Saint-Rambert d'Albon-Rives : on débroussaille côté ouest, on a fermé côté est malgré les atouts de la ligne vers Grenoble
La ligne de Saint-Rambert-d’Albon à Rives par Beaurepaire et la plaine de la Bièvre n’est plus qu’un souvenir depuis 2015, année de la suppression du dernier trafic fret, à l’ouest de Beaurepaire. Entre Beaurepaire (Isère) et Saint-Rambert d’Albon (Drôme), cette section recèle un intérêt certain, susceptible de desservir des entreprises à fort potentiel de chargement. L’organisation cet été par SNCF Réseau d’une campagne de débroussaillage à l’ouest de Beaurepaire par pâture contrôlée de caprins et d’ovins - 420 chèvres et 180 brebis –place sur le devant de la scène les potentialités de cette ligne.
Vue de la ligne Saint-Rambert d'Albon-Rives prise par le photographe ferroviaire Christian Jobst. Si la voie a toujours été unique, les ouvrages avaient été pensés pour un éventuel doublement. (Doc. www.railwalker.de)
Une réouverture de cette « capillaire fret », au moins sur sa section à l’ouest de Beaurepaire, répondrait au vœu de la municipalité de cette ville. Celle-ci a travaillé avec un cabinet d’études pour permettre la remise en service de ce lien qui est toujours au catalogue de SNCF Réseau, et qui pourrait être géré par un opérateur ferroviaire de proximité, indiquait le Dauphiné Libéré voici trois ans (1). D’autres élus souhaitent aujourd’hui la transformer en « voie verte », un concept à la mode mais désormais surjoué. Côté est, vers Grenoble, l’ancienne ligne traverse des communes dotées de divers sites industriels exclusivement desservis par un réseau routier modernisé et le linéaire à l’est de Beaurepaire vers la jonction avec la ligne Lyon-Grenoble est malheureusement juridiquement fermé.
51,8 km dans une région, industrielle et à la démographie dynamique
Longue de 51,8 km depuis son embranchement à la sortie sud de la gare de Saint-Rambert d’Albon, sur la ligne de la rive gauche du Rhône dite impériale, jusqu’à sa jonction avec la ligne Lyon-Grenoble sur la commune de Beaucroissant, jouxtant celle de Rives, cette ligne à voie unique est orientée ouest-est sur la totalité de son parcours, très linéaire avec des pentes maximales limitées à 10 ‰. Son service voyageurs a été supprimé de bout en bout dès juillet 1939, son trafic fret étant suspendu par sections, progressivement jusqu’en 2015 à l’ouest de Beaurepaire.
Mise en service en 1856 par la compagnie de Saint-Rambert à Grenoble devenue Chemins de fer du Dauphiné, elle fut poursuivie jusqu’aux abords de Grenoble au-delà de Rives sur 39 km par Voiron, Moirans et Voreppe l’année suivante, avec terminus à Pique-Pierre, sur la commune de Saint-Martin-le-Vinoux en rive droite de l’Isère. Le pont franchissant cette rivière pour desservir Grenoble fut inauguré en juillet 1858 : Grenoble était alors pour la première fois connectée au réseau ferroviaire.
Vue artistique prise par un photographe en 1979 du quai n°1 de la gare de Beaurepaire. Elle était privée de voyageurs depuis 1939 mais cette année-là encore restait en service pour le fret. L'établissement présentait une certaine amplitude. ©RDS/MGL
La ligne de Saint-Rambert d’Albon à Rives, et en fait à Grenoble, fut donc la première à permettre des relations par train entre Grenoble et Lyon, Paris, Valence… En 1859, la compagnie des chemins de fer du Dauphiné obtint la concession d’une ligne Lyon-Grenoble par La Tour-du-Pin avant d’être rachetée la même année par le PLM. C’est dont ce dernier qui procéda à la mise en service de l’itinéraire complet entre Lyon et Rives par La Tour-du-Pin, à la fin de l’année 1860, soit seulement deux ans et demi après la mise en service de l’itinéraire par Saint-Rambert d’Albon.
