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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
24 juillet 2021

Ancien président de la SNCF, Loïc Le Floch-Prigent critique la concurrence conçue par l'UE, prône la solution suisse

 L’avis d’un ancien président de la SNCF sur l’évolution de la politique ferroviaire en France et le dogme de la concurrence appliqué aux chemins de fer est toujours intéressant… quand il ose s’exprimer. C’est le cas de Loïc Le Floch-Prigent qui, après avoir présidé aux destinées d’Elf  pendant quatre ans (1989-1993), présida à celles de la SNCF pendant sept mois de fin décembre 1995 à début juillet 1996. Son élan fut brisé par l’obscure affaire Elf-Biderman dans laquelle il fut condamné.

 Aujourd’hui, dans un texte publié par le site Contrepoints, M. Le Floch-Prigent critique vertement à la fois la déconnexion des services centraux de la SNCF des réalités du terrain et cette concurrence entre exploitants qui vient heurter la nature du ferroviaire : son lien intime entre circulations et infrastructure ainsi que la puissance de l’effet réseau. (1)

 Les tribulations judiciaires de Loïc Le Floch-Prigent n’enlèvent rien à la pertinence de ses points de vue, qui méritent d'être débattus, sur le devenir du secteur ferroviaire. Or aujourd'hui ce dernier est marqué par l’application du dogme européen de la « concurrence libre et non faussée » entre tractionnaires,  sur un réseau physique géré indépendamment des flux qu’il supporte.

 C’est le cas en France où l'on a appliqué les « lois » européennes en la matière en créant RFF (1997-2014) puis SNCF Réseau (depuis 2014). Le premier était propriétaire du réseau mais avec une maintenance assurée par SNCF. Le second est gestionnaire du réseau et des circulations et mainteneur des voies.

Le réseau ferré national voit circuler des trains aux statuts disparates et aux tarifications souvent étanches

 Actuellement, le réseau ferré national géré par SNCF Réseau voit circuler des trains aux statuts disparates et aux tarifications souvent étanches côté voyageurs, lesquelles contredisent la nécessité de « l’effet réseau ».

 Côté fret, les services sont assurés par des tractionnaires disposant d’une licence accordée par un organisme idoine, l’EPSF, effectués à leurs risques et périls sous le régime de l’accès libre ou « open access ».

DSCN3632Locomotives VFLI en circulation haut-le-pied à Avignon Centre. L'ouverture du marché de la traction ferroviaire fret n'a pour l'instant pas entraîné d'augmentation de la part modale du rail dans ce domaine, tombée à 9% environ. Mais elle a permis de multiplier les initiatives qui ont peut-être freiné son déclin. Le problème fondamental réside dans la consistance du réseau: capacité des lignes, électrification ou non, dégradation ou fermeture de lignes de desserte fine... ©RDS

 Côté voyageurs, deux statuts cohabitent. D’une part les services conventionnés (et subventionnés) par les régions (TER, RER SNCF, Transilien) et par l’Etat (TET Intercités) – ces services seront désormais soumis à l’appel d’offres européen pour mise en concurrence des délégataires de service public pour une période donnée. D’autre part les services en accès libre ou « open access » aux risques et périls de l’exploitant, concernant les trains grandes lignes de SNCF Voyageurs et de ses filiales ou co-exploitants étrangers (DBAG, Renfe…) majoritairement à grande vitesse. Cette classe de services est celle de l’exploitant italien Thello, et sera celle des nouveaux entrants français Railcoop, voire Le Train (basé dans le Sud-Ouest).

L’ART (Autorité de régulation des transports) reçoit les demandes de sillons des tractionnaires, détaillant leurs itinéraires, leurs souhaits d’horaires, de fréquences et de desserte. SNCF Réseau organise le graphique en conséquence, tenant compte des contraintes techniques des lignes sollicitées.

