Quatre cent quatre-vingt millions d’euros pour 54 km d’autoroute, soit près de 9 millions le kilomètre : tel est le devis de la construction de l’autoroute A69 entre Castres et Verfeil (Tarn), dont la réalisation a été promise le 25 septembre par Jean Castex en visite à Lagarrigues, près de Castres.

 Si notre site ferroviaire traite ce sujet, c’est pour présenter le rapport entre ces 480 millions d’euros et les 800 millions d’euros mis sur la table par la région Occitanie voici un an exactement pour rénover l’infrastructure du réseau régional durant les dix années qui viennent. La même région s’est engagée à financer 26 % du devis de l’autoroute, soit 124 millions d’euros. La mise en service de l’A69 et de ses raccordements a été annoncée pour mi 2025.

Actuellement, route et rail affichent les mêmes temps de trajet. L’A69 le réduira… sauf engorgements à Toulouse

 Avant la construction d'une autoroute entre Verfeil et Castres, le principal axe est la RN 126. L'axe connaît un trafic moyen de 7.000 à 24.000 véhicules par jour. Selon ses promoteurs, l’autoroute A69 permettra de diminuer le temps de trajet de Castres à Toulouse d’environ une grosse demi-heure, passant de 1 h 20 mn, selon ses concepteurs, à 45 minutes. Elle constituera donc, outre l’outil de « désenclavement » vanté par Jean Castex, un aspirateur à voitures lesquelles viendront engorger un peu plus la métropole  toulousaine, dénoncent ses opposants. Parmi ceux-ci, plusieurs associations mais aussi le polytechnicien et professeur Jean-Marc Jancovici, grand pourfendeur du gaspillage énergétique.

CastresGare de Castres côté voies, au début du XXe siècle. Le faisceau et la vaste marquise rappelle que cet établissement fut un noeud ferroviaire important. Il était au centre d'une étoile de lignes de la compagnie du Midi rayonnant vers Castelnaudary, Albi, Montauban par La Crémade (avec bifurcation à Saint-Sulpice vers Toulouse par la ligne du PO, Bédarieux par Mazamet et Saint-Pons de Thomières. Aujourd'hui, l'investissement est fléché vers une autoroute tandis que les relations ferroviaires sont exclusivement assurées vaers Toulouse la la ville proche de Mazamet. (Carte postale)

 On peut redouter que le temps de parcours nominal annoncé de 45 mn ne soit péjoré par les embouteillages traditionnels, aggravés par le surcroît de trafic autoroutier. Pendant ce temps, le temps de parcours Castres-Toulouse Matabiau par TER s’établit entre 1 h 04 mn et 1 h 23 mn minutes environ pour 86 km, soit autour voire mieux que le trajet en voiture par la route. Deux itinéraires routiers existent, de 78 km via Puylaurens et 82 km via Lavaur mais avec un trajet un peu plus long sur l’autoroute existante, la A68 à l’approche de Toulouse.

 Notons que le train dessert sept gares intermédiaires et propose 11 rotations en semaine mais seulement… trois les dimanches et fêtes. Le trajet s’effectue sur une voie de bonne qualité et partiellement doublée entre Saint-Sulpice et Toulouse, grâce en particulier au financement régional massif accordé par l’ancienne région Midi-Pyrénées dans le cadre de ses plans-rail.

480 millions d’euros, soit 160 millions par an pendant les trois ans d’études et travaux

 Les 480 millions d’euros destinés à financer la construction de l’autoroute A69 équivalent à un financement annuel de 160 millions d’euros pendant les trois années que dureront les études de projet détaillé, les éventuelles acquisitions foncières et le chantier, appelé à commencer « mi-2023 » pour une ouverture « mi-2025 », selon le Premier ministre. Ce montant est à rapporter aux 80 millions d’euros annuels répartis sur dix ans promis par la région pour la régénération et les réouvertures de lignes sur l’ensemble de l’Occitanie. Un montant que sa présidente, Carole Delga, espère voire doublé grâce à un abondement équivalent de l’Etat.

 Pour l’instant, rien n’est assuré de la part de l’Etat. Lors d’une rencontre entre Carole Delga et le PDG de la SNCF Jean-Pierre Farandou le 30 septembre, le principe d’un plan-rail a été acté, mais il a été limité au budget de 800 millions d’euros promis par la région. On relèvera que ladite région s’est engagée à verser 1,2 milliards d’euros pour financer la future ligne à grande vitesse Toulouse-Bordeaux, soit 41 % du devis projeté… et 1,5 fois le montant du budget consacré sur 10 ans aux lignes régionales.