La ligne Saint-Rambert d’Albon-Rives devint donc rapidement un élément secondaire du réseau alors que ses ouvrages avaient été conçus pour admettre une éventuelle deuxième voie. La distance entre Grenoble et Lyon par Saint-Rambert d’Albon est de151,5 km contre 130,5 km par La Tour-du-Pin. La différence est de 21 km, soit un allongement du parcours de 16 %. Ce n’est pas considérable, d’autant que la section qui nous intéresse, longue de 51,8 km, est remarquablement rectiligne contrairement à plusieurs sections de la ligne Lyon-Grenoble par La Tour-du-Pin, au tracé tourmenté entre La Tour-du-Pin et Le Grand Lemps (28 km), et entre Beaucroissant et Moirans (20 km).
Ayant très rapidement perdu sa fonction de lien entre Lyon et la capitale historique du Dauphiné, la ligne de Saint-Rambert d’Albon, n’en conservait pas moins plusieurs atouts.
Un potentiel de desserte locale dans un Bas-Dauphiné en net développement
Le premier est celui de la desserte locale dans un Bas-Dauphiné en net développement. A l’ouest, de Saint-Rambert d’Albon à Beaurepaire, elle chemine en ligne presque droite à travers la riche plaine agricole de l’extrême nord du département de la Drôme (Espinouze, Anneyron, Saint-Sorlin en Valloire) avant d’atteindre Beaurepaire. Cette ville de 5.000 habitants est en forte expansion démographique depuis 1960, année où elle n’affichait que 3.000 habitants. Outre de grandes cultures céréalières, des vergers et la production de semences, Beaurepaire et son intercommunalité « Entre Bièvre et Rhône » (68.000 habitants) abritent des zones artisanales et commerciales. Dernière en date à s’implanter, l’entreprise CCB Green Tech propose au secteur du BTP un matériau nouveau : le mix béton-bois.
A l’est de Beaurepaire la ligne passe dans la plaine de la Bièvre et la zone d’influence de Grenoble. Toujours tracée en longs alignements, elle jouxte d’aéroport de Grenoble-Saint-Geoirs, passe à 5 km au sud de la Côte Saint-André (5.000 habitants), traverse les intercommunalités de Bièvre-Isère (55.000 habitants) et de Bièvre-Est (22.300 habitants), toutes deux en fort développement démographique et économique (recyclage, produits agricoles, BTP…).
Situation de la ligne Saint-Rambert d'Albon-Rives (Grenoble) au plus fort développement des réseaux ferrés en 1930. A cette époque, les liaisons entre le nord de l'Ardèche et le bassin stéphanois d'une part, le bassin Grenoblois de l'autre, étaient possibles dans avoir à transiter par Lyon.
Notons que parallèlement à cette section orientale de notre ligne, le conseil général de l’Isère a doublé la route historique qui passe par le centre des villages par une route à quatre voies quasi-autoroutière (D119) entre Brézins et l’autoroute A48 Lyon-Grenoble, véritable antenne desservant l’aéroport de Saint-Geoirs (au faible trafic) mais accélérant surtout les flux routiers de la plaine de la Bièvre.
Un ancien potentiel de contournement de Lyon par le sud pour les liaisons Loire-Ardèche-Isère
Cette ligne, bien qu’ayant perdu son rôle de lien depuis Grenoble avec Lyon, a conservé pendant de nombreuses décennies une fonction de contournement de Lyon par le sud pour relier le bassin grenoblois au nord industrieux de l’Ardèche et au sud du département de la Loire (Firminy, Saint-Etienne). A partir de Saint Rambert d’Albon se débranche une section franchissant le Rhône, toujours en service, pour rejoindre Peyraud, sur la ligne de la rive droite du Rhône Givors-Grézan.
