L’avenir de la desserte par transport public du Ve arrondissement de Lyon et de la commune de Tassin prend désormais la forme d’un tramway. Après une décennie d’annonces, de promesses, de concertations et d’atermoiements autour d’une nouvelle ligne de métro qui serait partie à l’assaut du plateau urbain de l’ouest de Lyon, le Syndicat des transports de l’agglomération lyonnaise (Sytral) a annoncé son choix. Il ambitionne de diviser par deux le devis d’investissement en abandonnant le projet de métro au bénéfice d'un tramway semi-enterré. Ce dernier, qualifié de « tramway express », voit sa mise en service projetée en 2032, soit une dizaine d’années pour concertations, études et travaux. Parallèlement, le Sytral a annoncé l’abandon du projet de téléphérique reliant le même plateau ouest, mais plus au sud, et la presqu’île de Lyon.
Un projet de tramway déjà ébauché mais abandonné
Ce projet de « tramway express » n’a rien de nouveau puisqu’il avait déjà été travaillé par un bureau d’étude parallèlement à celui d’une ligne de « métro E » portée par Gérard Collomb, alors maire de Lyon. Il avait rapidement été abandonné. Bruno Bernard, désormais président de Lyon Métropole et du Sytral a donc choisi d’y revenir, sous prétexte d’un prix jugé inférieur de moitié à celui d’une ligne de métro. Cette dernière eût été aux normes lyonnaises, soit un roulement mixte pneus-fer à forte adhérence, un gabarit large (2,89 m) assurant un important emport, et un pilotage automatique permettant une fréquence élevée.
Avant-projet présenté début mai de la ligne de tramway express, cartographié et argumenté par le Sytral. Les itinéraires hachurés sont ceux prévus en souterrain. (Doc. Sytral)
La version « tramway express » impliquera le percement d’un tunnel sur environ la moitié de l’infrastructure nouvelle, permettant de lisser la forte déclivité entre la rive de la Saône et le plateau. Elle impliquera la construction d’au moins deux stations souterraines à la façon de la ligne 2 du réseau de Nice.
Cette différence altimétrique remarquable en milieu urbain fait à la fois le charme, avec des points de vue somptueux, et la difficulté de l'ouest de Lyon. Elle entraîna voici plus d’un siècle la construction de trois funiculaires dont deux restent en service, en correspondance avec la ligne de métro D à Vieux-Lyon-Cathédrale-Saint Jean : vers Saint-Just (F1), et vers Fourvière (F2).
La future ligne de « tramway express » passerait largement au sud du terminus ouest du F1. Pour l’instant sur ce plateau deux variantes entre la Saône et Point-du-Jour sont proposées à la future concertation que mènera la Commission particulière du débat public : via Saint-Irénée ou via Charcot.
Un tronc commun avec les T1 et T2 et station commune sous Perrache
Côté est, dans la plaine lyonnaise, les « tramways express » seraient amorcés à Jean-Macé, en correspondance avec les TER, utiliseraient les voies de la ligne T2 pour rejoindre Perrache, gare desservie aussi par la ligne T1, passeraient sous les voûtes supportant le faisceau ferroviaire puis bifurqueraient vers la Saône par le cours Suchet après la station Place des Archives.
Sortie sud du passage tramway sous le faisceau des voies de Lyon Perrache, cours Charlemagne. Notablement exigüe, la station tramway Perrache, contigüe à celle (terminus) du métro A, aura du mal à assurer dans son état actuel le trafic d'une troisième ligne de tramway. Côté nord, l'accès en courbe à la station impose des vitesses réduites. ©RDS
Sur la Saône, un nouveau viaduc devrait être construit rejoignant la rive droite à la limite nord de la commune de La Mulatière, avant que la ligne passe en mode souterrain pour gagner le plateau par une longue section en déclivité, soit vers Charcot, soit vers Saint-Irénée. Elle desservirait Le Point du Jour avant de redescendre vers Ménival et ses grands ensembles de logements sociaux gérés par La Sacvel, en cours de rénovation. La section souterraine serait comprise entre La Mulatière et Ménival, soit entre 3 et 4 kilomètres.
Depuis Ménival une section en surface rejoindrait Tassin Libération, quartier central de la mairie, entièrement reconfiguré depuis une décennie, puis Alaï. Le projet tel qu’il est actuellement reconfiguré prévoit apparemment deux hypothèses, dont une directe Ménival-Alaï. La liaison figurée sur la carte d'avant-projet entre Ménival et Tassin-Libération devra composer avec un réseau viaire difficile...