A69Schéma du projet d'autoroute A69. Doté de cinq échangeurs, la nouvelle infrastructure permettra de rejoindre l'A68 au nord de Toulouse.

Concernant l’autoroute, l’annonce du lancement de ses travaux dans moins de deux ans s’est accompagnée de celle de l’heureux adjudicataire : la société NGE. Cette entreprise de travaux publics réalisera les travaux et bénéficiera de la concession d’exploitation et de ses péages. Fondée en 2002, NGE est l’héritière de la société Guintoly.

L’autoroute A69, réclamée depuis 40 ans par les dirigeants économiques du Tarn

Le projet d’autroute A69, déjà ancien était fortement réclamé par les dirigeants économiques du Tarn. Le député de la circonscription Jean Terlier (LREM) a déclaré : « Ca faisait 40 ans qu'on attendait des annonces. On en a vraiment besoin dans ce sud du Tarn, les chefs d'entreprises ont du mal à recruter ». Dans un entretien avec France Bleu, il ajoute : « Toutes les villes le long de l'autoroute entre Albi et Toulouse qui ont connu un développement économique spectaculaire. Il n'y a pas de raison que cette connexion avec Toulouse n'ait pas les mêmes effets pour le sud du département ». Castres, 42.000 habitants (57.000 sur l’agglomération) est en particulier le berceau des laboratoires Pierre Fabre et héberge des entreprises de chimie, de plasturgie, d’électronique, de mécanique et d’informatique. Castres est le siège du 8e RPIMa, un établissement militaire fort de 1.200 hommes.

Castres villeBâtiments de la vieille ville de Castres sur la rivière Agoût. La cité tarnaise allie une riche histoire à une acivité économique très active. Pourtant, son étoile ferroviaire à quatre cinq destinations a été amputée de trois d'entre elles, voire quatre si l'on considère qu'aucun train ne poursuit à l'est au-delà de Mazamet. (Doc. Wikipedia)

 Le concessionnaire NGE, pour l’instant seulement pressenti, signera le contrat au premier semestre 2022. Sa concession constituera une exception dans le vaste domaine autoroutier de Vinci Autoroutes, fusion d’ASF et Escota principalement, qui couvre la moitié sud de la France.

La conférence de Jean Castex a suscité une nouvelle levée de boucliers d’associations locales qui s’opposent, pour une raison ou pour une autre, à la construction de l’A69. Elles critiquent notamment l’ouverture de trois carrières temporaires pour les besoins du chantier à Saint-Germain-des-Prés, Moncabrier et Villeneuve-les-Lavaur. NGE a tenté de les rassurer en estimant qu’elles ne s’avéreraient plus indispensables.

Des associations contestent la modalité, Jean-Marc Jancovici conteste le principe

 Mais la contestation porte sur le principe même de la nouvelle infrastructure routière. Les délégués d’un festival d’opposants organisé lors de la venue de Jean Castex, qui avaient demandé au Premier ministre d’entendre leurs arguments sur les alternatives à l’autoroute, ont été éconduits. Cité par France Bleu, Jacques Carcasses, président de l'association Les Vallons, membre des collectifs RN126 et Pas d'autoroute Castres-Toulouse, a déclaré : « On ne comprend pas pourquoi dans l'enquête publique on s'interroge sur la pertinence de ce projet d'autoroute et pourquoi on continue à poursuivre dans ce délire sans faire une étude ». Il propose « un aménagement de qualité » de la RN126.

2021-02Gare de Saint-Sulpice et son ample plateau de voies, à la jonction de la ligne ex-Midi vers Castres et Mazamet (au fond à d.) et de l'axe Toulouse-Figeac. La branche ex-Midi vers Montauban a disparu. ©RDS 

  Dans le même sens, Jean-Marc Jancovici a publié sur son compte Linkedin une critique cinglante du principe même de la construction de cette liaison autoroutière. « Notre pays souhaite faire baisser les émissions. Notre pays souhaite arrêter l'artificialisation. Notre pays souhaite proposer des offres alternatives pour se déplacer autrement qu'en voiture. La réponse est évidente : on va faire une nouvelle autoroute », tempête-t-il.

