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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
24 octobre 2021

Montluçon-Gouttières : sous la végétation de cette ligne abandonnée, le souvenir de l’exode de mai-juin 1940 (Témoignage)

 Le chemin de fer porte en lui les souvenirs de chacun de ses voyageurs. Parfois ils sont douloureux, tragiques même. Et quand la trace de ce souvenir est détruite, quand la ligne de chemin de fer qui vit passer sa propre vie ou la vie de ses proches est réduite à néant, alors s’installe une profonde amertume. L’Etat, pense-t-on, a gommé une part de l’histoire intime des usagers passés par là.

 Voici un récit évoquant la ligne Montluçon-Gouttières, entre Allier et Puy-de-Dôme par la Combraille, l’une des lignes dont la durée de vie fut la plus courte dans l’histoire du réseau principal en France : huit années seulement de service voyageurs régulier. Mais cette ligne vit passer un de ces trains de réfugiés qui, durant la débâcle de mai-juin 1940, fuyaient sous les bombes l’avancée des troupes nazies.

DebâcleEmbarquement dans un train de voyageurs pendant la débâcle de 1940 à Valenciennes. (Doc.Valencienne40.canalblog.com)

 Florent Meurville, petit-fils d’une réfugiée du Nord, fut élevé par sa grand-mère Julienne à la Petite Marche, dans l’Allier. Cette dame, décédée fin 1980, lui racontait souvent l’histoire dramatique de son exode, qui s’acheva dans une gare rurale de la ligne Montluçon-Gouttières. Cette ligne aux bâtiments voyageurs particulièrement soignés, témoins de l’ambition visionnaire de la compagnie qui la construisit, reste dans la mémoire familiale comme un lien entre générations, un lien dont les descendants déplorent la disparition : ils ne peuvent plus repasser sur les rails du destin, désormais déposés. La plateforme, construite grâce à  l’effort de centaines d’ouvriers, de géomètres, d’ingénieurs et de contribuables disparaît sous la végétation.

Julienne, 32 ans, et ses cinq enfant de 4 à 11 ans, dans des wagons à bestiaux, de Bavay à Terjat

 « Dans ma plus tendre enfance, ma grand-mère me racontait l’exode qu’elle avait vécu en juin 1940 dans des wagons à bestiaux sous des bombardements », explique Florent. Il nous a raconté l’histoire de cette famille, que voici :

 «  Julienne, alors âgée d’à peine 32 ans, veuve et mère de cinq enfants âgés de 4 à 11 ans, avait été transportée depuis Bavay, entre Valenciennes et Maubeuge, dans la débâcle vers le sud durant cinq jours. Le train, dont le parcours avait été tracé par Dijon pour éviter Paris, fut bombardé et mitraillé plusieurs fois. Arrivé en gare de Dijon, plusieurs wagons de marchandises transportant des réfugiés durent être évacués et détachés : ils avaient pris feu suite à un bombardement qui avait causé de nombreux morts. Ma grand-mère me racontait les cris des victimes, qui l’avaient horrifiée.

 » A Dijon, le chef de gare avait lancé à l’équipe de conduite de « vite partir, avant qu’il ne soit trop tard ». Le périple a encore duré plusieurs jours jusqu’à une halte en gare de Montluçon, ville qui avait été bombardée lors d'une attaque aérienne (81 morts, suite à une erreur de la Luftwaffe qui visait des usines, NDLR). Craignant une frappe sur la gare, alors que le convoi devait terminer à Montluçon, il fut orienté sur la ligne de Gouttières, passa Néris-les-Bains et stoppa en gare de Terjat. Dans cette belle gare rurale située au lieu-dit du Teret, importante car dotée d’une prise d’eau pour alimenter les locomotives, les forces de l’ordre firent descendre la centaine de réfugiés survivants, les rassemblèrent devant le bâtiment voyageurs pour les conduire à pied au château du Chézot, à environ 5 km.