Force et faiblesse du tramway comparé au métro
- La force de ce projet par rapport à celui du métro E, est sa relative économie. Son devis est actuellement compris dans une fourchette de 700 à 750 millions d’euros pour 6,5 km soit environ 115 M€/km, ce qui reste néanmoins considérable. Le projet de métro E Bellecourt-Alaï (6 km) était évalué, selon les estimations, dans une fourchette variant de 1 à 2 milliards d’euros (en cas d’extension jusqu’à Part-Dieu à l’est).
Par ailleurs, le mode tramway permet une utilisation, à l’est depuis Jean-Macé, d’infrastructures tramway existantes. A l’ouest, il permettrait une extension en surface jusqu’à Craponne moyennant, logiquement, un ouvrage d’art sur le thallweg du ruisseau de Charbonnière… soit la reconstruction du viaduc de l’ancien tramway FOL Saint-Just-Vaugneray/Mornant dont la suppression définitive dans les années 1950 fut l’une des pires décisions des élus de l’époque.
Rame du métro de Lyon. Son gabarit exceptionnellement généreux parmi les métros urbains français, son roulement pneus-fer et, pour partie, sa conduite automatisée en fait un système coûteux mais aux performances remarquables, adaptables à une forte augmentation future de la demande. ©RDS
Enfin, l’itinéraire choisi au centre de Lyon permettra au « tramway express » d’offrir des correspondances aux gares de Perrache (TER, TGV) et Jean-Macé (TER).
- La faiblesse du projet de « tramway express » concerne en premier lieu la capacité. Les rames devront, si elles empruntent les voies des lignes T2 et T1, rester au gabarit de 2,40 m de largueur, contrairement aux rames du train-tram de l’Ouest lyonnais qui sont au gabarit de 2,65 m. Pourtant le choix du gabarit large aurait permis l’usage, côté ouest, de sections du train-tram… mais au prix d’une exclusion du réseau urbain.
Par ailleurs, la différence de capacité globale de rames tramway (Citadis 402) de 43 m de longueur par rapport aux rames de métro de 2,89 m de largeur et jusqu’à 54,35 m de longueur pour les ensemble à trois caisses, est considérable : jusqu’à 750 places (en capacité exceptionnelle) pour les rames lyonnaises de métro tri-caisses contre 300 places pour les Citadis 402. Il est même possible d’imaginer des rames de métro à quatre caisses, comme prévu sur la ligne D, soit une longueur de plus de 70 m.
Toujours en termes de capacité, la fréquence maximale d’une ligne de métro automatisée (type ligne D à Lyon) est logiquement supérieure à celle d’une ligne de tramway. Même souterraine sur une partie de son parcours, la ligne de « tramway express » devra composer à la fois avec le trafic des lignes T2 et T1 et avec les dispositifs de sécurité liés à la conduite humaine.
Rame du train-tram de l'Ouest lyonnais, au départ de la station Gorge-de-Loup, sous l'imposante estacade routière en pente qui permet la dessrte de la boucle basse menant à plusieurs stations d'autocars et d'autobus. Le généreux gabarit de ces rames Dualis d'Alstom - 2,65 m de largueur, adopté aussi par les réseaux de Montpellier et Nice - offre un meilleur confort et une plus grande capacité que celui des rames urbaines lyonnaises de 2,40 m de largeur. ©RDS
Au sol, l’emprunt des voies des T2 et T1 entraînera une congestion notable dans les deux stations communes aux trois lignes, particulièrement à celle de Perrache, située sous les voûtes, dont les circulations piétons sont singulièrement exigües et la fréquence de desserte tramway déjà élevée.
Enfin, la durée du transport ente Alaï et le centre de Lyon, évaluée à 8 à 10 mn par le projet de métro E (version courte amorcée à Bellecour), est portée à 20 minutes (version amorcée à Jean-Macé) par le projet de « tramway express ».
L’Ouest de Lyon affiche une croissance plus forte que l’Est et il est plus motorisé...
« A l’est, la possibilité d’emprunter les infrastructures existantes offre de nombreuses perspectives », a insisté Bruno Bernard, président du Sytral. Le tracé définitif de ce « tramway express » sera précisé en 2023 après concertation.
Carte du projet de métro E, désormais abandonné. Le problème du métro réside dans une éventuelle extension au-delà de Alaï vers l'ouest, Craponne voire au-delà, bien plus coûteuse que par tramway. Reste que cette extension vers les Monts du Lyonnais peut être assurée dans le cadre du faisceau du train-tram de l'Ouest lyonnais par embranchement à Francheville. (Doc. Sytral)
Le président du Sytral a reconnu que la consultation organisée récemment « a démontré l’important besoin de desservir l’ouest de la métropole ». Le site du Sytral indique ainsi que le niveau de congestion automobile dans l’ouest de l’agglomération lyonnais est « élevé » avec « 44 % de véhicules particuliers contre 26 % sur Lyon-Villeurbanne » et un taux de motorisation de « 1,01 par ménage contre 0,75 sur Lyon-Villeurbanne ».
