Contrainte d’abandonner l'embranchement particulier de ses carrières à cause du refus de rénovation de la section Sain-Bel-Courzieu-Brussieu de la ligne de la Brévenne opposé par SNCF Réseau, Lafarge a publié un communiqué vantant une nouvelle installation de chargement route-rail « pour développer les transports doux ». Ce jargon écologiste habille élégamment le basculement sur route, sur 20 km environ, de dix-mille camions par an depuis les carrières de La Patte jusqu’à une installation de chargement réactivée à la cimenterie Lafarge de Val d’Azergues sur la commune de Belmont d’Azergues (Rhône).
Jusqu’à fin 2019, les ballasts produit par le site de LafargeHolcim Granulats destinés aux voies de la SNCF étaient directement chargés sur wagons à la sortie des carrières, sans transit routier. La nouvelle solution consiste en fait à raccourcir d’une dizaine de kilomètres la longueur du transit par route imposé depuis la neutralisation de la voie ferrée.
Si le communiqué de Lafarge est rédigé en forme de triomphe, il n’omet pas toutefois de relever discrètement l’origine de l’impact environnemental négatif causé par la neutralisation de 8,5 km de ligne entre La Patte et Sain-Bel : « C’est parti ! Après presque 20 ans d’arrêt, un premier train a quitté le 17 juin dernier la plateforme de chargement de Val d’Azergues, avec à son bord des granulats provenant du site de La Patte. Une nouvelle solution multimodale de transport qui permet de pérenniser l’acheminement de la production de la carrière, suite à la fermeture de la ligne ferrée Sain-Bel-La Patte ». L’opération a été lancée en 2019 « grâce au soutien de la Région Auvergne-Rhône-Alpes ».
Un « renouveau du transport par rail »… qui inclut la neutralisation de 8,5 km de voie ferrée et un transfert par route
Le texte évoque « ce renouveau du transport par rail sur le site de Val d’Azergues ». Parler de « renouveau du transport du rail » après amputation de 8,5 km de voie ferrée qui induit une rupture de charge et de mode au bénéfice de la route ne manque pas de sel.
Le déplacement du lieu de chargement des wagons, qui était depuis fin 2019 localisé à Saint-Germain au Mont d’Or, inclut « la rénovation totale de l’ancien embranchement ferroviaire et l’ajout d’un terminal de chargement de granulats ». On notera que ladite rénovation a été réalisée par transfert d’appareils de voies usagés de l’embranchement de La Patte vers le site du Val d’Azergues.
Site, en cours de démantèlement début 2020, de chargement des granulats des carrières Lafarge Holcim de La Patte, sur la commune de Courzieu-Brussieu. En raison du refus de maintenance de la ligne depuis Saint-Bel opposé par SNCF Réseau, l'entreprise a d'abord dû transporter ses produits par camion jusqu'à Saint-Germain au Mont d'Or, soit un parcours de 30km. Il est désormais réduit à 20km, avec transfert sur wagons à Belmont d'Azergues. ©RDS/POM
Jusqu'à l’abandon fin 2019 du chargement direct sur rail des ballasts de La Patte, les circulations ferroviaires fret transportaient leurs chargements sur 30 km via L’Arbresle et Lozanne jusqu’au triage de Saint-Germain au Mont-d’Or où s’opérait la réexpédition des wagons vers leurs destinations finales. Après neutralisation de la ligne par refus d’investissement de la part de l’Etat, de SNCF Réseau et de la Région, ce sont des camions qui ont effectué ce parcours. L’opération a entraîné des plaintes des habitants de Saint-Germain au Mont-d’Or dont l’environnement était pollué par le déchargement des granulats depuis les camions en provenance des carrières de la Brévenne sur des wagons pour réexpédition par rail.
« Une nouvelle activité », plaide Lafarge, qui pourrait favoriser un transfert sur rail de matériaux propres à la cimenterie
Lafarge tente de valoriser cette nouvelle solution mixte, qui raccourcit le linéaire emprunté par les 10.000 camions annuels, en soulignant que l’installation au Val d’Azergues du site de transfert « permet de valoriser le site de la cimenterie en y intégrant une nouvelle activité : le stockage et le chargement en train d’un matériau nouveau pour le site, en l’occurrence des granulats extraits de la carrière de la Patte et destinés à servir de ballast pour l’entretien des voies de chemin de fer de la région. »
Si l’argument paraîtra spécieux pour les nombreuses victimes des circulations routières de fret – habitants de la vallée de la Brévenne et usagers contraints de la route – la perspective « d’envisager, à moyen terme, l’utilisation du rail pour les approvisionnements de la cimenterie ou pour le transport du ciment vers les centres de consommation » est plus crédible. Il permettrait de limiter le flux de camions au départ de la cimenterie. Si ce type de projet n’engage que ceux qui le reçoivent, l’assertion permet de relever que cette cimenterie n’est plus desservie par rail depuis deux décennies…
« Entamée en janvier 2021, la réalisation de ces nouvelles installations a été menée dans un temps record, grâce aux synergies déployées entre les équipes de l’Agence Granulats Rhône-Alpes et celles de la cimenterie de Val d’Azergues », poursuit le communiqué. La réactivation du petit faisceau de la cimenterie du Val d’Azergues a été possible grâce au « soutien financier » de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Lafarge remercie « les communautés de communes et les municipalités pour les échanges constructifs tout au long de la mise en œuvre de ce projet ». La commune la plus concernée, Belmont d'Azergues, est située à quelques kilomètres au nord de Lozanne à l’amorce de la ligne à voie unique de Paray-le-Monial.
