Le vote de l’enveloppe budgétaire destinée à financer les études sur l’opportunité et les conditions de remise en service de la section de 48 km Boën-Thiers de la ligne Saint-Etienne-Clermont-Ferrand sera soumis le 17 décembre à la commission permanente du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes. Cette instance devrait entériner le paiement de 300.000 d’euros à SNCF Réseau qui annonce que les résultats de l’étude devraient être connus à la fin de l’année 2022.
L’étude sera menée en 2022… mais l’ombre de cars à supposé « haut niveau de service » ressort
Cette étude est divisée en deux grands chapitres : le potentiel de fréquentation de la ligne rétablie dans son intégralité de 145 km, et le coût de la régénération des 48 km de sa partie centrale et sommitale, interdite à toute circulation ferroviaire depuis juin 2016 pour cause de dégradation avancée de sa superstructure. Ce coût a jusqu’ici été évalué à une cinquantaine de millions d’euros, soit environ un million d’euros par kilomètre.
L’éventualité d’une solution de substitution par cars à supposé « haut niveau de service », qui condamnerait définitivement la continuité ferroviaire et l’aptitude du chemin de fer à concentrer flux voyageurs de toute nature et fret, a été évoquée. Elle fait l’unanimité contre elle parmi les associations d’usagers et de défense de la ligne.
Signal de neutralisation de la voie et d'interdiction de toute circulation à proximité de Thiers. Comme on le constate, la plateforme est envahie par la végétation, dont les racines minent progressivement la stabilité de l'assise et des ouvrages. Voici ce qu'est devenue cette infrastructure structurante pour toute une région, qui vit passer des trains de bétail, de granite, d'eaux minérales, de produits alimentaires.© KL/RDS
Le Collectif ferroviaire pour la réouverture de la ligne, qui réunit plusieurs associations et un certain nombre d’élus et de collectivités territoriales et qui plaide pour un large « projet territorial », a publié une liste de demandes avant le lancement de l’étude. Il exige par ailleurs que les résultats partiels de l’étude soient rendus publics lors de points d’étapes au long de l’année 2022.
Le Collectif insiste sur l’importance d’un scénario de réouverture de la ligne excluant toute « rupture de charge » et donc impliquant une remise en service effective de la voie ferrée, bien loin de quelques aménagements routiers pour vendre à bas coût et sans homogénéité de l’offre, ni locale ni à longue distance (Lyon-Clermont-Ferrand…) un car à supposé « haut niveau de service ».
Pierre-Olivier Messner : les « trente voyageurs par jour en 2016 » sont un cliché inadmissible
Interrogé par Raildusud, Pierre-Olivier Messner, un des responsables du Collectif, rappelle que « l’argument maintes fois resservi selon lequel on ne comptait dans les trains que trente voyageurs par jour en 2016 est un cliché inadmissible ». De fait, entre les suppressions de circulations, les reports sur route et les ralentissements imposés sur de nombreuses sections de voie, ce chiffre ne faisait que traduire le découragement de la clientèle, évidemment entretenu par la dégradation du service ferroviaire. « A la fermeture de la section de ligne, on comptait neuf points de ralentissements, quatre à 30 km/h, cinq à 10 km/h entre Andrézieu et Thiers », rappelle-t-il.
Afin de renforcer la pertinence du ferroviaire, le Collectif demande aux bureaux d’étude « d’analyser les opportunités de circulation de fret ». M. Messner rappelle que « la ligne fut conçue pour des trafics de charbon, puis qu’elle vit passer des produits agricoles – en particulier des cargaisons de myrtilles -, des chargements de granite, du bois », comme en témoigne l’importance du faisceau fret abandonné de Noirétable.
A Sail-sous-Couzan persista un important trafic de bouteilles d’eaux minérales jusqu’aux années 1970 les dernières expéditions ayant été effectuées par la route. La dernière des trois sources exploitées fut la Couzan Brault. Une tentative de relance par la société Indray en 2008 fit long feu.
