Le rachat de l’activité ferroviaire du canadien Bombardier par le français Alstom pourrait être l’arbre qui cache la forêt. Plusieurs entreprises françaises du monde du chemin de fer sont passées sous pavillon étranger ces dernières années : Sateba, producteur de traverses béton de chemin de fer vient de voir son capital repris par le fonds TowerBrook basé à Londres et New York. Plusieurs années auparavant, Faiveley, sous-traitant des constructeurs de matériel roulant (pantographes, portes…) et constructeur de portes palières, avait été racheté par l’états-unien Wabtec. De même Cogifer, constructeur d’appareils de voies, était passé sous tutelle allemande, absorbé par Vossloh. Quant à Thales, le dernier en date de la série, le japonais Hitachi rachètera son activité ferroviaire de signalisation.

Thales cèdera, avec a bénédiction de l'Etat actionnaire, sa division Systèmes de transports terrestres au japonais Hitachi, propriétaire du constructeur de trains Ansaldo Breda

 L'activité de signalisation ferroviaire de Thales, ou plus exactement Systèmes de transports terrestres, emploie 9.000 salariés pour un chiffre d'affaire de 1,6 milliards d'euros dans 42 pays. Cette division du spécialiste d'électronique et de défense pèse 10% de son chiffre d'affaire et sa rentabilité a été relevée récemment à 7%. L'Etat français détient 25,7% du capitale de Thales et cette cession a évidemment dû obtenir un feu vert au plus haut niveau politique.

 Les observateurs envisageaient d'autres solutions qu'un rachat par le japonais Hitachi: par le français Alstom, l’allemand Siemens ou l’espagnol CAF. Mais c'est avec Hitachi que Thales a annoncé être entré en négociations exclusives pour un prix (à réviser) de 1,66 milliards d'euros et une finalisation de la transaction début 2023.  Thales a équipé de nombreuses lignes ferroviaires. Il a par exemple réalisé la signalisation ferroviaire du tunnel de base du Gothard, le plus long tunnel du monde (57 km) ouvert en juin 2016 sous les Alpes suisses. Doté de la technologie ETCS2, le système installé par Thales y permet la circulation de plus de 350 trains par jour à 250km/h.

GothardVue d'une jonction (au niveau de Faido) entre les deux tubes du tunnel de base du Gothard, long de 57 km entre Ertsfeld (Uri) et Bodio (Tessin) en Suisse. Thales a équipé cet ouvrage de la signalisation ETCS2 qui permet une densification du flux de circulations ferroviaires... en intégrant bien sûr la gestion des liaisons de service telles que ci-dessus. (Doc. Wikipedia/Hannes Ortlieb)

 Thales affirme se soumettre à la logique de l'évolution technologique qui veut que la signalisation passe progressivement de l'infrastructure aux trains. L'intégration des deux secteurs est croissante, les systèmes embarqués devant être intégrés aux véhicules. Or Hitachi, entre autre snombreuses activités, construit des trains, ayant absorbé en particulier 100% de l'italien Ansaldo Breda en 2015, ainsi que 40% du capital de sa division signalisation ferroviaire Ansaldo STS. L'acquisition de l'activité signalisation de Thales constituera pour Hitachi un nouvel argument de vente pour un offre intégrée de son matériel roulant.

 Thales, géant français de l’électronique spécialisé dans l’aéronautique, la défense, l’espace et les transports, est issu d’un rapprochement des secteurs « défense » d’Alcatel, Dassault Electronique et Thomson-CSF. Dans le domaine ferroviaire, Thales fournit des systèmes de signalisation des lignes de réseaux nationaux ou urbains, dont il est le n°2 mondial, ainsi que des systèmes de supervision et de billettique.

Sateba passe du groupe Consolis spécialisé dans le béton au fonds d’investissement américain  TowerBrook

 Sateba était jusqu’ici propriété du groupe franco-finlandais Consolis, spécialiste du béton armé avec huit entreprises à son portefeuille, parmi lesquelles Bonna Sabla et Sateba. Ce dernier est le principal fournisseur français de traverses béton pour le ferroviaire, qu’il s’agisse de réseaux urbains ou nationaux. Bonna Sabla est très présent dans l’assainissement. Désormais, Sateba appartiendra au fonds d'investissement TowerBrook basé à Londres et New York, qui investit indistinctement dans l'habillement, la santé, l'informatique internet, l'aérospatial...