 » Au château du Chézeau, les réfugiés furent conduits dans les greniers sur des paillasses de feuilles. Là, la Croix-Rouge est venue leur distribuer un peu de lait et de nourriture. L’hébergement dans les sous-pentes du château a duré trois mois. Entre-temps, le comte qui l’habitait avait dû héberger, de force, des militaires allemands parmi lesquels des gradés.

Gare

 

GareGare de Terjat (Allier) sur la ligne Montluçon-Gouttières, côté voies et côté cour. D'une architecture soignée et assez monumentale pour un bâtiment en zone rurale, dans la grande tradition du PO, cet établissement est devenu une résidence privée. Ce fut le lieu de débarquement d'une foule de réfugiés épuisés et terrifiés. ©RDS  

» Au fil des semaines, les réfugiés du train furent dispersés dans différentes communes alentours, par petits groupes : Sainte-Thérence, La Petite Marche, La Carbonne, Marcillat-en-Combrailles et Terjat même. Faute du moindre transport, ils s’y rendirent à pieds avec leurs balluchons. Ma grand-mère et ses cinq enfants furent envoyés à La Petite Marche, à sept kilomètres de Terjat.

La maman et ses cinq enfants hébergés dans une minuscule maison près de la Petite Marche

 » Près de la Petite Marche, au hameau du Cajat tout près d’un autre château, la municipalité put héberger cette famille épuisée dans une minuscule maison de deux pièces qui avait été réquisitionnée auprès d’une famille du Picot, autre  hameau situé à deux kilomètres. Il fallut survivre, dormant dans la même pièce sur des paillasses, par terre, nourris des seuls secours de la Croix-Rouge et de ce que les familles du lieu voulaient bien leur donner. Souvent la soupe était  préparée avec des épluchures de pommes de terre et des orties.

ChezeauLe château du Chézeau, premier lieu d'hébergement des réfugiés débarqués en 1940 à Terjat. Quatre-vingts ans après, ce beau bâtiment est inhabité et menace ruine. Son dernier résident fut M. le comte du Chézeau. (Doc. www.allier-hotels-restaurants.com)

 » Au bout d’un an et demi environ, ma grand-mère a rencontré Armand Auclair, agriculteur au Gentioux, autre hameau. Armand était alors âgé de 39 ans et célibataire.  C’est avec lui qu’elle put reconstruire sa vie. Armand prit soin de ses cinq enfants avec elle, dans sa ferme. Le mariage fut célébré après la fin de la guerre. »

Julienne ne retrouva pas sa maison de Bavay, rasée et jamais reconstruite. Cette histoire familiale tissée de souffrances, de courage et d’espérance s’enracine dans le chemin de fer, qui fut le lien entre une vie volée et une vie nouvelle. Et, dans ce grand réseau ferroviaire français, la gare de Terjat et la ligne de Montluçon à Gouttières fait figure de port de secours. Si elle a disparu aujourd’hui, elle reste très présente dans les mémoires des descendants de cet exode de juin 1940.

Une ligne de 44 km, dernière construite par le Paris-Orléans

 Le projet de la ligne de 44 km reliant Montluçon à Gouttières est apparu en 1910 dans les bureaux d’étude de la compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans (PO). La déclaration d’utilité publique et la convention de concession furent signés en 1913, mais le tracé définitif approuvé seulement en 1919, Première Guerre mondiale oblige. Les travaux débutèrent en 1921 et furent terminés en 1930. Le train inaugural a circulé le 5 mai 1931.

 Amorcée à un peu plus d’un kilomètre de la gare de Montluçon-Ville sur la ligne se dirigeant vers Commentry, la ligne desservait la gare de Néris-les-Bains après avoir traversé quatre viaducs sur la section de 8 km depuis Montluçon. La gare de Néris-les-Bains avait été particulièrement soignée par le PO, qui en avait confié la conception à l’architecte Louis Brachet (1877-1968). D’une ampleur exceptionnelle, toute en pierre de taille rose, d’inspiration élégamment régionaliste, elle est inscrite à l’inventaire des Monuments historiques.