Terminus à Boën pour ce doublet d'autorails monocaisses X73500. Le maintien d'une solution routière (cars, même qualifiés "à haut niveau de service") au-delà de Boën jusqu'à Thiers pérenniserait la dislocation de l'offre (fine, moyenne distance, longue distance...) entre modes et interdirait tout retour de services fret. Elle condamnerait probablement à terme les deux antennes ferroviaires maintenues de part et d'autre de la section centrale. Pourtant, l'atout maître du chemin de fer est de concentrer sur une même infrastructure dédiée et sécurisée des flux très différents. © POM/RDS
Le Collectif demande aussi que soit étudiée l’opportunité de faire de cet itinéraire par Noirétable « un axe complémentaire et alternatif pour la liaison Lyon-Clermont-Ferrand », utile par exemple en cas de travaux avec coupure totale de l’itinéraire via Roanne. Ce dernier, rappelons-le, est plus long que l’itinéraire par Noirétable de 25 km (229 km via Roanne, 204 km via Saint-Etienne et Noirétable). De plus, l’itinéraire Lyon-Clermont-Ferrand via Noirétable dessert Saint-Etienne, agglomération nettement plus importante que celles de Roanne et Vichy.
1992-1993 : trois relations quotidiennes Clermont-Ferrand-Lyon via Noirétable, l'une en 2 h 45 mn
A l’horaire d’hiver 1992-1993, on comptait trois relations quotidiennes Lyon-Clermont-Ferrand via Noirétable par autorail, dont une accélérée en milieu de journée, en 2 h 45 mn avec desserte de Saint-Étienne. Actuellement, les relations TER Clermont-Ferrand-Lyon Part-Dieu affichent au mieux 2 h 15 mn sans arrêt intermédiaire et 2 h 24 mn avec quatre arrêts intermédiaires, un temps augmenté d’une dizaine de minutes pour atteindre Lyon Perrache, les TER étant tracés par le long tunnel de Caluire.
Avec une voie remise à neuf, une relation Lyon-Clermont-Ferrand via Noirétable pourrait tendre vers le temps de parcours via Roanne avec l'avantage de la desserte de Saint-Étienne.
Très attaché à une vision élargie à tout le territoire desservi par la ligne Saint-Etienne-Clermont-Ferrand, soit selon nos calculs quelque 850.000 habitants, le Collectif demande à SNCF Réseau « d’intégrer dans son analyse la dimension du développement économique qu’apporte un tel outil, d’étudier le besoin en mobilités sur la globalité du territoire en intégrant les interactions avec les contraintes géographiques et démographiques inhérentes à celui-ci ».
Il lui demande aussi de « mener une enquête d’envergure auprès de la population sur ses besoins en mobilités au quotidien et la gestion du dernier kilomètre » et plus encore « d’étudier des solutions de mobilités concernant les dessertes locales incluant un rabattement systématique vers les gares de la ligne ferroviaire qui deviendront des pôles d'échanges multimodaux ».
Enfin, reprenant un thème qui fait actuellement florès, le Collectif suggère « d’étudier la possibilité de mise en circulation de trains à hydrogène sur l'ensemble de la ligne ».
Un renouvellement voie-ballast s’imposera, un entretien des ouvrages et un débroussaillage sont urgents
Sur les questions techniques, la remise en service de la section Boën-Thiers exigerait un renouvellement voie-ballast complet. C’était l’argument opposé par SNCF Réseau aux manifestants qui ont bloqué la coupure des rails destinée à goudronner plusieurs passages à niveau, l’année dernière : ces rails découpés ne pourraient plus, quoi qu’il en soit, être circulés. Le Collectif a récemment suggéré à SNCF Réseau de remplacer simplement le platelage de ces passages à niveau, afin d’en améliorer la sécurité sans pour autant « envoyer un signal négatif à la population ».
Arrêt d'autocar entre Noirétable et Boën. Bord de route à 90 km/h, pas d'abris, pas de protection des voyageurs contre une embardée de véhicule, pleine exposition aux gaz d'échappement, au bruit des camions, aux arrosages des jambes par temps de pluie... Même aménagés pour de supposés "cars à haut niveau de service" avec quelques priorités aux feux, des quais et des abris, un arrêt de bord de route reste ce qu'il est: un endroit exposé, bruyant, malodorant, inquiétant, dangereux pour la traversée de la voirie. Quant à installer la bande de roulement de cars sur l'ex-voie ferrée à voie unique, on attend les problèmes de gestion des croisements et de garantie des gabarits dans les tunnels et sur les ponts. Quant aux coûts d'entretien des ouvrages, ils resteraient entiers alors que la continuité ferroviaire serait définitivement rompue. ©RDS
Par ailleurs, le Collectif s’inquiète du manque d’entretien de l’infrastructure neutralisée, et de son envahissement par la végétation. Des déformations d’ouvrages d’art – viaducs, portails de tunnels - et d’ouvrages en terre exigent, selon des observations d’habitants de cinq communes concernées, une intervention rapide.