A Belmont d’Azergues, dépose des voies inutilisées de la cimenterie, terrassement, repose de rails…
L’entreprise helvéto-française énumère les travaux qui ont été nécessaires pour créer un site de transbordement route-rail de ballast dans les emprises de sa cimenterie de Belmont d’Azergues. Sur ce site déserté par les trains depuis longtemps elle a déposé les anciennes voies ferrées, opéré le terrassement d’une plateforme de 5.000 m2, posé un linéaire d’un kilomètre de voies et installé les aiguillages de réemploi.
Une route de 250 m de longueur a dû être créée pour permettre la gestion des doubles flux routiers : ceux destinés à la cimenterie et ceux destinés au chargement des granulats provenant de La Patte. Une zone de stockage du ballast a été aménagée pour accueillir 2.400 tonnes de granulats, « soit deux trains complets »… tonnes qui auront auparavant été acheminés par la route départementale D389 avant d’être chargées dans des wagons tombereaux par les équipements nécessaires : sauterelle mobile, trémie, chargeuse.
Vue de l'emprise ferroviaire depuis la gare de Courzieu-Brussieu vers Sain-Bel et Lyon Saint-Paul. Dans cet environnement de vallée, le mode ferroviaire serait particulièrement adapté aux flux voyageurs, avec rabattement par autocars depuis les communes situées sur les hauteurs. ©RDS/POM
On rappellera que l’autre exploitation de la vallée de la Brévenne, les carrières du Val de Rossand (de l’entreprise Bonnefoy Béton Carrières Industrie) ont renoncé au rail depuis quelques années déjà. Les 10.000 camions annuels de la carrière de La Patte s’ajoutent donc à ceux de l’exploitation du Val de Rossand. A l’opposé, côté Loire sur la même ancienne ligne Lyon Saint-Paul-Montbrison, les carrières de la Loire utilisent une section de voie rétablie voici quelques années avec chargement direct sur wagons à la sortie du site d’extraction.
La section Sain-Bel – Sainte-Foy l’Argentière traverse la communauté de communes des Monts du Lyonnais
Les 8,5 km rendus inutilisables par manque d’entretien par SNCF Réseau pour les convois de granulats destinés… à SNCF Réseau sont partie de la section Sain-Bel-Sainte-Foy l’Argentière, longue de 16,5 km, qui serpente dans l’étroite vallée de la Brévenne. Elle comporte neuf ponts ou viaducs, dont celui Vercherin (209 m) et deux autres de plus de 100 m de longueur, ainsi que deux tunnels de 29 et 129 m de longueur. Des voix s’élèvent régulièrement pour demander l’extension du train-tram de l’Ouest Lyonnais depuis Sain-Bel vers l’ouest. La communauté de communes des Monts du Lyonnais, traversée par la section neutralisée, a vu sa population croître de 50 % en un demi-siècle, à environ 37.000 habitants actuellement.
Les dessertes voyageurs par les Cars du Rhône sont confuses et peu fréquentes, en correspondance ou non avec le train-tram de l’Ouest-Lyonnais, à partir de Sainte-Foy l’Argentière, cité peuplée de 1.300 habitants dans la commune centre mais 3.200 dans l’unité urbaine.
A Sainte-Foy l’Argentière, les tuileries industrielles pourraient être desservies par rail moyennant la pose de quelques dizaines de mètres de voie et d’un offre commerciale adaptée, leurs emprises de stockage étant situées à proximité immédiate du butoir d’extrémité du tronçon de ligne en provenance de Lyon Saint-Paul. Ces tuileries reçoivent et expédient leurs matériaux par route, flux de poids-lourds qui s’ajoutent aux camions des carrières, à ceux en transit entre Loire et Rhône, aux trafics agricoles et dessertes locales. On est loin des « transports doux », du « développement durable » et autres « protections de la planète » ressassés par la nomenklatura écololâtre des métropoles.