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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
10 octobre 2022

Lyon-Turin : achèvement du percement au tunnelier de neuf kilomètres du tube sud et de 3 km à l'explosif en zone critique

 Si en période de récession les grands travaux constituent une réponse macroéconomique capitale, le percement des tunnels de base de la liaison transalpine Lyon-Turin en est  une illustration exemplaire. Cet ouvrage ferroviaire souterrain de 57,5 km dit « tunnel du Mont d’Ambin » entre Saint-Julien-Mont-Denis et Suse, dont le percement au tunnelier des neuf premiers kilomètres du tube sud vient de s’achever, va permettre de basculer vers le rail  chaque année plus d’un million de poids-lourds soit en moyenne 3.000 poids-lourds par jour et bien plus les jours de pointe. Trois autres kilomètres du même lot, dont une partie en zone critique, ont été creusés à l'explosif.

La ligne historique, entamée sous le règne de la monarchie savoisienne de Piémont Sardaigne

 Quarante-sept millions de tonnes de marchandises transitent chaque année entre la France et l’Italie à travers les Alpes. Quatre-vingt-treize pour cent de ces échanges s’effectuent par la route, 7 % par le rail sur une ligne ancienne et au profil tourmenté. La construction de la ligne de Culoz à Modane (et Turin) fut entamée par la Compagnie du chemin de fer Victor-Emmanuel créée en 1853, sous la monarchie sarde et basée à Chambéry, chargée en particulier de percer le tunnel de faîte du Mont-Cenis, long de 13,688 km. Au cours de la construction de la ligne, en 1860, la partie occidentale du royaume de Piémont Sardaigne qui correspond à la Savoie historique est cédée à la France après référendum.

Modane Archives SNCFTGV des neiges en gare de Modane (Savoie), à 1.057m d'altitude. Encadrée par des déclivités de 30 à 32 mm/m de part et d'autre, et proche du tunnel de faîte au débit limité en raison de l'absence de galerie de secours et d'un gabarit contraignant, cette gare illustre les limites de la ligne franco-italienne historique, la seule à franchir cette frontière avec celle de Vintimille. (Doc. SNCF, www.openarchives.sncf.com)

 Cette ligne Culoz-Modane, longue de 135 km, s’élève de l’altitude 305 m à Aiton-Bourgneuf  à 1.338 m au point frontalier dans le tunnel du Mont-Cenis, soit 1.033 mètres de dénivelé en quelque 77 km et d’importantes sections à la déclivité de 30 ‰ et une pointe à 34 ‰.  Elle se poursuit en territoire italien sur 103 km du tunnel du Mont-Cenis à Turin, avec un dénivelé là encore impressionnant puisqu’elle passe de l’altitude 1.338 m dans le souterrain international à 394 m à Borgone, soit 944 m de dénivelé en 55,5 km, avec dissociation partielle de la voie montante et de la voie descendante et d’importantes sections à 30 ‰.

54 trains quotidiens dans le tunnel de faîte, 344 dans le tunnel de base

 Malgré l’électrification en 1.500 Vcc côté français en 1930 (par 3e rail, avant conversion en caténaire en 1976) et l’électrification dès 1915 en 3.600 V alternatif 16 2/3Hz (avant conversion au 3.000 Vcc en 1961) côté italien, les caractéristiques techniques de la ligne historique et du tunnel de faîte du Mont-Cenis interdisent le développement du trafic. Seuls 54 trains quotidiens sont autorisés dans le tunnel, équivalant à 5 millions de tonnes annuelles. Cette ligne historique constitue l’un des deux seuls liens ferroviaires entre la France et l’Italie, avec la ligne de la côte méditerranéenne via Vintimille.

 Sur route, en revanche, 3,04 millions de poids-lourds relient les deux pays, dont la moitié par les tunnels du Mont-Cenis et du Mont-Blanc. Ce chiffre est en croissance de 18 % dans les Alpes du Nord sur une décennie. (1)

 Le tunnel de base de la liaison transalpine Lyon-Turin autorisera en revanche 344 trains quotidiens (fret et voyageurs) deux sens confondus contre 54 par la ligne actuelle, soit 6,4 fois plus. Long de 57,5 km, soit plus de quatre fois la longueur du tunnel de faîte, il sera constitué de deux tubes – un par sens – avec toutes les installations de sécurité nécessaires, alors que le tunnel historique du Mont-Cenis est un tunnel monotube. La déclivité maximale sera de 12,5 ‰. La capacité fret du tunnel de base est évaluée à 40 millions de tonnes par an, soit huit fois celle du tunnel historique. On estime à cinq millions le nombre de voyageurs annuels qui pourront l’emprunter. Sa section française est longue de 45 km, sa section italienne de 12,5 km.

