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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
5 avril 2022

Railcoop reporte à nouveau son Lyon-Bordeaux, soulignant les limites de la chaotique libéralisation à la française

 « Des barrières persistantes » : c’est par ces mots que la coopérative d’intérêt collectif Railcoop a commencé son communiqué annonçant un deuxième report du lancement de son service voyageurs Lyon-Bordeaux. Cet axe avait été abandonné par l’entreprise d’Etat SNCF en 2014, alors en situation de monopole dans le transport de voyageurs par chemin de fer en France. Désormais les barrières évoquées par Railcoop, après avoir été ferroviaires – manque d’aiguilleurs chez SNCF Réseau – sont  bancaires – difficulté à obtenir des crédits -, et techniques – délai de rénovation du matériel roulant acquis d’occasion.

 Plus largement ce nouveau report souligne en filigrane  les limites du concept de libéralisation des services voyageurs sur le mode « accès libre » aux risques et périls de l’exploitant, passant par profits et pertes le soutien de la puissance publique pour des itinéraires inter-régionaux d’équilibre  territorial.

La difficulté de boucler le tour de table financier malgré l'intérêt général du projet

 Le conseil d’administration de Railcoop, réuni le 28 mars, a pris la décision de reporter le lancement de la ligne voyageurs Bordeaux–Lyon, prévu le 11 décembre 2022. Il avait déjà vu sa date de lancement repoussée de juin à décembre 2022 dans un premier temps. Deux raisons, indique Railcooop, ont mené à cette décision : « D’une part, la finalisation du tour de table financier demeure conditionnée à l’engagement ferme et définitif des banques, des investisseurs institutionnels et des acteurs de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS). D’autre part, la disponibilité du matériel roulant ferroviaire dépend de la capacité des industriels à rénover les rames d’occasion disponibles dans un délai raisonnable. »

DSCN1880Gare de Gannat, entre Saint-Germain-des-Fossés et Montluçon. L'absence d'aiguilleur à des heures de passage de trains demandées par Railcoop a constitué pour la coopérative un premier obstacle à franchir.  ©RDS

 Railcoop affichait quelque 12.200 sociétaires au 2 avril parmi lesquels deux-cents entreprises ou associations et une trentaine de collectivités territoriales. Ses fonds propres s’élevaient à sept millions d’euros à la même date et son service fret quotidien Viviez-Capdenac-Toulouse-Saint-Jory a été lancé en novembre 2021.  Railcoop, qui emploie 33 salariés, a franchi « de nombreuses étapes d’envergure » dont l’obtention de la licence d'entreprise ferroviaire et du certificat de sécurité unique à l’automne 2021.

 A propos du manque d’accès aux crédits, la coopérative évoque « la difficulté des acteurs bancaires à supporter un risque trafic d’un service ferroviaire non exploité à date ». Pour débloquer cette situation, Railcoop demande que l’ouverture du marché ferroviaire soit « accompagnée de manière plus adéquate (…), notamment par la mise en place de mécanismes de garanties publiques de nature à faciliter l’accès aux emprunts ». Railcoop se dit être « en discussion à ce sujet avec les pouvoirs publics » avec pour argument-clé, celui de l’aménagement du territoire et de l’équité à l’accès aux services publics. Pour autant, elle continue sa levée de fonds auprès des citoyens, entreprises, associations et collectivités locales.

La cession des X72500 signée après plusieurs mois de négociation

 Concernant le matériel roulant « après plusieurs mois de négociations », Railcoop a signé le contrat de cession des rames X72500. Toutefois, il apparaît des échanges avec les industriels présélectionnés pour la rénovation de ces rames que celles-ci ne pourront être disponibles fin 2022, comme initialement prévu. D’autant que Railcoop doit auparavant pouvoir assurer de ses futurs règlements auprès des ateliers, et pour cela obtenir le feu vert des banques. Tout se tient.

 La coopérative assure néanmoins continuer à construire son futur service Bordeaux-Lyon, en particulier la construction des sillons avec SNCF Réseau, qui a déjà achoppé sur les horaires d’ouverture de certains postes d’aiguillages, calqués sur les services TER existants et non sur des services à longue distance aux amplitudes horaires plus importantes. Railcoop affirme aussi poursuivre la conception de l’aménagement des espaces en gares en lien avec SNCF Gares & Connexions, filiale de SNCF Réseau, l’élaboration de l’offre de restauration à bord avec Isara, centre de recherche sur les systèmes alimentaires avec un laboratoire de solution pour les entreprises. Railcoop planche aussi sur la billettique et ses outils d’édition.

