement orientée en défaveur de la réouverture de la liaison ferroviaire entre ces deux métropoles ».
A l’évidence, SNCF Réseau n’a aucune appétence pour une réouverture qu’elle pourrait cofinancer
Il paraît clair qu’en pleine tempête financière, explosion du prix de l’électricité sans compensation gouvernementale, désengagement de l’Etat avec un « contrat de performance » gravement sous-dimensionné, la SNCF et singulièrement sa filiale Réseau n’ont pas d'appétence pour une réouverture qu’elles seraient amenées à plus ou moins cofinancer. Or c’est à SNCF Réseau que le conseil régional a commandé cette étude d’opportunité sur une éventuelle remise en service de la section Boën-Thiers. Le gestionnaire d’infrastructure l’a sous-traitée au Cerema, établissement public sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires. On aurait pu imaginer que le Cerema, en pleine ébullition autour de la sobriété énergétique et des transports vertueux, aurait choisi une méthodologie elle-même vertueuse. Mais entre Etat, SNCF et Cerema, la danse se fait entre organismes publics.
Automoteur provenant de Saint-Etienne, en approche de la gare de Boën son terminus. La tactique de la SNCF qui consiste à économiser l'entretien de la partie centrale d'une ligne en limitant l'exploitation aux deux antennes d'extrémités prive celles-ci du trafic de transit. Ici, il s'agit du transit entre deux métropoles totalisant quelque 800.000 habitants, sans compter les intercommunalités intermédiaires. Pendant ce temps, la région finance des autocaristes pour assurer le service sur route. ©RDS
Or, relève Letrain634269, les premières conclusions de l’étude du Cerema montrent un biais ouvertement défavorable à toute remise en service. L’étude découpe son analyse entre secteurs denses et peu denses, amenant à conclure qu’entre Boën et Thiers, zone montagneuse dont les principales communes sont principalement Noirétable (1.500 habitants) et Chabreloche (1.200 habitants), la ligne n’intéresserait qu’une chalandise limitée. Le collectif réplique : « Nous avons demandé le rétablissement de la liaison inter-métropoles. Nous n'avons pas demandé un RER. Si on prend prétexte des zones peu denses pour ne pas relier les métropoles, supprimons la ligne Vichy-Roanne entre autres ! C'est ce découpage qui a eu raison de nombreuses ‘’petites lignes’’ y compris la section Boën-Thiers. D’autre part, aujourd'hui il y a une seule et unique région ! Il faut arrêter ce découpage ».
D’autre part, le Cerema n’a pris comme référentiel du trafic potentiel la seule période 1990-2018. Or c’est durant la seconde partie de cette époque, précisément, que l’offre a été délibérément dégradée par l’exploitant, technique bien connue d’épuisement de la demande par rétraction de l’offre afin de justifier une future fermeture. Le collectif Letrain634269 s’indigne : « La période étudiée (1990-2018) ne reflète que la période la moins dynamique car elle tient compte des dix dernières années de la dégradation de l'offre ferroviaire (2005-2016) ». De plus, explique-t-il, le passé ne saurait expliquer l’avenir.
L’étude du Cerema ne prend pas en compte « les nouvelles aspirations de la population, le bouleversement du paysage en matière de mobilité, les attentes fortes des Français en faveur du ferroviaire ». D’autre part, souligne le collectif, « les externalités ne sont pas prises en compte » alors que « 24.000 véhicules circulent (quotidiennement) sur l’autoroute entre Clermont-Ferrant et Saint-Étienne ».
Pour letrain634269, « le dénigrement est flagrant »
« Le dénigrement est flagrant » insiste le collectif, tant en matière de dynamique territoriale qu’en matière d'aménagement ou de développement économique et touristique. « Il est inacceptable » que ce soit à partir des données de trafic passées susmentionnées « que soit définis et évalués les scénarios de desserte de la ligne pour 2040 ! ». L'étude du Cerema insiste longuement sur le manque de dynamisme de la partie centrale et, au contraire, la dynamique des parties desservies par les deux antennes maintenues en service. Elle tente ainsi de justifier le tronçonnage de la ligne, en limitant l'évaluation du trafic intermétropolitain à la charge des autocars de substitution...