TraversesMise en place de traverses béton sur ligne nouvelle par une pince spéciale garantissant un espacement régulier du groupe chargé par cinq unités. (Doc. Wikipedia/S.Terfoth)

 Dans le tramway, Sateba a équipé plus de 450 km de lignes urbaines nouvelles depuis le renouveau de ce mode de transport en France, voici bientôt une quarantaine d’années. Sur les lignes du réseau national français, il a fourni plus de quarante millions de traverses en béton depuis leur apparition en France en 1932 pour remplacer les traverses en chêne créosoté. Sateba a lancé ses premières traverses béton dès 1923. C'est Edmond Vagneux qui avait imaginé, en 1916, le concept de traverse bi-bloc, avec deux blocs de béton supportant les rails, reliés par une entretoise métallique. Les traverses monoblocs sont apparues ensuite.

Sateba a aussi fourni des traverses pour la ligne à grande vitesse britannique Londres-tunnel sous le Manche (HSL1), pour des lignes à grande vitesse allemandes parcourues par des ICE ou pour la LGV marocaine avec une usine à Kénitra.

 Ces traverses béton peuvent supporter aussi bien des voies ferrées classiques que des voies mixtes fer-pneu, avec des bandes de roulement pour roues à pneus, parallèles aux rails d’acier pour roues d’aciers, les deux types de roues équipant le matériel métro abusivement dénommé « pneu » à Paris, Lyon ou Marseille.

Traverses SatebaBelle vue d'un aiguillage à coeur mobile sur ligne à grande vitesse posé sur traverses béton. Ces dernières, bien plus que les traverses bois, doivent être fabriquées en tenant compte le plus exactement possible de la géométrie de la voie. (Doc. Sateba)

 Sateba fournit aussi des traverses sur mesure pour appareils de voie, qui exigent des travers tout béton de grande longueur et de dimensions adaptées à la géométrie voulue. Ces traverses spéciales sont de conception relativement récente, les appareils de voie ayant longtemps été soutenus par des « planchers » bois, même sur lignes à grande vitesse. Le bois permettait un vissage des tirefonds exactement à l’endroit voulu, sans calcul exact de leur emplacement lors de la conception de la traverse. De nouvelles précisions de calcul et de nouveaux outils de réglage ont permis de passer aux traverses béton sous les appareils de voie.

Sateba produit 1,5 millions de traverses béton par an dans l’Hexagone, dans trois usines

 Sateba France dispose de trois usines dans l’Hexagone, avec une capacité de 1,5 million de traverses béton par an. Il en prooduit trois million en incluant l'étranger. Sur une ligne de chemin de fer très circulée, le nombre standard de traverses est de 1.666 par kilomètre.

 Cette année, Sateba a été sélectionné par Colas Rail qui est chargé par SNCF Réseau de la rénovation de la section de ligne de Cambo-les-Bains à Saint-Jean-Pied de Port. L’entreprise fournit 50.000 traverses pour cette section de 33 km de la ligne pyrénéenne amorcée à Bayonne. Sateba en fournit aussi pour les travaux de renouvellement de la ligne A du RER francilien entre Nation et la défense.

Traverses MargaritelliTraverses Margaritelli en cours de pose sur le Contournement de Nîmes et Montpellier (2016). L'entreprise italienne est un concurrent émergent pour Sateba sur le réseau français. (Doc. Margaritelli)

 On notera que Sateba est depuis quelques années concurrencé sur le réseau français national par Margaritelli, une entreprise italienne issue de l’industrie du bois, qui s’est diversifiée depuis la traverse bois vers la traverse béton. La particularité de sa production est de proposer des traverses béton  de grande largeur.

