Dix mois de fermeture au nord de Saint-Chély pour « dérangement d’installations » : l’Aubrac, ou la tiers-mondisation en marche
La partie nord de la ligne Béziers Neussargues reste fermée et de devrait pas rouvrir avant septembre 2021. Cette interruption, qui dure depuis le 4 décembre, illustre à quel point le principe de continuité du service public ferroviaire est littéralement foulé aux pieds dans le Massif central. Une dizaine de mois pour résoudre le problème de « dérangement d’installations » sur une section de seulement 55,6 km, au nord de Saint-Chély-d’Apcher, parcourue en service de base quotidien par un aller-retour voyageurs et un aller-retour fret constitue, aux yeux des contribuables locaux, une véritable provocation. Une pétition est en ligne depuis deux mois (1).
Neussargues, tête nord de la ligne de Béziers, dite "des Causses", et étape de la ligne (Clermont-Ferrand) Arvant-Aurillac. Dans cette zone d'élevage et de foresterie, la cour de chargement et son faisceau sont abandonnés, le train de fret vers l'usine métallurgique d'ArcelorMittal est suspendu et ses chargements transférés sur poids-lourds, le TET Intercités Aubrac est basculé sur route. Le Massif central apparaît comme une caricature de tiers-mondisation du transport, de relégation territoriale et de liquidation du patrimoine ferroviaire du pays. ©RDS
La faiblesse du nombre de circulations commerciales, même pour une voie unique, devrait permettre un traitement rapide, sans interruption, des dégradations de la géométrie de la voie. Pourtant, il n’en est rien. Or cette ligne structurante, parcourant des territoires notoirement isolés et déjà sous-équipés, dessert l’usine ArcelorMittal de Saint-Chély d’Apcher, qui reçoit des bobines d’acier depuis Clermont-Ferrand par la section précisément neutralisée.
Cette usine va augmenter son activité grâce à une nouvelle ligne de production installée pour une dizaine de millions d’euros avec aides publiques. Ne pouvant assurer les navettes ferroviaires fret par le sud de la ligne en raison de la distance et du profil, la totalité du flux industriel est donc basculé sur la route depuis début décembre.
Les concepts de « développement durable » et de « transfert modal » trouvent un démenti flagrant dans le Massif central
Quant à l’unique service voyageurs quotidien sur la section Saint-Chély-d’Apcher-Neussargues, constitué par l’Intercités (TET) Aubrac Béziers-Neussargues-Clermont-Ferrand, il dessert en particulier Saint-Flour, sous-préfecture du Cantal, à 19 km au sud de Neussargues. Notons que la section Saint-Chély-Neussargues est birégionale, soit 10,5 km en Occitanie et 45,1 km en Auvergne-Rhône-Alpes.
Rame de coïls pour l'usine ArcelorMittal de Saint-Chély-d'Apcher. Depuis le 4 décembre dernier, tout est sur la route. Entre tiers-mondisation et démenti cinglant aux concepts de développement durable. (Doc. Rémi Lapeyre)
Le développement durable, le transport propre, le transfert modal et l’économie vertueuse, concepts dont se gargarisent les élites hors sol d’une France en voie de tiers-mondisation, trouvent ici un démenti flagrant. Comme ils le trouvent pour le transport des eaux du Mont-Dore avec les menaces persistantes sur la section Volvic-Le Mont-Dore, privée de voyageurs et laissée en déshérence par SNCF Réseau depuis des années. Comme ils le trouvent entre les carrières de La Patte et Saint-Germain au Mont d’Or près de Lyon pour le transport de centaines de tonnes de granulats basculés sur route depuis près d’un an et demi.
Ces concepts fumeux ne pourront pas non plus être appliqués par une réactivation de l’ancienne ligne Montluçon-Eygurande-Merlines comme demandé par l’entreprise de transport Combrail, qui se heurte au projet (aussi coûteux qu’une réhabilitation ferroviaire) de transformation en « voie verte » par des élus locaux qui préfèrent trois vélos sur l’ancienne voie que des centaines de lycéens, de salariés, de curistes et de touristes dans des trains.
Voyages SNCF avait entièrement basculé l’Aubrac sur route alors que plus de 220 km restent ouverts aux trains
L'un des meilleurs spécialistes indépendants de cette ligne Béziers-Neussargues, le Professeur des universités Guy Charmantier, rappelle dans le magazine de l’AFAC Chemins de Fer (2) à quel point les services de cette liaison sont toujours sacrifiés les premiers en cas de grèves, de manque de personnel ou de travaux, fussent-ils légers et ponctuels. Ainsi écrit-il, « est apparu vers la mi-janvier (2021, NDLR) que la SNCF avait programmé en toute discrétion pour le 25 janvier, le transfert intégral sur route des Aubrac jusqu’en septembre prochain, alors que la section Saint-Chély-Béziers reste praticable par train et est utilisée par les TER ». Rappelons qu’il existe un aller-retour TER Béziers-Saint-Chély-d’Apcher, complété par un AR Millau-Béziers et quelques navettes Bédarieux-Béziers, doublées par des autocars.
Cette décision par Voyages SNCF de basculer le TET l’Aubrac entièrement sur route a été annulée après une vague de protestations de la part des élus municipaux et départementaux, des deux conseils régionaux, des syndicats et des associations.