Neuf kilomètres au tunnelier et, dans les zones critiques, le reste à l’explosif

 Le percement au tunnelier des neuf premiers kilomètres d’un des deux tubes du tunnel de base a été achevé  début octobre.  Il constitue le principal du lot SMP4 du tunnel, un des douze chantiers opérationnels de l’ouvrage qui comptait au total 12 km de creusement.

 Une autre section de creusement, indique Marion Tallec, responsable communication du  chantier, s’est effectuée  en méthode traditionnelle par explosifs en particulier sur une partie difficile du tube sud, longue de 1,3 km, dans des couches complexes comportant du houiller productif et des schistes, engendrant des phénomènes de failles et de convergence - le terrain a tendance à se refermer sur lui-même. Il comportait aussi la descenderie de Saint-Martin de la Porte. Dans ces sections à percement traditionnel, le chantier est entamé par creusement d’une galerie de diamètre réduit - 30 m2 au lieu des 130 m2 de la section définitive du tunnel ferroviaire -, suivi par un rabotage des parois.

Transalpine

 

Coupe schématique du tube du tunnel de base du Mont Ambin. Le gabarit généreux permet d'accepter le passage des convois des autoroutes ferroviaires. En h., coupe des deux tunnels monotube et d'une liaison de secours et de maintenance. (Doc. TELT)

Le tunnelier était le premier du type à excaver côté France. Plus de 500 personnes ont été amenées à travailler sur ce chantier ouvert 24 h/24 et sept jours sur sept, et deux mille au total sur les huit années qu’ont duré les travaux.

 Le groupement d’entreprises missionné pour ce chantier par TELT, le promoteur public binational de la section transfrontalière Saint-Jean-de-Maurienne-Susa-Bussoleno (65 km) de la future liaison Lyon-Turin, réunissait Spie Batignoles, Eiffage Génie civil, Ghella, CMC di Ravenna et COGEIS SpA. La maîtrise d’ouvrage était confiée à Egis et Alpina SpA. Il a fallu sept années de travaux pour livrer totalement ce lot.

« Frederica », 138 m de longueur et 2.340 tonnes

 Le seul montage du tunnelier, long de 138 m et d’une masse de 2.340 tonnes et baptisé  « Frederica », a duré huit mois.  Le creusement proprement dit a duré trois années, depuis septembre 2019, à raison de 10 mètres par jour en moyenne. Il a induit l’excavation de 1,3 million de mètres-cubes de déblais, envoyés sur quatre sites de dépôt. Le tunnel étant équipé de voussoirs, une usine de fabrication a été installée sur une friche industrielle. Elle a fourni les 52.416 voussoirs nécessaires à l’habillage de cette section du tube sud qui sera parcouru par les trains dans le sens Italie-France.

 Le volume considérable de déblais sera valorisé dans le cadre d’une démarche franco-italienne visant à réemployer quelque 22 millions de mètres-cubes de roche, soit 60 % des 37 millions de mètres-cubes sui seront extraits des divers lots du percement des deux tubes du tunnel du Mont d’Ambin et des quatre descenderies qui relient le sol naturel au tunnel ferroviaire. Rappelons que ces descenderies sont percées à partir de Saint-Michel de la Porte (2,4 km et 1,8 km),  La Praz (2,7 km), Modane Villarodin-Bourget (4 km) et Chiomonte (7 km). Un puits vertical est par ailleurs creusé à Avrieux pour la ventilation.

 Une partie des déblais est utilisée pour fabriquer le granulat à béton nécessaire à la construction des voussoirs du tunnel. Une autre est utilisée pour les remblais des futures plateformes ferroviaires extérieures d’accès aux tunnels, voire des digues de protection. Le reste des déblais sera utilisé « pour la réhabilitation et la renaturalisation de sites identifiés sur le territoire », indique TELT.