Dissocier le réseau et les tractionnaires va à l’encontre du principe du chemin de fer qui lie voie et véhicule

 Loïc Le Floch-Prigent n’est pas tendre avec cette organisation qui a pour caractéristique de dissocier le réseau des tractionnaires. Or le chemin de fer lie très  intimement la voie et le véhicule, bien plus que la route ou que l’aérien. En effet, son principe consiste à transférer le plus grand nombre de fonctions possibles du véhicule vers l’infrastructure : planéité, définition de l’itinéraire, espacement et, depuis l’électrification par caténaire ou troisième rail, fourniture de l’énergie de traction.

 Le train électrique (sauf conçu avec batteries ou générateurs à hydrogène, ce qui constitue un retour au transport de l’énergie par le véhicule) est à ce jour le seul véhicule avec les bateaux à voile qui ne transporte pas son énergie de propulsion.

 Loïc Le Floch-Prigent relève que l’on « ne peut pas doubler les fleuves ou les canaux, les lignes électriques, les voies de chemin de fer » pour permettre la concurrence. On notera cependant que la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis connurent une époque de construction de lignes de chemins de fer concurrentes entre elles, desservant le même itinéraire. Depuis, les Etats (et le marché) ont rationalisé le système moyennant un nombre important de suppression d’infrastructures.

DSCN3630Illustration très visuelle du laisser-aller de l'exploitant public, avec ces "tags" envahissants au graphisme violent sur une rame AGC de la région Occitanie à Avignon Centre, au départ pour Port-Bou. L'image de l'impuissance... ©RDS

 L’ancien président de la SNCF admet que la situation de monopole total (infrastructure et exploitation) peut entraîner des dérives, des sortes « d’Etats dans l’Etat mal gérés avec des salaires, des prébendes et donc des tarifs qui s’envolent et deviennent insupportables pour la collectivité ». Il y a alors « une sorte de prise de pouvoir d’une oligarchie sur l’un des aspects de la vie nationale avec un service rendu de plus en plus aléatoire ».

Loïc Le Floch-Prigent : « S’en remettre aux principes européens a été un leurre ou une stupidité pour la France »

 Pour autant, Loïc Le Floch-Prigent estime que la désarticulation ou le démembrement du système intégré est mortifère : « S’en remettre aux principes européens a été un leurre ou une stupidité pour la France, car les réalités des différents pays étaient trop éloignées pour que les orientations communautaires soient sans arrière-pensées : nos « partenaires » ont voulu régler leurs comptes avec nos deux succès incontestables EDF et SNCF voyageurs et grâce à l’Europe, l’administration française a souhaité mettre à l’amende deux corps sociaux, les électriciens et les cheminots, résistant à leurs talents bureaucratiques. »

 On peut néanmoins objecter que le monopole public sur le réseau ferroviaire français a été concomitant avec un démantèlement massif des lignes régionales et transversales alors que les sept compagnies (dont deux publiques) qui le précédaient restaient plus proches des territoires qu’elles desservaient. La construction des lignes à grande vitesse et de lignes nouvelles en région parisienne est en revanche à mettre à son actif.

 Pour Loïc Le Floch-Prigent, qui dénonce vigoureusement « le caractère artificiel de la concurrence établie par l’Europe dans le domaine électrique » (« plus les installations sont rentables, plus il faut les abandonner (centrale de Fessenheim), plus elles sont coûteuses, plus il faut les multiplier (éoliennes en mer)… »), la concurrence actuelle « dans le train » est un autre « leurre » car « elle existe déjà, qu’elle se nomme voiture ou avion ». Il poursuit : « Pour le fret, les marchandises, la concurrence a joué : le train a gagné en Allemagne et il a perdu en France. À partir des grands ports de la Belgique, des Pays-Bas et de l’Allemagne le fret dispose d’un réseau dédié. Ce n’est pas le cas chez nous, il faudrait inscrire désormais des investissements dans les ports et les voies qui peuvent apparaître démesurés. »

Un « réseau maillé exceptionnel » ? La gestion du réseau principal sous monopole d’Etat a été désastreuse

 Côté transport des voyageurs Loïc Le Floch-Prigent estime que la France dispose, à côté d’un personnel motivé et compétent et de matériels roulants de qualité internationale, « d’un réseau maillé exceptionnel », affirmation sur laquelle Raildusud diverge fermement.

