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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
31 juillet 2022

Dans l’Allier, un demi-milliard pour l’autoroute A79+... mais l’axe ferroviaire parallèle Moulins-Montluçon est fermé

 Le département de l’Allier, dont l’important maillage ferroviaire a été largement démantelé, va être gratifié d’une autoroute à péage transversale dernier cri. Début juillet ont été inaugurés les 30 premiers kilomètres de l’A79, qui reliera d’ici quelques mois sur 88 km Montmarault (Allier) à Digoin (Saône-et-Loire). La société concessionnaire pour 48 années est l’Aliae (Autoroute de Liaison Atlantique Europe, groupe Eiffage), qui s’est vu chargée en 2017 par l’Etat de transformer la très fréquentée et très accidentogène Route Centre Europe Atlantique (RCEA ou N79), gratuite, en autoroute à péage à deux fois deux voies pour un devis annoncé de quelque 506 millions d’euros.

 Ce nouvel axe autoroutier est construit en grande partie dans le département de l’Allier, réputé pour avoir été l’une des principales victimes des coupes claires opérées par l’Etat dans le réseau ferroviaire depuis 1938. La liaison ferrée parallèle à l’autoroute, d’égale longueur, a été liquidée. Le contraste route-rail en est d’autant plus saisissant.

Une autoroute « réinventée » avec péages sans arrêt pour économiser le carburant

 La première section autoroutière de l’A79 à avoir été ouverte à la circulation est située entre Digoin et Sazeret (Allier). La future autoroute A79, une fois mise en service sur la totalité de son parcours en octobre prochain, aura donc porté l’ancienne N79 au statut d’autoroute à péage concédée. L’Aliae insiste sur le fait qu’il s’agit d’une « autoroute réinventée », au demeurant baptisée A79+ : les péages y sont grandement fluidifiés grâce à un système qui permet aux véhicules de payer sans s'arrêter. Cette technologie du péage en flux libre, amorcée par d'autres exploitants, est systématisée. L'automobiliste est soit équipé d'un badge de télépéage, soit il souscrit à un abonnement plaque liant l'immatriculation à la carte bancaire, soit il charge une application en ligne soit il paie à  une borne placée dans une aire de repos.

Ce système permet, insistent les commentateurs routiers, aux clients de gagner du temps, de réaliser des économies de carburant, de diminuer les émissions de CO2 et de réduire l’artificialisation des sols en limitant les emprises des zones de péage grâce à l’accélération des flux.

Moulins-allier-eisenbahnbrueckeViaduc en treillis métallique permettant à l'ancienne ligne Moulins-Montluçon de franchir l'Allier à Moulins. Pour l'autoroute A79+, un doublement du viaduc de la RCEA a dû être construit quelques kilomètres en amont.

 Le verdissement du transport routier trouve là un nouvel argument alors que presque parallèlement à cet axe européen les voies ferrées ont été soit supprimées (Moulins-Commentry, Gannat-La Ferté-Hauterive) ou, sur celles maintenues (Montluçon-Gannat-Saint-Germain-des-Fossés, Moulins-Digoin-Paray-le-Monial), les capacités ont été limitées par mise à voie unique sur plusieurs sections et que le trafic fret s’est effondré.

 Quant aux projets de transversale ferroviaire moderne, ils sont mort-nés ou attendent. Celui de la compagnie du Paris-Orléans porté jusque dans les années 1920 pour une transversale par le nord du Massif central entre Saint-Germain-des-Fossés et Limoges ne s’est jamais concrétisé (1). L’ambition récente d’aménagements ferroviaires transversaux sur l’axe Alpes-Atlantique (Via Atlantica Ferroviaire), portée par l’association Altro, reste dans les limbes (2).

Entre 10.000 et 15.000 véhicules par jour, 40 % de poids-lourds

 L’axe RCEA qui relie l’Allemagne à la façade atlantique voit d’ores et déjà circuler 10.000 à 15.000 véhicules par jour, parmi lesquels 40 % de poids-lourds, généralement à moyenne et longue distance. L’explosion de ce trafic fret, l’exiguïté de l’infrastructure et son tracé très linéaire favorisant la vitesse ont été les principaux facteurs du désastre humain de cette « route de la mort », ainsi que la surnomment les habitants des communes traversées : 124 décès dus à des accidents de la route entre 2008 et 2017 entre Montmarault et Mâcon, soit plus d’un mort par mois.

