Les obstacles techniques auxquels se heurte la société coopérative Railcoop pour installer en libre accès son service voyageurs Lyon-Bordeaux par Montluçon illustrent jusqu’à l’absurde l’état de déliquescence des itinéraires ferroviaires transversaux en France, conséquence d’une vision centralisatrice et obstinément « parisianocentrique » du service voyageurs. Railcoop, qui vient d’obtenir sa licence d’entreprise ferroviaire, se voit en particulier opposer par SNCF Réseau, le gestionnaire du réseau ferré national, des obligations de réactivation à ses frais de postes d’agents aiguilleurs, alors que les droits d’obtention des sillons sont déjà élevés.
Les médias, qui ont largement couvert l’aventure de Railcoop depuis sa fondation, ont rapporté depuis le début du mois d’octobre les difficultés auxquelles se heurte Railcoop. Cette dernière a dû « reporter de six mois le lancement de la ligne voyageurs Bordeaux-Lyon », retardant désormais le début de son service de l’été 2022 au service annuel 2023, qui débute mi-décembre 2022. Pour autant, les difficultés à obtenir des sillons sont aggravées, selon le site Transportrail (1), par l'importance du devis de maintenance du matériel roulant (X72500) proposé par les ateliers ACC de Clermont-Ferrand qui devraient faire appel à des sous-traitants pour entretenir la motorisation.
Seules 55% des demandes satisfaites par SNCF Réseau, et sous réserve de financement de postes d'aiguilleurs par Railcoop
La coopérative, qui compte plus de dix-mille sociétaires parmi lesquels des entreprises et une série de collectivités territoriales délaissées par le service public ferroviaire, a fait savoir que la principale raison de ce report « est que le gestionnaire d'infrastructure - SNCF Réseau - n'est pas en capacité de nous fournir des sillons (des créneaux de circulation, ndlr) de qualité en dépit des discussions engagées à ce sujet depuis plus de 18 mois ».
Carte du projet de liaison voyageurs de Railcoop entre Lyon et Bordeaux. La liaison de bout en bout sera la seule proposition de trains directs entre les deux métropoles. Plus encore, elle rétablira des liens ferroviaires irriguant des cités du nord du Massif Central notoirement sacrifiées par le servie public. (Doc. Railcoop)
Un communiqué de Railcoop poursuit : « Sur l'ensemble des demandes de circulation formulées, seules 55 % ont été pourvues par SNCF Réseau, sous réserve toutefois que nous financions l'ouverture de postes (pourtant réputés ouverts au moment de la construction du service avec SNCF Réseau...) ». Railcoop a bien reçu « des propositions », mais elles ne répondent que partiellement aux demandes, a expliqué Nicolas Debaisieux, son directeur général, dans des propos rapportés par l'AFP.
Par exemple, SNCF Réseau proposait un Lyon-Libourne au lieu d'un Lyon-Bordeaux, a indiqué Railcoop à France3 Nouvelle Aquitaine. En remplacement du train de nuit demandé par Railcoop et refusé par SNCF Réseau, la coopérative avait demandé un aller-retour Limoges-Montluçon-Lyon et un aller simple Montluçon-Lyon. Or SNCF Réseau impose pour ce dernier un départ à 4h30 de Montluçon en direction de Lyon, évidemment dissuasif alors que Railcoop avait demandé un départ après 5h.
SNCF Réseau ne « serait pas en mesure de nous garantir qu’on pourra vraiment circuler », ajoutent les responsables de Railcoop. SNCF Réseau, filiale de la SNCF depuis l’absorption par cette dernière de RFF (Réseau ferré de France, propriétaire public de l’infrastructure) a expliqué que le processus d'attribution des sillons « n’est pas terminé ». Le maire de Montluçon, Frédéric Laporte, soupçonne SNCF Réseau de traîner des pieds tandis que la président du conseil départemental de a Creuse, Hélène Faivre, proteste, rapporte France3: « Cet axe ferroviaire est indispensable pour favoriser l'attraction de nos territoires. C'est un véritable besoin, on ne peut pas attendre ».
Le blocage provient des sections équipées d’un block manuel, la solution pourrait être le GSM-R britannique
A l’évidence, la difficulté réside dans les lignes équipées d’une signalisation en bock manuel, qui impose une présence humaine à proximité, soit, indique un professionnel consulté par Raildusud, « en gros, Gannat-Montluçon-Guéret et Nexon-Périgueux ». La section Saint-Sulpice-Laurière-Guéret, côté Nouvelle-Aquitaine, a vu son block manuel de voie unique (BMVU) remplacé par un moderne block automatique à permissivité restreinte (BAPR) de voie unique. En revanche, côté Auvergne-Rhône-Alpes, Montluçon-Gannat demeure en BMVU sans qu’un projet de modernisation ne soit annoncé. Seule la signalisation de la gare de Montluçon a été modernisée, dans les années 1980.