 L’ingénieur, enseignant et fondateur de Shift Project, laboratoire d’idées destiné à trouver des solutions contre un changement climatique dont l’origine humaine est selon lui avérée, ironise : « Après tout, le gouvernement aurait tort de se priver du confort de l'incohérence, puisqu'il est servi par une presse qui la cultive tout autant ». Il cite ainsi l’article de France Bleu qui « ne contient ni le mot climat, ni le mot pétrole, ni le mot CO2, ni le mot effet de serre. Bref, c'est le cas de le dire, circulez y'a rien à voir. »

480 millions pour l’autoroute en trois ans, 800 millions de la région pour le réseau ferroviaire en dix ans

 De la même façon que nous comparions les 480 millions d’euros de cette autoroute aux 800 millions sur dix ans du plan régional destiné à améliorer le réseau ferré de desserte fine, M. Jancovici relève que ces « 480 millions, (…) sur juste un petit bout d'infrastructure à voitures », sont supérieur « au plan vélo qui, pour l'ensemble du pays, et pour sept ans, n'en a que 350 ».

« En fait, ajoute-t-il, le premier déterminant de ce genre d'ouvrage n'est malheureusement pas toujours la demande pressante de la population ». Selon lui « les plus grands pousse au crime sont trop souvent les élus locaux et les entreprises du BTP, les premiers écoutant beaucoup les secondes. » Il conclut : « Cela se retrouve dans le fait que les emplois - qui seraient tout autant préservés à faire des pistes cyclables, et pour 480 millions Dieu sait qu'on en ferait... - sont toujours cités dans les communiqués de presse associés à la réalisation de ces infrastructures, le CO2 ou l'énergie à peu près jamais ».

Concluons quant à nous que les 800 millions d’euros sur dix ans consacrés par la région aux infrastructures ferroviaires régionales (qui appartiennent à l’Etat) forment un budget modeste au regard de la surface de l’Occitanie – 72.720 km2, soit 1,3 fois la Suisse – et de sa population – 5,9 millions d’habitants, soit la moitié de la population de la Belgique. Rappelons que pour la seule Ile-de-France (12 millions d’habitants, 12.000 km2), les investissements cumulés en nouvelles infrastructures ferroviaires régionales ou locales sur la décennie en cours avoisinent 45 milliards d’euros, selon un chiffrage de Raildusud.

Plutôt que l’autoroute, améliorer le maillage ferroviaire : doublement complet Saint-Sulpice-Toulouse, réouverture de Castres-Castelnaudary…

 Dans ces seuls départements d’Occitanie (Tarn, nord-est toulousain, Aude), les opportunités d’investissements d’un enveloppe de 480 millions d’euros dans l’infrastructure ferroviaire ne manquent pas.

 On peut citer l’achèvement du doublement du tronc commun Toulouse-Saint-Sulpice des lignes Toulouse-Mazamet et Toulouse-Albi. Réalisé entre Toulouse et Montrabé et entre Montastruc-la-Conseillère et Saint-Sulpice, il a buté sur la présence de deux tunnels de 906 m (Campmas) et 644 m (Seillans), maintenant un tronçon de voie unique sur une dizaine de kilomètres, un handicap malgré l’évitement de Gragnargue pas tout à fait à mi-parcours de la voie unique.

2021-02Rame Regioneo flambant neuve mais déjà maculée de tags, assurant un TER Occitanie "LiO" en partance de Toulouse Matabiau pour Saint-Sulpice et Albi. Pour Castres et Mazamet, la fréquence est correcte en semaine (11 rotations quotidiennes) mais squelettique les fins de semaine (3 rotations le dimanche) malgré l'attrait de Toulouse pour les visites de loisirs ou d'achats, du Tarn pour le tourisme vert. ©RDS 

 Autre saut quantitatif dans ce secteur, la réouverture de la ligne Castres-Castelnaudary, qui offrirait un parcours vers le pourtour méditerranéen et la vallée du Rhône sans avoir à transiter par Toulouse. Sur cet axe la route est réputée très fréquentée et la reconstruction de la ligne, qui dessert Revel à mi-parcours,  est réclamée par plusieurs associations.

 Si l’on projette plus loin, les réactivations des lignes Mazamet-Bédarieux fermée en juillet 1972 aux voyageurs en raison d’une avarie dans un tunnel, et Faugères-Montpellier fermée en novembre 1970, permettraient de rétablir une continuité Toulouse-Montpellier desservant les villes intermédiaires du Tarn et de l’Hérault intérieur. Notons que le kilométrage Toulouse-Montpellier via Bédarieux, Mazamet et Castres est inférieur (mais plus tourmenté, avec rebroussements à Bédarieux et Castres) à celui du parcours via Narbonne.