Le développement urbain sur les secteurs desservis par les projets de desserte du Ve arrondissement et de Tassin est relativement plus important qu’ailleurs dans l’agglomération : « 8 % de croissance de la population entre 2010 et 2015 contre 6 % pour Lyon-Villeurbanne » et une hausse de « 19 % de capacité de développement résidentiel identifiée d’ici à 2030 dans le cadre du PLU-H).
... Mais le président du Sytral justifie le choix du tramway par la densité de population
Malgré les projections de fort développement du secteur, Bruno Bernard a affirmé que ce projet de « tramway express » est « bien plus adapté à la densité de population de cet axe », malgré le taux de croissance cité plus haut. Surtout, ce raisonnement intègre mal le fait que cette ligne en site propre servira de pénétrante urbaine à l’importante population qui se déplace quotidiennement entre les communes situées encore plus à l’ouest, sur les contreforts des Monts du Lyonnais et les Monts du Lyonnais eux-mêmes, et Lyon. Rappelons que la seule ligne de bus péri-urbain 2Ex Gorge-de-Loup-Chazelles-sur-Lyon (47 km) offre déjà 20 allers-retours quotidiens.
Le site transporturbain.canalblog.com a pour sa part proposé d’optimiser la desserte de l’Ouest lyonnais par l’extension du train-tram qui trouve aujourd’hui son origine en gare de Lyon Saint-Paul et dessert celle de Gorge-de-Loup. Il suggère que ce faisceau de lignes soit prolongé en tunnel jusqu’à Part-Dieu, où il serait connecté au T3 vers Meyzieu. Se poserait la question d’une section à double gabarit entre Part-Dieu et Saint-Paul pour permettre un tuilage des deux services T3 et train-tram sur la section centrale.
A la station Part-Dieu Villette, une rame Citadis 402 longe le quai de la ligne T3, direction Meyzieu-les-Panettes. Au premier plan, voie terminus du Rhône-Express depuis l'aéroport Saint-Exupéry. Une connexion entre le T3, dont le terminus actuel est à Part-Dieu, et le train-tram de l'Ouest lyonnais permettrait, moyennant aménagements permettant une cohabitation des deux gabarits, de créer une utile transversale entre Part-Dieu et Saint-Paul, avec tuilage des deux services entre ces deux gares. ©RDS
Mais cette solution ne résout pas la question de la desserte du plateau par un service en site propre se jouant de l’important obstacle que constitue la forte déclivité entre la Saône et le plateau du Ve arrondissement. Elle maintient l’exigence d’un site propre ferroviaire à travers le Ve arrondissement haut, la ligne du train-tram de l’Ouest lyonnais le contournant largement par le nord et l’ouest avec les gares de Tassin et d'Ecully-la-Demi-Lune, notoirement sous-utilisées.
Le projet de téléphérique au sud-ouest passe à la trappe
Terminons en évoquant l’abandon du projet de téléphérique entre le sud du plateau (Francheville, Sainte-Foy-lès-Lyon) et la presqu’île lyonnaise, annoncé simultanément à l’annonce du projet de « tramway express ». Ce projet, marqueur de la campagne d’EELV pour les dernières élections municipales, s’était heurté d’entrée à l’opposition des maires de Sainte-Foy et La Mulatière, rejoints par la suite par plusieurs autres élus parmi lesquels l’un de ses principaux partisans à l’origine, le maire de Francheville. La population s’y est aussi montrée défavorable.
Outre l’opposition politique et citoyenne, ce projet se heurtait à d’évidentes questions pratiques : sécurité pour le survol d’importantes zones habitées ; impact au sol des pylônes (supports avec ou sans réorientation des câbles) ; volume des stations aériennes ; impact paysager dans un site urbain remarquable ; capacité uni-horaire ; accessibilité depuis la voirie et complexité des correspondances ; sécurité face aux vents ; durée des périodes de maintenance…
In fine, Lyon remet une fois de plus la question de la desserte de sa partie ouest sur le métier en rebattant ses projets et en relançant une énième batterie de concertations. Les habitants du secteur continueront donc longtemps à mettre jusqu’à 40 minutes pour rejoindre le centre de Lyon par autobus circulant sur des voiries surchargées (montée de Choulans, avenue de Gaulle à Tassin…) ou en effectuant le détour par Gorge-de-Loup avec correspondance bus-métro.