Extrait du rapport d'étude du Cerema: "La ligne et ses usages, une fréquentation essentiellement pendulaire". Vu la consistance de l'offre, uniquement routière dans sa partie centrale - et encore, avec des missions squelettiques et sans cohérence - il eût été miraculeux qu'il en fût autrement. La conclusion, un truisme, ne fait qu'entériner un état de fait, justifiant implicitement le statu quo et la décision de liquidation prise six ans plus tôt par SNCF Réseau.
« Nous exigeons que les éléments énoncés ci-dessus (aménagement, développement, nouvelles attentes… NDLR) soient intégrés et pris en compte dans la perspective du rendu final prévu en fin d’année », conclut letrain634269, qui se réserve la possibilité de mener de nouvelles actions, à l’image des marches organisées de part et d’autre vers Noirétable cet été ou des actions sur les marchés le mois dernier.
Gare de Saint-Etienne Châteaucreux. Ce "pôle d'échange multimodal" réunit deux lignes de TER cadencées de et vers Lyon (l'une prolongée à Firminy), une ligne TER cadencée vers Roanne, une ligne TER vers Le Puy et une dernière vers Montbrison et Boën. Il offre quelques rotations TGV avec Paris. Il réunit deux lignes de tramway urbains, quatre lignes de bus urbains, cinq lignes de bus régionaux et les trois services TER routiers vers Clermont-Ferrand, substituts des anciens services ferroviaires. La suppression de la ligne ferroviaire de 145 km entre Clermont-Ferrand, métropole de 300.000 habitants, et Saint-Etienne, métropole de 405.000 habitants très bien connectée à celle de Lyon (1,4 million d'habitants), signe une absurdité typiquement française. ©RDS
L’état d’esprit de SNCF Réseau n’est pas à la politique de l’offre, avec rénovation ou réouvertures de lignes hors de l’inévitable étoile de Legrand, ce réseau radial rayonnant autour de Paris qui domine la France ferroviaire depuis le milieu du XIXe siècle. La multipolarité est un concept qui à l’évidence échappe largement aux dirigeants politiques nationaux français. Saint-Etienne-Clermont est une ligne qui ne s’inscrit pas dans le réseau radial. Elle est au contraire un élément de transversale, comme plus à l’ouest Clermont-Ferrand-Ussel… elle aussi neutralisée.
Quant aux élus régionaux d’Auvergne-Rhône-Alpes, ils se heurtent à la limitation des ressources accordées par l’Etat central mais aussi à un tropisme routier. En déléguant à SNCF Réseau ce type d’étude pour cette ligne, ils ne pouvaient guère attendre d’autre conclusion. On attend néanmoins la signature du contrat de plan Etat-région dont le volet infrastructures de transport sera fixé au début 2023. Tandis que Boën-Thiers – comme Oyonnax-Saint-Claude – restent neutralisés, le voisin Occitanie a pris le taureau par les cornes en attribuant à la région la gestion directe de l’infrastructure de lignes à rouvrir, retirée à SNCF Réseau : Alès-Bessèges et Montréjeau-Luchon. Ceux du Grand Est, pour leur part, entendent confier à Regioneo (filiale commune de la RATP et de Getlink), la gestion de l’infrastructure de certaines lignes délaissées par le gestionnaire étatique.
On notera par ailleurs que la pré-étude technique de SNCF Réseau sur l’infrastructure existante Boën-Thiers conclurait au relatif bon état des ouvrages mais à la nécessité d'une reprise de l’ensemble voie-ballast jusqu’à la couche de base. Pourtant, estime un responsable du collectif Letrain634269, le devis final devrait « être à trois chiffres alors que l’estimation initiale après la suspension des circulations en 2016, s’élevait à quelque 50 millions d’euros ». Entretemps, le financement régional des deux études aura fort bien rémunéré leurs auteurs.