Gare de Gannat, côté voies et quais voyageurs. Notoirement sous-exploitée, cet établissement qui vit passer des Paris-Clermont-Ferrand, des Bordeaux-Lyon voire des Genève-Bordeaux ne voit plus passer que des TER Clermont-Ferrand-Montluçon. Plus aucune relation directe au-delà de Montluçon. Plus aucune relation ferroviaire vers Lyon par la section à double voie Gannat-Saint-Germain-des-Fosssés, désormais uniquement parcourue par du fret. Vers la capitale régionale, seul un système d'autocars aux fréquences squelettiques et aux missions complexes, avec correspondances trains à Vichy, permet d'éviter une coorespondance train-train absurde à Riom. ©RDS
Ce retard est d’autant plus regrettable que le BMVU type ex-PO « est facilement transformable en BAPR de voie unique », indique ce professionnel. Reste que c’est l’intégration de la transversale Saint-Germain-des-Fossés-Saint-Sulpice Laurière à une commande centralisée qui permettrait de relancer une exploitation économique de l’axe. « La GSM-R du type Britannique serait une solution économique », ajoute notre interlocuteur, qui souligne l’intérêt de cette application outre-Manche à des lignes à faible trafic. Ce sous-système de l’ERTMS, transporte les informations de signalisation ferroviaire directement jusqu'au conducteur, permettant de s’affranchir d’une partie de la présence humaine au sol. Reste à dépasser les susceptibilités nationales…
La troisième relation Lyon-Bordeaux, prévue de nuit, ne peut pas être assurée
Railcoop avait déjà abandonné son projet d’un aller-retour de nuit entre les deux métropoles de Lyon et Bordeaux en raison de la fermeture nocturne de sections entières de l’itinéraire. La société coopérative avait donc prévue de lancer seulement deux rotations quotidiennes, sur trois prévues, à partir du 26 juin 2022. Le matériel roulant prévu serait composé de neuf rames d’occasion tricaisses à motorisation diesel de type X72500 achetées à la région Auvergne-Rhône-Alpes, avec laquelle Railcoop « a trouvé un point d’accord ».
Rames tricaisses X72500 à traction autonome de la région Normandie, en service commercial. C'est ce type de matériel, mais d'origine Auvergne-Rhône-Alpes, qui devrait équiper après rachat les relations Railcoop Lyon-Bordeaux. (Doc. Wikipedia)
Le temps de parcours entre Lyon et Bordeaux est prévu en 7 h 30, avec desserte d’un chapelet de villes des marches septentrionales du Massif Central : Roanne, Saint-Germain-des-Fossés, Gannat, Montluçon, Limoges… Toutes agglomérations privées depuis 2014 de cette relation transversale dont l’intérêt n’est pas seulement de permettre un parcours direct et économique (40 € de Bordeaux à Lyon) mais aussi d’offrir de nombreuses opportunités de cabotage, en particulier dans sa partie centrale (Roanne-Limoges), peu irriguée par les services TER.
La CGT Cheminots, opposée au principe de la concurrence, explique que Railcoop « vient de découvrir les contraintes imposées par le sous-investissement des gouvernements successifs sur le réseau et la stratégie de casse de l'emploi de l'entreprise hisorique ». Elle précise que la difficulté à obtenir des sillons frappe aussi les régions pour leurs TER: « Tous les jours, les trains subissent des contraintes (...) cela est vrai pour les TER conventionnés avec les régions comme pour les trains Intercités ». La CGT rappelle enfin que « l'arrêt de a relation Bordeaux-Lyon par TET (Trains d'équilibre du territoire Intercités, NDLR) en 2014 fait suite au désengagement de l'Etat ».
Le projet Lyon-Bordeaux de Railcoop, société qui n'a rien d'un capitalisme prédateur mais rejoint les idéaux coopératistes d'un Jaurès, a le grand mérite de faire sortir la poussière de sous le tapis et de mobiliser massivement les élus des territoires spoliés de leur service public ferroviaire.
Les autorités organisatrices ont liquidé les relations ferroviaires entre Montluçon et Lyon, pourtant villes de la même région
On rappellera que ni la SNCF, ni l’Etat, ni la région Auvergne-Rhône-Alpes n’ont permis le maintien de relations ferroviaires entre Montluçon et Lyon qui appartiennent pourtant à la même région... pas plus qu’entre Saint-Etienne et Clermont-Ferrand, d’ailleurs. Une situation de relégation territoriale pour des départements en grande souffrance économique et démographique (Puy-de-Dôme, Allier, Creuse, Haute-Vienne…) que le projet de Railcoop, société basée à Figeac dans le Lot, permettrait d’atténuer.
Railcoop va nonobstant engager son activité commerciale le 16 novembre avec le lancement de rotations fret entre Viviez-Decazeville et la plate-forme multimodale de Toulouse-Saint-Jory. D’ores et déjà est prévu le transport de lots de fenêtres, de pièces aéronautiques ou… de chocolat. « Il y a de quoi remplir les trains », indique Nicolas Debaisieux, qui vise une fréquence quotidienne « assez rapidement » et se félicite d’avoir obtenu des sillons adéquats, sur une ligne il est vrai modernisée dans le cadre du plan-rail Midi-Pyrénées.
Railcoop a réuni un capital de 3,9 millions d’euros et discute actuellement avec des financeurs institutionnels pour compléter ses fonds disponibles.
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(1) Lien vers l'article publié à ce sujet par Transportrail :
La liaison Lyon - Bordeaux, figure de proue Railcoop, prend du retard. La communication de la coopérative étant très active, l'information a été largement relayée. Cependant, seule une partie des raisons ont été mises en avant.
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