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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
27 mai 2022

Rognac-Aix-en-Provence : le train de bauxite s’est arrêté, les projets pour réouverture aux voyageurs sont en panne

Le dernier train de bauxite a circulé sur la ligne Rognac-Aix-en-Provence le 28 janvier 2022. Ce convoi constituait la dernière circulation commerciale empruntant cette voie unique de 24,585 km qui s’amorce au nord de l’étang de Berre, en gare de Rognac sur la ligne impériale Paris-Marseille, et rejoint la ligne des Alpes Lyon-Marseille via Grenoble à 600 mètres au nord de la gare d’Aix-en-Provence. Avant d’être privée de service voyageurs en 1939, elle comportait quatre  gares intermédiaires : Velaux-Coudoux, Roquefavour (proche du célèbre viaduc sur l’Arc de la LGV Méditerranée), Saint-Pons et Les Milles. Au sud de cette dernière gare est embranchée une voie d’un kilomètre vers la zone d’activités des Milles.

 L’avenir de cette ligne, privée de son unique trafic, se pose désormais principalement en termes d’usage voyageurs dans une conurbation Aix-Marseille caractérisée par son extrême multipolarité. Mais, malgré d’anciens projets, on ne voit guère se dessiner de rétablissement d’un service qui permettrait à la fois de desservir les communes résidentielles intermédiaires et d’établir une liaison ferrée entre Aix-en-Provence d’une part, le pôle d’activité de l’aéroport de Marseille-Provence, Vitrolles et l’est de l’étang de Berre (Marignane, La Mède, Martigues par la côte de l’étang). Les associations d’usagers dénoncent vivement cette situation.

Le train de bauxite avait entamé sa longue carrière en 1968, tracté par des 141R

Ce train de bauxite, considéré comme l’un des plus lourds de France, avait commencé à rouler entre le quai minéralier de Fos-sur-Mer et l’usine d’alumine de Gardanne en 1968, explique un article qui lui est consacré dans le n°295 de Rail Passion. Sous la plume d’un de ses anciens conducteurs, Ludovic Battestini. Tracté par des locomotives à vapeur fioul 141R à l’origine, la SNCF leur substitue rapidement des BB67000. Il avait été repris à l’entreprise publique par Euro Cargo Rail (ECR) en 2009. Entre Fos et Aix, il empruntait successivement les voies du port, une partie de la ligne Marseille-Miramas par l’Estaque, rebroussait au triage de Miramas, filait jusqu’à Rognac pour rebrousser à nouveau fin d’atteindre Aix-en-Provence. Il poursuivait jusqu’à Gardanne par la ligne des Alpes sur 11 km.

 

Vidéo du train de bauxite partant de Rognac vers Aix-en-Provence et Gardanne après manoeuvre en arrière-gare. La vue est prise en mars 2013, peu de temps après le passage de témoin de la SNCF à ECR, filiale du groupe DBAG. (Les Trains de Philippe, Youtube)

 La caractéristique de ce convoi était la contrainte de deux rebroussements, à Miramas et Rognac. Dans cette dernière gare la voie vers Aix-en-Provence, qui s’élève rapidement, est conçue pour accès direct depuis Marseille et non depuis Miramas. Alors que la SNCF misait sur une traction en  unité multiple de deux engins en tête du convoi, ECR avait placé une locomotive Class 77 en tête et une autre en queue afin de faciliter le parcours. Ces engins furent ensuite remplacés par des Class 66.

 Auparavant, la SNCF avait assuré la traction par des engins électriques sur la partie sous caténaires Fos-Miramas, puis en diesel sur le reste du parcours y compris sous les caténaires de la section Miramas-Rognac.

 Que faire de cette ligne plutôt bien tracée, située dans une zone peuplée entre deux pôles de la métropole ? L’absence de solution de mobilité pour le Pôle d’activité d’Aix en Provence (PAAP), dans le cadre du plan « Grand Marseille », « a déclenché une forte réaction de la part des représentants des entreprises et de la Fnaut lors du conseil d’administration du Groupement d’intérêt public mobilité, le 31 mars 2022 », organisé par l'Etat et la préfecture des Bouches-du-Rhône, s’indigne la Fnaut Provence-Alpes-Côte-d’Azur, qui fédère de nombreuses associations d’usagers.