 Le réseau ferroviaire français (principal est secondaire) est passé, sous régime du monopole d’Etat pour le réseau principal et de gestion départementale pour le réseau secondaire, de 65.000 km en 1930 à 28.000 km actuellement. Des régions entières sont privées de gares et de grandes villes ne sont plus reliées entre elles par une voie continue. L’exemple de Lyon-Bordeaux en est la caricature.

DSCN3242Illustration du démantèlement massif du réseau régional français par le monopole d'Etat : la gare d'Ambert, sur l'ex-radiale Saint-Germain-des-Fossés-Darsac (Le Puy). La sous-préfecture du Puy-de-Dôme n'est plus desservie par les trains de la SNCF, les sections de la ligne en Livradois-Forez ayant été reprises par un syndicat de collectivités locales avec quelques trains touristiques et une activité fret en voie de redéveloppement. L'obstinations d'élus et d'associations de bénévoles aura fait reculer l'entreprise de liquidation du réseau ferré dans ce cas précis. Le service voyageurs TER est assuré par de rares autocars flambant neufs et généralement vides. ©RDS

 Tout en reconnaissant l’impact désastreux de la culture de la grève à la SNCF, son ancien président dénoncé « la manipulation orchestrée par la presse » qui consiste à « considérer l’ensemble de la compagnie comme un enfant gâté capricieux qui coûte cher à la nation ». Il rectifie : « C’est ignorer que les dettes ont été décidées par les gouvernements et que les crédits de maintenance de l’outil ont été sauvagement réduits par un État impécunieux. » il dénonce aussi « ceux qui ne sont pas sur le terrain et qui pèsent lourdement sur le budget de fonctionnement sans être déterminants sur le fonctionnement quotidien » de la SNCF. « C’est la chaîne de commandement qui pose problème et la numérisation accélérée aurait comme conséquence la disparition d’une hiérarchie bureaucratique qui, comme il se doit, fait de la résistance et souhaite au contraire supprimer l’échelon de proximité. »

« La productivité commence par une connaissance intime (…) de la marche des trains, beaucoup de fonctionnaires du siège l’ignorent »

 « La productivité commence par une connaissance intime du terrain, de la marche des trains, beaucoup de fonctionnaires du siège l’ignorent », dénonce Loïc Le Floch-Prigent. La nomination à la tête de la SNCF de Jean-Pierre Farandou, qui fut chef de gare à Rodez, pourra-t-elle démentir cette tendance à une bureaucratisation version HEC ou ENA ? Mais son lointain prédécesseur assène : « Pour obtenir des progrès malgré la dimension de l’entreprise on a imaginé détacher le réseau des machines qui l’empruntent et donner à plusieurs compagnies la possibilité de rouler sur les mêmes rails. Mais cela ne fonctionne nulle part malgré toutes les installations de bureaucraties nouvelles baptisées instances indépendantes de régulation. »

DSCN3669Rame AVE Lyon Part-Dieu-Barcelone Sants dans la tranchée de la Citadelle à proximité de Montpellier Saint-Roch. Le service France-Espagne est assuré par la SNCF et la Renfe en coopération... jusqu'à présent. Avec le lancement des Ouigo par la SNCF en Espagne, la situation s'envenime. La Renfe prépare une réplique sur le réseau français à grande vitesse, apparemment entre Lyon et Marseille, consciente de la faiblesse structurelle de l'exploitant public français sur les liaisons inter-régionales... ou sur les liaison radiales à bas coût. ©RDS

  « Cette idée de vouloir installer une compétition sur une voie est absurde », juge Loïc le Floch-Prigent car « il existe un monopole structurel et  naturel, et il faut vivre avec, les Britanniques n’arrêtent d’ailleurs pas de faire des allers-retours sur ce sujet alors qu’ils en avaient été les promoteurs. »