DSCN1945Bâtiment principal de la gare de Néris-les-Bains. Cet édifice somptueux dessert la station thermale lancée par la dauphine Marie-Thérèse de France, duchesse d'Angoulême, sous la Restauration. Avec la ligne Montluçon-Gouttières fermée aux voyageurs huit ans après sa mise en service, il constitue l'un des exemples les plus frappants de liquidation du patrimoine ferroviaire sous l'autorité de l'Etat français. Classé, il est devenu propriété de la municipalité. ©RDS 

 La fiche du ministère de la culture décrit ainsi la gare de Néris : « Edifice composite montrant plusieurs influences variées. Chacune des deux façades se compose d'une succession de pavillons de différentes hauteurs. La partie centrale de la façade ne comporte qu'un seul niveau. (…) Le principal intérêt de la gare réside dans le matériau employé, une pierre particulière ne provenant pas de la région, rose veinée de jaune ». Le faisceau était doté de deux voies à quai encadrant une voie directe centrale. La gare a été rachetée par la commune et l’important faisceau marchandises remplacé pour partie par un terrain de camping.

 Le PO était réputé pour soigner l’architecture de ses gares. Au demeurant, même des gares rurales de la ligne Montluçon-Gouttières, telles que celles de Terjat, bénéficiaient d’une architecture soignée.

 Au sud de Néris-les-Bains, la voie poursuivait son chemin jusqu’à Durdat-Larequille puis et desservait la gare de Terjat, seule de la ligne à disposer d’une prise d’eau indispensable aux locomotives à vapeur. Elle avait été le terminus du train des réfugiés de la débâcle.

Marcillat-en-Combrailles, jadis site de très nombreuses foires agricoles et terminus de la ligne métrique vers Commentry

 Puis la ligne touchait Marcillat-en-Combraille, site de nombreuses foires agricoles, dont la gare expédiait régulièrement de nombreux wagons de marchandises, à hauteur de 20 tonnes par jour. A Marcillat, à quelques dizaines de mètres de la gare du PO, avait été construite la gare terminus de la ligne à voie métrique qui se dirigeait vers Commentry sans passer par Montluçon.

 Se dirigeant vers Gouttières, la ligne desservait Saint-Fargeol et Pionsat dont la gare était, comme celle de Marcillat, un important centre de transfert de matériel agricole et de bestiaux.  Traversant ensuite  dans la très vallonnée Combrailles, elle atteignait Gouttières après avoir traversé le tunnel des Bouchauds. Là, elle s’embranchait sur la ligne de Lapeyrouse à Volvic, célèbre par son viaduc des Fades, plus au sud.

DSCN1956 (2)Ancienne gare de Marcillat-en-Combrailles, sur la ligne Montluçon-Gouttières. Vu ici en 2019 lors de sa transformation-extension en établissement municipal,  son bâtiment était soigné. La gare offrait la correspondance avec le terminus de la ligne à voie métrique vers Commentry. Elle desservait un centre de foires agricoles de première importance. Marcillat a été frappé depuis par l'exode rural et l'industrialisation de l'agriculture. ©RDS 

 Huit ans seulement après son inauguration, en 1939, la ligne de Montluçon à Gouttières fut fermée au trafic voyageurs, sauf pour l’express thermal Paris-Néris-les-Bains qui fonctionna jusqu’en 1957 sous la forme d’une voiture détachée d’un train à tranches reliant Paris à Montluçon et un bref rétablissement d’omnibus pendant deux années durant l’Occupation.

 Il faut souligner l’importance de la gare de Néris-les-Bains. La ville thermale, lancée sous xxx reçut en 1880 quelque 3.200 curistes pour une population de 2.200 habitants. A l’époque, les curistes devaient descendre du train à Montluçon ou à Chamblet, sur la ligne de Commentry, puis être acheminés vers Néris-les-Bains par la route. C’est la raison pour laquelle le PO chercha à desservir Néris-les-Bains par le train.