 La date de lancement des premiers trains de voyageurs Lyon-Bordeaux va donc dépendre de la finalisation d’un plan de financement, condition à la rénovation du matériel roulant, et aux délais des travaux en ateliers.

Railcoop, alternative au système français centralisé et aux Intercités réduits à la portion congrue

 Railcoop entreprend de remonter le courant d’un système ferroviaire français marqué par un jacobinisme exacerbé, tant sur le plan de la gestion du réseau que sur celui de sa gouvernance. Les récentes régionalisations et les conventions de Trains d’équilibre du territoire (Intercités) n’ont résolu qu’une petite partie du problème, n’abordant ni la question des infrastructures à rouvrir ni celle des liaisons transversales liquidées sur l’autel du réseau monocentré sur Paris.

 L’aventure du Lyon-Bordeaux de Railcoop s’inscrit dans un  point aveugle du ferroviaire : ni conventionnée par un Etat qui limite drastiquement les Intercités qu’il subventionne, alors que l’axe Lyon-Bordeaux devrait à l’évidence en faire partie ; ni conventionné par les deux régions traversées (avant 2014, il y eût quatre) au titre des TER, système victime d’effets de frontières inter-régionales extrêmement pénalisants pour les voyageurs ; ni rapidement rentable en « libre accès », le ferroviaire étant une activité de masse fortement capitalistique, donc peu indiqué sur des axes fragiles, l’exorbitant prix du sillon en France pénalisant un peu plus les entrants.

RailcoopCarte des divers projets de dessertes ferroviaires inter-régionales établie par le groupe spécialisé des sociétaires de Railcoop. Cette carte complète remarquablement celle des quelques relations Intercités subventionnées par l'Etat et conventionnées avec la SNCF. Elle souligne l'absence de logique multipolaire pour la desserte ferroviaire du territoire par l'Etat centralisé. (Doc. Railcoop)

 Cette situation résulte de la conjonction d’une doctrine européenne permettant l’ouverture à la concurrence et d’une application française qui, pour les relations inter-régionales, a massivement choisi le « libre accès » aux risques et périls du tractionnaire, réduisant le soutien de l’Etat à un moignon de réseau « Intercités » indigne d’un pays aux multiples pôles urbains. Concernant l’ouverture à la concurrence, notons que la Belgique a interprété les directives européennes a minima en confiant par convention à son opérateur public historique la SNCB la totalité de l’exploitation du réseau voyageurs pour 10 ans, renouvelables à l’infini.

Concurrence frontale sur les TGV rentables et sur les grandes lignes classiques

 On voit ainsi se multiplier, dans la plus grande incohérence : une concurrence frontale sur les lignes rentables à grande vitesse ; une concurrence entre les quelques TER multirégionaux à longue distance (Lyon-Paris, exploités par la SNCF et financés par les régions) et les prochains trains à bas coût instaurés par la même SNCF au titre du « libre accès » (Ouigo classiques) ; une concurrence entre des Intercités soutenus par l’Etat et confiés à la SNCF et les mêmes prochains trains à bas coût instaurés par la même SNCF au titre du « libre accès », le tout sans aucune intégration tarifaire ou billettique…

IMG_20220117_095841348 (1)Un seul réseau, une seule entreprise publique mais deux statuts et tarifications radicalement différents pour ces deux trains en gare de Montpellier Saint-Roch. A g., le Ouigo pour Paris Gare-de-Lyon est un concurrent du TGV Inoui, concurrence interne à la même entreprise publique, sur les mêmes parcours à grande vitesse, avec deux tarifications étanches. A d., le TER Occitanie est aussi exploité par la SNCF mais subventionné et conventionné avec la région. Sur ses parcours communs avec les TGV ou Intercités (Nîmes-Narbonne par exemple), ses voyageurs ne peuvent pas choisir un train d'une autre catégorie avec leurs billets TER.  ©RDS

 Au même moment Railcoop sur l’axe Lyon-Bordeaux qui revêt une fonction de transversalité et de soutien socio-économique majeurs dans des régions en grande souffrance, n’est pour l’instant soutenue par aucune puissance publique alors qu’elle met sur la table un capital apporté par de modestes contributeurs et des collectivités parmi les plus pauvres de France.

 Le projet Railcoop est révélateur de l’état chaotique de l’offre ferroviaire voyageurs en France. Il serait peut-être temps de rationaliser le processus concurrentiel, bienfaisant dans son principe, en passant à un système d’allotissement avec délégations de service public comparables à celles pratiquées dans le transport urbain : l’autorité publique définit les besoins en concevant le ferroviaire comme armature du transport terrestre tandis que les entreprises publiques (SNCF…), semi-publiques (Transdev, Regioneo…), privées ou étrangères à statuts divers exploitent au mieux les lots qui leur sont attribués.