 Une solution existe pour contrer le double écueil du centralisme monopolistique et du chaos par la concurrence débridée des tractionnaires, estime Loïc le Floh-Prigent : « Pour essayer de montrer qu’existent des alternatives dans la gestion d’un réseau ferré, confier une voie à une compagnie est une solution ». Il explique : « En Suisse, le réseau principal est resté du domaine des Chemins de Fer (fédéraux) mais des portions locales sont prises en charge par des entreprises plus petites à la grande satisfaction des clients. La gestion de ces petites lignes est plus limpide, elle ne surcharge pas la grande compagnie d’appendices dont elle ne parvient pas à contrôler l’activité, et le prix des voyages sur ces lignes périphériques est compétitif par rapport à l’automobile ».

Les dizaines de compagnies ferroviaires locales en Suisse sont propriétés publiques, cantons et fédération

 De fait, les dizaines de compagnies ferroviaires locales réputées « privées » en Suisse sont copropriétés des cantons avec souvent une part du capital apportée par le budget fédéral en soutien à l’investissement. « L’exemple suisse montre que ces dispositions sont un aiguillon efficace pour l’entreprise principale », ajoute l’ancien président de la SNCF. En revanche, selon lui, « imaginer des économies pour les consommateurs à partir d’appels d’offres pour intéresser des compagnies nouvelles au partage d’une ligne avec l’opérateur historique est un leurre. On s’en aperçoit aujourd’hui avec les résultats des consultations de ces dernières semaines. Réfléchissons avant de décider à partir de slogans faciles : la concurrence permet la baisse des tarifs... Et si c’était plus compliqué que ça ? »

 La subdélégation de la gestion de l’infrastructure de lignes régionales aux régions françaises, qui peuvent les confier à des régies (comme Digne-Nice) ou à de nouveaux entrants à la fois chargés des réhabilitations et de l’exploitation (certaines lignes de la région Grand Est) est un pas vers une solution « à la suisse ». Mais, comme dans tant d’autres domaines, la France bute encore sur la faiblesse financière de ses collectivités territoriales, privées de ressources propres suffisantes pour remplacer l’Etat dans les domaines (le ferroviaire régional) où il faillit. Transférer une responsabilité sans transférer une ressource relève de l’imposture.

 - - - - - 

(1) Lien vers le site de "Contrepoints" :

Concurrence dans le train : et si c'était plus compliqué ?

La lutte contre les monopoles a hanté des générations, du Parti communiste français à tous les économistes libéraux. Pour les uns le monopole c'est le mal car il est capitaliste, mais dans le secteur public il représente le bien commun. Pour les autres la concurrence est synonyme d'efficacité, de liberté, de respect du consommateur...

https://www.contrepoints.org

 

 

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Commentaires
M
Entièrement d'accord avec Pierre Debano et les commentaires de RdS.<br /> <br /> Je rappelle en plus, qu'il fut un temps, Monsieur Le Floch Prigent ne tarissait pas d'éloges sur l'exploitation des deux lignes qui lui sont chères de Guinguamp à Paimpol et à Carhaix confiée à Véolia.<br /> <br /> Par ailleurs, cessons de s'en prendre à tout propos à l'Europe..., cela devient rengaine.
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P
Malheureusement, ce n'est pas son court passage à la tête de la SNCF qui lui permet d'avoir une vue globale pertinente sur cette question. Alors, dans ses déclarations, on trouve des affirmations péremptoires qui montrent qu'il ne domine pas vraiment le sujet, et des réflexions intéressantes mais non conduites jusqu'au bout. Au final, l'avis de M. LE FLOCH PRIGENT ne fait que compliquer un peu plus la question. Le chemin de fer français n'est pas sauvé loin de là, mais il faut dire aussi que nos élus des conseils régionaux, souvent plus préoccupés de faire de la comm' que de l'efficacité, ont aussi leur grande part de responsabilité. Bravo pour les commentaires de Raildusud
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J
Il n'y a pas que pour le foot où nos amis Suisses peuvent nous donnent quelques leçons de bon gestionnaire...
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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