Carole Delga interpelle l’Etat au nom des régions de France
Le devenir le Boën-Thiers est soumis à la politique ferroviaire nationale, l’Etat restant propriétaire du réseau. La présidente du Conseil régional d’Occitanie Carole Delga, au nom de l’ensemble des régions, autorité organisatrices du ferroviaire régional, a interpellé le gouvernement sur la question ferroviaire en des termes particulièrement vifs. En visite en Bretagne le 21 octobre, la présidente de Régions de France s’est inquiétée pour le devenir du réseau ferroviaire français, du moins celui qui subsiste après 80 années de suppressions et d’amputations continuelles.
« Les budgets que consacre l’Etat au ferroviaire sont très insuffisants par rapport aux besoins et aux enjeux », a-t-elle déclaré à Ouest-France, notant que l’effort de l’Etat est de l’ordre de trois milliards d’euros par an alors que les régions, elles « investissent près de six milliards par an en infrastructure et matériel roulant, dont 2,3 milliards rien que pour l’Ile-de-France ».
Manifestation en faveur de la réouverture de la section centrale de la ligne Saint-Etienne-Clermont-Ferrand, devant la gare de Boën l'année dernière. L'étude d'opportunité du Cerema, établissement public, lui est sous-traitée par l'entreprise publique SNCF Réseau. Cette dernière n'entend pas co-financer la remise en état de Boën-Thiers qu'elle a neutralisé voici six ans. Très opportunément, l'étude d'opportunité telle qu'annnoncée à ce jour ne prend par en compte l'évolution des mentalités et des besoins de la population lorsqu'elle base ses calculs de fréquentation sur les deux décennies passées. Les manifestations et les prises de position de nombre d'élus de tous bords vont à l'encontre du pessimisme des différences composantes du "service public". ©RDS/POM
Carole Delga demande, au nom des régions de France, « un plan de 100 milliards d’euros d’ivestissements pour les dix ans à venir ». « Nous avons besoin d’un vrai choc ferroviaire, de crédits européens et d’une révision complète des budgets consacrés par l’Etat au train », complète Mme Delga, car « sans cet engagement massif, la moitié des lignes vont fermer dans les cinq ans, avec des conséquences dramatiques pour les territoires et l’économie du pays ».
Le même jour, la première ministre Elisabeth Borne citait « le train » comme composante de sa politique environnementale lors d’un long discours sur sa stratégie de planification écologique. On attend le résultat sur le terrain.
Régions de France demande à l’Etat plus que les 100 milliards sur 15 ans de Farandou
Les 100 milliards d’euros demandés par la présidente de Régions de France ne correspondent « pas exactement » à la somme suggérée par le président de la SNCF Jean-Pierre Farandou cet été. Ce dernier estimait qu’il faudrait 100 milliards d’investissements supplémentaires de l’Etat sur 15 ans et uniquement dans les infrastructures. Régions de France, par la voix de Carole Delga, demande pour sa part « 100 milliards sur dix ans, donc plus, parce que nous voulons faire des investissements forts en matériels roulants ». Et d’évoquer les trains à hydrogène « ou hybrides », les premiers étant à ce jour un sujet de controverse quant à leur rendement énergétique final et leur sécurité.
Le transport collectif routier en substitution d'un service ferroviaire parallèle : entre Noirétable et Boën (arrêt d'une ligne de desserte locale, en h.) et à Chabreloche (arrêt d'une ligne TER, à tarification spécifique, ci-dessous). Dans les deux cas, la voie ferrée Saint-Etienne-Clermont-Ferrand, neutralisée est toute proche. Les décideurs ont-il jamais attendu un autocar le long d'une route, sans protection contre une embardée de véhicule, dans les gaz d'échappement et dans le bruit ? On est loin des salons Grand voyageurs des gares TGV. ©RDS
La région Occitanie a opté pour l’hydrogène dans la perspective de la réouverture de Montréjeau-Luchon plutôt que de rétablir la caténaire, prenant le risque d’une hétérogénéité accrue de son parc de matériel roulant dans un secteur par ailleurs entièrement électrifié. Carole Delga demande à ce sujet que l’Etat double sa contribution à l’achat de trains à hydrogène, de un tiers à deux tiers, comme en Allemagne.
Reste que l’argent étant rare, les prémisses négatives de l’étude sur une éventuelle rouverture de Boën-Thiers le démontrent, il paraît urgent de prioriser l’infrastructure. Le train, c’est d’abord la voie ferrée.