Pour des lots alliant liaisons à fort potentiel et liaisons à faible potentiel

 En grandes lignes, ces lots pourraient allier liaisons à fort potentiel et liaisons à faible potentiel, le principe étant que toute relation inter-régionale relève au titre d’autorité organisatrice, soit de l’Etat, soit d’une syndication de régions et que les régions posent les correspondances de leurs TER avec ceux de leurs voisines comme un des impératifs de la construction de leurs horaires.

RailcoopAvec 12.194 sociétaires comptabilisés début avril, Railcoop continue d'appeler à compléter son capital social déjà fort de 7 millions d'euros. La coopérative rappelle que le trafic routier devrait encore augmenter de 34% d'ici 2050. Elle rappelle que 90% des Français habitent à moins de 10km d'une gare... mais que 30% des gares françaises ne sont desseervies par aucun service ferroviaire... compte non tenu des gares situées sur des lignes sorties du réseau ferré national. (Doc. Railcoop)

 Si l’Etat acceptait de cautionner au moins partiellement des emprunts de Railcoop destinés à Lyon-Bordeaux, un pas serait fait vers la reconstruction, au plus efficace, de liaisons structurantes aujourd’hui sacrifiées. Mais alors pourquoi ne pas intégrer cette liaison dans le réseau Intercités, avec délégation à Railcoop après un appel d’offre auquel la coopérative serait la plus à même de répondre ?

 Le service serait alors soutenu par l’Etat, voire des régions traversées, moyennant des contraintes auxquelles l’agilité de Railcoop et sa déjà longue préparation serait parfaitement à même de répondre.

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Commentaires
S
Conversion possible dans l'éolien : zon tellement brassé de vent quils auraient pu fournir la France pour des années. Sur que la sncf devait trembler face à ce machin.. bon, où est passé largent, vu le rendement ?
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B
Le grand désert ferroviaire de Lyon-Bordeaux, c' est Gannat-Saint Sulpice Laurière, avec pourtant des villes comme Commentry, Montluçon, et Gueret, où là les TER manquent . Par contre, ils existent bien sur Lyon-Roanne et Bordeaux-Limoges . Chance, AURA et Nouvelle Aquitaine semble être intéressées par cette compagnie . Railcoop peux donc renforcer les extrémités existantes, et apporter un nouveau service dans "le désert ferroviaire" de l' axe . A l' heure du (ré)aménagement du territoire, se serait un crime notoire de délaisser cette section, et alors il faudrait arrêter de nous bassiner "d' aménagement du territoire" pour, finalement, faire l' exacte inverse . Arrêter de dire que c' est impossible, allez demander aux FNAUT locales se qu' elles proposent depuis des décennies ! <br /> <br /> <br /> <br /> Sans offre, pas de demande, évidemment. Alors, laissons la première étape (l' offre) se faire !
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B
Alors, expliquez Mr DEBANO, que fallait-il faire pour relancer Lyon - Bordeaux ? Rien du coté de l' Etat, rien du coté syndicats, alors quoi ???????? Je ne doute pas que les "actionnaires coopératifs" de Railcoop sont impatients de vos explications !<br /> <br /> <br /> <br /> Pour le délai de la durée de réponse", c' est simplement que je venais de voir votre échange avec Aleske . Pas la peine d' essayer de dénigrer de cette façon, je ne vais pas tout le temps dans les anciens topics !
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P
Il y a de fortes ressemblances avec les premiers concurrents des NS aux Pays-Bas, à la fin des années '90 (!). Les NS ont tout fait pour démoraliser les concurrents avec tous les moyens possibles. Aujourd'hui, il y a un bon mélange de public et privé où tout le monde, et surtout les voyageurs gagent. Les deux sont devenus complémentaires, et j'espère qu'il en sera ainsi en France.
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B
Le projet (Luxembourg ?) Thionville - Lyon me semble être une bonne ligne de lancement . Autrement, je transformerais leurs projets Strasbourg - Clermont Ferrand et Bâle - Le Croisic en Strasbourg - Lyon (via le Revermont) et Bâle - Dijon . En attendant des évolutions "par la suite".<br /> <br /> <br /> <br /> Pour Lyon - Bordeaux, pourquoi ne pas commencer par Lyon - Limoges.............éventuellement en correspondance à Limoges avec les TER Nouvelle Aquitaine Limoges - Bordeaux ? Idée de fan de rail et voyageur . Trop simple comme idée ?
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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