Concurrence : les marchés régionaux et inter-régionaux hors étoile parisienne attirent les convoitises
Avec l’attribution à Transdev en délégation de service publi l’exploitation des TER Marseille-Nice, soit 225 km, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) a enfoncé début septembre un nouveau coin dans la domination de la SNCF sur le ferroviaire voyageurs français. Les secteurs les plus convoités par la concurrence semblent être les relations régionales et inter-régionales (Lyon-Méditerranée, Lyon-Bordeaux…) hors étoile parisienne.
Si cette annonce concernant Marseille-Nice a été largement relayée et commentée par les médias dominants, elle n’est qu’une nouvelle étape dans la libéralisation imposée par l’Union européenne dans un secteur ferroviaire pourtant caractérisé par sa nécessaire intégration fonctionnelle. D’autres services TER, en particulier dans le Grand Est, sont dans le collimateur de concurrents, Régionéo pour cette dernière région. Hauts-de-France lance un appel d’offre pour l’étoile de Saint-Pol-sur-Ternoise, Pays-de-Loire pour ses trains-trams. Le secteur de la grande vitesse et de l’inter-régional quant à lui voit arriver au moins trois nouveaux opérateurs - italien, espagnol et français - et le secteur du fret est ouvert à la concurrence depuis juin 2005.
Sur Marseille-Nice, Transdev devrait faire passer en 2025 le nombre de TER accélérés de 7 à 14 pour le même prix
Sur Marseille-Nice, Transdev devrait assurer l’exploitation des TER à long parcours desservant Toulon, Les Arcs, Fréjus-Saint-Raphaël, Cannes, Antibes. Le vote définitif du conseil régional PACA sur ce dossier devrait intervenir le 29 octobre. L’exploitant de transports publics, très présent en France dans les réseaux urbains (bus et tramways à Grenoble, Montpellier, Strasbourg…) s’est engagé à faire passer l’offre de 7 à 14 allers-retours quotidiens entre les deux pôles métropolitains qui comptent 1,9 million d’habitants pour Aix-Marseille-Provence et 1,1 million d’habitants pour les Alpes-Maritimes.
Centre de maintenance à Marseille Blancarde. Transdev, futur exploitant des services TER Marseille-Nice, exige d'avoir la main sur l'entretien de ses rames, donc de disposer d'un centre de maintenance propre. ©RDS
Le marché TER Marseille-Nice affiche actuellement 10 % des trains/km de l’offre TER en région PACA. L’autre partie du réseau TER soumise à appel d’offre par le conseil régional était l’étoile de Nice, soit Saint-Raphaël-Nice-Menton-Vintimille, sa branche Cannes-Grasse, et Nice-Tende. Seule la SNCF ayant soumissionné, l’entreprise publique demeurera aux commandes sur ce secteur qui représente, lui, 23 % de l’offre actuelle.
Transdev s’est engagée, à partir du début de son exploitation courant 2025, à doubler la prestation à coût équivalent pour la région qui subventionne ce type de services voyageurs. La région s’est engagée à acheter une quinzaine de nouveaux trains afin de remplacer les rames actuelles qui comptent des voitures Corail à bout de souffle faute de rénovation. Un nouvel atelier de maintenance devra être construit, exigence du nouvel entrant pour garder la main sur l’entretien et le respect des horaires d’immobilisation du matériel roulant.
On notera que bien que l’entreprise publique SNCF ait perdu la main sur cet axe majeur, il demeurera exploité par une entreprise relevant du secteur public. Le capital de Transdev est détenu très majoritairement (66 %) par la Caisse des Dépôts, bras armé du capitalisme d’Etat en France, 34 % étant détenus par Rethmann, groupe allemand spécialisé dans les services aux collectivités et dans la logistique. L’Etat français garde donc la haute main sur les TER Marseille-Nice, tout en changeant d’intermédiaire.
Dans le Grand Est, Régionéo (RATP-Getlink) présélectionné pour exploiter 266 km, avec rénovation et entretien
Si les grands médias ont claironné que « la SNCF perd pour la première fois une ligne TER », ils ont omis de préciser qu’un faisceau de lignes de la région Grand Est devrait échoir à Régionéo, filiale commune de l’entreprise publique RATP (55 %) et de Getlink qui exploite la tunnel sous la Manche et le tractionnaire de fret Europorte.
