Longue de 277 km, traversant quatre départements et irriguant deux régions, la ligne Béziers-Neussargues voit peut-être le bout du tunnel. Sa partie nord est fermée sur 55,9 km au-delà de Saint-Chély d’Apcher depuis le 3 décembre 2020 après la découverte soudaine d’une déformation de la voie malgré des travaux récents. A quelques semaines des élections régionales et devant une énième levée de boucliers des élus et des populations, un communiqué commun a affirmé les engagements financiers de l'Etat et des Régions pour assurer sa continuité et sa pérennisation.

 Le communiqué commun indique en particulier : « Pour répondre aux besoins les plus immédiats, l’État et les Régions Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie ont conclu en ce début d’année une convention, dotée de 11,47 millions d’euros répartis en trois tiers, permettant de réaliser des travaux d’urgence. Une première tranche de 3 millions d’euros sera conduite dès cet été et portera sur le remplacement de 6.000 traverses bois, le relevage de la voie et du bourrage mécanique lourd. »

 Cette première salve de travaux est conçue « de façon à autoriser la remise en service de la ligne en novembre 2021, pour l’ensemble des trafics », indique le communiqué. Il aura donc fallu presque une année pour décider, financer et exécuter des travaux de remplacement de traverses et de relevage de la voie.

Cette section de 55,9 km est la seule à voir passer un trafic fret, pour ArcelorMittal, outre l’Intercités Aubrac

 Cette décision était d’autant plus urgente que la section de 55,9 km neutralisée est la seule à assurer le transit de fret, celui de l’usine ArcelorMittal de Saint-Chély-d’Apcher qui va bénéficier d’un investissement important lui permettant d’augmenter sa production. Pour l’instant,  ses produits importés comme ses expéditions transitent tous par la route.

 Dans sa nouvelle ligne de production, qui a nécessité un investissement de 15 millions d’euros dont 10 millions investis par l’Etat, ArcelorMittal va fabriquer des aciers magnétiques. Peu ou prou le coût d’une remise en état, au moins provisoire, des 55,9 km de ligne neutralisés, écrivions-nous dans un article de Raildusud publié le 11 février dernier.

DSCN0175Croisement des Intecités L'Aubrac à Neussargues. Les voies entre Clermont-Ferrand et Neussargues n'étant pas électrifiées et ces trains n'étant plus assurés par rames tractées comme au temps des relations directes avec Paris, le parcours sous caténaires Neussargues-Béziers est effectué en traction thermique. On attend des rames bimodes... ©RDS

 La section au nord de Saint-Chély d’Apcher voit passer un seul aller-retour voyageurs quotidiens, celui de l’Aubrac Clermont-Ferrand-Béziers, au statut d’Intercités bien qu’exploité en automoteur X72500 diesel.

Le communiqué commun poursuit : « L’État et les Régions ont par ailleurs décidé de lancer dès cette année les études et investigations préparatoires au remplacement des rails les plus anciens. Cette initiative se situe dans une perspective de réalisation de cette opération en 2023. » Il conclut, sans plus de précisions : « Cette ligne Clermont-Ferrand-Béziers, dite de l’Aubrac (en fait Béziers-Neussargues, NDLR), appelle, par ailleurs, une vision d’ensemble compte tenu de son mauvais état global, surtout pour les sections le moins circulées. L’État et les Régions œuvrent à la préparation d’un programme de long terme, en lien avec la régénération de la liaison Clermont-Ferrand-Nîmes, dite du Cévenol. Cette démarche sera conduite tout au long de l’année 2021 et donnera lieu à une concertation avec les acteurs locaux. »

Pour le Comité pluraliste « tout redevient possible » mais le budget de 11,47 millions d’euros reste étique

 Pour Jacky Tello, président du Comité pluraliste de défense de la ligne Béziers-Neussargues qui fut fondé voici un quart de siècle, cet accord illustre « la reconnaissance par l'Etat » que cette ligne « est une ligne inter-régionale de dimension nationale voire européenne ». M. Tello salue par ailleurs « le respect des engagements pris par le Conseil Régional Occitanie et l'implication de la Région Auvergne-Rhône Alpes », affirmant que « tout redevient possible pour la ligne de l'Aubrac : elle ne ferme plus, elle va être modernisée ».