 L’A79+ reliera deux axes autoroutiers. A l’est, elle se débranchera de l’A6 à Mâcon, offrant un débouché autoroutiers aux flux provenant d’Allemagne par l’A36 via Beaune. A l’ouest, elle sera reliée à l’A71 à Montmarault offrant aux véhicules la possibilité de poursuivre sur autoroute jusqu’à Clermont-Ferrand au sud ou jusqu’à Montluçon à l’ouest sur une trentaine de kilomètres, et au-delà vers l’Atlantique par la N145.

Aliae A79+Carte résumant les équipements de l'autoroute A79+, publiée par Aliae, son exploitant. L'infrastructure sera entièrement en service en octobre prochain.

 L’A79+ est bien équipée.  Entre Sazeret et Digoin on compte 12 échangeurs, quatre aires de repos, deux haltes simples et une aire de services, celle du Bourbonnais à Toulon-sur-Allier dans la bnalieue sur de Moulins. Un nouveau viaduc sur l’Allier a été construit au sud de Moulins, l’un des 150 ouvrages d’art élargis ou reconstruits sur les 88 km de la nouvelle autoroute.

  L’axe RCEA transformé en autoroute permet, à l’échelle régionale, de relier Moulins à Montluçon de façon presque rectiligne. L’A79+ aura beau permettre de diminuer la consommation énergétique des lourds véhicules qui l’emprunteront en évitant qu’ils s’arrêtent aux péages, l’économie demeurera pour le moins marginale. Or une voie ferrée, fort bien tracée, vient d’être officiellement fermée alors qu’elle reliait précisément ces deux villes par un tracé favorable susceptible d’admettre des vitesses élevées (105 km/h avant la fermeture, vitesse qui aurait pu être relevée en raison de longs alignements).

En 2019 SNCF Réseau liquidait la section Moulins-Commentry, parallèle à la RCEA

 Le 24 avril 2019, le conseil d’administration de SNCF Réseau validait, sous la signature de son président Patrick Jeantet, la fermeture de la section de Commentry-Moulins (67 km), partie majoritaire de l'axe ferroviaire structurant du département de l’Allier long de 80,65 km reliant Montluçon et Moulins. Dans la nomenclature actuelle, le terme de fermeture signifie retrait du catalogue du Réseau ferré national et possible aliénation des emprises. SNCF Réseau n’a plus pour obligation que de garantir la sécurité des tiers au voisinage des ouvrages.

 La section Commentry-Moulins fait partie de la ligne historique Montluçon-Moulins mise en service le 7 novembre 1859. Ce fut la première ligne de chemin de fer à desservir le bassin industriel de Montluçon et Commentry depuis le nord, établissant un lien avec Paris via Nevers et Moulins par la ligne mise en service en 1853 de Nevers à Moulins puis en 1861 de Paris à Nevers. A Commentry, la liaison ferroviaire avec Gannat (et Clermont-Ferrand) ne fut mise en service qu’en 1871. A Montluçon, la ligne vers Bourges (et au-delà Paris) fut mise en service en 1861, deux ans après Montluçon-Moulins.

Moulins-Commentry

Extrait de la carte du réseau ferré national (2018) dans le secteur du Bourbonnais. L'autoroute A79+ est presque parallèle à cette voie ferrée dont le tracé en pointillés a disparu de la carte depuis 2020, cette section ayant été officiellement fermée, dont retiré du patrimoine géré par SNCF Réseau.

