Qu’une entreprise internationale de construction de matériel roulant ferroviaire voie l’une de ses grandes usines privée d’accès par rail en raison de la fermeture de la ligne la desservant, il n’y a peut-être qu’en France qu’on peut voir ça. C’est le cas du site de Bagnères-de-Bigorre de l’espagnole Construcciones y Auxiliares de Ferrocarriles (CAF), en plein développement. Une réouverture au fret est projetée, mais il aura fallu attendre trois décennies et demie après suspension des circulations.
Cette usine fut détenue par CFD (Chemins de fer départementaux) après rachat en 1992 à Soulé. Elle a été achetée par CAF France en 2011. Alors qu’elle accumule les commandes, elle voit ses effectifs passer d’une cinquantaine à quelque 400 salariés.
L’antenne depuis Tarbes, fermée au fret en 1989
L’antenne desservant Bagnères-de-Bigorre depuis Tarbes fut fermée au fret en mai 1989 malgré la présence de l’usine de construction de matériel ferroviaire, signe supplémentaire - s’il en fallait - de l’éblouissante vista des gérants parisiens du réseau ferroviaire français.
Ces dernières semaines, la perspective d’une réouverture au fret à l’horizon 2023 paraît se dessiner grâce à l’activisme de la région Occitanie qui entend récupérer la propriété de cette section de la ligne sacrifiée par l’Etat et son gestionnaire. La commission permanente (exécutif) du Conseil régional d’Occitanie a voté la demande de transfert depuis l’Etat vers la région, comme la loi l’y autorise désormais, de la gestion des 18,4 km séparant la jonction d’Ampèrevielle, à 5,6 km de Tarbes sur la ligne Toulouse-Bayonne, de Bagnères-de-Bigorre. Le devis de la réhabilitation s’élèverait à 20 millions d’euros. L’Etat s’est engagé à contribuer à hauteur de 8 millions d’euros.
Bâtiment voyageurs de la gare de Bagnères-de-Bigorre, récemment remarénové par la municipalité pour le transformer en centre médical. Voici quelques décennies encore, un train de nuit depuis Paris Austerlitz y avait son terminus. La ville, industrielle et thermale, compte plus de 7.000 habitants et l'agglomération plus de 13.000. Elle est située à l'entrée d'un domaine naturel exceptionnel aux potentialités touristiques remarquables. (Doc. Ville de Bagnères-de-Bigorre)
Carole Delga, présidente (PS) du conseil régional a insisté sur la volonté de la région d’effacer l’absurdité que constitue l’isolement ferroviaire de l’usine CAF : « Alors que nous avons une infrastructure ferroviaire à disposition, je ne peux me résoudre à voir des camions supplémentaires se rajouter sur nos routes. D’un point de vue économique ou environnemental, c’est un non-sens. Sans parler des nuisances pour les riverains et des contraintes que cela représente pour le développement de l’entreprise ». La région « prend donc ses responsabilités et s’engage à mobiliser les moyens nécessaires, aux côtés de l’Etat, pour réaliser les travaux et rouvrir enfin cette ligne », a-t-elle ajouté.
Les importants marchés remportés par CAF
Cette réouverture est d’autant plus impérative que CAF France a remporté en 2019 l’appel d’offres pour la construction des 28 rames achetées par l’Etat pour les Intercités des lignes Paris-Orléans-Limoges-Toulouse et Paris-Clermont-Ferrand. Auparavant, l’entreprise avait remporté les marchés de rénovation de 21 rames du RER A de Paris (MI2N et Altéo) ainsi que celle des rames mixtes pneus-fer du métro de Lyon MPL75 et MPL85. Notons que CAF a fourni des rames de tramways pour les métros de Saint-Etienne, Besançon et Nantes. En l’absence de liaison ferroviaire, le site industriel CAF reçoit et expédie ses matériel exclusivement par la route jusqu’à Tarbes.
Après 33 ans d’inactivité, d’importants travaux sont nécessaires sur l’infrastructure ferroviaire entre la bifurcation de la ligne Toulouse-Bayonne et l’ancienne gare de Bagnères-de-Bigorre, puis jusqu’à l’usine CAF. Sur cette ultime section, la voie ferrée est recouverte par le bitume de la D935 à l’entrée de la ville sur 300 mètres.
Rame du RER francilien en cours de traitement dans l'un des ateliers CAF de Bagnères-de-Bigorre. Cet élément, comme tous les autres, est arrivé sur le site industriel - et il en repartira - par la route. De la part des gestionnaires nationaux du réseau ferroviaire français, il s'agit d'une sorte de prodige en matière d'optimisation industrielle. In fine, c'est la région qui se voit contraindre de gommer cette hérésie. (Doc. AUT Fnaut)
La région Occitanie sera chef de file du portage financier, technique et administratif de la réhabilitation. L’Etat donnera sa réponse à la demande de transfert de propriété une fois accomplies les procédures techniques. Le plan définitif de financement des quelque 20 millions d’euros sera finalisé par la suite.
