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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
9 novembre 2021

Montréjeau-Luchon : questions autour des trois rames bimode hydrogène-caténaire commandées pour 52 M€ par l’Occitanie

 La région Occitanie travaille à la réouverture des lignes Montréjeau-Luchon (une antenne pyrénéenne de 36 km), Séverac-le-Château-Rodez (une section de maillage entre ligne des Causses et réseau du nord-est toulousain de 44,7 km) et Alès-Bessèges (une antenne de 32 km). La première sera l’objet d’une expérimentation avec introduction de rames hybrides à moteurs électriques alimentés soit par une pile à combustion d’hydrogène soit par caténaire. La technique hydrogène a l’avantage de ne pas rejeter de gaz carbonique (CO2) ni de particules fines dans l’atmosphère pendant la propulsion, mais conserve un coût économique et énergétique indirect important.

 Comme pour l’antenne Alès-Bessèges, Montréjeau-Luchon verra la gestion de son infrastructure transférée de SNCF Réseau aux services de la région Occitanie, décision confirmée par la présidente du conseil régional Carole Delga (PS) et le président de la SNCF Jean-Pierre Farandou lors du congrès de l’association Régions de France, tenu le 29 septembre à Montpellier, et des rencontres du transport public tenues à Toulouse simultanément.

LuchonL'élégant bâtiment de la gare de Luchon côté cour. Côté voies, plus aucun train depuis 2014 et plus aucune caténaire depuis 2017. Elle dessert la "Reine des Pyrénées", Bagnères de Luchon, à la fois station de ski et station thermale. L'agglomération compte environ 4.000 habitants, doublés d'un flux touristique important. Aujourd'hui, seule une desserte par autocars TER permet de rejoindre la ligne Toulouse-Bayonne à Montréjeau. Ces services, qui assurent une desserte fine, sont nettement plus lents de bout en bout que les trains. (Doc. Wikipedia/Père Igor) 

 La décision d’expérimenter la propulsion à hydrogène sur Montréjeau-Luchon place la région Occitanie en « pole position » dans ce domaine. Et, logiquement, en première ligne des critiques de cette technique nouvellement appliquée aux transports. Ces critiques concernent le coût de l’opération, tant en investissement qu’en coûts induits sur l’exploitation. Elles portent aussi sur son intérêt énergétique.

Trois rames Regiolis issues de la gamme Coradia iLint d’Alstom commandées pour 52 millions d’euros

 Les futures rames bimodes hydrogène-caténaire seront inspirées du modèle Regiolis d'Alstom, soit quatre caisses, d'une longueur de 72m, aptes à 160km/h et avec une autonomie sous traction hydrogène assistée de batteries de 400 à 600 km suivant le profil du parcours. Le 6 septembre, sur l'anneau d'essais de Valenciennes, c'est le modèle allégé de présérie Coradia iLint de 54m de longueur pour deux caisses qui était présenté aux élus régionaux, au ministre Jean-Baptiste Djebbari et aux journalistes, en guise de hors-d'oeuvre

 Pour Montréjeau-Luchon, le coût d’investissement des trois rames à propulsion par pile à combustion d’hydrogène Regiolis issues de la gamme Coradia iLint d’Alstom commandées  par la région atteint 52 millions d’euros « soit plus de 17 millions d’euros la rame, à comparer aux 8 millions d’euros par rame Regiolis bimode (diesel et électricité par caténaire) », commente l’ingénieur Pierre Debano. Ce dernier ajoute que pour réélectrifier cette ligne de montagne à voie unique, « on compterait 36 millions d’euros soit un million d’euros du kilomètre », à charge « pour les spécialistes de préciser la valeur exacte ». Notons que l’Etat subventionnera une partie de l’achat des trois rames à hydrogène, à hauteur de 10 M€, soit 19,23 % du devis.

 L’ingénieur poursuit : « Le trois rames à hydrogène ont un surcoût initial de 27 millions d’euros, auquel il faudra ajouter périodiquement le remplacement de la pile à combustible à hydrogène ». Sachant qu’une électrification a une durée de vie minimale de 50 ans (et le matériel roulant de 35 ans) », qu’il faut aussi tenir compte du remplacement des batteries indispensables dans ce type de technique, batteries qui engendrent « pollution et dépendance étrangère », commente encore Pierre Debano. « On voit que notre argent est très bien géré », ironise-t-il.