Le Collectif demande un débroussaillage complet, ce que SNCF Réseau annonce vouloir entreprendre. Ce débroussaillage, qui devrait être sous-traité selon certaines informations, permettra à la fois d’éviter les déformations de la plateforme et des ouvrages par les racines d’arbres, mais aussi tout simplement l’inspection de la ligne par les techniciens chargés d’établir les devis de rénovation au cours de l’année 2022. Rappelons que l’entretien de lignes non circulées demeure un impératif pour le gestionnaire d’infrastructure, en particulier pour la protection des tiers. Dans ce cas précis, il permettra de limiter le coût de la réhabilitation future des divers ouvrages.
Un renouvellement voie-ballast complet, indispensable à l’évidence pour tout rétablissement de circulation, permettra de rétablir le gabarit de la ligne. En effet, les déformations de la géométrie de la voie avaient imposé dès avant la suspension des circulations, l’exclusion des rames AGC du service sur cette section en raison de la multiplicité des tunnels à voie unique sur la section Boën-Thiers : dix-sept au total.
La ligne a vu passer des ETG, des BB68000 tractant des rames voyageurs…
Concernant l’aptitude de la ligne à supporter des circulations fret et des engins lourds, une voie renouvelée permettrait le transit de la plupart des types de trains. Si les pousses ne sont pas autorisées, les trains de fret sont admis en traction simple jusqu’à 500 tonnes, et jusqu’à 955 tonnes s’ils sont tractés par deux locomotives. Pierre-Olivier Messner rappelle que la section Boën-Thiers, quand elle était en bon état, a vu passer des ETG (Eléments à turbine à gaz) ; en 1971 des rames Lyon-Bordeaux tractées par des BB68000 avaient été détournées par Noirétable pendant un mois suite à la fermeture de l’itinéraire par Roanne en raison de l’accident du tunnel de la Pacaudière ; en 1977, pour le centenaire de la ligne, une puissante et lourde CC72000 avait tracté une rame spéciale jusqu’à Noirétable.
Photographie de la CC72000 tractant le train du centenaire, à l'arrêt en gare de Noirétable en 1977. Le poids, le gabarit et la puissance de l'engin démontrent que le gabarit de la ligne (G1, gabarit de base en France) permet tous types de circulations hors grands conteneurs... sous réserve d'un entretien normal de la voie.
Nous relèverons pour finir que la section Est encore exploitée, entre Boën et Saint-Etienne, l’évitement de Saint-Romain-le-Puy vient d’être neutralisé afin d’économiser un poste d’aiguilleur, sans qu’apparemment cela ait pour l’instant une incidence sur la fréquence des circulations TER, sauf en cas de perturbations.
En revanche la souplesse d'exploitation en pâtira de même que la lisibilité des horaires (hétérogénéité des minutes de départ). Cette installation restera toutefois réactivable, font valoir les services techniques. La gare de Saint-Romain-le-Puy se situe à 7,4 km côté Saint-Etienne de celle de Montbrison, elle-même équipée de plusieurs voies actives.
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(1) Lien vers le témoignage d'un usager du car de substitution, dans Le Pays :
La SNCF ayant suspendu en 2016 l'exploitation du tronçon Thiers-Boën, il faut aux usagers de la ligne 11 emprunter le car pour rallier le Puy-de-Dôme. À leur suite, Le Pays s'est prêté au jeu de la navette. Sur rail, d'abord, (parce qu'il est bien question de TER) ; sur route ensuite.
https://www.le-pays.fr
Il est illusoire de se dire que cette entité de la grande maison ne sera pas influencée par elle et/ou son ministre de tutelle.
La SNCF (l'Etat) a une ribambelle de filiales (routières) pour assurer les services de remplacement fret et voyageurs sur les petites lignes rurales.
Pour vous en convaincre, allez faire un tour à St Eloy les Mines, vous y trouverez des camions Géodis (Rockwoll) et des bus à "haut niveau de service"...