Fin février 2021, le conseil régional siégeant à Strasbourg a présélectionné Régionéo pour non seulement exploiter les TER reliant Nancy à Contrexéville par Pont-Saint-Vincent (actuellement sur route) et les relations Strasbourg-Molsheim-Saint-Dié-Epinal et Strasbourg-Molsheim-Sélestat, mais aussi pour assurer la rénovation, la maintenance et la gestion de l’infrastructure hors parcours en tronc commun Nancy-Pont-Saint-Vincent et abords de Strasbourg.
Le kilométrage des relations TER concernées affiche 147 km pour Strasbourg-Epinal, 52,5 km pour Strasbourg-Sélestat, 66,5 km pour Nancy-Contrexéville. Cette dernière relation desservira Mirecourt et Vittel. Au total, le cumul affiche 266 km de linéaire TER mis en concurrence (dont 19 km en tronc commun de Strasbourg à Molsheim), soit plus que la ligne Marseille-Nice.
Gare de Molsheim (Bas-Rhin), à 19 km de Strabourg-Ville, bifurcation des lignes vers Saint-Dié et Sélestat. (Doc. Wikipedia/Le Seigneur de mardie)
Dans le Grand Est, non seulement ce bouquet de services TER pourrait échapper à SNCF Voyageurs, si la présélection se confirme, mais SNCF Réseau devrait perdre la main sur l’infrastructure, ce qui est en soi une petite révolution. Le tronçon Pont-Saint-Vincent-Contrexéville (50 km) de la ligne Nancy-Merrey est fermé aux voyageurs depuis fin 2016 en raison du manque d’entretien des voies, au grand dam des élus et de la population. Le devis de la rénovation est évalué à 66 millions d’euros. Sur la liaison Strasbourg-Epinal, la section de 49 km Saint-Dié-Arches est en cours de rénovation par SNCF Réseau pour 21 millions d’euros, pour une ouverture prévue en 2022.
Pour la rénovation de l’infrastructure du premier lot, Régionéo a pris pour partenaire le fonds spécialisé dans les infrastructures publiques Meridiam et le spécialiste des travaux ferroviaires Colas Rail. Le vainqueur de l’appel d’offres reprendra le personnel SNCF travaillant sur ces relations et assurera la maintenance du matériel roulant utilisé.
Contrairement aux conventions TER, la concurrence grandes lignes se fera en libre accès aux risques et périls
Pour les TER, l’ouverture à la concurrence s’opère par appel d’offre pour un service d’une durée maximale de 10 ans fixée par la loi, calqué sur la délégation de service public pratiqué dans le transport urbain. Ce système, qui est facultatif depuis 2019 pour les régions hors Ile-de-France, deviendra obligatoire à partir de fin 2023.
Pour les relations à longue distance, qu’elles soient sur lignes à grande vitesse ou sur lignes classiques, l’Etat français a choisi le système du libre accès aux risques et périls de l’exploitant (open access en anglais), alors qu’il aurait là aussi pu choisir un système de délégation de services par lignes ou groupes de lignes, sur le modèle britannique de base, qui n’interdit pas pour autant l’open access, et sur le modèle régional français.
TGV à Marseille-Saint-Charles. SNCF Voyages a privilégié les relations radiales autour de Paris, les plus immédiatement rentables. Les relations TGV de SNCF Voyages ne seront pas soumises à appel d'offre, comme cela aurait pu être le cas. Le gouvernement français a préféré ouvrir à la concurrence par le système de l'"open access", soit une arrivée de nouveaux exploitants à leurs risques et périls. ©RDS
Il est probable que sur les grandes lignes l’open access sera moins risqué pour SNCF Voyageurs, qui trouve dans les TGV une source essentielle de profits et a fait contractualiser le reliquat de liaisons Intercités sur lignes classiques après que nombre d’entre elles ont été transférées aux régions ou simplement liquidées. De fait, la perte d’appels d’offres sur des bouquets de liaisons assurées en trains à grande vitesse (par exemple Paris-Rhône-Alpes, Bruxelles/Luxembourg-Méditerranée, Paris-Nord…) eût été fatale au précaire équilibre financier de la SNCF.