2021-02Rame Regiolis bimode électrique caténaire/diesel de la région Occitanie en gare de Saint-Sulpice (Tarn). Ce modèle est issu de la famille des Coradia d'Alstom. Trois futures rames Occitanie (service LiO) seront équipé d'une pile à combustion d'hydrogène, d'un réservoir d'hydrogène sous haute pression, de batteries à grande capacité mais aussi de pantographes pour les parcours sous caténaires. ©RDS

 Le seul surcoût d’acquisition des trois rames à hydrogène par rapport à l’acquisition de trois rames bimode eût donc permis d’électrifier  par caténaire 75 % du linéaire de la ligne Montréjeau-Luchon, en plus des 67 M€ qui seront investis par la région Occitanie pour sa réhabilitation.

 La réouverture au service commercial est annoncée pour fin 2023, après début des travaux en 2022. La mise à disposition des rames à hydrogène pour la France n’interviendrait en revanche qu’en 2025. Entre-temps, la ligne serait exploitée en rames diesel.

Service Montréjeau-Luchon suspendu en 2014 alors que ne circulait plus qu’un TER par jour

 Le service voyageurs sur Montréjeau-Luchon a été suspendu « à titre provisoire » par la SNCF en 2014 en raison de la dégradation de la voie, équipée d'antiques rails à double champignon. Le seul train qutodien maintenu durant les dernières années de desserte ferroviaires, un TER, était complété par 5,5 allers-retours routiers, signe évident de la volonté de fermeture portée par le monopole d’Etat. Les fins de semaines des saisons touristiques (hautes saisons d’hiver et d’été), des voitures directes étaient tracées depuis Paris par train de nuit. L’unique TER ne desservait plus que quatre gares sur les dix arrêts aménagés par la compagnie du Midi, créatrice de la ligne en 1873 : Loures-Barbazan, Saléchan-Siradan, Marignac-Saint-Béat et Luchon, le terminus.

  La politique d’électrification menée par le Midi grâce aux nombreuses usines de production d’hydroélectricité permises par le relief pyrénéen, comme le profil relativement montagneux de la ligne avec présence de déclivités de 17 ‰, ont permis son électrification par caténaire dès 1925. En 2017, trois ans après suspension des circulations ferroviaires, SNCF Réseau a fait démonter cette caténaire originelle, de type Midi.

TDS71835Extrait de la carte des réseaux ferroviaires français en 1925. On note le nombre important des antennes pyrénéennes du territoire actuel de la région Occitanie. Toutes étaient électrifiées, spécificité développée par la compagnie du Midi qui avait misé tout à la fois sur les caténaires et les usines hydroélectriques de sa filiale SHEM (Société Hydro-Electrique du Midi). (Doc. RDS)

 Après la réouverture, les futurs TER exploités en rames hybrides pourront circuler depuis Toulouse jusqu’à Montréjeau-Gourdan-Polignan, soit 104 km, grâce à leur alimentation par caténaire 1,5 kVcc, puis de Montréjeau jusqu’à Luchon, soit 36 km, grâce à leur alimentation par la pile à combustion d’hydrogène. On soulignera que l’adjonction de ces piles à combustion d'hydrogène ne sera utile que sur 26 % du parcours.

Toulouse-Luchon, 1 h 50 mn de parcours : le parc de trois rames bridera l’expansion des services sauf usage croisé avec du diesel

 Par ailleurs, le parc de trois rames bridera l’expansion des services, sauf usage croisé avec des rames diesel en antenne ou bimodes diesel-électricité. Actuellement, les parcours TER Toulouse-Montréjeau sont assurés en 1 h 10 mn environ et il faudra compter sur un temps de parcours d’au moins 30 mn entre Montréjeau et Luchon (36 mn à la montée, 34 mn à la descente pour les meilleur temps à l’horaire 1995 sur une voie déjà fragile avec trois arrêts intermédiaires). Avec le rebroussement à Montréjeau, le temps de parcours total Toulouse-Luchon peut être donc être estimé à 1 h 50 mn, l’aller-retour à  environ quatre heures (compte tenu d’un stationnement de 20 mn à Luchon).

 En estimant un taux de disponibilité commerciale de deux des trois rames hybrides en permanence, la potentialité d’un service ferroviaire Toulouse-Luchon peut donc être évaluée à environ six allers-retours quotidiens directs, soit une fréquence aux deux heures. Cela dit, l’autorité organisatrice peut aussi décider d’exploiter un service mixte, quelques A-R Toulouse-Luchon entrecroisés avec quelques navettes Montréjeau-Luchon.