Plus de 5.300 signatures pour une pétition réclamant un service voyageurs

Une pétition proposant la solution tram-train réutilisant pour partie la ligne Aix Rognac est présentée par l’Association tram-train du Pays d’Aix, a rassemblé plus de 5.300 signatures. Le mouvement est porté par Fnaut PACA, Tram-Train du pays d’Aix, Noster PACA, Carrefour Citoyen de Venelles et du pays d’Aix, Collectif Climat du Pays d’Aix, réunies dans un collectif qui réclame « un système de transport permettant de desservir les zones résidentielles du nord du territoire du pays d’Aix, en réduisant les embouteillages journaliers de la RN296 et de la D9 ». « Il est inconcevable que rien ne soit entrepris alors que la ligne disponible de Aix à Rognac est une opportunité chanceuse et économique », indique la Fnaut PACA.

TDS71835Situation générale de la ligne Rognac-Aix dans le réseau ferroviaire à son optimum du début des années 1930. Cette section de 25km, continuée par les sections Aix-Gardanne puis Gardanne-Fuveau-La Barque-Carnoules assurait un contournement ferroviaire stratégique de Marseille et Toulon, premiers ports méditerranéens de France et à ce titre cibles évidentes lors d'un éventuel conflit.

Aix-en-Provence est notoirement sous-équipée en système de transport en site propre ferroviaire malgré l’importance de sa population : la commune seule compte 146.000 habitants, située au sein d’une métropole à statut particulier (Aix-Marseille-Provence) de 1.610.000 habitants. Seule la ligne du réseau ferré national Veynes-Marseille, en partie à voie unique et en cours d’électrification très partielle (par système de rechargement)  peut être citée à ce titre. L’agglomération d’Aix-en-Provence proprement dite ne dispose que d’une ligne de  BHNS longue de 7,5 km et de ce fait affiche un usage des transports publics parmi les plus bas de sa catégorie : deux millions d’usagers annuels contre 10 à 18 millions dans des agglomérations de taille similaire équipées de transports de type ferroviaire (Tours, Brest, Le Mans, Angers…), signale la Fnaut PACA.

 Or la ligne reliant Aix à Rognac permettrait un précieux maillage ferroviaire à courte distance. Sa conversion aux voyageurs avait d’ailleurs été inscrite au contrat de plan Etat-Région 2015-2020 pour 87 millions d’euros, après avant-projet (2016) et étude (2018), cette dernière d’un coût de 4 M€. Cette étude proposait la création de deux haltes, à Plan d’Aillane et Velaux et une fréquence à la demi-heure dans chaque sens. Cette réouverture était inscrite au PDU du Pays d’Aix, intercommunalité intermédiaire entre la commune et la métropole.

Un platelage sur les rails pour faire circuler des bus, un « éclair de génie » du PDU

 Or cette réouverture en mode ferroviaire semble passée à la trappe au niveau métropolitain.  La Fnaut PACA s’indigne : « A notre grande surprise, le nouveau PDU d’Aix-Marseille-Provence Métropole, ne mentionne plus Aix-Rognac tout en vantant la volonté d'un "réseau de transport métropolitain" ! Foulant ainsi aux pieds le PDU adopté du Pays d’Aix… ». Pire, le PDU métropolitain propose pour cette ligne une solution rail-route du plus bel effet : installer sur l’emprise un BHNS qui circulerait sur un platelage recouvrant les rails mais n’impliquant pas leur dépose.

 Cette  « solution » paraît plus surréaliste encore que celle proposée par la région Auvergne-Rhône-Alpes pour la réutilisation de la voie unique Sathonay-Trévoux par des bus : faire circuler des véhicules routiers non-guidés sur une emprise de voie ferrée unique parsemée de viaducs en présupposant que leur trajectoire sera assurée, leurs croisements réguliers et sans attente aux espaces aménagés pour le faire, leur vitesse de circulation et leur régularité comparables à celle du mode ferroviaire, leur capacité adaptable à une augmentation de la demande, etc. Et, en l’occurrence, doubler la voie d’un platelage supposé résister aux accélérations verticales et latérales de véhicules routiers à forte adhérence.