 Etrangement, la fermeture au service voyageurs de la section Commentry-Moulins fut appliquée en 1972, presque simultanément avec la mise en service de la route nationale accélérée Centre Europe Atlantique. Il subsista, sur la voie ferrée, un reliquat de dessertes fret, qui disparut de bout en bout en 2005 et sur 14 km au nord (Souvigny-Moulins) en 2014 avec la suppression de trains de granulats issus des carrières locales malgré une rénovation partielle de la voie. (3)

La fermeture de Moulins-Commentry rallonge de parcours d’éventuels trains de fret en provenance de Chagny

 La liquidation de la ligne Commentry-Moulins condamne non seulement le transfert sur rail de trafic fret régionaux, mais ferme aussi un débouché vers l’Atlantique aux trafics ferroviaires fret en provenance de Dijon, Chagny, Montchanin, Paray-le-Monial, Digoin et Moulins. Au-delà de Moulins vers l’ouest (Commentry, Montluçon, Guéret, Saint-Sulpice-Laurière et l’axe ferroviaire Paris-Orléans-Limoges-Toulouse), les éventuels nouveaux trafics fret devraient transiter par Saint-Germain-des-Fossés et Gannat, soit un allongement très net de la distance à parcourir : 80,65 km pour Moulins-Montluçon par l’ancienne ligne moyennant rebroussement à Moulins, 133 km par Saint-Germain-des-Fossés (soit un allongement de 43 %).

DSCN1884Vue de la gare de Gannat côté voies. Cet établissement, jadis contact entre le PLM et le PO, ne voit plus passer aucun flux voyageurs transversal Lyon-Bordeaux. Depuis la suppression de la ligne Montluçon-Moulins, il serait le point de passage obligé pour d'éventuels trains de fret circulant entre Dijon par Paray-le-Monial, Moulins d'une part, Montluçon d'autre part, un détour important par rapport à l'itinéraire via l'ancienne ligne directe. ©RDS

 Côté voyageurs, l’offre routière Montluçon-Moulins par les cars régionaux (ligne B01) comporte aujourd’hui 5 allers-retours en jours ouvrables de base en 1 h 40 mn mais sans desserte de Commentry. En 1956, la SNCF offrait 3 allers-retours (4 en été) avec un temps de parcours par autorail de 1 h 40 mn, exactement celui des autocars actuels mais avec desserte de Commentry. Un marchandises-voyageurs complémentaires effectuait le parcours en 2 h 25 mn. On ne peut pas en conclure que le transfert sur route soit particulièrement convaincant. Mais, par la RCEA, l’automobiliste peut effectuer le parcours Moulins-Montluçon en 1 h 07 mn selon les calculateurs de distances. L’autoroute, en sécurisant le trajet, rendra la voiture individuelle encore plus convaincante.

- - - - -

(1) Nos lecteurs pourront se reporter à l’article publié par Raildusud sur les projets du Paris-Orléans pour améliorer la liaison Lyon-Bordeaux :

Lyon-Bordeaux : les trois tracés de lignes nouvelles proposés entre 1917 et 1935 pour vaincre le Massif central (Histoire) - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

Dans un récent article, Raildusud a évoqué les anciens projets d'une ligne nouvelle destinée à accélérer les liaisons ferroviaires entre Lyon et Bordeaux, relation dont il est abondamment question en ce moment avec le projet de rétablissement par Railcoop de trains directs liquidés par la SNCF.

http://raildusud.canalblog.com

(2) Sur le projet d’Altro, on peut se reporter à ces deux précédents articles :

" Via Atlantica Ferroviaire " : Michel Caniaux dénonce le démaillage du réseau et prône un axe régional et européen Alpes-Océan - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

Un livre, intitulé " Via Atlantica ferroviaire, recoudre la France et unir les Européens ", écrit par le spécialiste du chemin de fer et ancien cadre de la SNCF Michel Caniaux, vient bousculer la léthargie jacobine française, le scandaleux isolement de la partie centrale du pays et l'incapacité de la France à s'inscrire dans des logiques continentales de réseaux ferroviaires est-ouest.

http://raildusud.canalblog.com

et

Les arguments de l'association Altro pour réactiver et moderniser l'axe Alpes-Atlantique : entretien avec Michel Caniaux - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