2021-02Victimes comme tant d'autres de dégradations visuelles choquantes pour un équipement largement à charge du contribuable, ces autorails monocaisses saisis à Toulouse Matabiau sont dédiés aux lignes non électrifiées de l'étoile ferroviaire de Toulouse. Seules les artères du quart nord-est toulousain (vers Albi, Rodez, Figeac, Mazamet...) et l'antenne en cul-de-sac Toulouse-Auch ne sont pas équipées de caténaires - malgré le rôle périurbain à haute fréquence de cette dernière. Au sud de Toulouse, Montréjeau-Luchon, jadis électrifiée, constituera donc un îlot dans un environnement sous caténaires. ©RDS 

 Quoi qu’il en soit, le rétablissement d’un service ferroviaire sur Montréjeau-Luchon en environ 30 minutes quel qu’en soit le mode d’exploitation (rames bimodes hydrogène-caténaire, bimodes diesel-électrique voire diesel seul), amènera une réduction considérable du temps de parcours par rapport au mode routier. Les autocars TER Montréjeau-Luchon affichent actuellement un temps de parcours de 48 minutes avec une trentaine d’arrêts, la plupart facultatifs, soit un quart d’heure de plus que le temps de parcours estimé par fer. Il faut y ajouter le temps de correspondance à Montréjeau vers Toulouse.

La puissance délivrée par la seule pile à combustion est insuffisante pour les rampes et les démarrages

 Les Coradia iLint d’Alstom, hybrides caténaire-pile à combustion d’hydrogène, sont mis au point par Alstom dans ses usines occitanes de Tarbes, avant montage dans ses ateliers alsaciens de Reichshoffen.

 La rame Coradia iLint est équipée de réservoirs d’hydrogène qui alimentent la pile à combustion. Elle est aussi équipée sous le plancher de batteries qui emmagasinent l’électricité non consommée et celle récupérée par le freinage inertiel pour équilibrer la fourniture d’électricité. On notera en effet que la puissance électrique dispensée par la pile à combustion s’avère insuffisante sur les parcours à forte déclivité et pour les démarrages : 628 kW de puissance délivrée par la pile à combustion d’hydrogène pour la Coradia iLint d’Alstom commandée par l’Allemagne contre 1.200 kW pour une automotrice classique.

 Enfin, elle est équipée des composants nécessaires à l’alimentation par caténaire.

2021-02Rame Regiolis, de la famille Coradia, à peine sorti des ateliers de construction d'Alstom mais déjà taggué, saisie à Carcassonne sur un TER LiO d'Occitanie. Ses futures soeurs à hydrogène ne devraient être mises en service qu'en 2025. Entre la réouverture de Montréjeau-Luchon et leur arrivée, seules des rames diesel pourront monter jusqu'à Luchon. ©RDS

« Ainsi, cette locomotive (lors de son usage en mode hydrogène, NDLR) ne rejette que de l’eau… Ce qui ne fait pas pour autant de cette locomotive un véhicule neutre et pleinement décarboné », commente le média « d’intelligence écologique » Les Horizons (leshorizons.net). De fait, il existe une énergie grise » définie par la somme de tous les intrants utilisés en amont de l’exploitation commerciale : « Il s’agit de comptabiliser la production, l’extraction, la transformation, la fabrication, le transport, la mise en œuvre de ce vecteur énergétique (l’hydrogène) pour le comparer scientifiquement aux autres modes énergétiques fossiles. »

 Selon Alstom Allemagne – même en incluant l’énergie grise – la locomotive Coradia iLint réduit de 40 à 45% les gaz à effet de serre par rapport à une locomotive classique. Seule l’hypothèse d’une production permise par usage d’énergies renouvelables, le gain serait alors de 85 % à 100 %.

La forte déperdition entre électricité pour production d’hydrogène et rendement final

 Cela sans compter la déperdition énergétique entre énergie nécessaire pour produire l’hydrogène, quelle que soit son origine, et énergie rendue par l’électricité injectée dans le moteur de la rame.

Le rendement total de la conversion d'électricité en hydrogène puis en électricité (power to gas to power) est d'une trentaine de pour cent, explique Maxence Cordier, ingénieur, sans compter l'énergie nécessaire à sa liquéfaction.