Thello sur Paris-Lyon-Milan, Renfe au sud de Lyon, Railcoop sur Lyon-Bordeaux
L’arrivée promise de Thello, filiale des chemins de fer italiens de l’Etat (Trenitalia), est annoncée sur Paris-Lyon-Chambéry-Turin-Milan à raison de trois allers-retours quotidiens en rames à grande vitesse Frecciarossa, sur une relation transalpine sous-exploitée. Premier des nouveaux entrants sur le réseau français, Thello a abandonné récemment ses liaisons Marseille-Nice-Gênes-Milan.
AVE de Renfe en approche de la gare de Montpellier Saint-Roch, dans la tranchée de la Citadelle, entre le lycée Joffre et l'opéra-palais des congrès "Corum" (à g.). Tout le trafic voyageurs franco-espagnol transite par la ligne classique entre Nîmes et Montpellier, les exploitants ayant conscience de l'avantage comparatif des gares-centre alors que l'allongement du temps de parcours par rapport à un transit par le CNM n'est que de 12 minutes. La coopération SNCF-Renfe va laisser place à une concurrence frontale, dans un premier temps sur les relations entre métropoles hors Paris. ©RDS
La Renfe espagnole vient d’ouvrir un bureau à Paris pour préparer des relations qui pourraient être centrées dans un premier temps sur l’axe rhodanien Lyon-Marseille-Montpellier. Renfe, qui réalise de beaux résultats avec son AVE Lyon-Barcelone, devrait rompre sa coopération avec SNCF Voyageurs sur les relations France-Espagne, actuellement Paris-Barcelone à la SNCF, Lyon-Barcelone à Renfe. Cette dernière exploitait aussi les Toulouse-Barcelone et Marseille-Madrid, actuellement suspendus. A ce jour ne circule plus aucun train à grande vitesse Sud-Sud par la LGV Méditerranée.
Ces projets recèlent d’après certains observateurs un plus grand risque pour ces nouveaux entrants que pour l’ancien monopole public, le prix des sillons imposé par SNCF Réseau étant notoirement plus élevé qu’en Italie par exemple. Pourtant, la SNCF semble avoir gravement sous-estimé les potentialités de relations inter-métropolitaines cadencées et faciles d’accès hors étoile parisienne. Toulouse-Lyon ou Lyon-Nice sont maltraités, Grenoble-Méditerranée est ignoré malgré la construction à grands frais d’un raccordement entre Sillon alpin et LGV à Valence-TGV.
Rame AVE de Renfe en stationnement à Valence-TGV, en provenance de Barcelone, Perpignan, Montpellier Saint-Roch et Nîmes Centre et à destination de Lyon Part-Dieu. L'exploitant historique espagnol connaît bien désormais le marché Lyon-Languedoc. Il projette, après être entré sur le marché français en coopération avec SNCF Voyageurs, d'opérer de façon indépendante, dans un premier temps sur l'axe rhodanien. ©RDS
Il en va de même pour la coopérative Railcoop, qui entend lancer dès l’année prochaine, dans un premier temps deux allers-retours Lyon-Bordeaux par Roanne, Montluçon et Limoges, relation abandonnée par la SNCF et qui emprunte des voies parfois dégradées (Montluçon-Guéret) parfois surchargées (Lyon-Roanne, Bourdeaux-Coutras). Railcoop, qui va lancer cet automne une circulation fret de Viviez-Decazeville et Capdenac à Toulouse-Saint-Jory, vient d’obtenir sa licence d’entreprise ferroviaire voyageurs et devrait utiliser des rames tri-caisses X72500 d’occasion.
Comme Renfe, la coopérative s’est délibérément axée sur les relations inter-régionales transversales, délaissées délibérément par le monopole d’Etat qui se sera caractérisé, tout au long de ses quatre-vingt-trois années d’existence, par un jacobinisme croissant.