Après signature de contrats de performance régionaux en Nouvelle-Aquitaine et en Normandie, une nouvelle mouture de « contrat de performance » entre l’Etat et SNCF Réseau pour les dix prochaines années était à l’ordre du jour du Conseil d’administration du gestionnaire d’infrastructure le 4 novembre 2021. Son montant, de 2,84 milliards d’euros par an, paraît gravement insuffisant pour remédier à l’obsolescence de pans entiers du réseau. Au même moment, on apprend que l’Etat fédéral autrichien et les ÖBB, son gestionnaire d’infrastructure, prévoient un investissement considérablement supérieur au regard de la longueur du réseau, qui équivaut à seulement 22 % de la longueur du réseau français.
En 2017 Sénat, régions et Arafer contestaient le précédent contrat de performance
En 2017, un précédent contrat de performance prévoyant 46 milliards d’euros d’investissements sur dix ans (2017-2026), soit 4,6 milliards d’euros par an, avec un priorité donnée à la maintenance et au renouvellement du réseau existant, avait déjà été fortement contesté par le Sénat, l’association Régions de France et l’Arafer (Autorité de régulation des activités ferroviaires). Cette dernière estimait alors que la trajectoire financière (de SNCF Réseau) était irréaliste, prévoyant dans le meilleur des cas une hausse de la dette du gestionnaire d’infrastructure « continuerait d’augmenter de 400 millions d’euros par an » pour atteindre 63 milliards d’euros en 2026.
Conséquence de l'interminable neutralisation pour travaux de la section Neussargues-Saint-Chély d'Apcher de la ligne des Causses, le train de coïls à destination de l'usine ArcelorMittal de Saint-Chély d'Apcher est ici déchargé à Arvant pour transfert par route jusqu'à sa destination finale (été 2021). Jusqu'à la réouverture de la sections concernée, il en allait de même pour les voyageurs du seul train quotidien Béziers-Neussargues-Clermont-Ferrand. Une manifestation éclatante du dédain manifesté en France pour certains territoires. ©RDS
En cette fin 2021, le nouveau contrat de performance signé entre SNCF Réseau et l’Etat pour la régénération du réseau se limite à 2,84 milliards d’euros par an « alors qu’il faudrait 1 milliard d’euros de plus pour remonter la pente du sous-investissement », déplore Thierry Marty, ancien cadre supérieur de la SNCF en retraite. L'écart entre les besoins théoriques de renouvellement des infrastructures et la trajectoire définie par le précédent contrat de performance se montait déjà à environ 520 millions d'euros par an en moyenne sur la période 2017-2026, indiquait le rapport d’audit d’Yves Putallaz, publié début 2018.
Dès 2005, le désormais célèbre rapport d'audit du réseau ferré français de l'EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne) annonçait de même un manque d'investissement de l'ordre de 500 à 550 millions d'euros par ans. « On n’a donc aucune réaction du financeur de l'infrastructure » déplore un cadre de SNCF Réseau.
Ce nouveau contrat ne prévoit pas d’étendre les commandes centralisées du réseau
Qualifiant ce document de « contrat de sous-performance » Thierry Marty estime, sur son compte Linkedin, qu’avec cette trajectoire financière, « les incidents touchant les installations de signalisation et d’alimentation électrique vont se multiplier et les kilomètres de ralentissements vont augmenter ». D’autant que ce contrat ne va pas permettre de systématiser la commande centralisée du réseau (aiguillages, signalisation…) sauf création d'un nouveau poste centralisé pour la longue section Marseille-Vintimille, celle précisément où rouleront les TER Marseille-Nice récemment délégués par la région PACA à l’entreprise à capitaux publics Transdev. A ce jour, huit postes centralisés de ce type ont été mis en service sur le réseau français.
« Or, ajoute Thierry Marty, ce sont les nombreux postes d'aiguillage obsolètes qui datent de la fin des années 40 (postes à leviers) et des années 60 (postes à relais) qui expliquent que SNCF Réseau ait besoin de trois fois plus de personnel que les autres gestionnaires d’infrastructure européens pour l’exploitation et la maintenance du réseau ferroviaire français ». Nous ajouterons que c’est cette situation qui handicape gravement les projets de trois allers-retours quotidiens entre Lyon et Bordeaux via Montluçon prévus par Railcoop.
Métropole de Montpellier, 2022: amorce, au Crès, de l'ancienne ligne de Sommières. A gauche, passage d'un train Corail Intercités Marseille-Bordeaux. Cette ancienne ligne, dont l'infrastructure est largement aliénée (il est question d'en faire une énième piste cyclable), dessert des banlieues dont les voies d'accès routières sont surchargées et polluantes, ainsi qu'une zone industrielle. Même en zone métropolitaine, le réseau ferroviaire français a massivement été liquidé... et ne semble pas près de renaître. ©RDS
Ce nouveau « contrat de performance » prévoit un cash flow libre positif dès 2024, c’est-à-dire la capacité pour le gestionnaire d’infrastructure de générer des ressources supplémentaires. Mais c’est surtout « un tour de vis financier », poursuit l’ancien cadre, qui ajoute : « J’aimerais bien que les énarques de Bercy viennent nous expliquer comment l’activité TGV de SNCF Voyageurs, sous pression de concurrents sur ses relations les plus rentables, pourra « en même temps » continuer de financer par péréquation interne les dessertes TGV déficitaires, honorer la commande ferme à Alstom de 100 rames TGV-M et verser un dividende de 925 millions d’euros dès 2024 pour abonder les finances de SNCF Réseau ! »
Trois milliards d’euros par an en Autriche, pays dont la densité du réseau ferroviaire par rapport à la population est 1,6 fois supérieure à celle de la France
La même semaine, le conseil des ministres du gouvernement fédéral d’Autriche examinait le plan-cadre des ÖBB (Österreichische Bundesbahnen, Chemins de fer fédéraux d’Autriche) qui par leur filiale ÖBB Infrastruktur gèrent 6.123 km de lignes ferroviaires, soit à peine 22 % du linéaire français géré par SNCF Réseau.