Or de Peyraud se débranchait vers l’ouest et les montagnes du nord du Vivarais la ligne Peyraud-Firminy via Annonay, Bourg-Argental, Dunières, par le sud du massif du Pilat. Mise en service en 1869, cette ligne de 83 km de longueur de Firminy à Saint-Rambert d’Albon, avec des déclivités atteignant 30 ‰ et une section hélocoïdale, fut fermée aux voyageurs de Dunières à Annonnay dès 1940, d’Annonay à Peyraud en 1958. Dernière en date, la section Bourg-Argental-Peyraud a été déclassée en 1989. Demeurent au catalogue du RFN les sections Firminy-Dunières (inexploitée) et Peyraud-Saint Rambert d’Albon, court élément (1,99 km) de liaison entre les deux lignes de la vallée du Rhône, électrifié et en exploitation.
Ces deux lignes Firminy-Saint-Rambert d’Albon et Saint-Rambert d’Albon-Rives permettaient de mettre en liaison directe, tant pour les voyageurs que pour les marchandises, le département de l’Isère et ceux de l’Ardèche (nord) et de la Loire (sud), c’est-à-dire Annonay et le bassin de Saint-Etienne sans passer par le nœud ferroviaire lyonnais et la ligne de la vallée du Gier surchargée.
Vienne, sous-préfecture de l’Isère, ne dispose d’aucun transport direct (TER ou car) vers Grenoble
Par ailleurs, Saint-Rambert d’Albon-Rives permettrait de relier Vienne, sous-préfecture de l’Isère, à Grenoble en contournant pareillement le nœud ferroviaire de Lyon. La distance Vienne-Grenoble par Saint-Rambert d’Albon s’établit à 120 km contre 162 km via Lyon, soit une économie de 42 km ou 26 % par rapport à la distance la plus longue… et l’économie d’une correspondance à Lyon Part-Dieu.
Le temps de parcours Vienne-Grenoble en TER par Lyon est de 1 h 45 mn mais le temps de correspondance à Part-Dieu s’étage entre 16 et 36 mn, soit un temps de voyage oscillant entre 2 h 01 mn et 2 h 21 mn. Les 120 km Vienne-Grenoble via Saint-Rambert d’Albon pourraient s’effectuer, sur une voie remise à neuf, en 1 h 20 mn tout en desservant Le Péage-de-Roussillon et Beaurepaire.
Carte détaillée des lignes d'autocars régionales du sous-réseau de l'Isère. Aucune ligne directe ne relie Vienne, sous-préfecture de l'Isère, à Grenoble, préfecture. L'offre de transport public est constituée de trains TER Vienne-Lyon Part-Dieu, en correspondance plus ou moins longue avec des TER Lyon Part-Dieu-Grenoble, pour des temps de parcours dissuasifs, supérieurs à deux heures pour une distance ferroviaire de 162 km, routière de 91 km.
Vienne n’est reliée à Grenoble par aucune ligne d’autocars régionaux du sous-réseau Carisère, mais seulement à Bourgoin (ligne T37), La Côte-Saint André (T35) et Beaurepaire (T32). Beaurepaire est en revanche relié à Grenoble par la ligne « express » X08 en 1 h 14 mn quatre fois par jour en semaine, sans aucun service les samedis et dimanches. Par rail, les 70 km Beaurepaire-Grenoble pourraient être parcourus, moyennant quelques arrêts intermédiaires, en une cinquantaine de minutes.
L’idée d’un branchement sur la LGV Rhône-Alpes
Dernier atout potentiel de la ligne Saint-Rambert d’Albon-Rives, son éventuel raccordement à la LGV Rhône-Alpes Lyon-Valence. Cette dernière franchit notre ligne à voie unique sur la commune de Lapeyrouse-Mornay, à 6,5 km à l’ouest de Beaurepaire, par un viaduc.