Les MillesAncien bâtiment voyageurs de la gare des Milles, qui pourrait desservir une commune de 10.000 habitants, aujourd'hui utilisé par des associations.  L'armement de la voie paraît de qualité. Fermée aux voyageurs depuis 1939 par la toute jeune SNCF lors de ses premières vagues de liquidations massives du réseau, la ligne a vu les quais de ses gares détruits. Ici, la voie de croisement a aussi disparu. (Doc. Fr.Latreille, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons)

 Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? L’obsession du mode routier reste dominante parmi les cercles d’ingénieurs et d’élus en France, lesquels posent par principe qu’il est plus économique que le mode ferroviaire ce qui, à long terme et en perspective d’un transfert modal important, est pour le moins hasardeux. On attendra avec impatience les devis d’aménagement et de maintenance de telles voies routières ex-ferrées, ceux de leurs véhicules commerciaux dont la durée de vie dépasse difficilement la décennie pour une capacité d’emport… routière, et un éventuel bilan de la fréquentation en situation similaire. Un document résumant une étude commanditée par la Fnaut analyse remarquablement cette question. (2)

Les associations demandent une conversion en tram-train

 La Fnaut demande la conversion en une ligne de train-tram électrifiée, avec desserte des deux antennes de  du pôle d’activité des Milles et du quartier de la Duranne, ainsi qu’une antenne jusqu’à l’aéroport. A ce sujet, notons que la station Vitrolles-Aéroport de la ligne SNCF Réseau est située à l’écart de la plateforme aérienne, imposant un relais bus, et que la ligne Marseille-Lyon ne pourrait absorber l’ajout de circulations à haute fréquence.

 Pour la Fnaut PACA, « l’abandon de la remise en service au voyageurs de la ligne ferroviaire Aix Rognac a été un vrai scandale, alors que ces 3 lignes de tram-train que nous proposons circulant sur la voie Aix-Rognac apparaissent comme des maillons essentiels du futur Réseau Express Métropolitain pour relier Aix avec la zone commerciale d’Aix-Pioline (2000 emplois, attractivité de 85.000 personnes), la ZAC de la Constance (à terme 3.500 logements, 70.000 m2 de bureaux), l’agglomération des Milles (10.000 habitants), le PAAP des Milles (30.000 personnes), l’agglomération de la Duranne (8.000 habitants), de Velaux (9.000 habitants), de Rognac (12.000 habitants), et enfin Vitrolles-aéroport Marseille Provence ».

 La fédération d’associations signale pour mémoire que «  les 43 millions de l’élargissement de 3 km de la D8 parallèle (à la ligne Aix-Rognac, NDLR) ont été trouvés sans difficulté »… soit plus de la moitié du devis de remise en service voyageurs des 25 km de la ligne Aix-Rognac.

Un élément du contournement ferroviaire stratégique de Marseille

 La ligne Rognac-Aix fut mise en service en octobre 1856, constituant la première desserte ferroviaire d’Aix-en-Provence depuis Marseille, plus de vingt ans avant que ne fût achevée, en 1877, la section la plus méridionale de la ligne des Alpes, qui assure une liaison via Gardanne. Lors de sa mise en service, la ligne terminait dans une gare en cul-de-sac près du centre d’Aix-en-Provence, devenue gare de marchandises lors de la mise en service de la gare actuelle avec la ligne des Alpes.  Cette première gare fut détruite en 1956.

 Cette ligne Rognac-Aix avait aussi pour objet de desservir les bassins miniers de charbon et lignite de Gardanne et Fuveau. Sur le plan militaire, elle constituait un axe ferroviaire stratégique de contournement de Marseille par le nord avec la ligne (actuellement neutralisée) Gardanne-Carnoules. A l’évidence, les considérations de stratégie militaire ferroviaire échappent désormais aux décideurs français, qui laissent dépérir cette liaison de contournement. La guerre en Ukraine et le rôle qu’y joue le chemin de fer les feront-ils revenir sur leur imprévoyance ?

 On notera que lors d’une longue interruption pour travaux de la voie entre Aix et Marseille pour rénovation, de janvier 2007 à décembre 2008, deux circulations voyageurs quotidiennes de TER Marseille-Briançon par sens et par jour furent tracées par la ligne Rognac-Aix, avec un temps de parcours total de 55 mn pour 52 km de Marseille à Aix malgré une voie unique fret à la vitesse limitée (contre 31 mn pour 37 km via Gardanne en service normal).

Profil des deux sections Aix-Marseille (à g.) et Rognac-Aix (à d.). Si le parcours Marseille-Aix par Rognac est nettement plus long que par Gardanne (52km contre 37km), il offre d'autres possiblités de cabotage puisqu'il dessert l'ouest de Marseille et L'Estaque, Pas-des-Lanciers, Vitrolles-Aéroport puis les stations de la section Rognac-Aix, avec correspondances possibles à Rognac depuis l'Ouest: Avignon, Arles, Miramas, Saint-Chamas... Outre la solution du train-tram, celle du TER ne manque ainsi pas d'arguments. 