Il est intéressant de comparer les engagements des deux Etats en faveur de leurs réseaux ferroviaires. Car ce plan-cadre des ÖBB qui court sur six années, de 2022 à 2027, alloue 18,2 milliards d’euros pour l’entretien et l’extension du réseau, soit plus de 3 milliards d’euros par an pour un réseau équivalant à un peu plus du cinquième du réseau français. L’Etat central français pour sa part allouera chaque année moins que l’Etat fédéral autrichien (2,84 milliards d’euros contre 3 milliards d’euros) pour un réseau près de cinq fois plus étendu, malgré sa contraction historique depuis sa nationalisation en 1938.
Rame voyageurs gravissant la rampe du col du Semmering, entre Vienne et Graz, le célèbre "Semmeringbahn". Sur 60% du trajet de Gloggnitz à Mürzzuschlag (42 km) via le tunnel de faîte du Semmering, les déclivités minimales sont de 20 ‰, avec des pointes à 28 ‰. Le plan cadre de l'Etat fédéral autrichien vise aussi bien à optimiser ce type de grandes lignes qu'à prendre soin, moderniser et électrifier les lignes régionales de "desserte fine". (Doc. Wikipedia Herbert Ortner)
Rappelons que l’Autriche affiche une surface de 83.871 km2, contre 551.700 km2 pour la France métropolitaine, soit un rapport de 1 à 6,5. L’Autriche compte 8,86 millions d’habitants contre 64,9 millions en France métropolitaine. La densité ferroviaire de l’Autriche est de 1 km de ligne ferroviaire pour 13,70 km2 et de 1 km de ligne ferroviaire pour 1.447 habitants. La densité ferroviaire de la France est nettement inférieure, malgré une très haute densité en Ile-de-France, avec 1 km de ligne ferroviaire pour 19,70 km2 (un pourcentage de ce linéaire est uniquement fret ou neutralisé), et 1 km de ligne ferroviaire pour 2.317 habitants.
L’Autriche affiche donc une densité ferroviaire par rapport à sa superficie 1,43 fois supérieure à celle de la France et une densité ferroviaire par rapport à sa population 1,6 fois supérieure à celle de la France.
Des investissements sur les lignes principales mais aussi sur les lignes régionales « qui seront électrifiées »
Les ÖBB se sont félicité de la décision de l’Etat fédéral, estimant qu’elle « augmente la qualité pour les clients ferroviaires et constitue un moteur économique important pour les entreprises autrichiennes ». Le programme d’investissement dans l’infrastructure ferroviaire a été augmenté de 700 millions d’euros par rapport à la trajectoire fixée en 2020. Il permettra de faire circuler davantage de trains sur le réseau.
Andreas Matthä, président du conseil d'administration des ÖBB insiste sur le fait qu’à la fois « les investissements dans les lignes principales permettront des connexions plus rapides entre les principales régions métropolitaines d'Autriche » et que, en plus des grands axes, « les chemins de fer régionaux seront rendus encore plus attractifs et électrifiés ». Cela devrait rendre « le report modal plus attractif dans les zones rurales, et aussi bénéfique pour les passagers que pour l'environnement ». En France, on désélectrifie Montréjeau-Luchon (au bénéfice d’une coûteuse et hasardeuse « hydrogénéisation ») et on envisage de faire de même sur Béziers-Neussargues…
Train de travaux à Marvejols (Lozère) saisi au printemps 2021 après régalage de ballast dans les rampes de la ligne Béziers-Neussargues sur les sections situées sur le territoire de la région Occitanie. Ces interventions, trop ponctuelles, entraînent des neutralisations à répéttition, obérant gravement l'attractivité commerciale des services TER. ©RDS
Les considérations autrichiennes sur l’équité territoriale en matière de desserte ferroviaire semblent avoir échappé au ministère français des Finances. Il est vrai qu’à l’opposé de la France, Etat centralisé et jacobin, l’Autriche est un Etat fédéral dans lequel le gouvernement central est prié de respecter les populations des Etats fédérés, fussent-ils « ruraux » ou « périphériques ».
Il est vrai qu’à l’opposé de la France, Etat centralisé et jacobin, l’Autriche est un Etat fédéral dans lequel le gouvernement central est prié de respecter les populations des Etats fédérés, fussent-ils « ruraux » ou « périphériques ».
CQFD