 Le groupe Consolis qui a cédé Sateba est spécialisé dans les produits préfabriqués en béton, pour le ferroviaire comme pour le BTP… ou pour les deux, comme ces voussoirs destinés aux tunnels du métro (pur pneus) de Rennes. TowerBrook, nouveau propriétaire de Sateba, est un fonds d’investissement qui a quitté le giron de Soros Private Equity en 2005. Il a détenu ou détient des positions dans des secteurs très diversifiées, de mode, de chaussures, de santé…

 Selon le quotidien Les Echos, « l'opération était en gestation depuis plusieurs années, une forme d'émancipation stratégique ». Sateba affiche  un chiffre d'affaires de 200 millions d'euros et emploie un millier de salariés dans une dizaine de pays et son résultat d’exploitation dépasse 10 %  du chiffre d’affaire, expliquait son PDG Benoît Cattin-Martel au quotidien économique.

Faiveley, inventeur du pantographe unijambiste, est américain depuis 2016, racheté par Wabtec

 En 2016 Faiveley, une autre pépite ferroviaire française, était passée sous capital étranger avec son rachat par Wabtec. Il est vrai que cette entreprise familiale, créée en 1919 par Louis Faiveley  à Saint-Ouen près de Paris, avait acheté récemment l’équipementier ferroviaire tchèque Lekov et le spécialiste du frein ferroviaire SAB Wabco faisant bondir son chiffre d’affaire de 250 millions d’euros  en 2002 à 1,1 milliard en 2016.

Panto

 Faiveley est l’entreprise qui inventa en 1923 le pantographe unijambiste dit « type Z »,  assurant un meilleur captage que le pantographe du courant de la caténaire que le pantographe en losange. Cette entreprise, qui se définit comme « équipementier du ferroviaire », a diversifié ses métiers, traitant, outre les pantographes, les portes, les portes palières sur les nez de quais de certaines lignes de métros, la climatisation, les convertisseurs statiques, le freinage, les enregistreurs d’événements, la surveillance vidéo et l’information voyageurs…

 Finalement, c’est l’américaine Wabtec, elle aussi spécialisée dans le matériel ferroviaire, qui a raflé la mise en 2015 grâce à une offre publique d’achat pour 1,8 milliards de dollars. Wabtec, basée à Pittsburg en Pennsylvanie et qui produit des composants pour le ferroviaire,  est elle-même issue du spécialiste du frein à air Westinghouse Air Brake Company. Elle a acheté GE Transportation qui produit des locomotives mais aussi des machines pour le naval, les mines et le secteur de l’énergie.

IMG_20210716_170632420_HDR (1)Pantographes unijambistes sur locomotives stationnant en gare de Montpellier Saint-Roch. Les pantographes en losange ont disparu sur le réseau français électrifié en courant continu. Parmi les dernières à en être équipées, les BB 8100 et 9200... ©RDS

 Consolation : selon l'accord de cession, la marque Faiveley devra être conservée pour les équipements concernant les trains de voyageurs.

Cogifer, constructeur d’aiguillages, a été racheté par l’allemand Vossloh en 2002

 Troisième entreprise française du secteur ferroviaire à être passée sous pavillon étranger : Cogifer. Ce constructeur d’appareils de voies et de signaux avait été racheté en 1992 par le groupe métallurgique et mécanique diversifié De Dietrich, fondée au XVIIe siècle. Dix ans plus tard, en 2002, De Dietrich céda Cogifer à l’allemand Vossloh, spécialisé de même dans les équipements ferroviaires – mais constructeur aussi de locomotives, activité revendue en 2020 au chinois CRRC.

 Vossloh hérite ainsi de l’usine Cogifer de Reichshoffen, créée en 1904, l’un des plus importants sites de production d'aiguillages français. Le groupe Vossloh Cogifer y possède son premier pôle technologique.

 Vossloh, fondée en 1888 par Eduard Vossloh et basée à Werdeloh en Rhénanie-du-Nord-Wesphalie, est connue pour avoir mis au point les premières attaches élastiques de rails sur traverses. Le fondateur, forgeron, avait débuté sa carrière en produisant des fixations de rails.

 Thales Ferroviaire, Cogifer, Faiveley, Sateba… Une partie de l’industrie ferroviaire française s’externationalise par cessions à des capitaux étrangers. Si de nombreux sites de ces entreprises continuent de produire voire de se développer dans l’Hexagone, le risque demeure, aux premiers coups de vent, de leur délocalisation.