 La ligne Rognac-Aix affiche un profil plus favorable que la section Aix-Marseille par Gardanne. La première n’affiche un taux de déclivité maximal de 15 ‰ sur 6 km entre Aix et Les Milles, le reste de la ligne ne dépassant pas les 6 à 8 ‰. La seconde en revanche affiche des déclivités de 15 à 16 ‰ sur plus d’une vingtaine de kilomètres en raison de son profil en cloche avec  point culminant près de Bouc-Cabriès à un peu plus de 225 m d’altitude avant de redescendre depuis Marseille vers Aix-en-Provence (180 m d’altitude). La ligne Aix-Rognac en revanche est en plan légèrement incliné sur 25 km, passant de 25 m à 180 m d’altitude.

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(1) Lien vers le résumé de l’évolution du dossier Aix-Rognac publié par la Fnaut PACA :

http://www.fnaut-paca.org/LaLiaisonAix-Rognac.html

(2) Lien vers l’étude sur la conversion d’une voie ferrée en voie bus :

http://www.fnaut-paca.org/Docs_pdf/BHNS_sur_VF_ind_D_red150R.pdf

 

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Commentaires
S
Non seulement la Z.I. de Rousset a perdu ses aiguilles d'accès à la ligne Carnoules-Gardanne, mais depuis la neutralisation(partielle ?)de celle-ci,SNCF Réseau,selon sa réente(et détestable)habitude,scie les rails de part et d'autre des traversées routières(je l'ai par exemple remarqué au P.N. de Château l'Arc, situé justement à l'extrémité ouest de la Z.I. de Rousset). Alors le second quinquennat est bien parti pour être écologique...(ou ne pas être).<br /> <br /> Pour en revenir au sujet de l'article, il est curieux que le projet primitif ne prévo(yait) pas la réouverture de la gare des Milles, située tout de même en plein centre du village ! Mais bon, vu qu'il semble ne plus y avoir de projet...
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D
Si le potentiel fret était exploité notamment la ZI de Rousset, l'usine de Gardanne qui continue de tourner, il y aurait probablement de quoi alimenter la ligne. <br /> <br /> A noter qu'en terme de desserte voyageur non seulement Aix Rognac devrait être rouverte mais également Gardanne Carnoules pour proposer des TER Aix Toulon par les petits villages que sont St Maximin et Brignolles.
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S
Le nouveau propriétaire de l'usine de Gardanne a pour objectif annoncé de fonctionner à partir d'alumine directement importée; On peut peut-être supposer qu'un trafic fret reprendra pour alimenter l'usine. Transporter l'alumine par la ligne Marseille-Aix vu le trafic et le profil semble peu probable. Voir l'article suivant <br /> <br /> https://marsactu.fr/la-fin-du-charbon-et-de-la-bauxite-de-gardanne-menace-lemploi-sur-le-port-de-fos/<br /> <br /> <br /> <br /> D'autre part il est très significatif du système français que la zone d'activité des Milles avec 30 000 emplois ne génère aucun trafic fret (il existait bien une desserte de certaines entreprises par des embranchements) ni qu'une desserte rail voyageurs ne soit pas envisagée par les "décideurs". (Certains viennent tous les jours depuis Toulon en voiture par exemple…)<br /> <br /> <br /> <br /> A signaler aussi que le Site mémorial du camp des Milles qui reçoit plus de 100 000 visiteurs par an se situe à 100 m de la gare (désaffectée) des Milles (où est d'ailleurs exposé un wagon de la déportation).
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C
Je pense qu'en plus du trafic de bauxite, il y avait également celui de charbon à destination de la centrale thermique de Meyreuil. Hors cette dernière a été transformée en centrale biomasse, et le trafic du charbon par rail s'est arrêté de facto. J'avais cru comprendre qu'une partie du bois d'importation (origine africaine ???) pourrait être acheminée depuis Fos par le rail, comme du reste, l'alumine de spécialité que va désormais traiter l'usine de Gardanne. Les tonnages transportés étant sans commune mesure avec ceux de bauxite toutefois.
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L
Il n´y a pas une base colas rail aux milles? Ça doit faire un minimum de traffic sur cette ligne non?
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
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