La ligne offrait l’itinéraire le plus court entre Montluçon et Clermont-Ferrand : 101,5 km contre 110 km via Gannat

 Le gabarit du tunnel des Bouchauds, long de 585 m, fut conçu pour permettre une électrification ultérieure, dans le grand avant-projet d’électrification du réseau du PO dans le Massif Central. Montluçon-Gouttières permettait d’établir l’itinéraire le plus court entre Montluçon et Clermont-Ferrand, soit  101,5 km  contre 110 km via Gannat et 109 km via Lapeyrouse et Saint-Eloy-les-Mines. La ligne Montluçon-Gouttières permettait d’éviter le  détour par Lapeyrouse et accélérait le transport du charbon du bassin houiller de Gouttières-Pontamur, découvert à l’époque de l’arrivée du train, vers le centre industriel de Montluçon. Elle permettait aussi une desserte fine des territoires agricoles intermédiaires, ce qui lui conférait un intérêt marqué pour le fret.

Projet d'électrification du POCarte des projets d'extension de l'électrification par caténaires du réseau de la compagnie du Paris-Orléans, établie dans les années 1920. Les lignes du Massif central y figurent en bonne place. La ligne Montluçon-Gouttières n'y figure pas car elle n'est pas encore mise en service.

 La ligne Montluçon-Gouttières fut la dernière à être mise en service par le Paris-Orléans. Elle fit partie des 4.154,5 km fermés au trafic voyageurs par la jeune SNCF en 1939, après 4.236,8 km en 1938. Le trafic fret fut maintenu quelques années après la Seconde Guerre mondiale avant fermeture et déclassements des 11 km de la section Pionsat-Gouttières en 1954, et des 33 km Montluçon-Pionsat en 1972. Sa fonction fret vers Montluçon était concurrencée par la ligne Lapeyrouse-Volvic qui avait l’avantage de desservir le centre minier et industriel de Saint-Eloy-les-Mines, au nord de Gouttières. Le déclin de l’activité rurale avec remembrement, la diminution drastique des populations et la concurrence effrénée d’un secteur routier bénéficiant des meilleurs investissements publics en infrastructures eurent raison des ambitions et des soins du PO, disparu par profits et pertes.

 Le PO avait projeté de construire un important bâtiment pour équiper la gare de jonction de Gouttières mais ne le réalisa jamais, pas plus que la SNCF évidemment. Gouttières resta équipé d’un simple bâtiment en bois, construit en 1901 lors de la mise en service de la ligne Lapeyrouse-Volvic. Ce bâtiment « provisoire » fut démonté en 1990 après sa fermeture en 1988, bien avant la suspension des circulations de la ligne Lapeyrouse-Volvic en 2007.

 Cruelle ironie de l’histoire, le train de réfugiés de juin 1940 qu’emprunta Julienne et ses enfants débarqua ses passagers épuisés alors que la ligne venait d’être fermée au service voyageurs un an avant, par la SNCF. Les deux années suivantes, quelques omnibus furent rétablis pour pallier l’absence de carburants. Julienne racontait qu’elle les avait empruntés. Avant qu’ils ne disparaissent, annonce de la détresse économique et humaine de ce bout de France qualifiée de « périphérique » alors qu’elle est située en plein cœur du pays.

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Commentaires
M
Cher Monsieur,<br /> <br /> Merci pour votre appréciation. J'ajoute que le nom de la famille transportée, de laquelle est issu ce témoignage, était Brasseur. Le petit-fils cité, que nous avons interviewé, a pour nom Meurville.
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J
Témoignage très intéressant- Ayant fait en 2018 un travail de recherche documentaires sur l'histoire de cette ligne je ne connaissait pas l'histoire du train de réfugié arrivé à Terjat - <br /> <br /> Beaucoup de documents ont été sauvegardés ; certains sont sur le site de la mairie de Gouttières 63 .<br /> <br /> Ce fut une ligne dont l'existence a été éphémère ( 8 ans d'exploitation en trafic voyageur sur le parcours de bout en bout)<br /> <br /> Jipé - retraité et dernier chef de gare de Gouttières
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J
Émouvant témoignage, merci.
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  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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