 On relèvera cependant que le reliquat du montant du financement (11,47 M€) après travaux d’urgence pour 3 millions d’euros cet été ne s’élève qu’à 8,47 millions d’euros. Pas de quoi faire des merveilles sur une section de ligne de près de 56 km. Rappelons qu’en 2007, RFF avait dû réaliser des travaux de maintenance d’urgence pour 7,5 millions d’euros entre Loubaresse et Neussargues, soit 40,46 km, toujours au nord de Saint-Chély d’Apcher.

DSCN0874En gare de Béziers, un Intercités Marseille-Bordeaux laisse deviner un TER à destination de la ligne de Neussargues. Cette dernière n'est desservie que par des TER Occitanie, en nombre décroissant jusqu'à Saint-Chély d'Apcher, ville touchée par un aller-retour TER de et vers Béziers, et sur tout le parcours par un A-R Intercités quotidien en temps normal. ©RDS

 Cette ligne est l’archétype d’un équipement ferroviaire inter-régional sacrifié par la technocratie centralisatrice et son lobby routier. Ces derniers n’ont pas hésité à dépenser 2,2 milliards d’euros pour construire l’autoroute A75 Clermont-Ferrand-Béziers (335 km, gratuite) et 400 millions d’euros pour bâtir le viaduc de Millau (payant, concédé à Eiffage, mis en service en 2004). La ligne de chemin de fer Béziers-Neussargues, longue de 277 km, fut électrifiée en courant continu 1.500 V par la compagnie du Midi en 1932. A cette époque, elle était même à double voie de Millau à Saint-Laurent d’Olt (48,36 km) et du Monastier à Saint-Sauveur de Peyre (19,89 km), soit un total de 68,25 km ou 24,6 % de son linéaire.

Un assèchement dû à la suppression des relations à longue distance et des relations avec Paris

 Son assèchement a été précipité par la fermeture des mines de charbon du bassin de l’Orb (Hérault) mais aussi par la dégradation de ses vitesses, la suppression de ses relations avec Paris et la fermeture de la plupart de ses lignes affluentes : à Faugères vers Montpellier par Paulhan, permettant une liaison rapide entre la préfecture de l’Hérault et Bédarieux, Millau et au-delà ; à Bédarieux vers Toulouse par la vallée du Jaur et Mazamet ; à Tournemire-Roquefort vers  Le Vigan et Nîmes à l’est, vers Saint-Affrique à l’ouest (avec projet non réalisé jusqu’à Albi) ; à Séverac-le-Château vers Rodez (sa réouverture est projetée). A Saint-Flour, une antenne PLM se détachait vers Brioude pour concurrencer la ligne Arvant-Neussargues de la compagnie du P-O, parallèle au nord, dont la brève exploitation voyageurs se limita à la période 1910-1940.

La seule ligne affluente actuellement en exploitation théorique est celle reliant en Lozère Le Monastier à Mende (31,5 km), mais son offre voyageurs est actuellement entièrement sur route sous prétexte de divers travaux.

DSCN0867Bâtiment voyageurs fermé, quai privés d'abris dignes de ce nom, paysage d'abandon. A Tournemire-Roquefort, la gare n'est pourtant qu'à environ deux kilomètres du célèbre village et de ses caves. Ni parcours fléché et aménagé pour y accéder, ni mise en valeur touristique en lien avec la ligne de chemin de fer qui offre pourtant trois allers-retours par jour: un TER Béziers-Millau, un TER Béziers-Saint-Chémy d'Apcher et l'Intercités Béziers-Clermont-Ferrand. La dissociation entre service public ferroviaire et réalité des territoires est ici flagrante. ©RDS  

 La richesse de l’axe Béziers-Neussargues fut pourtant sa triple fonction de mise en relation sur longue distance entre le sud du Massif Central (Béziers, Roquefort, Millau…), l’Auvergne (Aurillac, Clermont-Ferrand) et ses au-delà (Vichy, Moulins, Nevers, Paris) ; ses dessertes de cabotage entre des localités isolées par le relief (Béziers, bassin de l’Orb, Millau, La Canourgue, Marvejols, Saint-Chély d’Apcher, Saint-Flour) ; et ses dessertes de maillage vers, précisément, ses lignes affluentes. L’axe a perdu ses relations à longue distance jusqu’à Paris et au sud au-delà de Béziers, de même que ses relations transversales vers ses lignes affluentes.

La pauvreté actuelle de ses trafics traduit l’abandon des territoires du pays profond au monopole routier, à ses coûts et à ses risques.