La France plus en retard que l’Italie sur la définition et le financement des voies d’accès

 Ce chantier exemplaire, accompagné et suivi d’autres travaux de percement des futures galeries ferroviaires, ne doit pas faire oublier que la capacité nominale du tunnel de base du Mont Ambin sera liée aux capacités des voies de connexion. Or la France est en retard par rapport à l’Italie pour fixer la consistance exacte de son projet, son prix et son financement français afin d’obtenir une subvention du budget de l’Union européenne. Le ministre délégué aux transports Clément Baune a récemment assuré que le dossier avançait. La commission européenne exige un bouclage des projets au 31 décembre prochain.

Transalpine CarteEtat d'avancement de la définition des projets de la Transalpine Lyon-Turin (ou Torino-Lione en italien). La France est en retard à la fois sur les tracés et sur le financement, alors que l'Italie a fixé son itinéraire d'approche. (Doc. François Meyer)

 Faute de respect de cette date butoir, la France comme l’Italie - pourtant à l’heure - risquent de laisser passer le train des financements européens. (2) Cela représente un milliard d’euros pour la seule Italie, dont la ligne d’accès au tunnel du Mont Ambin est nettement plus courte et moins onéreuse que celle de la France. Cette dernière doit en effet construire une double voie depuis les abords de Lyon jusqu’à Saint-Jean de Maurienne, avec passage en tunnel sous les massifs préalpins, de la Chartreuse en particulier, sous l’arrêt nord du massif de Belledonne ainsi qu'un tunnel de côte le long de la vallée de la Maurienne.

 L’Italie a pris une relative avance sur la France sur ce volet du dossier, malgré l’obstruction obstinée des députés du Movimento Cinque Stelle, parti membre des coalitions gouvernementales  durant la précédente législature qui vient d’être renouvelée… et malgré l’absence de bouclage de son budget de financement. L’Italie a déterminé précisément et à temps le tracé de la future voie d’accès : de l’ouest à l’est quadruplement de la ligne historique entre Suse et Avigliana puis percement d’un tunnel à travers la montagne morainique  jusqu’à Orbassano, grande triage et chantier multimodal aux portes de Turin. « Mais, à part 66 millions d’euros (pour les études), il n’existe à ce jour aucune couverture financière (pour les travaux) et l’ouvrage n’est inscit dans aucune loi de programmation nationale ni dans le document stratégique de la mobilité ferroviaire des passagers et des marchandises », relevait récemment le grand quotidien de Turin La Stampa.

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(1) Lien vers deux précédents articles de Raildusud sur la Transalpine : statistiques comparées de trafic ; question du retard français sur les voies d’accès :

Urgence de la ligne binationale Lyon-Turin : 92,2 % du fret sur route entre France et Italie, 29,8 % entre Suisse et Italie - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

Les travaux préparatoires à l'excavation des 162 km des galeries du tunnel de base bitube de la future liaison ferroviaire Lyon-Turin avancent. En juin, l'importante base travaux de Chaumont (Chiomonte), en Italie, a été étendue. Elle est située sous le double pont de l'autoroute du Val Susa.

http://raildusud.canalblog.com

Lyon-Turin : le retard du projet de la ligne française d'accès au tunnel de base tend les relations avec l'Europe et l'Italie - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

La mise en garde lancée début juillet par la responsable européenne Iveta Radicova sur le risque pour la France de ne pas obtenir de subventions européennes d'ici cinq ans pour la construction des indispensables et longues voies d'accès au tunnel de base franco-italien du Fréjus souligne le manque de décision politique des gouvernements français successifs.

http://raildusud.canalblog.com
(2) Lien vers l’article de La Stampa traitant de la question des voies d’accès :
Tav, un miliardo dall'Europa. E tre mesi per non perderlo

TORINO. In una situazione economica complicata dove il governo guidato da Giorgia Meloni dovrà far di tutto per recuperare risorse per contrastare il caro-bollette ottenere un contributo da 1 miliardo di euro per la tratta nazionale della Torino-Lione è sicuramente un'opportunità, soprattutto per una maggioranza dichiaratamente pro-Tav.

https://www.lastampa.it



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Commentaires
Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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