Le récent article de Raildusud consacré à l'ouvrage de Michel Caniaux intitulé " Via Atlantica ferroviaire " (L'Harmattan éd.) a suscité de nombreuses vues et commentaires, laudateurs ou critiques (1). Aussi sommes-nous allé rencontrer l'auteur afin d'en savoir plus, tant sur l'histoire de ce projet de liaison transversale ferroviaire Lyon-Atlantique, interrégionale et européenne, que sur les moyens techniques permettant de l'établir.

http://raildusud.canalblog.com

(3) Raildusud a publié plusieurs articles sur la ligne Moulins-Montluçon, parmi lesquels :

Commentry-Moulins : la fermeture de la ligne scelle le démaillage ferroviaire de l'Allier, département en grande souffrance - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

Voici presque un an, le 24 avril 2019, alors que depuis cinq mois la crise des Gilets jaunes manifestait la colère de la France des périphéries et des " territoires " abandonnés des métropoles, le conseil d'administration de SNCF Réseau validait, sous la signature de son président Patrick Jeantet, la fermeture de la section Commentry-Moulins, partie majoritaire de l'axe ferroviaire structurant du département de l'Allier long de 80,65km reliant Montluçon et Moulins.

http://raildusud.canalblog.com

et

Bassin de Montluçon : crises économiques, démembrement ferroviaire, relégation territoriale (étude - 2/3) - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

La première partie de note étude s'est attachée à présenter le bassin de Montluçon (Allier, est de la Creuse, nord-ouest du Puy-de-Dôme) dans ses composantes démographiques et économiques, puis à recenser les lignes ferroviaires qui l'ont desservi par le passé et à préciser leur durée de vie.

http://raildusud.canalblog.com

 

 

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Commentaires
V
Situation déprimante....
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J
" L'État fait même des économies puisqu'il n'a plus à entretenir la route nationale."<br /> <br /> Il y a longtemps que l'Etat fait des économies, la plupart des nationales ont été déclassées en départementales...Départements qui doivent quand même continuer à les entretenir pour le trafic local (voire les PL en transit qui ne veulent pas payer l'autoroute...).<br /> <br /> Quant à l'Ecotaxe il ne reste que ses portiques sans utilité...
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G
Dans le cas présent, l'aménagement en autoroute ne coûte rien au contribuable, le demi-milliard est apporté intégralement par le concessionnaire, sans subvention d'équilibre. L'État fait même des économies puisqu'il n'a plus à entretenir la route nationale.
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J
Années 50/60, j'étais enfant, mais voici, de mémoire, ce que je me souviens du projet initial qui devait permettre de joindre facilement l'Est de l'Europe (à l'époque la RFA) à l'ouest (Nantes et Bordeaux...) mais également la péninsule Ibérique...<br /> <br /> Puis en 1971 (je crois) cette route a été inscrite au schéma routier de l'Europe, les Nationales 79 et 145 devaient avoir un "gabarit" autoroutier mais surtout devaient rester gratuites...<br /> <br /> Le financement devait être assuré par l'Etat, les départements et L'Europe (l'Allemagne principal contributeur).<br /> <br /> les travaux ont avancé à pas de tortue, années 70/80/90 presque rien, un petit bout par-ci par-là, entre temps l'A75 (gratuite), l'A71 et l'A89 (payantes) avancent bien plus vite.<br /> <br /> En 1986 après l'entrée de l'Espagne et du Portugal dans l'Europe son trafic déjà important va exploser et le nombre d'accidents également.<br /> <br /> Et pourtant on va "terminer" l'A89 de Clermont-Ferrand à Bordeaux...<br /> <br /> Seul le département de la Creuse verra le projet aller à son terme en approchant le XXI ième siècle...<br /> <br /> Je pense que nos amis Allemands ont dû apprécier le bon usage de leur argent...<br /> <br /> Sinon, on a pas fini de trouver des camions des pays de l'Est et autres sur les départementales du secteur pour éviter les péages.<br /> <br /> Les élus locaux le savent mais hormis le département de l'Allier, personne ne bouge.
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T
Et pendant ce temps, (même si ce n'est pas exactement le même trajet), Nevers-Chagny attend toujours une décision d'électrification...
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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