Lors des études préalables à la construction de la LGV Rhône-Alpes, l’Association pour le développement des transports en commun à Grenoble (Adtc) avait proposé qu’une jonction soit aménagée entre la LGV et la ligne de Rives, vers Grenoble.
Cet itinéraire eût affiché 141 km de Lyon à Grenoble, au lieu des 130,5 km via La Tour-du-Pin. Le handicap constitué par la dizaine de kilomètres supplémentaires eût été compensé, même en incluant les décélérations, par le parcours à environ 280 km/h de la section Grenay-Lapeyrouse-Mornay, longue de 35 km, soit une dizaine de kilomètres de plus que celle séparant le triangle des Angles de Manduel (25 km) sur la branche Languedoc de la LGV Méditerranée.
En pointillés ce qui demeure de la ligne Saint Rambert-d'Albon-Rives : la seule section, inexploitée, à l'ouest de Beaurepaire. Une jonction à partir de la LGV (en bleu clair) avait été suggérée, avec réaménagement de la ligne en double voie et son électrification pour éviter le tracé compliqué de la ligne Lyon-Grenoble par La Tour-du-Pin et alléger son graphique désormais très chargé. (Extrait de la carte SNCF Réseau)
Cette jonction aurait dû être conçue au nord du viaduc de Bancel, long de 218 m, qui permet à la LGV de s’élever pour atteindre le portail nord du tunnel de la Galaure. En amont, la LGV franchit la ligne à voie unique par un court pont-rail. Une jonction mixte depuis le nord et depuis le sud eût été plus complexe qu’une jonction simple depuis le nord.
Mais l’objectif d’élus locaux est de faire une « voie verte »
Mais le désherbage animal initié par SNCF Réseau entre Beaurepaire et Saint-Rambert d’Albon, évoqué au début de cet article, incite certains élus locaux à souhaiter la création d’une « voie verte » en lieu et place de la voie ferrée, si l’on en croit un récent article du Dauphiné Libéré. Un élu d’Epinouze, localité située à l’ouest de Beaurepaire et jadis desservie par une halte ferroviaire, estime que « les municipalités traversées verraient bien à la place des rails une voie verte, sous réserve du déclassement des 14 passages à niveau que compte l’itinéraire ».
Vue d'un petit pont-rail sur la ligne Saint-Rambert-d'Albon-Rives, lui aussi prévu pour un doublement de la voie. Sur cet itinéraire rectiligne en plaine, l'intérêt d'une voie verte paraît mineur tandis que se multiplient les poids-lourds sur les routes parallèles. (Doc. www.railwalker.de, Christian Jobst)
La frénésie des « voies vertes » en lieu et place de voies ferrées régionales désaffectées gagne donc l’Isère et le nord de la Drôme, jusqu’ici épargnées. On peut s’interroger sur la légitimité du projet dans une région de plaine, avec des paysages relativement banals et sur une section d’une quinzaine de kilomètres très majoritairement rectiligne.
La section ouest de la ligne (Beaurepaire-Saint-Rambert d’Albon) est restée exploitée pour des circulations fret épisodiques jusqu’en 2015. Tandis que l’est de la ligne a été fermé au fret en 1967 (courte section est Izeaux-Beaucroissant à l'exception d'une très courte desserte de carrière) et 1989 (section Izeaux-Beaurepaire). Pendant ce temps, le réseau routier recevait de considérables investissements publics.
- - - - -
(1) Lien vers l'article du Dauphiné Libéré rapportant l'étude pour une remise en service de la moitié de la ligne, côté ouest:
SNCF réseau a fermé la ligne entre Beaurepaire et Saint-Rambert-d'Albon en août 2015, pénalisant l'économie locale, avec comme conséquence une augmentation du trafic des poids lourds. Cette ligne ainsi que la gare sont toujours considérés comme essentiels par la commune de Beaurepaire.
https://www.ledauphine.com