La partie terminale de la rocade Morcenx-Bagnères longue de 159 km
La section Tarbes-Bagnères-de-Bigorre est la partie terminale de la longue rocade Morcenx-Bagnères-de-Bigorre longue de 159 km, concédée à la Compagnie du Midi et progressivement mise en service de 1857 à 1862, année d’ouverture au trafic de la section Tarbes-Bagnères-de-Bigorre. Cette section terminale fut la seule à être électrifiée car constituant une antenne de la transversale Toulouse-Bayonne, elle-même mise sous tension par le Midi.
Extrait de la carte du réseau ferré national dans le Sud-Ouest pyrénéen. Le démaillage du réseau ferroviaire hérité de la compagnie du Midi dans le secteur du plateau de Lannemezan et au pied des Pyrénées est impressionnant. La section Tarbes-Bagnères-de-Bigorre était à l'origine la partie terminale d'une rocade Morcenx-Mont-de-Marsan-Tarbes-Bagnères-de-Bigorre. Mais son exploitation en fut rapidement dissociée. (Doc. SNCF Réseau)
L’électrification jusqu’à Bagnères-de-Bigorre fut mise en service dès août 1914, aux premiers jours de la tragique Première Guerre mondiale. La tension choisie par la compagnie du Midi était le 12 kV 16 2/3Hz alternatif, préférée par ses ingénieurs, qui furent ainsi précurseurs, avant que l’Etat ne la contraigne par la suite à opter pour le courant continu en 1.500V. La section en question fut donc convertie en courant continu courant 1923. L'alternatif, sous 25kV, ne revint en grâce en France pour le ferroviaire que dans les années 1950.
La SNCF coupa le courant en 1973, deux ans après la suppression du service voyageurs survenue en septembre 1971. Le service fret se poursuivit donc de 1973 à 1989 en traction diesel. Il ne semble pas question pour l’instant d’une ré-électrification malgré une déclivité continue de 15 ‰ sur les huit kilomètres de la partie haute et des déclivités étagées entre 9 et 14 ‰ sur le reste de la ligne.
Tarbes-Bagnères-de-Bigorre en car en 2022 : 45 mn ; en train en 1956 : jusqu’à 34 mn
Pas plus d’ailleurs que n’est envisagée de réouverture au service voyageurs. Le service de transport collectif est assuré entre Tarbes et Bagnères-de-Bigorre par la ligne de bus 960 en 45 mn à raison de 18 rotations par jour en période scolaire (13 hors période scolaire), certains services étant poursuivis jusqu’à La Mongie (Pic du Midi).
Profil de la section Tarbes-Bagnères-de-Bigorre avec près de la moitié de l'itinéraire en déclivité de 15 pour mille. La compagnie du Midi experte en matière d'électrification avait donné priorité à ses antennes pyrénéennes, dont les déclivités sont importantes, pour les équiper de caténaires. Aujourd'hui, seule la ligne Toulouse-Latour-de-Carol reste électrifiée. La réouverture de Montréjeau-Luchon se fera sans caténaires, de même que Tarbes-Bagnères-de-Bigorre.
A l’horaire 1956, les trains de voyageurs en traction électrique assuraient la liaison en 39 mn à la montée et en 34 mn à la descente pour les meilleurs trains (46 mn et 43 mn pour les omnibus desservant les 9 stations intermédiaires), à raison de 5 rotations par jour ouvrable hors saison complétées par 4 rotation en été dont un train direct de nuit Paris-Austerlitz-Bagnères-de-Bigorre.
On relèvera que la longue rocade amorcée à Morcenx (sur la radiale Bordeaux-Hendaye) et finissant à Bagnères-de-Bigorre, longue de 159 km, n’est plus exploitée que sur 38,5 km entre Morcenx et Mont-de-Marsan, section à voie unique dotée d’une seule voie d’évitement à Ygos. Cette section de plaine voit circuler des TER Nouvelle-Aquitaine à raison de 12 rotations par jour, 9 étant amorcées à Bordeaux Saint-Jean.
Une autre réhabilitation en vue sur l’ancienne rocade
A l’est de Mont-de-Marsan, la région Nouvelle-Aquitaine étudie la réhabilitation de la voie jusqu’à Barcelone-du-Gers, soit 42 km dont l’exploitation a été suspendue n 2017, afin de permettre le retour sur rail de trains de céréales. Ces travaux, d’un montant de quelque 5 millions d’euros, sont financés à 53 % par la région, le reste par SNCF Réseau et l’Etat. La voie sera rendue apte à une vitesse maximale de 40 km/h. Le marché potentiel annuel est évalué jusqu’à 145.000 tonnes de céréales.
Entre Barcelone-du-Gers et Tarbes (65 km), la ligne figure au statut de voie neutralisée sur la carte du réseau ferré national, ainsi que son embranchement de Riscle à Eauze (42 km). Cette dernière, section de l’ancienne ligne reliant Port-Sainte-Marie à Riscle longue de 115,3 km est sortie du réseau ferré national entre Condom et Eauze (33,5 km). La section nord de Port-Sainte-Marie à Condom, qui était simplement neutralisée mais maintenue dans le réseau ferré national, était en fin d’année 2021 sur le point d’être officiellement fermée avec autorisation de déferrement malgré les protestations d’associations et d’élus.