Bâtiment de la gare de Saint-Chély-d'Apcher, en Lozère. L'usine ArcelorMittal est le premier employeur privé de Lozère avec 200 salariés. Elle fait travailler une cinquantaine de sous-traitants. Le chemin de fer est un élément-clé de soutien économique et humain. (Doc. Wikipedia/Cramos)
Le Pr Guy Charmantier prévient que « c’est l’ensemble de la ligne qui est menacé de fermeture d’ici la fin de l’année 2021 », une décision dont le bras armé ferroviaire de l’Etat aura soigneusement préparé l’argumentaire (vétusté, coût de la maintenance, faible trafic) en laissant se dégrader la superstructure. Il a étranglé au fil des décennies l’offre voyageurs en élaguant les lignes affluentes (vers Rodez, vers Mazamet, vers Montpellier) et en supprimant les trains à longue distance (vers Paris…). Ainsi agonise cet axe de 277 km qui dessert quatre départements et deux régions, pourtant électrifié par la Compagnie du Midi.
L’autoroute voisine (l’A75) sert de prétexte aux déconstructeurs du réseau ferroviaire régional français pour accélérer le mouvement sur cet axe, alors qu’en ces hautes contrées elle n’assure pas la même fiabilité hivernale, exige la possession d’un véhicule ou l’emprunt d’un autocar à la capacité inférieure au train, au temps de parcours plus long malgré l’autoroute s’il doit desservir les localités desservies par rail, et sans garantie de correspondance aux extrémités.
Ulcérée par cette forme de liquidation délibérée, la président d’AMIGA a écrit au ministre
Ulcérée par cette situation qui s’apparente de plus en plus à une forme de liquidation délibérée, la présidente de l’association de défense de la ligne Amiga - Amis du Viaduc de Garabit et de la ligne de l’Aubrac – (3), Patricia Vergne Rochès, maire de Coren-les-Eaux (Cantal), a adressé le 15 janvier une lettre ouverte au secrétaire d’Etat chargé des Transports, au directeur des Infrastructures au ministère de la Transition écologique et au PDG de la SNCF.
Viaduc de Garabit, entre Saint-Chély-d'Apcher et Neussargues. En fermant la ligne, SNCF Réseau se débarrasserait du plus gros de la maintenance de ce splendide ouvrage ferroviaire. (Doc. Wikipedia/Thurion)
On pouvait lire dans cette lettre : « Les constats quotidiens des usagers de la ligne des Intercités Aubrac sont catastrophiques (…). Aujourd’hui, nous sommes les oubliés de la République (…) Nous apprenons avec stupéfaction que la réouverture de la partie manquante de la ligne ne devrait intervenir qu’en septembre. (…) La ligne des Intercités Aubrac est une honte pour la République (…) Nous n’osons imaginer que le Massif Central soit ainsi pénalisé et privé de train par l’Etat ».
La lettre précise encore : « Le sort de notre ligne de vie semble même décidé en haut lieu : la récente étude rendue publique sur le financement des travaux indique que si rien n’est fait la ligne sera définitivement fermée à tous les trains de voyageurs entre l’Auvergne et l’Occitanie à la fin de l’année. Les 54 millions d’euros nécessaires à la modernisation complète de ce tronçon (Saint-Chély-Neussargues, NDLR) pour plusieurs décennies ne sont pas réunis ». Elle exige que la ligne Paris-Béziers via le Massif Central « reste une ligne d’Etat d’aménagement du territoire ».
« Des travaux avec fermeture chaque été depuis dix ans » sur Béziers-Neussargues… et en ce moment sur Nîmes-Clermont-Ferrand
Fédération d’associations, d’élus et de syndicalistes, le Comité pluraliste de défense de la ligne indiquait quant à lui que les négociations se poursuivaient entre les régions, l’Etat et la SNCF pour aboutir à un accord national spécifique sur l’Aubrac et le Cévenol. Cette dernière ligne (Nîmes-Clermont-Ferrand) a vu disparaître son dernier Intercités TET, reversé au compte des TER Occitanie moyennant achat par l’Etat au bénéfice de la région de trois nouvelles rames Régiolis, alors que sa section centrale Langogne-Saint-Georges d’Aurac a été à deux doigts d’une fermeture sur ordre de SNCF Réseau.
Gare de Neussargues (Cantal). A ce jour, cette ancienne étoile ferroviaire à quatre branches n'offre plus aucune correspondance train en raison de la neutralisation pour travaux de la section Neussargues-Saint-Chély-d'Apcher. ©RDS
Le sort réservé à ces lignes est affligeant. L’association Amiga rappelle que sur l'Aubrac des travaux de « rafistolage » entraînent la fermeture de la ligne « chaque été depuis dix ans », « interrogeant sur la bonne gestion de l’argent public ». Il en va de même sur l’axe Nîmes-Clermont-Ferrand, fermé au nord d’Alès en Occitanie depuis le 29 mars pour une énième série de travaux de rénovation, de même qu’au sud de Saint-Georges d’Aurac.
La liquidation délibérée de pans entiers du réseau ferroviaire dans le Massif Central confirme, sauf improbable surprise, que les élites placées à la tête du pays accélèrent leur propre sécession en sacrifiant les territoires supposés périphériques.
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(1) Lien vers la page de la pétition pour la défense de la ligne Béziers-Clermont-Ferrand :
Emmanuel Macron a déclaré le 14 juillet 2020 vouloir "redévelopper les petites lignes de train", parce qu'elles "permettent de faire des économies et de réduire nos émissions". Malheureusement et malgré cela, la ligne de l'Aubrac ne pourra bientôt plus accueillir de voyageurs si comme prévu le niveau d'investissement reste le même.
https://www.change.org
(2) « Chemins de fer », n°586, février 2021, revue de l’Association française des amis des chemins de fer.
Les dernières mesures sanitaires annoncées font que les locaux de l'association restent fermés à toute personne étrangère à l'AFAC, ce jusqu'à nouvel avis. De ce fait a ucune visite n'est autorisée et la possibilité d'accueillir un groupe est suspendue. Le secrétariat continue de fonctionner "à distance".
http://afac.asso.fr
(3) Lien vers le site de l’association AMIGA :