Il faut en effet pouvoir produire et stocker de l’hydrogène en amont, soit par « vaporeformage » du méthane, réaction chimique à partir d’une énergie fossile dont on extrait l’hydrogène, soit par électrolyse de l’eau. Cette dernière technique, la plus pertinente, n’en est pas moins  « paradoxale car on doit alors utiliser de l’électricité pour générer une réaction chimique qui produit de l’hydrogène… et ce afin que l’hydrogène produit viennent alimenter un moteur électrique », notent Les Horizons.

 Selon Jean-Jacques Marchi dans le n°587 de la revue de l’Afac Chemins de fer, « au final, il ne reste  plus que 20 à 25 kWh des 100 kWh d’énergie en sortie de centrale pour production de l’hydrogène (…) soit une perte de 75 % à 80 % de l’énergie initiale », même si « une autre estimation, très favorable, donne une perte de ‘’seulement’’ 57 % ».

Montréjeau gare CPGare de Montréjeau en grande activité au début du XXe siècle, avant l'électrification massive entreprise par la compagnie du Midi dans l'entre-deux guerres. Jusqu'en 2014, elle fut desservie par le train de nuit des hautes saisons touristiques (thermalisme d'été et sports d'hiver) se dirigeant vers l'antenne de Luchon depuis Paris. (Carte postale ancienne).

 Il reste enfin à stocker l’hydrogène, soit par cryogénisation à -253°C, soit en le comprimant, solution choisie pour le ferroviaire. In fine, entre production à proximité du lieu de stockage  pour éviter les coûts de transport, installations de stockage et de transfert, rendement énergétique final, la note globale de l’exploitation, outre l’amortissement de l’achat des rames, reste encore à définir, et c'est un euphémisme...

 Sans parler des limites qu’imposera l’impossible accès à l’antenne Montréjeau-Luchon de l’important parc régional de rames électriques classiques exploitées sur l’étoile toulousaine, soit les lignes vers Montauban-Agen/Cahors, Carcassonne, Latour-de-Carol, Tarbes et leurs au-delà. Seuls le quart nord-est toulousain et Toulouse-Auch sont privés de caténaires.

 La solution choisie par la région Occitanie va créer un ilot sans caténaires dans un environnement globalement électrifié.

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Commentaires
J
On marche sur la tête !<br /> <br /> Actuellement 95% de l’hydrogène est produit à partir du méthane, ce n’est pas du tout écologique ( autant utiliser directement du GNV ou du GPL dans un moteur thermique ).<br /> <br /> Quant à le produire par électrolyse de l’eau , ce n’est pas mieux car le rendement est déplorable ! ( 20% , rapport entre électricité utilisée pour produire l’hydrogène et électricité restituée pour les moteurs de traction à bord , avec la caténaire on est au moins a 80% !)<br /> <br /> On se demande comment il a été possible d’électrifier au 20 ieme siècle ( en 1500 V ) alors que maintenant électrifier en 25kV coute ( presque !) 5 fois moins cher .<br /> <br /> Sans compter la non polyvalence du matériel et les risques d’explosion ...<br /> <br /> Tout est dans le marketing , genre on rajoute 3% de bio carburant dans le kérosène et l’avion est devenu écologique ....
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J
Si un train Paris Luchon devait être recréé, sa traction se ferait tout simplement avec une loco diesel, probablement depuis Toulouse. Maintenant, les diesels chauffantes sont rares.... On peut regretter le choix de ne pas reelectrifier la ligne de Luchon
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D
C'est vrai que l'expérimentation d'un train à hydrogène aurait probablement soulevé moins de questions sur Alès Bessèges; alors que pour la ligne de Luchon, pour le prix d'achat des rames on paye quasiment l'électrification de la ligne (j'avais en tête un ordre de grandeur plus proche de 2M€ du km). Tant qu'à économiser sur l'électrification, l'utilisation de rames bimodes avec batteries au lieu du groupe diesel aurait été plus judicieuse quitte à équiper la gare de Luchon pour permettre la recharge des batteries et éventuellement quelques km en amont de celle ci pour éviter de les solliciter sur la partie terminale de la ligne.
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J
Je pense que le "troisième rail" a encore un avenir en utilisant la technologie de l'APS.<br /> <br /> Encore faut-il ouvrir les yeux et ne pas rester sur le système du XIX siècle.<br /> <br /> C'est surtout une question de mode et de mentalité.
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M
D'accord avec l'article dans son ensemble. <br /> <br /> En outre, le trajet direct depuis Marseille ou Paris sera pratiquement impossible .<br /> <br /> Enfin, les gains en CO2 des moteurs à hydrogène sont marginaux comparés aux potentialités du report modal du fret.
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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